III. NOTES AU SUJET DE L’HERMÉTISME ET LA SCIENCE (I) *
FEDERICO GONZALEZ

   Nous avons souvent retrouvé le thème des rapports entre l’Hermétisme et la science expérimentale, chez des auteurs divers, au point qu’il s’agit aujourd’hui d’une référence habituelle dans l’Histoire de la Science. En effet, les disciplines qui constitueront la Science Moderne, à savoir la Cosmologie, les Mathématiques, la Géographie, la Physique, la Médecine, la Pharmacologie, la Chimie et l’Ingénierie en général140, c’est-à-dire l’ensemble des matières, avec l’adjonction de quelques disciplines récentes comme la Psychologie141, qui constituent la civilisation occidentale –et que d’autres traditions, dont nous sommes les héritiers, ont également élaborées– est le produit d’un courant sapientiel d’énergies placées sous l’égide du dieu Hermès, de même que d’autres réalisations culturelles que nous mentionnons à d’autres chapitres de cet ouvrage. En ce qui nous concerne, le facteur déterminant pour traiter ce sujet sont les investigations sur les catalogues de deux grandes bibliothèques, celle appelée la Bibliothèque Colombine, qui est conservée à Séville, et la Bibliotheca Chemica dont John Ferguson acheva la classification en 1906.142

    Plusieurs siècles séparent ces deux bibliothèques qui sont, de ce fait, le reflet de deux manières d’aborder le thème de la Science, tout en conservant de nombreux points communs : nous faisons référence à la vision médiévale de la Connaissance, ainsi qu’à celle de la Renaissance (hermétique et alchimique), qui consistait en une adaptation de la première (nous considérons que la division entre Moyen Âge et Renaissance est quelque peu forcée, tout comme l’opposition Platon-Aristote prise radicalement), qui elle-même en était une de l’antiquité gréco-romaine et alexandrine à laquelle viennent s’ajouter, en d’autres temps et circonstances, les apports byzantins et arabes, pour déboucher enfin sur un ensemble qui, complètement inversé par rapport aux conceptions citées du Moyen Âge et de la Renaissance (et classiques) dont le but ultime était la découverte et l’expérience du mystère, de la sacralité de la révélation, reniera ses origines et nous conduira à ce monde désolé et catastrophique qui est l’actuel. Bien que, pour quelques « sages » officiels inaptes à voir plus loin que le bout de leur nez, la situation soit si bonne qu’elle en devient paradigmatique et qu’ils continuent de soutenir la foi en un progrès indéfini (principalement fondé sur les succès médicaux et technologiques), même si la destruction imminente de la Civilisation occidentale, entraînant l’Orient dans sa chute, est évidente pour quiconque a pour habitude de lire les journaux ou regarder la télévision, le « sage » officiel, quant à lui, accompagnant la masse dont il est le représentant, est en revanche incapable d’abandonner ses illusions, qu’il vénère, car il les considère comme son être propre et le signe distinctif d’un temps et d’un milieu auxquels il est fier d’appartenir et qui doivent être respectés de tous, sous peine de se voir marginaliser, enterré vif.

    Précisons ici que nous ne nous occuperons pas de la science actuelle, mais de ses origines, et ce chapitre doit être vu, ainsi que son titre l’indique, comme de simples notes en vue d’une étude que nous écrirons peut-être un jour. Quant aux nouvelles perspectives de la science d’avant-garde (dont la gnose de Princeton est un bon exemple), qui représentent une forme prise par la science occidentale, signalons leur intérêt et bonnes intentions, dans la mesure où elles sont capables de relier leurs contenus à la métaphysique orientale, etc., même si leur méthode, et les présuppositions mentales sur lesquelles elle est fondée, ne sont pas les mêmes que celles de l’Alchimie et de la cosmologie traditionnelle (sinon qu’elles restent profanes et rationalistes en dépit de leur prétendu refus de ces valeurs), ni celles de la physique de Newton,143 ni de la médecine de Paracelse,144 etc., c’est-à-dire celles de la science comprise en tant que possibilité de développement dans un monde conçu comme inachevé, mais sacré, tout comme l’insertion de l’homme dans ce monde, et non pas de simples constatations empiriques, à savoir des conceptions profanes dues à la réussite d’un être humain qui se permet de découvrir, ou plutôt d’inventer, une réalité autonome que, ô  merveille des merveilles !, l’ignorante antiquité soupçonnait déjà. L’on ne peut pas davantage faire ces aspects des généralités, car cette façon de voir pourrait également se manifester comme un symbole de l’intérêt énorme qui attend ses herméneutes ; bien que nous ne sachions pas si, en raison des circonstances cycliques, il reste actuellement le temps matériel pour cela.

    Quoiqu’il en soit, la naissance de l’Histoire de la Science, telle que nous la connaissons aujourd’hui, est liée aux idées de la Tradition Hermétique et aux investigations et expériences des hermétistes, savants véritables –toujours persécutés par l’ignorance et les personnages officiels qui en sont l’incarnation– scrupuleusement respectueux des enseignements du Corpus Hermeticum, qui définissent une attitude claire au sujet de l’homme et de son rôle dans la Création, ainsi qu’il est manifesté dans le texte suivant :

    « Le cosmos est donc soumis à Dieu, l’homme au cosmos, les êtres sans raison à l’homme : Dieu, lui, est au-dessus de tous les êtres et veille sur eux tous. Les énergies sont comme les rayons de Dieu, les forces de la nature comme les rayons du cosmos, les arts et les sciences comme les rayons de l’homme. Les énergies agissent à travers le cosmos et atteignent l’homme par les canaux physiques du monde ; les forces de la nature agissent au moyen des éléments, les hommes à travers les arts et les sciences. »145

    De toutes manières, tout travail portant sur l’origine de ce que l’on nomme science de nos jours se doit d’étudier et de distinguer Roger Bacon (Somerset, v. 1214, Oxford 1294) comme en étant le meilleur représentant médiéval, précurseur d’une attitude d’ouverture envers les sciences de la nature et l’expérimentation, et dont le nom est souvent lié à des inventions déterminées, comme les lentilles grossissantes et le microscope, l’observation de la taille des planètes, des nébuleuses spatiales, la création d’engins mécaniques, d’ouvrages hydrauliques et d’ingénierie, etc.146

    Ce philosophe hermétique et alchimique médiéval est considéré comme le disciple de Pythagore, d’Euclide et de Ptolémée. Il a laissé une œuvre étendue, qui comprend : Quaestiones supra Libros Physicorum Aristotelis; Quaestiones supra Indecimum Prime Philosophiae Aristotelis; Id. supra Librum de Generatione et Corruptione; id. de Animalibus; id. de Causis; id. de Cælo et Mundo; Opus Maius; Opus Minus; Opus Tertium; id. Speculum Alchimiae; De Mirabili Potestate Artis et Naturae; Speculum Astronomiae; Compendium Studii Philosophiae; Communia Naturalium; De Multiplicatione Specierum; Compendium Studii Theologiae; De Secretis Operibus Artis et Naturae et Nullitate Magia.

    De cette abondante production, nous voudrions mentionner quelques fragments qui expriment succinctement sa pensée, complètement révolutionnaire pour son époque ; il nous suffit de rappeler que son livre Opus Maius, duquel nous avons sélectionné ces citations, fut publié la même année que la Somme Théologique de Thomas d’Aquin dont le maître, Albert le Grand, avait écrit, tout comme lui, sur l’Alchimie. Rappelons par ailleurs que « pour Roger Bacon, Hermès était le ‘père des philosophes’ » selon Lynn Thorndike (II, p. 19, citée par Frances Yates : Giordano Bruno et la Tradition Hermétique) :

    « Une fois exposées les racines du savoir des latins dans les langues, la mathématique et la perspective, je voudrais maintenant mettre à jour ces racines pour la science expérimentale, puisque sans l’expérimentation, l’on ne peut rien savoir suffisamment. En effet, les modes du savoir sont deux, à savoir, par l’argumentation et par l’expérience. L’argumentation conclut et nous fait concéder la conclusion, mais ne nous laisse pas certains, ayant fait disparaître chaque doute, de façon que l’esprit soit tranquillisé par la contemplation de la vérité, si elle ne la trouve pas par la voie de l’expérimentation : nombreux sont ceux qui possèdent des arguments afin de prouver les propositions, mais comme ils n’ont pas d’expérience, ils les méprisent, et ainsi n’évitent pas le mal ni ne poursuivent le bien. Si un qui n’a jamais vu le feu démontrait par des arguments suffisants que le feu brûle et attaque les choses et les détruit, cela seul ne tranquilliserait jamais l’esprit de celui qui l’entendrait, et il ne fuirait pas le feu avant d’avoir mis la main ou un objet combustible au feu, pour vérifier ainsi par l’expérience ce que le raisonnement lui avait démontré. Mais une fois obtenue l’expérience du fait de la combustion, elle demeure avec certitude, l’esprit repose avec l’évidence de la vérité. Donc le raisonnement ne suffit pas, sinon que l’expérience est requise. » (Sixième partie : De la Science Expérimentale, ch. I).

    « Mais comme cette science expérimentale est complètement ignorée de la masse de ceux qui étudient, je ne peux, pour cela, essayer de les convaincre de son utilité si je ne montre pas d’abord son efficacité et sa nature spéciale. Ainsi donc, c’est là la seule qui sache parfaitement par expérience ce qui peut être fait par les forces naturelles, et ce qui peut l’être par l’effort de l’art, par la fraude, ce que recherchent et ce que rêvent les poèmes, les conjurations, les invocations, les déprécations, les sacrifices, tout cela par art de magie, et ce que l’on y fait afin d’éliminer toute fausseté et ne retenir que l’art authentique. » (Id., chapitre II)

    Cependant, l’expérimentation dont traite Roger Bacon n’est pas seulement physique, comme l’on pourrait le croire, il nous le transmet lui-même, car son niveau le plus élevé est la Révélation ; c’est-à-dire que la Connaissance du Sacré est l’expérience la plus grande, tout en comprenant la magie sous ses deux facettes : celle qui s’appuie sur la nature des choses, et celle utilisant des tours qui violentent en quelque sorte cette nature, c’est-à-dire qu’il existe une magie « bonne » et une « mauvaise », ou plutôt qu’il y a deux façons d’agir face à la nature, l’une étant licite et l’autre non. Il y a dans cette division quelque chose de prophétique, si l’on tient compte du développement postérieur de la civilisation occidentale, et la suprématie actuelle de la seconde sur la première, c’est-à-dire de l’empirisme, la rationalisation, la méthode statistique et l’idée fausse d’une évolution et un progrès illimité, matériel et technique, capable d’apporter une solution à tout les maux. Dans la pensée de Roger Bacon, si l’expérimentation est une forme de magie naturelle et l’alchimie une forme de théurgie appliquée à la Connaissance et à l’obtention d’une totale réussite –la Panacée Universelle–, tout le processus d’apprentissage (mathématique, cosmographique, physique, médical, de laboratoire) fait partie d’un Savoir Unique, la Science Sacrée. Bien que cela puisse paraître curieux, ce type de concepts se sont finalement matérialisés dans la Science Moderne, dont les présupposés sont, nous le répétons, complètement inversés par rapport à ces conclusions et à toute notion liée directement ou indirectement au sacré, occultant, voire même reniant, leurs origines historiques, ainsi que nous l’avons dit.

    Nous prendrons cependant pour cette étude la fin du XVe siècle comme référence pour traiter le sujet des origines des sciences de la Nature, étroitement liées à la pensée ésotérique et à la magie naturelle. En effet, nous commencerons notre tour d’horizon par l’Académie de Florence, fondée par Cosme de Médicis au château de Careggi  comme nous l’avons dit plus haut, immédiatement après qu’ait eu lieu dans cette ville la réunion du concile de 1436-1439, célébré pour la réunion des églises chrétiennes en présence, parmi d’autres, de Gémiste Pléthon et Jean Bessarion, ce qui provoqua un énorme bouillonnement d’études sur l’antiquité classique et ouvrit la porte de la Renaissance depuis cette Académie dirigée par Marsile Ficin, secondée par une pléiade de philosophes, d’artistes, d’écrivains, d’hommes publics et d’hommes d’état, de marchands ou autres, initiative d’ailleurs vite imitée dans d’autres cercles italiens, à commencer par la papauté, les ducs de Ferrare et de Milan, et plus généralement par les bibliothèques, les cénacles  et les princes et leurs cours.

    Nous avons vu dans le premier chapitre (Les Livres Hermétiques) ce que sont les doctrines hermétiques qui, déjà contenues dans le Corpus Hermeticum, et en harmonie avec les idées de Pythagore et de Platon, le Néoplatonisme et le Neopythagorisme147, le christianisme de Denys l’Aréopagite et la Kabbale Hébraïque, décrivent les émanations qui, partant de l’Unité, par un processus d’opacification ou matérialisation, descendent en formant les différents plans, ou mondes, qui vont de l’invisible et incréé, en passant par divers degrés plus ou moins subtils de manifestation, ou angéliques, jusqu’à la plus grossière solidification matérielle. Inversement, les enseignements hermétiques nous montrent comme il est possible de remonter cet ordre et, à partir de substances déterminées qui conservent en elles le mystère de l’être, parvenir à l’Origine même au moyen d’une suite de transmutations que les alchimistes, placés sous l’égide du dieu Hermès, réalisaient en partant de la matière, en particulier métallique, qu’ils associaient aux énergies des astres, ou régents. Il est évident que cette attitude, qui n’est d’ailleurs pas exclusivement occidentale, puisqu’elle se retrouve dans d’autres traditions, a rendu possibles la recherche et l’expérimentation et a donc permis la naissance des sciences appliquées à l’étude et à la modification de la nature.148 De fait, l’Histoire de la Science n’a jamais cessé de souligner cette origine préscientifique et « magique » des sciences, toute rationnelle que se veuille son approche, toute aseptisée que se prétende la méthode appliquée, pour le simple fait qu’il est difficile de nier des évidences parfaitement documentées, en dépit d’intentions contraires. Les cosmogonies les plus authentiquement scientifiques et « modernes », comme celles de Galilée149 et de Newton150, sans parler de celle de Giordano Bruno151, révèlent leur origine hermétique, assimilée à l’ignorance durant des siècles par la « pensée scientifique », opposée à la Cosmogonie Unanime de différents peuples, à leur Science Sacrée, ce qui a donné lieu, en dépit du paradoxe, à la même science profane qui, bien qu’en étant dérivée, la renie en vertu des développements déterminés qu’elle adopte, s’éloignant toujours plus de ses buts et de ses origines152. C’est un sujet complexe et délicat, en particulier à cause des erreurs basiques de notre perspective moderne, en augmentation depuis le XIXe siècle, par rapport à ce que l’on entend aujourd’hui par « scientifique » –et même philosophique–153, mais il suffit pour l’instant de signaler qu’un important courant d’historiens, né dans le milieu scientifique lui-même, réalise actuellement des investigations sans préjugés sur ce processus qui débouche sur les découvertes et les inventions de la société technique contemporaine. Comme antécédent notable et en quelque sorte pionnier, signalons A History of Magic and Experimental Science, de Lynn Thorndike, en six volumes édités par Columbia University Press, de 1923 à 1941.154

    Plus récemment, et pour ne citer qu’un exemple, mentionnons Mentalités Occultes et Scientifiques à la Renaissance,ouvrage polémique édité par Brian Vickers, qui réunit une série de travaux interdisciplinaires sous ce titre évocateur, produit d’un symposium organisé en 1982 par le Center of Renaissance Studies de Zurich et publié par Cambrige University Press. Parmi les professeurs de diverses universités américaines et européennes ayant récemment débattu et apporté des éclaircissements à ces sujets, Thomas S. Kuhn, Gaston Bachelard, Gilbert Durand, Karl Popper, A. C. Crombie, A. Asti Vera, L. W. Hull, E. Garin, P. O. Kristeller, A. Koestler, doivent être mentionnés au même titre que ceux ayant déjà été nommés dans cet article, etc. Il existe aujourd’hui une abondante littérature portant sur l’Histoire et la Philosophie de la Science, dont une grande part est déjà traduite en langue espagnole. Signalons encore une autre collection, au titre tout aussi évocateur, Alchemy Revisited: Proceedings of the International Conference on the History of Alchemy, comptes-rendus d’un colloque célébré en 1989 à Groningue, à laquelle collabore également Brian Vickers ainsi que d’autres auteurs qui, d’une façon ou d’une autre, sont parvenus à ce type d’investigations par des voies diverses, et à différents nivaux. En réalité, nous ne voulons signaler ces publications que dans le but de montrer l’intérêt actuel pour ce sujet, qui se retrouve également exprimé dans deux revues : Ambix et Renaissance Quarterly.155

    Nous pensons pour notre part que le thème des origines « magiques » de la Science est suffisamment important pour être traité, puisqu’il s’agit en fait, comme dans d’autres cas, de l’influence de la Tradition Hermétique sur la culture Occidentale sous forme d’un courant souterrain, secret, qui l’a alimentée de ses succès comme de ses erreurs jusqu’au jour d’aujourd’hui, en parfaite simultanéité avec les rythmes et les cycles qui font le temps et l’histoire où les Idées se manifestent.

    En outre, la valeur philosophique, et gnoséologique, que peut avoir un débat de cette nature est évidente, ainsi que les innombrables perspectives ouvertes par ce biais.

    En effet, le développement scientifique a fourni à l’homme contemporain de nombreuses voies qu’il ne rêvait pas même de connaître il y a peu –l’accélération, prodigieuse à cet aspect, est géométriquement proportionnelle à ce développement–, dans le même temps que se fermaient d’autres angles de vision et que les possibilités de contrôler et dominer la « matière » se multipliant l’on a de celle-ci une perspective de plus en plus limitée et exclusive ; les diverses techniques et leurs différents usages en sont l’exemple le plus probant. Quoiqu’il en soit, ce ne sera pas nous qui insisterons sur ce point, qui est devenu aujourd’hui une constante menace pour l’humanité, puisque cela fait déjà plus de quatre-vingts ans que différents auteurs nous lancent des avertissements à ce sujet, en tête desquels il faut nommer René Guénon et ses critiques au monde moderne, et qui prennent aujourd’hui un caractère d’une gravité aussi monstrueuse que ceux lancés chaque jour par l’écologie au moyen de vaillantes troupes de choc, surgies dans le feu des circonstances.

    Comme nous le disions, c’est une chose qui a été démontrée par de nombreux auteurs qui y font référence de différentes manières. Du point de vue de l’Histoire de la Science, et en particulier de la méthode scientifique, Elie Trabulse156 s’exprime ainsi :

    « L’expérience, c’est-à-dire la constatation empirique des phénomènes, est la première caractéristique de base de notre schéma et, par extension, de tous les paradigmes scientifiques qui sont apparus du XVIIIe siècle à nos jours… Le développement de techniques d’une précision admirable ont permis de ‘dominer rationnellement le cours de l’expérience’, ce qui a conduit à la répétition, provoquée et contrôlée, des phénomènes que l’on désirait observer. »

    Il est clair que cette attitude, qui débouchera sur la multiplicité absolue, se retrouve implicite à la Renaissance, et qu’elle devient patente dans les développements scientifiques postérieurs. Cela peut d’ailleurs être observé dans toutes les manifestations, qu’elles soient sociales, économiques, artistiques, culturelles, et leur éclosion vertigineusement accélérée est due à des facteurs liés au cycle que traverse l’humanité. C’est pour cela que nombreux sont ceux qui ont –non sans raison– établi le Moyen Age comme étant la limite tangible à laquelle l’on parvenait encore à une communication directe entre le ciel et la terre. Nous avons vu néanmoins que la Tradition Hermétique a perduré jusqu’à nos jours, bien qu’évidemment sous forme occulte et minoritaire, ayant même traversé des moments de gloire et de grandeur durant de nombreux siècles, adoptant des formes diverses. De fait, la permanence de la Science Sacrée a permis de retarder le chaos total et, dans la mesure de ses possibilités, a réordonné sans cesse la pensée de l’homme d’Occident, l’éclairant de sa sagesse et, en somme, s’y révélant.

    Cependant, et à la même époque qu’apparaît le rationalisme, la science change soudain de cap et tranche intempestivement la connexion qui maintenait unis les trois mondes, spirituel, animique et matériel, et la chose se simplifie en ne faisant plus qu’une différenciation binaire : corps et âme, antagoniques et s’excluant toujours l’un l’autre.

    Ce processus d’inversion est non seulement documenté dans la « philosophie » et le rationalisme de Descartes sinon qu’il devient part du bagage de l’homme moderne, ce dont témoigne l’histoire de cette Science qui, dès le début de son développement, renie ses propres origines et tranche les racines qui la maintenait encore unie à la Cosmogonie et l’Ontologie, à l’Être Universel et la Métaphysique.

 
 
NOTES
*
140
    Toutes ces sciences étant également considérées comme des « Arts » (cf. les Arts Libéraux), les philosophes chimiques s’auto-dénommaient « artistes » et appelaient la science d’Hermès « l’Art alchimique », ou « l’Art Royal » (Ars Regia).
141
    Il existe une influence notoire de l’Hermétisme sur la Psychologie qui se concrétise chez Jung –auteur reconnu et chef de file d’une école, ayant écrit plus de vingt livres à la tête desquels figure son célèbre Psychologie et Alchimie– et qui perdure encore aujourd’hui chez certains de ses successeurs, ou que l’on retrouve dans de nouvelles perspectives comme la Psychologie transpersonnelle ou autres.
142
    Biblioteca Colombina: Catálogo de sus libros impresos. Chapitre de la Cathédrale de Séville. Tomes I à VI : Notes Bibliographiques du Dr Don Simon de la Rosa y Pérez. Séville 1888-?. Tome VII : Notes Bibliographiques de id. et Francisco García Madueño. Révision et Index de Don Ramón Paz y Remolar. CSIC et Biblioteca Colombine, Madrid 1948. Bibliotheca Chemica: A catalogue of the alchemical, chemical and pharmaceutical books in the collection of the late James Young of Kelly and Durris [1811-83], par John Ferguson, honorary member of the Imperial Military Academy of Medicine, etc. Réimpression : Kessinger Publishing Co., Montana, USA. 2 volumes.
143
144
    De nos jours, l’on mentionne habituellement Paracelse comme étant à la Renaissance l’un des précurseurs de la Médecine et de la Pharmacologie –en particulier homéopathique– modernes, parfois même en opposition à Galien, et le galénisme comme représentant le savoir médical de l’antiquité gréco-romaine et médiévale (Historia de la Ciencia y la Técnica, Akal Nº 19, « La química sagrada », J. Esteva de Sagrera; Nº 11, « El Renacimiento », Francisco Javier Puerto; Madrid 1991), en dépit des difficultés de toute sorte que Paracelse lui-même eut à subir pour tenter d’expliquer sa Science, puisque les « officialistes » de son époque –qui traitaient tout avec des saignées– le taxaient de charlatan. Tous ses écrits font cependant référence à la Tradition Hermético-Alchimique, comme le démontre le texte suivant portant sur les fondements de l’Art de la Médecine : « La Médecine repose sur quatre colonnes : la Philosophie, l’Astronomie, l’Alchimie et l’Éthique. La première colonne doit comprendre philosophiquement la terre et l’eau ; la seconde, l’Astronomie, doit apporter la pleine connaissance de ce qui est de nature ignée et aérienne ; la troisième devrait expliquer sans faute les propriétés des quatre éléments –c’est-à-dire de tout le cosmos– et initier à l’art de son élaboration, et finalement la quatrième devrait enseigner au médecin les vertus qui doivent l’accompagner jusqu’à sa mort et doivent appuyer et compléter les trois autres colonnes. » (Paracelse, Textes Essentiels ; pour l’édition espagnole, Textos Esenciales, éditions Jolande Jacobi, Siruela, Madrid, 1991).
145
    Pymandre X, 22.
146
    Il fit également quelques incursions en musique. La musique a toujours compté parmi ses adeptes et ses théoriciens une pléiade d’auteurs hermétiques, depuis la fameuse lyre d’Apollon jusqu’à nos jours. À ceux que le sujet intéresse, nous recommandons tout particulièrement les ouvrages de Joscelyn Godwin: The Harmony of the Spheres, a Sourcebook of the Pythagorean Tradition in Music, Inner Traditions International, Rochester VT, 1993, Harmonies of Heaven and Earth, Inner Traditions, 1995, y l'Ésotérisme Musical en France 1750-1950, Albin Michel, Paris, 1991. « Être instruit en musique ne consiste en rien d’autre que savoir de quelle façon s’ordonne l’ensemble de l’univers et quel est le plan divin qui a distribué toutes choses : car cet ordre, dans lequel toutes les choses particulières ont été réunies dans le même tout par une intelligence artiste produira, avec une musique céleste, un concert infiniment suave et véritable ». (Asclepius, 13).
147
    Parmi les auteurs platoniciens et pythagoriciens, nous devons mentionner : Speusippe et la célèbre Académie de Platon, ainsi que ceux qui lui ont succédé à sa tête, qui revit chez les Néoplatoniciens dont Jamblique et Proclus sont peut-être les plus importants, outre Numenius d’Apamée, Plotin, Porphyre, etc. ; pour les Pythagoriciens et Néopythagoriciens : Pétrone d’Himère, Ion de Chio, Hippase de Métaponte, Philolaüs de Crotone, Archytas de Tarente, Hippocrate de Cos, Théodore de Cyrène, Hicétas de Syracuse, Moderato de Cadix, Théo de Smyrne, Nicomaque de Gerasa, Plutarque d’Athènes, etc., Macrobe, Boèce y Euclide. Pour une liste plus détaillée, voir l’Appendice 2 de ce livre.
148
    Voir Herreros y Alquimistas (Alianza Ed., Madrid, 1986), et Cosmología y Alquimia Babilónicas (Paidós, Barcelone, 1993) et Alquimia Asiática (id. 1992), de Mircea Eliade.
149
    « La philosophie est écrite dans ce vaste livre qui constamment se tient ouvert devant nos yeux (je veux dire l'Univers), mais on ne peut le comprendre si d'abord on n'apprend à comprendre la langue, à connaître les caractères dans lesquels il est écrit. Or il est écrit en langue mathématique, dont les caractères sont les triangles, les cercles et autres figures géométriques, sans lesquelles il est humainement impossible d'en comprendre un seul mot - sans lesquels on erre vainement dans un labyrinthe obscur. » (Galileo Galilei, Il Saggiatore, 6, Opera. Florence, Ed. Nazionale, 1898, tome VI, page 232).
150

    Dans Newton voyait-il le rapport de ses Mathématiques à l’Alchimie ?(Essais Réunis III : Idées et Idéaux de la Renaissance dans l’Europe du Nord [Ensayos Reunidos III: Ideas e Ideales del Renacimiento en el Norte de Europa, FCE, México, 1993]) Frances A. Yates affirme : « Dans leur article révolutionnaire sur [Newton and the Pipes of Pan] ‘Newton et les Flûtes de Pan’, publié dans Notes and Queries of the Royal Society en 1966, J. E. McGuire et P. M. Rattansi citaient des mots tirés des manuscrits inédits qui montraient qu’en découvrant la loi de la gravité et le système du monde qui y est associé, Newton croyait redécouvrir une vérité ancienne, connue de Pythagore et occultée dans le mythe d’Apollon et sa lyre à sept cordes. »

    Le même auteur dit plus loin, entre autres: « Un autre volume alchimique étudié à fond et copié par Newton est le Theatrum Chemicum d’Élie Ashmole, une collection de textes alchimiques parmi lesquels se trouve une brève description en vers du monas de Dee. Dans un commentaire au sujet de cet ouvrage, qu’Ashmole a extrait d’un manifeste rose-croix, il fait référence à Michael Maier et décrit longuement John Dee et son œuvre en tant que mathématicien, dont il chante les louanges. » « …il existait un noyau hermétique chez le scientifique du XVIIe siècle ; Newton le mathématicien s’unissait à Newton l’alchimiste. Ces deux intérêts se chevauchent-ils, y compris dans les Principia et dans Opticks, comme le croient actuellement quelques érudits ? S’il en est ainsi, ne devrions-nous pas chercher leurs antécédents dans les mouvements alchimiques du début du XVIIe siècle, qui n’ont jusqu’à présent été explorés que superficiellement ? »

151
    Voir l’ouvrage mentionné plus haut, de Frances Yates, Giordano Bruno et la Tradition Hermétique.
152
    Il est indubitable que la cause principale de cela a été la répression religieuse ainsi que la criminalité de l’Inquisition, dont la mission était de pourchasser et d’exterminer tout ce qui attentait contre son pouvoir. Cela a également été le cas, bien que dans une moindre mesure, du « christianisme officiel » des Protestants.
153
    Ce paradoxe est flagrant dans la fondation de la Royal Society de Londres, instituée par l’alchimiste Elias Ashmole et quelques uns de ses célèbres amis, qui après quelques années s’est retournée contre ceux qui l’avaient constituée : l’aspect « matériel » et profane avait vaincu le métaphysique.
154
    Les deux bibliothèques auxquelles nous faisons référence au début de ce chapitre, en particulier la Bibliothèque Colombine, plus liée à la pensée médiévale, ont été mises en rapport avec l’œuvre de Thorndike mentionnée plus haut, qui englobe une période allant de l’Empire Romain jusqu’au XIVe siècle de notre ère ; le contenu de ce livre, que nous considérons comme fondamental pour toutes recherches portant sur le thème traité ici, est hautement recommandable. Thorndike nous dit dans sa préface qu’il a travaillé sur des manuscrits et des incunables de la British Library, la Bodleian Library (Oxford), la Bibliothèque Nationale (Paris), ainsi que les bibliothèques de Munich, de Florence et de Bologne, entre autres, et que, ayant consulté différents catalogues, il pense en avoir étudié une collection représentative, même si les manuscrits en rapport avec son étude se chiffrent par milliers. Il indique également, dans sa Conclusion, que les auteurs des XIVe et XVe siècles, et surtout ceux du second, n’ajoutent pas grand-chose à ce qui était déjà en germe auparavant. Il va de soi que l’auteur organise son matériel en fonction des investigations des siècles postérieurs, étant donné que ses travaux constituent sa thèse doctorale, commencée en 1902.
155
    La magie de la Renaissance voulait connaître les secrets de la nature, c’est-à-dire de la cosmogonie, en se basant sur les chiffres et la géométrie de Pythagore, que la Théurgie rendaient actifs de façon opérative, et que la Science établirait de manière appliquée. La Théurgie, également appelée magie intellectuelle, spirituelle ou pneumatique, est la véritable Alchimie de la Connaissance.
156
    Ciencia y Religión en el siglo XVII, El Colegio de México, 1974, page 51.