AXIS MUNDI

ATHÉNA

Ou Le Septenaire Sacré (Une Palinodie)
André Charpentier

 

Avant-propos

Si la figure mythique d'Athèna - ou Minerve - est encore assez connue de nos contemporains, c'est seulement comme emblème de la raison et des sciences  .

Mais rien que cette notion de "mythe" mérite d'être examinée de plus près.
Car chez nous, elle est synonyme d'imaginaire, même si elle est susceptible d'engendrer telle ou telle idéologie qui, elle, ne l'est hélas pas du tout.  En témoigne l'histoire la plus récente.

Mais revenons à l'époque de notre Déesse.

Pallas-Athèna et son frère Apollon étaient les protecteurs en titre de la confrérie des Pythagoriciens, dont l'histoire et les doctrines posent à nos chercheurs des problèmes majeurs, et qui n'ont jamais reçu de solution. *
Pythagore et ses disciples détenaient un savoir très ancien, et que les Grecs, de leur propre aveu, étaient fort loin d'avoir "inventé".
Ils l'attribuaient en effet aux  Hyperboréens  , peuple des origines censé avoir vécu dans les régions polaires, dans une Arcadie  dont le nom évoque en effet l'Arctique. **

Les Grecs se seraient donc simplement chargés de transmettre scrupuleusement, et sous le sceau du secret,  cette science  "primordiale"., en se bornant à l'adapter aux  circonstances sans cesse changeantes. ***

* Le lecteur pourra s'en faire une idée en consultant les résumés que sont, aux P.U.F,
Pythagore et les Pythagoriciens  , de J.F. Mattei,  et  Les Présocratiques  de Jean Brun.
** L'ancêtre Arcas était un "ours" (en grec  Arktos ), par allusion à la constellation polaire.
*** Le secret n'a jamais été trahi, ce qui explique assez la perplexité de nos historiens.

Comme cette transmission était, de plus, essentiellement orale,  il n'en subsiste que des bribes qu'on désespère de rassembler en un ensemble cohérent.

Il reste que cette tradition, ainsi disparue *, était la seule vraiment propre à l'Occident .**
Son effacement n'est donc pas un événement sans conséquence pour nous, car c'est sur les vestiges de ce savoir que se sont fondées nos sciences, et surtout les techniques qui ont imposé au reste du monde la domination de l'Occident, ou plus justement sa tyrannie croissante.. ***

Or c'est Athèna, la Grande Déesse des Pythagoriciens, qui passait jadis pour dominer les principes de la "technique". ****
Elle personnifiait en effet toutes les ressources - et même, on va le voir, toutes les  ruses  de la raison.

On pourrait donc voir en elle la "patronne" de toutes nos démarches rationnelles.
Mais cela ne serait qu'une demi-vérité , car nos sciences ont, depuis l'antiquité, considérablement changé  d'orientation ; et leur rationalisme "cartésien" et de plus en plus exclusif aurait été tout simplement inconcevable pour les Anciens.

Par rationalisme, on n'entend pas ici l'usage modéré  - osons dire "raisonnable" - de la raison, mais ses abus de plus en plus criants, dont le premier est de considérer cette faculté particulière comme notre premier et unique accès à la connaissance.

* Mais en réalité  occultée  par ses disciples eux-mêmes, en raison de persécutions récurrentes.
**  La religion gréco-romaine, tombant  en désuétude, avait créé un "vide cultuel" qui fut comblé par le christianisme, mais aurait pu l'être par une autre religion tout aussi orientale, telle que le culte de Mithra.
*** Ce n'est par hasard que les modernes barbaries arborent sur leurs armes perverses les idéogrammes les plus sacrés : pentagrammes, hexagrammes et autres swastikas, en attendant que les "templiers de la Bête" y joignent l'emblème des Croisés.
**** Le grec  technè  désignait toutes les techniques, depuis les pièges et les stratagèmes jusqu'aux arts , qui ne se distinguaient pas encore des artisanats. Nous parlons encore  de "l'art médical", ou " d'ouvrages d'art",  qui ne concernent plus que les Ponts et Chaussées.


Voilà une prétention qui, s'ils avaient pu l'imaginer, aurait paru à nos ancêtres un comble de monstruosité, l'exemple même de cette Hybris , arrogance sacrilège entraînant sur ses pas la  Vengeance divine  ( Nemesis  ). .

Et qu'on n'aille pas, de ce fait, leur prêter une forme de pensée prétendument "prélogique", à eux qui, les premiers en Occident, ont codifié les lois de la logique, sans d'ailleurs y voir autre chose qu'un précieux outil. *
Excellente servante, devenue depuis la plus terrible des maîtresses…..

On a donc affaire avec eux à une spiritualité technique , terme qui apparaît aujourd'hui comme une provocante "contradiction  dans les termes" …
Et pourtant, quel plus bel hommage pouvait-on rendre à la raison que d'en confier le patronage à une Divinité de haut rang ?

Toutefois, si l'on se place sous la tutelle d'Athèna, il faut en accepter toutes les conséquences.

Elle est certes la Déesse de l'intelligence, mais nullement seule à l'être , et si elle est bien la soeur d'Apollon, elle n'est que sa "seconde", et vit en quelques sorte dans son ombre. **
C'est ce que le symbolisme  confirme pleinement, car Pallas ***, dont la nature est lunaire et nocturne (la Chouette), ne fait  que réfléchir l'éclat du Soleil, sans en être aucunement la source. 

Il faut donc en  conclure à l'existence de deux formes d'intellect, la faculté rationnelle n'étant pas première, mais subordonnée à un savoir - une Sagesse - d'un ordre plus élevé. 

*  C'est le sens du grec Organon , titre de la logique d'Aristote.
** Rôle qui implique l' humilité. Elle est la "parèdre" du Dieu ( son assistante), comme une Shakti   de l'hindouisme.
***  Athèna  n'est que le nom local de Pallas ; son équivalent à Rome sera Minerve-Vesta, la  Déesse au Palladium.

Si étrange que cela puisse paraître à la plupart d'entre nous, la raison n'est donc pas la source de nos connaissances, mais seulement un moyen de "mettre en forme" " un Savoir  venu d'ailleurs, lequel n'est comparable ni à nos sciences, ni à une "foi", prise au sens de croyance.  *

Si l'on accepte cette évidence, on se trouve , du coup, lancé dans le classique débat opposant la science à la religion.
Débat sans conclusion possible puisque, comme nous allons le voir, il a sa source, de part et d'autre, dans des questions mal posées.

Première constatation irréfutable  :  il vaut cent fois mieux savoir que  croire , car le savoir repose sur une expérience personnelle et immédiate des faits, alors que la croyance exige de faire foi  au témoignage d'autrui.

Aussi la certitude objective qu'entraîne une démonstration géométrique est-elle très supérieure à la confiance qu'on accorde, par exemple, à l'historien ou au philosophe, .
Et ces derniers doivent bien reconnaître que leur interprétation des faits comporte une part inévitable de subjectivité.

Ne parlons même pas de l'expérience religieuse qui, étant  intransmissible,  paraît aux yeux du sceptique un simple objet d'opinion individuelle, voire une illusion pure et simple. **

La situation nous semble donc fort claire.

D'un côté, les savants , qui parlent haut et fort au nom de la Science .

De l'autre, tous les  croyants.  ***

* On peut en effet comparer la logique "formelle" à un "traitement de texte"..
** Le scepticisme est, au départ, une attitude extrêmement saine, et dont il ne faut se départir que si l'on a d'excellentes raisons de le faire. Un athée de bonne foi vaut mieux qu'un bigot .
*** Rien n'empêchant le savant d'être croyant, pourvu qu'il n'en fasse pas état dans le cours de ses recherches, car cela fait partie de sa "vie privée".

Mais cette division, qui a fini par nous sembler toute naturelle, n'a jamais eu cours chez nos ancêtres.

Leur enseignement le plus profond se fondait en effet sur l'Unité du Cosmos, et ne pouvait donc ni exclure, ni monopoliser aucune pensée ou activité humaine. *

La science, pour eux, impliquait une "cohérence totale", incluant même (et avant tout) une "théologie", et c'est à notre tour de ne plus bien comprendre.. **
Et d'autant moins que nos études "universitaires" ont cessé depuis longtemps de mériter leur nom originel, unitaire, elles qui ne parlent désormais que de sciences, ou de savoirs, toujours au pluriel, donc fragmentaires.

Le Savoir des anciens, on veut dire leur Sagesse, entendait au contraire intégrer toutes les connaissances, en les fondant sur des principes simples, dont l'apparence élémentaire fait à présent sourire nos experts, et bien à tort.

Au nom de leur technique pointue , et donc forcément "myope", ces derniers se sentent en fait, sinon en droit, justifiés dans leur indifférence à l'égard du Tout Autre .

Il y a d'ailleurs là de quoi préoccuper gravement ceux qui réalisent encore dans quelle direction nous précipite l'émiettement des connaissances, et qui osent le dire***

*  On disait en grec  "  Hen  to  Pan  "  ( "Tout est Un" ), et  Sénèque en faisait le principe de la solidarité humaine ( le  Jen   des Chinois ), en disant " Homo sum, et nil  humanum a me alienum puto  "  ( En tant qu'homme, je ne puis tenir pour étranger - ou étrange - rien de ce qui vient de mes semblables"). A comparer avec nos particularismes de tout poil.
** On reste songeur devant ce titre du grand pythagoricien Jamblique  : Théologie de l'arithmétique …( traduit en anglais par Robin Waterfield,  Kairos 1988). Aujourd'hui, nos facultés de théologie font place aux "Hautes Etudes Commerciales".
*** A méditer, cette parole de Rabelais  :  " Fuis l'homme qui regarde le monde par un trou de serrure "…Sur la question du progrès "qu'on n'arrête pas ", on peut toujours consulter "Pour un catastrophisme  éclairé ", de Jean-Pierre Dupuy. Eclairage plutot désespéré, venant de l'intérieur même du sérail..

Voici l'avis d'un de ces rares audacieux, et qu'on ne peut pourtant tenir pour une adepte de la  soi-disant  pensée prélogique , puisqu'il s'agit du logicien Karl Popper en personne :  " L'université a sottement fragmenté la connaissance en disciplines spécialisées. Chacune, sans aucune nécessité, est enfermée dans sn rituel et son vocabulaire.

Refusez la fragmentation de connaissance, pensez à tout, ne vous laissez pas noyer par la montée des informations.
Repoussez les désenchantements de l'Occident.
Ne soyez dupes de rien, ni des modes, ni du terrorisme intellectuel, ni de l'argent, ni du pouvoir.   Apprenez à distinguer toujours et partout le Vrai du faux."

Impossible de mieux dire, à la réserve  qu'après ce diagnostic  cruellement réaliste, les remèdes proposés ne sont que des voeux pieux , du moins dans l'état actuel des choses.
Car le "terrorisme intellectuel " fait rage plus que jamais, dont voici une excellente définition :
" Si vous rencontrez des données se situant en dehors du domaine que vous vous êtes fixé comme contenant les seules données possibles, ou bien vous ne le verrez pas du tout, ou bien vous les discréditerez de façon plausible en vous appuyant sur des idées préconçues".

                                                                       ( Théorème  de  Charles Fort ).

 

C'est ce que fait entendre aussi l'anecdote triviale. selon laquelle un pochard, ayant perdu en rue la clé de son domicile, la recherchait sous un réverbère. Des passants secourables, constatant son état, lui demandèrent s'il était bien sûr de l'avoir laissé choir là. A quoi le soûlot de répondre  : " Non, c'était un peu plus loin, mais je préfère la chercher à cet endroit-ci, car on y voit plus clair…

Toujours selon Popper, qu'il ne faudrait pas non plus prendre pour un augure,  " ce n'est pas parce que les sciences sont devenues complexes qu'il n'est plus possible de les embrasser toutes".

En effet, une vraie " culture générale " - ou mieux, universelle - n'est pas impossible en principe.

Et la preuve, c'est que cette attitude unitaire a bel et bien existé, et même dans un passé relativement proche, où l'on savait encore "prendre du recul" (ou de la hauteur), ce qu'aujourd'hui plus grand monde ne fait.
Y revenir ne sera donc possible que sous l'effet de quelque bouleversement majeur, comme il s'en annonce d'ailleurs actuellement. *

En pratique, la Renaissance a été la dernière époque à connaître des "artistes" très complets, comme Michel-Ange, Raphaël ou Vinci (ce dernier, élève du pythagoricien Luca Pacioli)..
Leur omnicompétence , qui étonne toujours, reposait sur une excellente connaissance de données jadis secrètes, puis transmises discrètement par de nombreuses "Académies" ou "Arcadies", après avoir franchi les prétendues "ténèbres" du moyen âge. **
Car ce qu'on a qualifié de "Siècle des Lumières" est le moment précis où ont "replongé"  les doctrines en question pour faire place à un matérialisme envahissant. ***

* Ce terme d'origine grecque signifiait simplement un "retournement" spectaculaire, le "coup de théâtre" généralement heureux,  qui relance l'intérêt de l'action. Il suppose, ou entraîne un changement de l'état d'esprit, la  métanoïa , devenue "repentance " dans le jargon à la mode..
** Quiconque a jeté un regard un peu attentif sur les cathédrales doit bien reconnaître les confondantes connaissances mathématiques de leurs architectes anonymes. On ose pourtant  traiter ceux-ci d'empiristes, parce qu'ils n'ont pas eu l'obligeance de nous laisser leurs plans…
***  Matérialisme simplement pratique la plupart du temps, en ce qu'il procède d'une grande indifférence à l'égard du monde des idées. Les "Lumières" ont d'ailleurs une de leurs sources principales dans l'utilitarisme anglo-saxon
.

Il est pourtant facile de montrer que nos connaissances scientifiques, qui sont censées être une recherche des causes, manquent totalement à cette mission dès qu'il s'agit d'envisager la "Cause des causes"
Même la discipline qui devrait être la plus universelle de toutes, la cosmologie, usurpe son titre, puisqu'elle a réduit ses ambitions à n'être plus qu'une astro-physique, et des plus conjecturales.

Et elle fait bien, car si elle prétend remonter aux premiers instants qui ont suivi son fameux  Big Bang  , elle doit du moins s'avouer incapable de dire quoi que ce soit sur ce qui a précédé celui-ci.
Question qui n'est pourtant pas sans quelque intérêt…

Dire qu'avant cet instant critique  il n'y avait rien   n'est, de toute évidence, acceptable que si l'on corrige l'absurdité du propos en lui ajoutant : rien de physique .
Car il est impensable que quelque chose puisse sortir de
rien. *
Et laisser planer un doute à ce sujet est le crime majeur contre l'intelligence.

La seule façon de retomber sur ses pieds en cette matière, c'est d'affirmer, comme l'ont toujours fait les Anciens, qu'il existe une frontière – du moins apparente - entre notre monde, celui des physiciens, et ce qui a nécessairement dû, en bonne logique, le précéder.

C'est la connaissance de ce "quelque chose" qu'Aristote (toujours lui) a excellemment dénommé "métaphysique", puisqu'elle a pour but de s'informer sur les choses qui sont" au-delà" de la nature". (gr. Ta méta ta physika  ).**

En présentant cette métaphysique comme une  hypothèse inconsistante, et du reste inutile à ses ambitions, le monde moderne s'est donc amputé d'une part de la connaissance, et qui n'est pas la moindre.

* Cette observation élémentaire condamne d'ailleurs du même coup les théologies "créationnistes", qui voudraient que le monde fût "sorti de rien" ( ex nihilo  ).
** Et non pas, comme on a osé le prétendre, parce que ses livres sur la question tenaient la seconde place sur les rayons de sa bibliothèque ! Vo
ilà comment on traite les génies.

 

CH   I                   DES  MODES DE CONNAISSANCE 


En coupant le Cosmos de sa racine causale et Unique, notre époque a donc pris le parti de la division, et pour avoir mis la charrue avant les boeufs *, elle est devenue un  "monde à l'envers", à commencer par son épistémologie  ( ou « théorie de la connaissance »).
Justement, on va voir que cette notion de "renversement", de subversion  , nous ramène -  moyennant quelques détours - à la  Déesse Athèna.

Commençons par son  curriculum  vitae  , qui sort entièrement de l'ordinaire, et cela dès sa naissance.
Car elle n'est pas sortie, comme Dionysos, " de la cuisse de Jupiter"
( encore trop proche des voies naturelles), mais de la tête du Père des Dieux, ce qui fait d'Elle une "cérébrale". **

Ainsi, dès sa première heure, la Vierge divine est vouée à toutes les productions du mental, y compris les plus inquiétantes, les plus artificielles  , telles que le labyrinthe de Crète, ou le cheval de Troie.

C'est qu'elle tient beaucoup de sa mère Mètis , la Ruse. ***
Mais on ne peut lui en vouloir, car ses ambages  ont toujours, à terme, des effets très heureux pour nous. ****
Il suffit donc de savoir attendre, car " Rira bien qui rira le dernier".


*A l’exemple de Descartes, avec son absurde " Je pense, donc je suis  ".  Comme si, pour penser, il ne fallait pas d'abord  y être. Mais dire cela, c'est déjà  reconnaître que le roi est nu, ce qui, de la part des courtisans, est rarement bien accueilli…
**  C'est d'ailleurs un alchimiste, son frère Héphaïstos , qui s'est chargé de cette étrange "césarienne", opérée d'un coup de sa hache polaire.  Une sorte d' immaculée conception  avant la lettre…Héphaîstos (en latin Vulcain )  dirigeait la forge des Cyclopes, située sous l'Etna. Tout mal fichu et néanmoins époux de Vénus, Héphaîstos est le chef de file d'une série de demi-dieux paradoxaux et qui ne manquaient pas d'inquiéter par leurs tendances  brutales.
Ces Cyclopes apportaient la preuve  que le "Royaume des Cieux - leur vrai  but -  "souffre violence", et que " Nature peut surpasser  nature". D'autres "yeux ronds" étaient les Cercopes, êtres mythiques mal identifiés, mais tous "malins comme des singes"
(cercopithèques ! ). Parmi cette troupe,  Cécrops, un des premiers législateurs d'Athènes…
 ( Kerkos  ou  kekros  se retrouvent dans le latin  circus  ou circ-ulus  et le skt  Chakra ).
*** L'étymologie montre que mentir est tenu pour une des premières fonctions du mental.
Le radical √ ME(n) de Mètis  se retrouve dans l'action de "mesurer" (lat. metiri   ), et tous ses dérivés techniques. Voir à ce propos la monographie de Detienne et Vernant :  Les Ruses de l'Intelligence, la "Mètis" des Grecs .
****  On demandait à Dante pourquoi il avait intitulé  Comédie  sa description effroyable de l'existence. Il répondit que c'était le nom convenant à un drame où tout est bien qui finit bien.…


Elle est donc la seule vraie "Déesse Raison", bien différente
de sa ridicule et sanglante caricature révolutionnaire.

Et d'abord parce qu'elle connaît ses limites, qui
l'empêcheront toujours d'usurper la place de la Connaissance transcendante (solaire), incarnée par son frère Apollon.
Et ceci nous ramène tout droit à la double nature de l'intellect

Voyons ce qu'en pensent les Pythagoriciens . Ils distinguent quatre formes de connaissance *

Ce sont, en ordre ascendant, :

1)  la sensation physique ( en grec  Aisthèsis  ).
2)  l'opinion ( Doxa  ).
3)  la raison, ou "science"  ( Epistèmè  ).
4)  la "Gnose", ou intuition intellectuelle  ( Gnôsis  ).

La première de ces facultés relève du corps  ( Sôma  ).
Les deux suivantes (facultés intermédiaires) sont propres au psychisme ( le mental, ou Psychè  ), soit inférieur (la banale opinion, qui n'a rien de sûr), soit supérieur (  le raisonnement argumenté , "scientifique" ).

Enfin la Gnose est la faculté propre à l'Esprit pur  ( Noûs  ), qui est notre "âme" immortelle et inconditionnée ( ou "incréée").**

* Toutes les réalités créées reposant sur la Tétrade, ou Quaternaire fondamental.
Voir  à ce sujet l'étude de Paul  Kucharski sur la Tétrade pythagoricienne.  Sur la réalité d'un Intellect transcendant, l'auteur ne peut qu'exprimer son incompréhension, car cela ne fait pas partie des conceptions  modernes.
**  On voit que pour les Anciens (comme pour notre moyen âge) l'être humain se compose, non pas seulement d'un corps et d'une âme (comme l'a imaginé fort sottement Descartes), mais du ternaire corps, âme ( psychisme) et esprit, ce dernier étant seul informel  ( incréé  ), et donc éternel.


Pour les Anciens, le Principe de cette Connaissance supérieure ( la Sagesse) est  donc aussi celui de notre  naissance
C'est le  Logos , l’ Etre-Un.

Comme l'affirme  Parménide :  " Connaître et être sont une seule et même chose "  *

Aphorisme on ne peut plus clair, et sur lequel nos philosophes - tous héritiers de Descartes et de Kant - se cassent pourtant les dents sans rémission, à force de vouloir l'expliquer sur le plan rationnel, le seul qu'ils connaissent, ou croient connaître.

La Connaissance parfaite ne peut donc se faire que par identification.
Etant Une, elle ne laisse subsister aucune distance entre le sujet et l'objet, contrairement à la raison, qui est duale par définition. ** 

C'est ainsi qu'il faut comprendre la parole d'Aristote , "le semblable ne peut être connu que par le semblable ".
 
A quoi il ajoute aussitôt: "Seul l'Intellect est plus vrai que la science" .
Cette déclaration des Analytiques . a tout pour nous surprendre, puisque nos théories de la connaissance voient dans la science rationnelle le mode de connaissance ultime, ce dont témoigne d'ailleurs le nom même d'épistémologie  .

Par conséquent, la Connaissance unitive, seule immédiate et entière, a disparu de notre horizon,  pour être abandonnée à ceux qu'on nomme "les mystiques", souvent considérés - et dans les milieux religieux eux-mêmes  - comme peu fiables.

Et non sans quelque raison, puisque leurs intuitions relèvent plus souvent de l'affectivité dévotionnelle, et donc subjective, que de l'Intellect proprement dit.


*  "To gar auto ( esti  ) noeïn te kaï einaï   ". Pour qui a la moindre notion de grec, la traduction ci-dessus est la seule possible.
**  Distinction elle-même toute relative, puisqu'un des problèmes de la physique actuelle est
l'influence qu'exerce, bien malgré lui,  l'observateur sur l'objet de son expérience. Il subsiste toujours assez d'espace entre le sujet et son objet pour que l'erreur puisse s'y introduire, et elle n'y manque pas.


Bref, la raison est le seul mode de connaissance qui reste
crédible aux yeux de la "modernité".

Si nous refusons de partager cette mortelle arrogance *, mieux vaut donc en revenir à Athèna

Certes, Elle doit suivre en tout son frère Apollon, qui, avec ses neuf Muses (les Nombres, ou Idées), personnifie la Gnose.

En effet, comme nous venons de le voir, la raison qu'Elle incarne est secondaire, en ce qu'elle tire toute sa matière de l'intuition intellectuelle, fondée sur l'évidence directe.

Mais cette place modeste faite à la raison n'implique en rien qu'on la déconsidère le moins du monde.
Bien au contraire, elle est tenue pour la caractéristique essentielle de l'homme, puisque Aristote définit celui-ci comme le seul "animal" (i.e. être animé) raisonnable.

A ce titre, Athèna est donc notre Déesse bien à nous, et c'est pourquoi on la représente, elle et toutes ses soeurs divines, comme siégeant au centre même de l'humanité. **

Et quand Elle nous apparaît, c'est "toute armée", comme Elle l'était dès sa naissance. ***

Ne pas la reconnaître sous ses nombreux déguisements est donc une faute dans laquelle mieux vaut ne pas s'obstiner.

En témoigne l'étrange mésaventure survenue à  Stésichore, un grand poète grec de Sicile.  **** . Celui-ci n'avait rien trouvé de mieux que de s'en prendre dans une de ses oeuvres, au personnage d'Hélène de Troie, lui reprochant amèrement sa responsabilité dans la ruine de la belle Cité.

* Cette faute, assez proche de l'outrecuidance, n'est autre que l'orgueil.  S'arroger  c'est exiger une chose à laquelle on n'a pas droit. Quand au vieux terme outrecuider , c'est se croire  (anc. fr. cuider  )  plus qu'on n'est.  Outrage  majeur aux Dieux, cette Hybris  , que vise une inscription templière du Krak des Chevaliers : " A toi la richesse, et la sagese, et la beauté aussi. Garde-toi d'orgueil seul, qui seul tout pervertit ".
**  C'est la notion médiévale de " Trône de la sagesse" ( Sedes Sapientiae  ), appliquée à l'aspect féminin du Logos-Créateur.
 *** Cet équipement  auquel rien ne manque évoque la cohérence totale d'une instruction véritable. Le latin  instruere  signifie signifie d'ailleurs  "équiper".
 ****  Son nom signifie "le Maître des choeurs".

Or le poème était à peine achevé que son auteur perdit la vue…

Et il ne la retrouva, par miracle, qu'après avoir rédigé au plus vite une rétractation en règle; sa Palinodie , terme qu'on peut traduire par reculade, ou plus familièrement encore, par "marche arrière".

Cette cécité n'était donc que la marque extérieure de l'aveuglement dont il avait preuve en manquant à reconnaître la  Déesse qui se dissimulait - pourtant bien peu - derrière la divine beauté d'Hélène.

Car celle-ci n'était autre que  Sélènè  , la  blonde Phoebé  (la Lune), autrement dit Pallas en personne *.
Et le siège de l'orgueilleuse Troie, qui s'achève en incendie, est bel et bien son oeuvre vengeresse , tout comme l'avait été.la machination du  Cheval. **

Son rôle avait donc un aspect infernal  qui justifiait en apparence l'indignation du poète.
Seuls les événements ont montré que celui-ci était très mal informé.

L'action fatale de la Déesse était en réalité une Felix culpa , puisque le crime  apparent devait se révéler bénéfique, en permettant l'instauration du nouveau cycle impérial. ***

On voit qu' en toute chose, il faut considérer la fin.  ****

* La lettre initiale  S équivaut en grec à l'aspirée ( l'"esprit rude"). L'époux d'Hélène (son parèdre) est Ménélas, dont le nom signifie "la Lune de son peuple" puisque Mènè  est un autre nom de cet astre. Le radical √ME de ce terme exprime la  mesure, objet des fonctions mentales ( comparer le grec Mètis , "ruse" technique, aux termes latins  mensura   et  mens  (la raison). Quand elle s'applique au temps ( condition terrestre), cette mesure devient mèn   (le mois lunaire, en grec), et en latin  mensis   (le mois ).
**  Ce cheval était un chef-d'oeuvre de charpente conçu, comme l'atteste Virgile, divina  Palladis  arte. ( par une technique divine de Pallas).
*** Paradoxe qui résume toute l'Enéide, puisqu'il a été dit à son héros "le salut viendra pour toi d'une ville grecque (donc de ses pires ennemis !) Et la prophétie ajoute "quod minime reris"   ( "ce que tu es loin de pouvoir t'imaginer").  On aurait en effet été surpris à moins…
En métaphysique, la fin justifie donc les moyens, ce que les moralistes ne cessent de reprocher aux Dieux… On connaît leur absurde alternative : "  Si Deus bonus,  unde malum ;
si malus, unde bonum ? "  Et de gloser sur le "problème du mal"… Et pourquoi pas un "problème du bien" ?

 

CH II                     L'INCENDIE  DE  LA  FORÊT


Tout cela dépasse de fort loin l'anecdote, comme on va le voir dans les pages qui suivent, et qui n'ont rien d'une parenthèse, car
elles annoncent très clairement l’avenir qui nous attend…

Commençons par cette question à laquelle on ne répond jamais.  :

"Comment le mythe troyen, ce drame d’allure purement locale, a-t-il pu influencer à ce point toute l'histoire de l'Occident ? ".

S'il n'est pas un instant de cette histoire qui ne se réfère, de quelque façon, aux aventures d'Achille, d'Ulysse et d'Enée, c'est
que nos épopées sont une métaphore gigantesque portant sur la destinée du cycle cosmique tout entier.

Or, on trouve, dans la mythologie hindoue, un exemple comparable

Là aussi, il s'agit d'un incendie, celui d'une forêt. *
Mais le sens profond de la scène est identique, car il s'agit dans les deux cas d'une cosmogonie.

"Comme tout mythe valable,  l'Incendie de la forêt" s'applique également à l'univers du point de vue de la cosmogonie, et à l'âme humaine du point de vue de la psychagogie ". ** (…)"

 Au début de l'action, le mental règne en maître absolu .
( … et donc) la discrimination, la polarisation, l'opposition, la rivalité, la lutte, le désordre qui résulte de l'absence de direction centrale ".  ***
" Vient  un moment où la Puissance consciente de la Volonté
divine   ( le dieu  Agni  **** ) qui s'était jusque-là contentée de cet état, le juge dépassé et veut conduire à une étape nouvelle"  (…)

 * Episode important du Mahâbhârata . On cite le remarquable commentaire de Jean Herbert, dans sa  Mythologie  hindoue . Comme la ville pour les hommes, la forêt était l'habitat naturel des animaux.
** Du fait de l'analogie  existant entre le Macrocosme et le microcosme humain.
*** Cette direction centrale ne pouvant venir que du Coeur, organe de l'Intellect solaire.
****  En latin, cette Puissance impersonnelle se nomme Fatum  ( la Destinée ). Le Dieu Agni
 ( le Feu divin ), joue ici le même rôle destructeur ( en réalité transformateur  ) que son homologue Apollon.  Ils représentent tous deux le "bras armé" du Destin.

" Quoi qu'il en soit, la forêt est finalement détruite, et les créatures qu'elle renferme subissent un sort analogue …

De  tout cet univers caractérisé par la confusion de la multiplicité qui a perdu la vision de l'unité, ne subsistent que les éléments nécessaires pour la création d'un nouvel univers (…)
" Sur le plan cosmogonique, cet épisode correspondrait donc à la destruction d'un Kali-yuga (âge de fer) et au passage à un nouveau Satya-yuga (âge d'or) . *

En attendant cette heureuse rénovation, nous subissons toujours les affres d'un rationalisme enragé, que notre Déesse est la première à condamner.

Mais répétons que ce rationalisme n'est qu'un abus, et si catastrophique qu'il soit, il ne doit surtout pas nous faire rejeter l'usage normal de la raison. **
On ne voit d'ailleurs que trop bien par quels systèmes irrationnels de bas étage on prétend remplacer celle-ci.

En réalité, c'est à la raison elle-même de découvrir ses limites, et on a vu qu'Athèna respectait pleinement cette condition de son efficacité.

Nous ne saurions mieux conclure ce chapitre consacré à la tyrannie de la technicité, que par une scène empruntée à l'Enfer de Dante.

Cet autre grand initié, de sa lointaine époque, voyait venir ce qui est en train de s'accomplir sous nos yeux. On veut dire une épouvantable mutilation de l'Intelligence, réduite désormais à ses fonctions les plus basses.


*  Et donc, sur le plan du microcosme humain, au "passage du plan chaotique de la multiplicié à celui de la communion intime et totale (donc exclusive) avec le Divin …
Cette forêt chaotique rappellela  Selva  oscura   où commence le parcours initiatique de Dante. De même, c'est autour de la restauration d'une Arcadie ( âge d'or paradisiaque) que tourne toute l'oeuvre de Virgile.
** La plupart des  - ismes  sont des excès  Or, selon un magnifique adage du droit romain  " Abusus  non  tollit  usum "  (" l'abus  d'un bien ne doit pas en faire condamner l'usage normal ").

 

LES DEUX MODES DE CONNAISSANCE

  OU LE DESTIN  DE  BERTRAM  DE BORN

Ce n'est pas sans intention que Dante place ce personnage et son châtiment insoutenable au chant 28 de son Enfer, donc sous le Nombre même d'Athèna. *
Et tout le contexte est à l'avenant.

Il n'y est en effet question que des méfaits d'une rationalité débridée, et de la sanction imposée  ici par la Vierge divine elle-même, en tant qu'Elle est aussi  Némésis et "Porte de l'enfer" ( Ianua Inferni  ) **.

Ce Bertram nous apparaît donc parmi une série de trompeurs, faux-monnayeurs et "semeurs de discorde", parmi lesquels le sophiste
Sinon. ***

L'un de ce réprouvés, s'accusant d'avoir pratiqué "les ruses et les chemins couverts" est aussitôt saisi par un démon qui lance ironiquement :
 "Mais peut-être ignores-tu que je suis logicien  ? ".

Après quoi ile malheureux est traîné devant le juge Minos ( figure du Mental cosmique, et qui, à ce titre, siège dans le Labyrinthe ).

Et voici en quel état Bertram apparaît devant Dante, vision que le poète "aurait peur de raconter s'il  n'en donnait la preuve ".

 * Nombre "parfait", qui est notamment celui du mois lunaire.
**  Celle-là même que Villon, au nom de sa mère, implore sous le titre d' Emperière des infernaux palus .
*** Allusion évidente à Philippe IV, grand falsificateur et au procès inique qu'il intenta aux Templiers.  La trahison de Sinon ( "oui-non" : "la langue fourchue" ) est pourtant, elle aussi, comme celle d'Ulysse ( protégé d'Athèna), une Felix culpa.   Voir Inf.erno ,  XXVI, 59… : "le stratagème du cheval qui causa la brèche d'où sortit la noble semence des Romains.".
Du reste, c'est avant tout la Fortune qui, " en tournant, abaissa l'arrogance (Hybris  ) des Troyens , qui se croyaient tout permis ". ( XXX, 13-14). Ceci laisse présager le sort qui attend les "impérialismes" actuels
A propos de sophistique, voir, au chant XXX, l'interminable querelle - vrai chef-d'oeuvre de disputatio  scolastique - qui oppose Sinon à un faussaire, un certain  Maître Adam, inconnu  par ailleurs, qui, par soif de l'or, falsifia la monnaie de Florence. Cet Adam, qui s'est laissa séduire , en rappelle donc un autre. Quoique atteint d'hydropisie, et donc gonflé d'eau, il meurt de soif, ce qui fut aussi le supplice de l'"âne" Midas…( dont le nom évoque d'ailleurs la raison (√MD).                                              
                                         

Car ce donneur de mauvais conseils  s'avançait, tenant à bout de bras sa tête coupée, en guise de lanterne.

" Et  Ils étaient deux en un , et un en deux …"

" Comment cela peut se faire - conclut le poète - seul le sait Celui qui en a décidé de la sorte " .

Mais Bertram, tout damné qu'il est, le sait fort bien, lui aussi :
" C'est parce que j'ai séparé deux êtres unis  * que je porte mon cerveau séparé, hélas, de son principe qui est en ce tronc.

Ainsi s'observe en moi la loi du talion ".

Cette fin du chant décrit donc en toutes lettres le sort qui attend la raison (la tête) si on la sépare de son Principe, la Lumière Intellectuelle du Coeur, située en effet "dans le tronc".
Elle n'est plus dès lors qu'un méchant lumignon, bien incapable de guider nos pas.

Et ce terme de  tronc  évoque aussi l' Arbre  dont nos logiciens aveugles coupent la branche maîtresse, celle-là même sur laquelle ils sont assis…

Après avoir défini les rapports normaux  et indissolubles entre les deux types d'intelligence, nous pouvons maintenant étudier la façon dont ils s’expriment dans la mythologie et la mathématique ** des Pythagoriciens.

*  Le « père » est évidemment l’Intellect central, auquel la raison est entièrement subordonnée. Pour illustrer des vérités universelles, Dante se sert des personnages de l'histoire locale, aujourd'hui bien oubliés. Ceux-ci remplacent donc largement les héros "païens" de la mythologie.
**  Mythe et mystère ont le même radical √ MU  que le mutisme  imposé aux initiés.
D'où le contraste bien connu entre mythos  et logos  ( logique  :  langage clair et distinct ).
Pour ce qui est des Nombres, chacun sait que leur symbolisme joue dans  le pythagorisme  un rôle plus essentiel encore que la mythologie, en ce qu'ils expriment pleinement l'idée de mesure et donc d'équilibre.. Le radical  √ MT des" maths" est le même que celui de  metron 
( la mesure ) et de mésotès   le "juste milieu", en latin  mediocritas.

 

 

CH. III    ATHENA , FACE CACHÉE DU VERBE


Apollon et Pallas, ces deux Principes de la Connaissance, sont  en même temps, on l'a vu, Principes de Naissance .

Issus de l'Etre transcendant, Ils représentent l'origine immédiate de l'existence, que ce soit celle du Cosmos tout entier, ou, par analogie, celle du microcosme qu'est chaque individu.

Leur fonction les place donc au Pôle de l'Univers, "lieu" unique de l'Etre immuable et éternel, le Logos  dont ils représentent les deux premiers aspects . *

Mais du fait de la  polarisation (division) qui est à l'origine de la multiplicité existentielle, ils n'occupent pas sur cet "Axe du monde" une situation identique.

Apollon siège en effet au sommet de l'Axe, alors que Pallas en occupe la base. **

On pourrait donc dire qu'il règne entre eux l'écart le plus grand possible, et que toute la manifestation universelle  doit trouver place  entre ces deux pôles extrêmes, qui en sont comme l' Alpha  et l' Oméga.. ***

* Du fait que l'Etre-Un contient tous les archétypes de la manifestation (les Idées  de Platon) ce Logos central a été dénommé par les théologiens " Lieu des possibles" .Cette notion de Pôle universel ( l'Invariable Milieu  des Chinois) est au fondement de toutes les traditions. Il va de soi que la dualité des Divinités polaires n'a de sens que du "point de vue" de la manifestation, et ne contredit en rien leur unité essentielle in divinis , qui est celle du  Moteur immobile, pour reprendre la formule d'Aristote.
** Ces deux positions se nomment en latin  Fastigium  ( d'où vient notre terme "faîte" ), et  Vestigium , ce "vestige" ayant pour premier sens celui de "fondation" ou de "trace de pas" (cf. investiguer : "suivre à la trace"). Si les deux termes latins sont à peine différenciés, c'est pour insister sur l'identité foncière de ces deux aspects de l'Etre.
Ajoutons en passant que dans un symbolisme chrétien rigoureusement équivalent, le Verbe se situe comme  Pantokratôr  à la clé de voûte de l'édifice ( Pôle céleste), alors que la Vierge en figure la pierre fondamentale, centre du domaine humain, dont elle est la Sedes  Sapientiae.  ("Trône de Sagesse", station  terrestre du Trône céleste). Ce symbolisme du trône, un équivalent du Pilier cosmique, sera exposé plus complètement dans la suite.
*** Ces deux extrêmes de la manifestation représentent l' Essence et la Substance universelles, analogues à ce que sont  pour les Hindous  Purusha  et  Prakriti   .

Réalité que le symbolisme mathématique exprime, on va le voir, avec la plus grande précision.

Mais avant d'en venir là, nous avons encore à préciser les caractères distinctifs de ces deux faces   de l'Unité créatrice,

L'Intellect Premier est incarné par Apollon, le Soleil divin, dont les rayons - ses flèches infaillibles - tour à tour nous vivifient et nous tuent.
Lumière directe et imperturbable, qui nous frappe au coeur, "en pleine poitrine, justement dans la région du "plexus solaire". *

Sa soeur Pallas, par contre, est toute en discrétion et en nuances, qu'on appelle ses ruses  ( censées être " l'arme des femmes").

Elle est donc figurée par la Lune, astre qui, comme Elle, change sans cesse d'aspect.  (Varium et mutabile  femina… ). Les Grecs personnifiaient chacune de ses phases, mais tous ces noms différents n’étaient évidemment que les attributs de la seule et unique déesse. **

La Déesse, tout autant que notre satellite ***, est dépourvue de lumière propre.
Comme un miroir (en latin  speculum  ), Elle nous renvoie humblement une part de la lumière éclatante émise par l'Astre du jour.
Comme notre raison, elle doit donc se contenter de spéculer  et
de réfléchir , sans livrer aucun accès direct à la vérité. ****

L'agent de ce type de connaissance n'est donc plus le coeur, mais le cerveau, dont la place dans notre organisme est périphérique  , tout  comme l'est celle de la Lune par rapport au soleil central.


* A  côté du sens  de "noeud" vital, Plexus  a aussi celui de "coup" ( cf. le "coup de foudre").. Le coeur, devenu pour nous l'organe du sentiment, est pour les Anciens le siège central  de l'Intellect transcendant. Le cerveau, organe périphérique , lui est donc étroitement subordonné.  En latin,  dire de quelqu'un qu'il est cordatus   ne signifie pas qu'il "a du coeur", mais bien qu'il est profondément intelligent.
** Les Egyptiens nommaient Isis, que les Anciens identifiaient à Pallas, "la Déesse de tous les noms". Belle exemple d'universalisme …
*** Contrairement aux cinq planètes, qui dépendent du soleil (Apollon), la lune et liée à la Terre, étant son satellite et sa plus proche voisine.
**** Le raisonnement-type qu'est le syllogisme  implique un terme moyen sur lequel la pensée doit "rebondir" pour atteindre la conclusion. 


Apollon , qui est "tout d'une pièce" et va droit au but , est donc assimilé au Nombre Un, ou Monade.

Sa soeur, par contre a un caractère double et ondoyant, comme la raison, laquelle, outre qu'elle sépare le sujet de son objet, ne fonctionne que par oppositions, contrastes et paradoxes. Elle figure donc la Dyade, le Nombre Deux *

A ce propos, personne ne s'étonne que cette frêle jeune fille soit inséparable d'un attirail guerrier. Cela devrait pourtant paraître légèrement ridicule, mais on s'y est habitué au point de ne plus le voir. Et d'ailleurs, la mythologie est réputée faire une large place à la fantaisie gratuite …

Mais la réalité est fort différente.

Dans les temps "présocratiques", on présentait les forces à l'oeuvre dans l'univers comme la Paix et la Guerre. (l'Amour et la Haine, ou encore Venus et Mars )..

Or la Paix , c'est l'Unité, alors que la guerre est un  duel. **

C'est bien pourquoi le grand pythagoricien Jamblique (op. cit.) rapporte que la Dyade  , avait pour surnom  Tolma  :  "Audace", ou mieux encore " Scandale ".  ***

L'Unité intellectuelle étant l'apanage du seul Apollon, il est donc  naturel que Pallas, à qui est échue la dualité propre au mental, soit sans cesse sur pied de guerre.****


*  Cette dualité s'exprime dans des termes comme dia-lectique, dicho-tomie etc
**  Les linguistes nous confirment que le latin  bellum   sst un doublet  de duellum, le "duel" étant, jusqu' en grammaire, synonyme de dualité. La même distinction entre Unité et dualité oppose (en apparence) Jupiter ( Zeus  ) à son épouse Junon (  Hèra  ). Il est significatif que celle-ci soit acariâtre et vindicative. Mais Jupiter n'en tient aucun compte, car il  est toujours  jovial  , comme le savent encore bien les Anglais   By Jove  !…
*** Au sens d' Hybris .  Le "morcellement" de l'Unité principielle ( le démembrement d'Osiris) a un aspect démiurgique  et en apparence sacrilège. Platon nomme les deux principes que sont Un et Deux ( Monade et Dyade)  : le Même  et  l'Autre   , autrement dit les principes d'identité et de  distinction (séparation).
****  On ne détaillera pas ici cet armement, dont une partie est purement défensive : le casque protégeant le cerveau, et l’égide recouvrant le cœur.Quant à la lance polaire, elle prolonge le regard «  transformateur » du troisième œil.


C'est en raison de cette même "duplicité" qu'elle se dissimule sous une quantité d'appellations qui sont autant de "masques".  *

Mais la meilleure preuve que sa dualité n'est qu'apparence, et n'a donc rien de fondamental, c'est que l'Unité, synonyme d'Amour, n'est pas l'attribut unique d'Apollon.
Car la petite Déesse n'est qu'Amour, elle aussi , même si elle paraît s'en défendre, ou ne le manifeste que de façon très particulière.

Donnons-en pour exemple un de ses portraits, bas-relief  de l'Acropole qui a échappé  par miracle aux artilleurs turcs et aux pillards anglo-français. C'est l'Athèna dite "mélancolique".

Il n'est pas besoin d'insister sur sa beauté qui en fait un sommet de l'art pythagoricien, et un pur objet de contemplation.

Mais cet art-là ne se contente pas comme le nôtre d'impressions subjectives, adressées au seul sentiment, voire à l'effet , qui n'est que sensation.

Comme disaient les médiévaux  : "Ars sine scientia nihil…"   **

Cela diffère donc énormément de notre actuelle conception de l'art, qui est devenue presque entièrement sentimentale (et encore, dans les meilleurs des cas). D'où l'interrogation qui suit.

* Ce terme de duplicité   n'implique ici aucun sens péjoratif. Le folklore, ce grand conservateur de formes incomprises, se souvient que "la lune est trompeuse".Voici quelques-uns de ces masques, qui se réfèrent à des fonctions diverses : la Chouette, dont le regard perce les Mystères nocturnes, Ariane ( qui détient les clés du labyrinthe cosmique), Hélène (Sélènè  : beauté lunaire au rôle ambigu ), Pénélope ou Circé, ces artisanes du tissu cosmique. Ajoutons-y Diane-Artémis, et la prêtresse Cassandre.Paradoxe suprême, cette Cassandre, que personne jamais ne crut , avait en face d'elle un autre protégé de Pallas, le sophiste grec Sinon (en latin  sic- non  (oui/non) :  le" MonsieurOuine" de Bernanos  ).Cette "langue fourchue" devait faire entrer dans la ville sainte le fameux cheval, autre invention d'Athèna.  A Rome , la Lune est  Jana (Diana), qui ouvre toutes les portes, dont celles du temps (januaria  = ianitrix ), et aussi Minerve-Vesta, Déesse du Palladium  (axe fondateur de la Ville).  Même Béatrix, l'initiatrice de Dante, n'est pas sans lui ressembler : en tant que Viatrix , elle lui "ouvre la Voie" de la béatitude. Car la "forêt profonde" n'est qu'un autre labyrinthe.
**  " Un art dépourvu de fondement intellectuel est tout simplement nul " .Devise des grands constructeurs médiévaux, ces Francs Maçons opératifs, qui savaient encore de quoi ils parlaient. On se passera d'ironiser sur l'état actuel des beaux arts .

Pourquoi, au nom du Ciel, une immortelle, absolument ravissante et qui a donc tout pour être heureuse, serait-elle mélancolique  ? Tout au plus pourrait-elle être un peu songeuse en pensant au sort actuel de l'humanité dont elle a la charge…

En réalité, la Déesse est figurée dans l'attitude classique du penseur en pleine action, le front appuyé sur le poing. Loin d'être vaguement pensive , elle réfléchit, et avec quelle intensité ! C'est qu'on la surprend en train de concevoir silencieusement   quelque astuce de la cosmologie orphique *, et que c'est donc bien de  science qu'il s'agit, et de la plus subtile science pythagorique.

D'ailleurs, de l'index de sa main gauche, elle pointe le milieu du front, siège du cerveau, là où s'ouvre l'oeil central des alchimistes. Et ce regard perçant suit l'axe de la lance, comme un trait de lumière, pour arriver jusqu'à nous. **

Mais observons l'icone de plus près.
La première chose qui devrait frapper, sans que nul pourtant ne s'en avise, c'est la posture de la jeune fille. ***

On s'attendrait à ce qu'une Déesse ait une attitude plus conforme à la dignité de son rang, en se tenant bien droite, comme le fait généralement son frère Apollon, lorsqu'il se présente en majesté. ****

*  Comme son nom l'indique, l'orphisme, assimilé au pythagorisme, met avant tout l'accent sur l'expression musicale de l'Harmonie universelle.
** Regard de miséricorde qu'on retrouve chez le Bouddha  Avalokiteshwara   ( " Qui regarde vers le bas" ). La "station" frontale symbolise l'aboutissemnt des "petits mystères", précisément consacrés à Athèna. Alors que les hommes ont un regard surtout réceptif, celui des Dieux rayonne positivement, comme l'oeil du Dragon. figurant le Verbe.
Ce nom de Drakôn   est aussi celui d'un fondateur grec, dont les lois draconiennes  avaient l'oeil à tout ( de l'ancien verbe grec  derk-ô (regarder) identique au  skt  Darshan .
***  On traduit ainsi le grec  Korè  ( plur.  Koraï  ), nom qu'ont gardé les images "archaïques" d' Athèna. Korà , comme le latin  pupilla  , désigne aussi bien une fillette que…la pupille de l'oeil. Cf. dans Les Mystères du panthéon Romain  (inédit), le chapitre intitulé "l'Oeil qui voit tout".
**** Encore n'est-ce pas toujours le cas, puisqu'Apollon était , à l'occasion, dénommé  Loxios  (  " l'oblique " ). Nous verrons plus loin que cette appellation est en rapport étroit avec le sens profond du théorème de Pythagore.

Or, elle se montre ici en plein déséquilibre, comme le souligne délicieusement la position du pied gauche, légèrement cambré dans la socque. Seule la lance sur laquelle elle s'appuie de tout son poids l'empêche de basculer en avant. Voilà pour les apparences…

Dépassons-les, et poursuivons notre logique, en hommage à la Déesse de la raison.
Pourquoi le génie anonyme, dont ce chef-d'oeuvre atteste la piété, figurerait-il sa Déesse en passe de trébucher ?

Un tel blasphème est tout simplement impensable.

En réalité, cette petite scène fait partie des provocations familières à la Déesse, et qui n'ont en vue que de nous faire réfléchir..

Pour découvrir le fin mot de l'énigme, nous devrons faire appel aux principes sur lesquels repose la cosmologie pythagoricienne.
C'est seulement ainsi que ce grand art trouvera son indispensable complément scientifique.

Voilà qui a tout l'air de remplacer un mystère par un autre, encore plus impénétrable.
Mais patience, car cette  quête , comme toute enquête  digne de ce nom,nous imposera quelques détours. Remontons donc aux origines., sinon au déluge.

 

CH. IV           LES QUATRE  AGES  DU MONDE


Une tradition multimillénaire, et universellement répandue, parle des quatre phases de l'actuel cycle humain.

Partis d'un âge d'or (un Paradis terrestre  ), régi par Saturne
( skt. Satyavrata  ), nous en serions arrivés aujourd'hui à la fin de l'âge de fer ( Kali Yuga  ), qui représente ce qu'est l'agonie pour la vie humaine. *

Perspective peu rassurante, à laquelle le lecteur n'est d'ailleurs pas forcé de croire **. Mais sans lelle l'énigme posée par Athèna resterait indéchiffrable.  Voici pourquoi.

Depuis l'âge d'or jusqu'à la fin des temps, notre terre a forcément subi des transformations que la légende se plaît à illustrer, mais dont l'une est particulièrement extraordinaire.

C'est l'inclinaison de l'axe terrestre, qui engendre la nutation ,ce lent balancement tout semblable à celui d'une toupie. ***

Les Anciens voyaient dans ce "désaxement" l'expression la plus claire du déséquilibre universel résultant d’une "chute dans le temps ». sans cesse aggravée.

* Ces quatre périodes :  or, argent airain et fer, ont des durées relatives de 4, 3, 2 et 1, le total 10 figurant la durée du cycle complet. La diminution progressive de ces durées correspond à un accélération de l'histoire, qui de nos jours tourne même à la débâcle.
Selon Hésiode, la race de fer se déprave de plus en plus au fil des générations. Viendra le jour où sa perversité sera telle que la force brutale remplacera le droit. On perdra tout respect de ce qui est juste. Enfin, quand il ne se trouvera plus un seul homme capable d'indignation à la vue du mal, un seul qui ressente de la honte à la vue des misérables, Zeus détruira toute cette engeance.
** L'humanité n'est pas plus capable d'envisager sa propre fin que l'individu de croire à sa mort, qu'il sait pourtant inéluctable.
*** Aspice convexo nutantem pondere mundum  : " Vois notre terre qui vacille sous ses charges accumulées", dit Virgile au vers 50 de sa Bucolique  IV, dont on connaît le sens eschatologique.  En effet le mouvement de nutation fait décrire à l'axe terrestre un cercle (ou cycle) dont la période est de ± 25.920 ans. C'est"l'aller-retour" de la grande année  ("platonicienne") de 12960 ans, soit 360 fois 36, ce qui fonde toujours pour nous la mesure de l'espace (circulaire), et du temps. En effet, cette dernière n'a pour base que la "précession des équinoxes", qui s'achève après 25.920 ans ( chiffre approximatif généralement admis).

Et le premier d'entre eux  est évidemment l'apparition des saisons, c'est à dire du temps tel que nous le connaissons.

C'est pourquoi, tant en Occident qu'en Orient, on enseignait qu'en ce temps-là, c'est à dire à l'origine, le printemps était éternel. *
Mieux encore, pour bénéficier pleinement de cette exposition permanente au soleil, l'humanité primordiale aurait vécu groupée autour du  Pôle. **  Fameux changement climatique !

Toute cette fable - si tant est qu'il s'agisse d'une simple fantaisie - confirme en tout cas que l'inclinaison, peut-être croissante, de l'axe terrestre apparaissait comme le signe d'un dangereux déséquilibre. ***

Revenons maintenant au portrait de la Déesse.

 Pour les Anciens, son bouclier était l'image de notre monde, dont sa lance figurait l'axe. ****
L'inclinaison de cette lance rappelait donc celle du pôle terrestre.
De tout ce qui précède, on ne peut conclure qu'une chose  : loin que la Déesse s'appuie sur sa lance pour éviter de choir, elle s'arc-boute au contraire de tout son poids pour retarder autant que possible la catastrophe menaçant notre globe.

1 

Athéna Acropole

* Ou mieux, perpétuel, l'éternité étant l'absence de temps. Cf. Ovide, Métamorphoses I, 115 sq. : " C'est seulement dans l'âge d'argent que Jupiter contracta la durée de ce printemps éternel : dès lors, avec l'hiver, l'été, un automne variable et un printemps raccourci, il découpa l'année en quatre saisons".
**  D'où le nom d' Hyperboréens. donné à la première humanité  Le Pôle étant le lieu de toutes les origines, il était plausible que les hommes en aient fait leur première résidence. Voir, de B.G.  Tilak, The Arctic home in the Vedas . Selon l'Atharva  Veda  (X, 8, 14), les premiers hommes voyaient en permanence le Soleil au zénith, "ce dont aujourd'hui fort peu sont capables, et encore grâce au seul Intellect". La même tradition se retrouve un peu partout, notamment en Chine, ainsi que dansl'ésotérisme islamique. Voir notre annexe Du début et de la fin des temps.
*** Voir Virgile, Géorgiques  i, 233  : sur les cinq zones climatiques actuelles, seules deux sont restées habitables  Encore n'est-ce là qu' "une grâce accordée par les Dieux à l'humanité malade"
****  Chez Virgile, le bouclier d'Enée figure le Ciel cosmique où s'inscrit toute l'histoire romaine.  La rotation du Ciel est figurée par la constellation polaire du Dragon ( en latin  Anguis  ). Or, en grec, le bouclier se dit  aspis ( cf. notre vipère aspic).. Son centre bombé se nomme en latin umbo, ce qui l'assimile à l'ombilic polaire ( en grec omphalos  ). Sur beaucoup de boucliers figure le foudre de Jupiter, dont le sens axial est tout aussi évident.

Il suffit d'ailleurs de comparer l'inclinaison de son corps avec celle de la lance polaire pour reconnaître que les angles en sont sensiblement égaux, et que sa posture constitue donc une  compensation . ¨*

On sait donc maintenant à quelle Divinité particulière les hommes doivent cette rémission, dont la durée n'est d'ailleurs pas garantie… Voilà pour la dévotion.

On voit que celle des Pythagoriciens se teinte d’un humour paradoxal, qui nous prend toujoursà contre-pied.

Mais il ne faut pas s'arrêter à ces constatations, car l'effigie de la Déesse polaire n'a pas seulement une fonction  astrale .  Elle incarne avant tout un principe fondamental de la mathématique pythagoricienne.

Mais avant d'en venir à ce point capital, décrivons brièvement une autre figuration de la Déesse, qui est très loin d'avoir la même subtilité. ( voir illustrations : l’Athèna dite du Varvakio ). On peut même, sauf respect, la tenir pour une  bondieuserie  destinée à la masse des bien pensants.

Ce n'est d'ailleurs pas une raison pour la dédaigner, car, dans sa pédanterie, elle récapitule toute la panoplie symbolique de la Déesse. 

On voit donc ici, représenté "en clair", ce que la première figure réservait  aux initiés, conformément au précepte  : Intelligenti  pauca  . **

  
2 

Athéna au pilier (Varvakio)

*  On sait l'usage qu'ont fait les architecte médiévaux des techniques de contre-butée .
( arcs-boutants).  Le latin  compensare  signifie littéralement  " contrepeser ( faire contrepoids ), équilibrer".
**  " Un être intelligent se satisfait d'un minimum de commentaires

Commençons par le pilier cosmique rappelant le rôle polaire de la Divinité, en lieu et place de la lance, symbole un peu trop discret pour le grand public.

Cette fois, c'est bien clairement l’Axis Mundi  *,le Palladium, correctement  vertical  et identifié par la petite figure de Victoire ailée qui le surmonte. **
Et le bouclier n'est plus vaguement esquissé, comme dans la première illustration  :  il est jalousement gardé par le serpent Python, que la Déesse semble porter aussi en bracelet ( un torque ). ***

Quant au décor du casque, il fait allusion à sa vocation mentale. Le cheval Pégase est chargé de transporter l'esprit à tire-d'aile à travers le monde intermédiaire (subtil, ou psychique), dans le but d'échapper à la fatale Gorgone. ****
On devine celle-ci au centre de l'égide, cette sorte de scapulaire, ou mieux de  "cache-coeur", qui distingue la Déesse.

Tout ce que la première sculpture présentait de façon allusive est donc exposé ici sans équivoque possible.

* On verra plus loin que ce pilier est devenu le Palladium de l'Espagne, et l'est resté sous le nom de "Pilar", toujours associé à la Vierge universelle, " la Senora  del  Pilar" .
** Effigie d’Athèna Nikè, qui  a son temple sr l’Acropole. Ses ailes, comme celles d'Hermès (ou de Dédale), figurent l'Ether, espace subtil, dit "intermédiaire" parce qu'il  nous sépare de tout contact direct avec le monde principiel. C'est la fonction du Dieu égyptien  Shou, qui sépare à bout de bras le Ciel ( Nout) et la Terre ( Geb), et porte sur la tête la plume d'autruche, analogue au pétase ( chapeau ailé) d'Hermès.
***  Quoiqu'on ne retienne en général que son aspect démiurgique (voire infernal), Python est la forme terrestre du Dragon céleste figurant le Verbe. Sinon, pourquoi Apollon se nommerait-il  Pythô  ? Ce nom signifie d'ailleurs en grec : "Celui qui sait" ( cf. le verbe Peuthô : "je suis informé" )  Le même radical  ( √BUDH ) se retrouve en  sanskrit dans  Buddhi   (la Science transcendante), et  le  Buddha   , qui est un " Eveillé".
Athèna, en tant qu' Anima Mundi   est étroitement associée à Hermès, dont elle partage d'ailleurs les attributs, tels que les serpents et les ailes du Caducée.
 **** C’est aussi le sens de la légende d’Icare , où le Minotaure équivaut à la Gorgone comme  face de la Mort.

Pour en terminer avec cet aperçu mythologique, et illustrer la persistance de sa tradition, voici une image de la même Déesse, figurant cette fois sur une monnaie romaine, du temps de l’Empereur Hadrien, donc à bien des siècles de distance.

Certes Pallas-Athèna, l'Isis des Egyptiens est devenue à Rome Pallas-Vesta (ou Minerve ), mais rien dans sa personne n'a vraiment changé.

La Déesse, qui incarne ici le fondement même ** de l'Empire Universel, ne peut que se tenir bien droite, mais son Palladium, quoique brandi d'une main ferme, est tout aussi incliné que dans la plus ancienne figuration.

 Il existe même des figurations unissant les deux Pallas, la grecque Athèna et la ( Minerv) romaine, cette dernière en habit de Vestale, et dont la lance n’a vraiment plus rien d’agressif.. Les deux incarnations de la Déesse encadrent une scène hermétique, ou  des forgerons figurant les quatre éléments élaborent l’égide quintessentielle de la Déesse.

On retrouve. la même scène dans un manuscrit paléochrétien de Virgile (le Vaticanus) ,où un personnage christique, auréolé, figure en position polaire (entre le soleil et la lune). Entre les deux Pallas. Les deux personnages qui l’encad !rent à l’arrière-plan ressemblent même fort à la Vierge Marie et St Jean

Côté face, l'impératrice Faustine, épouse du  rénovateur du Panthéon ( on est donc en plein contexte pythagoricien ). Pallas occupe le côté pile (c.à d.  "pilier", du  latin  pila ),  pile   qui sera plus tard  remplacée par la Croix, sans aucun changement de sens.Sur une face, l'autorité spirituelle, sur l'autre, le pouvoir temporel …

** Cicéron (encore un pédant des plus utiles) appelle le Palladium  Pignus  imperii
Pignus  vient de  pangere  ("fixer") et désigne à l'origine un "ancrage" quelconque, puis, au sens figuré,  toute espèce de garantie.

Selon  Virgile, la vocation de l'Empire se résume à " Mener, d'autorité et d'une main ferme, l'ensemble des peuples dans la Voie droite " ( Regere imperio populos  : Enéide, VI, 857-853 ). Pour plus de détails sur le symbolisme de Vesta, voir  Les Mystères du Panthéon Romain.

 

 

CH V   LE PALLADIUM  DANS TOUS SES ETATS


L'idée universelle d'Axe du monde  a connu un grand nombre de figurations, le plus simple étant un simple cercle traversé par son diamètre vertical, ce qui est devenu le schéma du Caducée grec, mais se rencontre dès la "préhistoire".

D'autres, plus complexes, se ramènent toutes à la figure du Pilier, du Trône  ou encore de la tour et de la montagne *, figures du Principe central inébranlable dans sa "station" terrestre, ce qui, on l'a vu est la position du Logos féminin incarné par Pallas ( Athèna/Artémis ou Minerve/ Vesta).

La colonne -ou la lance - de cette Déesse ont pour analogues l'image du trône dans le cas de deux Divinités qui précèdent et suivent de très loin leur soeur grecque : l'Isis des Egyptiens, et la Vierge chrétienne, dont nous allons maintenant comparer les attributs.

 LE PALLADIUM EGYPTIEN

En Egypte, le Logos féminin est représenté par la Déesse Isis, dont la symbolique annonce de façon indéniable celle de la Vierge Mère des Chrétiens . *
Du fait que ces Divinités occupent toutes deux la base terrestre du Pôle cosmique, elle sont présentées comme régnant "parmi les humains" , mais sans être affectées en rien par leurs passions (l'Unité étant transcendante à toutes ses productions ).

La figure de ce Pôle est analogue à celle d'un trône royal, qui se situe toujours au centre du territoire , celui-ci  pouvant être la terre entière, comme dans le cas mythique de l'Empire universel. **

* Les représentations du Logos féminin varient à l'infini. Un des surnoms d'Isis était "la Déesse aux mille noms ». Cela faisait aussi  partie des déguisements d'Athèna., laquelle était fille de Mètis, la Ruse divine.
** Au centre mathématique de l'Enéide de Virgile, dont les douze chants forment un cycle cosmique (zodiacal), un personnage, sorte de "Roi du monde" est présenté  sede sedens
( "siégeant sur son trône") La répétition expressive souligne l'immutabilité de cet archétype des souverains.

L' image du Trône *  et celle du Pilier sacré ( sous toutes ses formes ) sont donc à peu près interchangeables **

On va voir pourtant que ce symbolisme, qui nous semble débridé, s'explique de façon parfaitement logique. Mais avant cela, envisageons une image de la Vierge chrétienne., qui fait d'Elle le Trône de la Sagesse ( en latin Sedes Sapientiae  ).

Comme la "Vierge à l'enfant" égyptienne, Elle "siège" de façon hiératique mais naturellement sans aucun des étranges couvre-chefs qu'on vient de citer.
C'est que du fait d'un anthropomorphisme trop exclusivement rationnel, il n'était déjà plus question, chez les Grecs classiques, d'assimiler la Divinité à n'importe quel objet, ni même à un animal. Pour finir, le symbole allait même être réduit au rang d'allégorie *, voire de banale métaphore.

Il faut pourtant rejeter, contrairement aux idées reçues, la prétendue supériorité des religions "abstraites " sur d'autres, disqualifiées comme "idolâtres", et des monothéismes sur les polythéismes  « païens » , censés plus "primitifs". Le sujet est assez grave pour mériter une parenthèse.

* Le nom ancien d'Isis était A-set , terme qui  se traduit littéralement par " Trône " et "Résidence", dont le radical √ ST *** se retrouve partout pour exprimer la sta-bilité.
 L'identification de la Déesse à ce trône est si parfaite qu'elle ne se contente pas d'y siéger : elle en porte aussi l'image sur la tête !  Vision assez surprenante, pour les gens "raisonnables" que nous sommes. Et d'autant plus surprenante qu'elle alterne avec celle d'immenses cornes de bœuf.
** C'est aussi le cas de la montagne et  de la tour (toutes deux emblèmes de la Déesse mère Cybèle), de l'arbre cosmique,  et jusqu'au mât du navire et au montant du métier à tisser, qui se disent tous deux en grec  Histos . Ce même radical √ST de  sedere ( grec stènaï ) et donc de "résider", est celui de la Déesse gréco-romaine Hestia - Vesta et de son Pilier, qui se dit en grec stauros  ou stylos (colonne).

QU'EST-CE QUE L'IDOLÂTRIE  ?

Cette perversion du fait religieux consiste à adorer littéralement des images, jusqu'à les prendre pour des dieux en personne, et non comme un modeste signe de leur réalité transcendante.

Cette forme d'abrutissement est plutôt rare, et il faut en tout cas l'exclure d'emblée dans le cas de cultures d'une intelligence et d'une spiritualité qui nous dépassent.
La preuve que nous ne comprenons plus rien à la question, c'est que nous prenons le plus souvent leurs images les plus sacrées pour des sortes de fétiches , sans voir toute la Connaissance qui se cache derrière ces signes  bizarres.

Un dicton chinois bien connu est particulièrement approprié au sujet qui nous occupe  :  " Lorsqu'un sage montre du doigt la Lune, l'imbécile tient son regard fixé sur le doigt…" .

Cela donne à réfléchir sur les doctrines qui interdisent radicalement le culte des images.
Plutôt qu'un signe de pureté, on pourrait aussi bien y voir l'indice d'une certaine incapacité à reconnaître les symboles pour ce qu'ils sont. *

 Peut-être les peuples concernés sont-il justement plus menacés que d'autres par la tentation de s'attacher à la lettre plutôt qu'à l'esprit, en confondant des images bien tangibles avec leurs modèles, seuls réels, mais invisibles

L' iconoclastie  n'est sans doute rien d'autre qu'une réaction passionnelle à ce  paganisme  sans cesse suspecté chez autrui .


*  Le symbole a une signification métaphysique, l'allégorie n'a qu'un contenu moral assez simpliste. Quant à la métaphore, c'est une comparaison elliptique essentielle à la poésie, mais dont le langage le plus courant offre déjà de nombreux exemples.


Or, il n'existait rien de tel chez les anciens Egyptiens.

S'ils jonglaient littéralement avec les images sans tenir aucun compte de leur vraisemblance, c'est qu'ils y étaient "entraînés" par leurs hiéroglyphes, dont chaque caractère ( ou idéogramme) est - comme l'indique son nom - une  simple allusion à l' idée, seule importante.

Remplacer l'image humaine d'Isis par celle d'une vache ne les gênait donc en rien, étant donné l'équivalence de sens  de ces deux symboles. Le fait que la figure suggérant ce sens transcendant fût anthropomorphe ou non n'avait donc pas la moindre importance.

Loin d'être une forme d'enfantillage "prélogique", c'était tout simplement la preuve d'une merveilleuse maîtrise intellectuelle, qui réalisait toutes les traductions  avec une souplesse inaccessible au malheureux "érudit" moderne, condamné aux commentaires forcés.

Dans les théologies les plus anciennes, les animaux servaient à figurer les diverses qualités, (ou attributs ) de la Divinité, .démarche si naturelle  que même les traditions plus tardives durent prendre en compte ce vocabulaire  spécial. *

Il devenait simplement beaucoup plus discret.

Ainsi, Athèna, qui était  auparavant une chouette, garda cet oiseau comme simple emblème de sa fonction lunaire (nocturne). C'était d'ailleurs aussi le cas d'Isis, qui comptait également le hibou parmi ses attributs. Mais les Grecs classiques, et moins encore les médiévaux, n'auraient jamais osé donner à leur Déesse l'apparence d'une vache !

* C'est le terme qui convient à ce genre de transpositions, car le symbolisme est un langage, le plus riche et le plus complexe de tous, ce qui explique assez le peu d'intérêt qu'il inspire après deux bons siècles de scientisme  obtus. Devant les représentations animales de l'hindouisme. combien  d'Européens - y compris des religieux - parlent de vaches sacrées avec un vif sentiment de leur propre supériorité spirituelle…

 

3   4

Isis                                Isis

 

C'est pourtant ce qu'on fait les Egyptiens ; le plus souvent toutefois, ils se contentaient de doter leur Déesse de cornes bovines, pour bien insister sur sa nature lunaire. **

Nature lunaire si essentielle que personne ne pouvait en faire abstraction tout à fait.
Ainsi, Homère qualifie-t-il encore couramment Athèna de  Bôopis  "aux yeux de bœuf".

On peut se demander comment, faute de pouvoir l'éliminer tout à fait du culte, on a "couvert" cet inévitable caractère bovin  à la grande époque médiévale. L'explication ne manque pas de pittoresque.

On sait qu'au XII°- XIII° siècle sont apparues, dans toute l'Europe - et par l'entremise des Templiers - un grand nombre de statues de Vierges noires .  Ce culte est d'ailleurs très loin d'avoir disparu, comme en témoigne le succès persistant des pèlerinages aux diverses Vierges noires européennes.

Or la découverte de ces statues avait généralement un caractère miraculeux. Car il fallait les arracher à la terre qui les recouvrait.*
Et c'est ici qu'intervenaient les bœufs.

Car si l'on arrivait à mettre au jour ces statues, c'est le plus souvent grâce à ces animaux de labour, dont l'attelage refusait obstinément de franchir l'endroit où se trouvait enterrée l'image sainte.

Et comme la légende nous dit que le créateur de cette image était lui-même un "bœuf "  - à savoir  l'évangéliste Luc -, on peut se faire une idée de l'extraordinaire plasticité du symbolisme !

*  A preuve les innombrables traités de symbolisme naturel. qu'on trouve encore au moyen âge, tels que  bestiaires, volucraires, lapidaires  etc; On seul est élouent pourra  consulter à ce propos l'imposant  Bestiaire du  Christ., de Louis Charbonneau-Lassay . …
** **  Les cornes du bœuf sont lunaires, celles du  bélier, solaires . Le croissant placé sur la tête d'Isis embrasse d'ailleurs le cercle solaire, en un rappel de sa divine conception.

 

Le plus amusant dans tout cela, c'est l'attitude de l'Eglise officielle, on veut dire exotérique - devant ces survivances suspectes.

Sans plus tenir aucun compte du fait que plus de quatre-vingt cathédrales ont été dédiées à la Vierge noire, et cela à l'apogée de la chrétienté, des théologiens se sont efforcés d'atténuer l'aspect prétendument païen de son culte.

Du coup, la couleur noire, ou simplement bistrée  ( "café au lait ") des Madones était présentée comme l'effet naturel d'un long séjour en terre, ce qui semble peu pertinent quand il s'agit d'un bois naturellement foncé, comme l'ébène. Dans certains cas, on s'est donc débarrassé du problème en peignant les statues en blanc, seule couleur censée convenir à une image sainte . Tout le monde sait en effet que le noir est la couleur des démons…

Ce qu'on se garde bien de rappeler - du simple fait qu'on l'ignore - c'est que le culte des Vierges noires a été "lancé" par Saint Bernard, assez bon connaisseur de certains mystères de sa foi, et qu'il est tout de même difficile de prendre pour un suppôt du Malin, vu qu'il est par excellence, le fondateur de la Chrétienté médiévale !

* Signe évident que cette tradition avait été  "mise en sommeil "pendant un long temps.
La "déterrer", c'était la remettre en vigueur, une des tâches de l'Ordre du Temple.

5  

Pilar (Zaragoza)    

         
 6 

Pilier de Chartres

 

CH.VI         LA VIERGE AU PILIER


L'énigme  des Vierges noires n'en est donc une que si l'on méconnaît les lois générales du symbolisme, pour s'en tenir aux normes officielles. En ce domaine, la "vox populi " ne se trompe pas, et les Vierges noires attirent toujours les foules, ce qui n'est pas le cas de tous les cultes.

On pourrait maintenant se demander quel lien existe entre ces images et le Palladium qui fait l'objet de cette étude.

Ce lien est évident dans la figure de la Vierge au Pilier. telle qu'on la voit dans les cathédrales de Chartres ( la Vierge au Pilier de Beauce) et de Sarragosse ( La Senora del Pilar  ), qui sont des étapes majeures sur le chemin de Compostelle. *

Et il tient à la nature chtonienne **de cet aspect du Logos.

En effet, l'Axe de l'univers et la Connaissance qui s'y rattache ne s'arrêtent pas à la surface du globe, mais pénètrent jusqu'à ses ultimes profondeurs. C'est pourquoi le Logos - et sa Parèdre - ont dû, avant de "monter aux Cieux", "descendre aux Enfers". ***

C'est à dire, en termes alchimiques à visiter les entrailles de la
 terre,  avant de pouvoir, en rectifiant, regagner les sphères supérieures ****


*A supposer même que ces figurations aient le teint clair ( ce qui n'est pas le cas ), le caractère nocturne de leur symbolisme est évident. Le manteau de la Vierge de Saragosse est sombre et semé d'étoiles ( les mêmes qu'à Compostelle), comme aussi à Czestokowa, et la Vierge de Chartres est même installée dans l'obscurité de la crypte, et dénommée "Notre-Dame sous terre".
** On prend ce  terme au simple sens de "souterrain", sans référence aux "cultes de la fécondité" et à d'autres fadaises chères à une désuète sociologie  des religions.
***  Cette formule dogmatique de Nicée était la seule façon de transmettre, sous le voile d'un mystère impénétrable, une donnée purement ésotérique.
**** Cf. la célèbre formule hermétique abrégée en Vitriol : "Visita interiora (= inferiora) terrae; rectificando invenies occultum lapidem". Cette "pierre cachée" étant la Connaissance quintessentielle.

 

Cette fonction souterraine de la Vierge universelle n'autorisait, en milieu exotérique, que de très discrètes allusions. *

Mais il était personnifié très ouvertement chez les Anciens par Hécate, qualifiée de Ianua  Inferni  ("Porte des Enfers"), et donc figure noire de la Déesse lunaire  Diane **

 

7 

Monnaie avec Vesta

       8  

Athéna et Hermes

 

Terminons ce chapitre en observant qu'un sanctuaire majeur de Pallas (Diane), l'Artémis des Grecs, s'élevait dans la grand cité d'Ephèse. ***

Or c'est dans ce fief asiatique du pythagorisme **** que la Vierge Marie passa les dernières années de son existence terrestre. Et c'est là encore qu'au Vème siècle un concile la déclara Théotokos ( "Mère de Dieu" ), autre paradoxe recouvrant une vérité qui n'est parfaitement claire qu'en termes ésotériques.

9 

Les deux Pallas

 

*  François Villon se risque pourtant à nommer la Vierge : "Emperière des infernaux palus", et la tradition du pôle infernal, transmise par le folklore, se retrouve chez La Fontaine, qui dit du chêne ( l' Axis Mundi des Druides) que ses pieds "touchaient à l'Empire des morts".
**  La Lune, un des "deux luminaires", n'est elle -même lumineuse qu'au second degré.
*** C'est "la Grande Diane des Ephésiens" dont le culte fit obstacle à la prédication de St Paul, tant Elle était défendue par le peuple tout entier..
**** Patrie d'Héraclite.

 

10 

Manuscrit Virgile Vaticanus

 

CH. VII       PALLAS * ET  LES  NOMBRES


Les observations qui précèdent ont montré la place éminente qu'occupe la Vierge universelle dans l'iconographie et les mythes chers aux Pythagoriciens. **
Or, on sait que cette tradition privilégie le symbolisme numérique, puisque son credo est le suivant  :  "La Divinité a tout organisé selon le Nombre " .

C'est dire que le langage mathématique, mieux que tout autre, nous permet de découvrir les plans du "Grand Architecte de l'univers", qui en est aussi le Grand Charpentier.

Cette ambition apparemment exorbitante demande à être justifiée, pour que le lecteur puisse saisir la parfaite concordance de l'imagerie mythologique, seule abordée jusqu'ici, avec les utilisations symboliques du Nombre.

Commencer par dissiper certains préjugés portant sur la nature même de la numération, question que les mathématiciens de métier abordent plus rarement encore que les profanes en la matière. C'est qu'elle les obligerait à sortir du cadre de leurs techniques spéciales pour se poser des questions d'ordre métaphysique, ce à quoi leur discipline ne les a nullement préparés.

(N.B. le lecteur que rebuterait cet exposé théorique pourra passer sans grand inconvénient au chapitre qui suit directement).
 

*  On se servira désormais de ce terme générique pour désigner l'aspect féminin du Logos, cette "Déesse aux mille noms".
**  Les deux temples les plus importants de l'histoire gréco-romaine lui sont consacrés.
Le Parthénon, dont le nom signifie " Temple de la Vierge ", dans la ville porte qui porte le nom même d'Athèna, et le Panthéon romain, qui lui est également dédié, mais de façon beaucoup plus discrète.  Voir à ce propos  Les Mystères du Panthéon Romain.

 

 DE LA VRAIE NATURE DU NOMBRE

Comme les connaissances mathématiques sur lesquelles se fonde la "modernité" dérivent à l'évidence de celles des Anciens, on croit généralement qu'elles n'ont fait que les prolonger, en les développant énormément.

Et pourtant, si étrange que cela puisse nous paraître, elles n'ont plus en commun avec la mathématique ancienne que la fonction de calcul, indispensable en pratique, mais que les Anciens tenaient pour servile, et tout à fait secondaire.*

Voici d'ailleurs ce qu'en disent deux Pythagoriciens que séparent de nombreux siècles, du seul point de vue de l'histoire, bien entendu. Les textes sont respectivement : 

1) de Théon de Smyrne ( 1er-2ème s. AD) , dans son Exposé des connaissances mathématiques utile à la lecture de Platon ".

" C'est l'Unité et le Nombre qui ont le pouvoir de réveiller et d'exciter notre intelligence, puisque ce qui est Un nous paraît souvent multiple…
L'art du calcul ne doit pas être traité à la façon du vulgaire, mais de manière à conduire les hommes à la contemplation de l'essence des Nombres..
Non en vue du commerce, comme font les marchands et les courtiers, mais pour le bien de l'âme, en lui facilitant les moyens de s'élever du domaine des choses qui passent à la Vérité et à l'Etre."  

* Le même point de vue se retrouve d'ailleurs aux antipodes. Selon Marcel Granet  ( La Pensée  Chinoise  ) "un des traits fondamentaux de cette pensée est  "un extrême respect pour les symboles numériques, qui se combine avec une indifférence extrême pour toute conception quantitative ".

En d'autres termes, le Nombre pouvait même, en cas de besoin, servir à calculer !

2) d'Antoine  Fabre d'Olivet , dont l' Examen des Vers dorés de
Pythagore , écrit en pleine Révolution française, devait tenir compte des déplorables conditions de l'époque.

" La langue des Nombres, dont ce philosophe (i.e.Pythagore) faisait usage, à l'exemple des anciens sages, est aujourd'hui entièrement perdue (…). Car ceux qui ont composé ces fragments * écrivaient dans une langue qu'ils supposaient connue, de la même manière que nos savants modernes lorsqu'ils emploient l'algèbre.

On serait sans doute ridicule si l'on voulait, avant d'avoir acquis aucune notion sur la valeur et l'emploi des signes algébriques, expliquer un problème renfermé (i.e.formulé) dans ces signes. Voilà pourtant ce qu'on a fait souvent relativement à la science des Nombres. On a prétendu, non seulement l'expliquer avant de l'avoir apprise, mais encore l'écrire…

Aussi l'a-t-on rendue la chose du monde la plus pitoyable. Les savants, la voyant ainsi travestie, l'ont justement méprisée ; et comme leur mépris n'était point raisonné, ils l'ont fait rejaillir, de la langue même, sur les Anciens qui l'avaient employée. Ils ont agi ainsi comme en beaucoup d'autres choses, créant (imaginant) eux-mêmes la stupidité des sciences antiques et disant ensuite : "l'antiquité était stupide ".

Pour les raisons que nous venons d'exposer, la conception ancienne du nombre constitue donc pour le monde moderne une énigme indéchiffrable. Cela importe d’ailleurs assez peu à la modernité , car ce qui l'intéresse avant tout dans le nombre, ce sont ses "retombées" pratiques. *

* Allusion à l'état de dispersion dans lequel nous sont parvenus les écrits pythagoriciens.

Elle s'est donc ruée dans toutes les orientations techniques, ces "sciences appliquées" auxquelles les développements constants du calcul ont conféré une puissance monstrueuse. En un mot, notre monde souffre d'un déséquilibre profond, et plus que jamais, il est désaxé .

C'est qu'il a perdu de vue le principe fondateur de la Science sacrée, qui est justement l'équilibre, encore nommé Harmonie.
Voici la définition qu'en donne un très grand initié ** , et qu'il faudra garder en mémoire tout au long de cet exposé  :

" L'équilibre n'est que le reflet dans l'ordre de la manifestation de l'immutabilité absolue du Principe".

Si donc ce Principe, l'Etre-Un immuable, incarné par le Logos Apollon, domine de très haut notre univers, c'est à Pallas, son reflet parmi nous, qu'il revient d'assurer l'équilibre cosmique. Et c'est bien ce qu'Elle fait, comme dans la scène, où , de tout son poids, elle s'efforce de retarder la fatalité.

Le lien est ainsi établi à l'évidence entre la figuration artistique et son fondement cosmologique. Reste à voir comment la mathématique, à son tour, vient traduire cet idéal d'équilibre.

C'est à quoi sera consacrée la suite de ce travail.

* Les " propriétés des nombres" sont passées du statut de formidable ressource
intellectuelle à celui  de recueil de curiosités.
Qu'on n'aille surtout pas s'imaginer que les artistes anciens étaient de "doux poètes", incapables de  précision scientifique. La suite de notre texte est d'ailleurs une rigoureuse démonstration du contraire.
**  René Guénon,  Symboles fondamentaux de la Science  Sacrée ,  ouvrage capital, dont le ch. VIII  étudie précisément " L'idée du Centre dans les traditions antiques"

 

CH. VIII    PYTHAGORE ET LA DEESSE-MÈRE


Un tel titre peut surprendre en ce qu'il rapproche des notions qui nous paraissent fort étrangères l'une à l'autre, à savoir le mythe religieux, domaine supposé de l'imaginaire, et la mathématique, qui est la plus rationnelle et la plus « dure » de toutes les sciences.

Pour les Anciens, il n'existait pourtant aucune opposition entre ces deux domaines, comme suffit à le prouver un texte capital, dû au grand pythagoricien Plutarque.

Dans son petit traité intitulé  " A propos d'Isis et d'Osiris " *, cet auteur, qui fut grand prêtre du Temple de Delphes ( haut lieu du pythagorisme), expose à sa façon l'énoncé fondateur de la mathématique grecque , à savoir le théorème de Pythagore.

Fort étrangement, au lieu de se servir pour cela des termes de sa propre école - illustrée notamment par Archimède et Euclide) - il emprunte sa démonstration à des prêtres Egyptiens ! **

C'est même sous le nom de "triangle égyptien" que nous est parvenu le théorème portant sur le triangle rectangle de côtés 3, 4 et 5, bien connu des Maçons opératifs.  ***

En tout cas, l'association du mythe et de la théorie géométrique s'opère d'emblée, puisque Plutarque assimile Osiris, Dieu du Ciel, au côté vertical de l'angle droit, qui porte le nombre 3.

La base horizontale, de valeur 4, revient naturellement à Isis, Déesse de la Terre.
Enfin, c'est à l'enfant de ce couple, le Dieu Horus, qu'est attribuée l'hypoténuse 5. C'est l'archétype de l'Homme, dans son rôle de Médiateur universel.

Voyons ce qu'on peut déduire de cette disposition symbolique

* Ce court traité, d'essence purement métaphysique, fait néanmoins partie d'un abondant recueil dénommé  "Œuvres morales" ; celui-ci contient également l'exposé énigmatique intitulé  " Sur l' E du temple de Delphes ", que nous expliquons par ailleurs.
** Il ne faut voir là qu'une "couverture" initiatique qui consiste à présenter sous une étiquette exotique des données réservées et interdites au profane.
*** Dont la corde à douze nœuds servait à tracer les angles droits.

                                  
LE THÉORÈME DE PYTHAGORE

Constatons d'abord que cette proposition, qui relève chez nous de l'instruction élémentaire, a été attribuée par les Grecs à leur plus grand sage, signe évident que derrière le fameux triangle se cachent des vérités fondamentales de la cosmologie.

Le triangle "égyptien" est un cas très particulier, car il est le seul dont les côtés soient des entiers  consécutifs  :  3, 4 et 5.

11

Or cette Triade - de Nombres et de Dieux - servait à symboliser l'ensemble du processus de manifestation. *

Considérons d'abord l'ensemble de la figure, dont nous pouvons déjà tirer des données cosmologiques rigoureuses

1) Toute l'étendue du triangle est comprise entre son origine et sa limite la plus "extérieure", c'est à dire entre le point situé au sommet de l'angle droit, et le côté oblique qui lui est opposé, et qu'on a dénommé hypoténuse. **


*  Triade que figure également, avec ses trois traits superposés, le mystérieux E du fronton de Delphes, dont on expliquera le sens dans la suite.
**  Du grec hypo-teinousa  : (droite) qui sous-tend ( ici, les deux côtés de l'angle droit).
La distance entre le point-origine et cette hypoténuse représente donc l'écart maximum entre les deux limites. En raison des affinités existant entre le triangle et le cercle ( affinités relevées par Thalès ), on peut identifier le sommet de l'angle droit au centre d'un cercle (tous deux représentant l'Unité originelle), et comparer le périmètre tout entier à une circonférence. Tous deux ont d'ailleurs le même nombre "circulaire" 12 (3+4+5). En outre la surface du triangle vaut 6, nombre "de la Création", qui figure donc toute l'expansion de l'univers.

.

 2) Toute la figure émane du sommet de l'angle droit, Point-origine déterminé par l'intersection du Ciel et de la terre. Ce Point, étant informel et non-manifesté, figure parfaitement l'Unité du Principe.

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Rappelons maintenant l'énoncé fondamental selon lequel la meilleure image de la transcendante immutabilité du Principe est celle de l'équilibre, qui assure une relative stabilité à l'intérieur même de la manifestation.

Voyons comment ces deux qualités sont figurées dans notre triangle.

1 ) L'immutabilité du Principe est ici celle du point-unité qui, quoique informel, "produit" toutes les formes manifestées, sans changer lui-même en rien, puisqu'il n'a aucune dimension.

C'est seulement là que Terre et Ciel peuvent se rencontrer directement, dans leur origine commune, qui est encore non-manifestée, une et absolue. *


* Ce Point, bien qu'à l'origine de tout l'espace, n'en fait pas partie, puisqu'il est lui-même sans dimension, alors que le triangle est une surface formelle -la première - qui, comme tout l'espace, est  soumise à la loi de polarisation, ou de parité ( la surface vaut 6 ,  Nombre pair, ou dual ).


2 ) L'équilibre, au contraire, n'a qu'une une réalité relative, car il est le résultat d'un compromis entre les deux tendances antagonistes ("contradictoires"), qu'il s'agit de "mettre en relation", à l!intérieur même de la forme.

Or, tout compromis se définit comme un "juste milieu" entre deux extrêmes. * D'où le nom de "Médiateur" donné à l'élément qui concilie les deux adversaires.

Toute la mathématique sacrée des Grecs est donc la recherche d'une médiation symbolique entre Ciel et Terre, opérée soit par des moyennes arithmétiques, soit par des médiétés  géométriques.

Le triangle de Pythagore, qui agit sur ces deux plans à la fois, est donc le prototype de tous les théorèmes possibles,
Et c'est l'hypoténuse qui y joue le rôle d'élément médiateur, comme on va le voir  maintenant.

Commençons par l'évidence intuitive, qui doit toujours précéder le raisonnement, et observons notre triangle de plus près. .

L''influence verticale du Ciel (Osiris), s'y oppose de plein fouet à celle, terrestre, d'Isis, ce qui suggère une grave incompatibilité. Mais fort heureusement, le couple divin a un rejeton  : c'est l'Enfant-Dieu Horus, qui règne sur l'hypoténuse.

Or tout enfant tient à la fois de ses deux parents, au point de raccommoder quelquefois un couple qui ne s'entendait plus. Et c'est bien ce qui arrive ici.

Car l'hypoténuse (alias Horus) n'est ni verticale, ni horizontale, et pourtant, elle tient un peu des deux, puisqu'elle est oblique.  


*  Problème d'application quotidienne. Ainsi, le travail d'un ingénieur est une perpétuelle recherche de compromis. Par exemple, si je veux qu'un véhicule reste sur la route, je dois chercher à contrebalancer sa tendance à sortir du virage sous l'action de la "force centrifuge" en braquant vers l'intérieur de la courbe. Ce même principe du "juste milieu" permet de maintenir les satellites artificiels à une altitude donnée.

Voilà pour l'évidence immédiate (intuitive).

Mais celle-ci est aussitôt appuyée par la mathématique, avec sa règle des carrés, qui présente l'hypoténuse comme la moyenne géométrique entre les côtés de l'angle droit ( 25, carré de l'hypoténuse 5, valant la somme des deux carrés 9 et 16 ).  *

Ainsi s'explique très simplement l'aphorisme, prétendument obscur, qui nous vient d'Héraclite :

"L'Harmonie du monde est faite de tensions opposées, comme dans l'arc et la lyre " .

Il suffit en effet de remplacer les termes "Harmonie" et "tensions opposées" par leurs équivalents : Equilibre et polarisation universelle, pour retrouver tous les éléments de notre théorème.

Ces tensions ne s'exercent d'ailleurs pas seulement entre les côtés de l'angle droit, mais plus fondamentalement encore entre le sommet de l'angle droit et l'hypoténuse médiatrice, les  "lieux" les plus écartés de la figure, et où la polarisation est donc à son comble.

On devine que tout ceci touche au symbolisme du tir à l’arc et de l’art musical, question sur laquelle on ne peut malheureusement s’étendre ici.

* Rappelons l'énoncé du théorème de Pythagore  :: "Le carré de l'hypoténuse est égal à la somme des carrés des cathètes (i.e. les côtés de l'angle droit).  En termes cosmologiques, le recours aux carrés indique que la médiation s'opère dans le domaine subtil.  Si le point qui est  à l'origine de l'angle droit  met en évidence l'immutabilité du Principe-Un, le Cinq "incarne" cette même Unité, mais cette fois  dissimulée au coeur même de la multiplicité. En effet, Cinq  présente l'unité centrale "encadrée" par la dualité résultant de sa polarisation ( 2 + 1 + 2 ). La figure géométrique correspondante est le carré centré, ou quinconce.

 

 

CH. IX    LES MATHÉMATIQUES EN QUÊTE D'EQUILIBRE


Nous n'en avons pas fini avec la notion d'harmonie.

Mais avant d'aller plus loin, rappelons quelques principes généraux de la mathématique pythagoricienne. *.

Eiie se divise en quatre sciences :  arithmétique, géométrie,   musique et astronomie. Ces sciences sont organiquement liées, en tant que directement issues de l'Unité. Les deux premières sont statiques ,  à savoir théoriques et mentales, l'arithmétique traitant du nombre discontinu (échelonné), et la géométrie du nombre continu. Les deux autres, qui étudient les mouvements musicaux ou astraux , sont donc dynamiques. **

 ARITHMÉTIQUE ET GÉOMÉTRIE

Ces deux sciences sont unies organiquement par l'usage des "nombres figurés".
Cela signifie qu'à chaque nombre correspond une forme géométrique
(figura ) qui en dévoile la  personnalité   propre. ***

Par exemple, là où le pur calcul  pourrait réduire le Nombre Six à n'être que la somme de six "unités" quelconques , ou au produit de deux par trois etc., ce Nombre a en réalité sa forme propre, inséparable du schéma hexagonal, et qui a donc une signification symbolique particulière et unique.

 * On les trouvera dans des manuels comme celui de Théon de Smyrne ou de Nicomaque de Gérase..
**  Là aussi, on distingue les mouvements discontinus de la gamme musicale ( l'échelle des sons), et ceux, continus, des corps célestes, qui ont du reste leur musique propre,  la mystérieuse  Musique des sphères. .
*** Voir  nos  Eléments de cosmologie. Le terme latin figura  dérive du verbe figere  ( fixer ou figer ) et exprime donc le caractère "défini(tif)" et solide des formes corporelles, par opposition à la fluidité plastique de leurs prototypes subtils.

.

On a vu que chez nous, le nombre arithmétique a perdu toute signification autre que quantitative, et que seule la géométrie "intuitive" conserve ce caractère qualitatif, même au niveau le plus élémentaire, puisque un enfant, après avoir bien regardé un carré et un triangle, ne pourra plus jamais confondre ces deux formes, dont l'essence, comme on vient de le voir, est toute différente. *
Et jamais personne, à moins d'être gravement perturbé, n'a confondu le Ciel et la Terre

En parlant de la "personnalité" de chaque forme, ou de chaque nombre, on entend que chacun présente une qualité parfaitement distincte de toutes les autres , en tant qu'il est l'archétype "idéel"  d'un être manifesté. **
Et chaque Nombre est d'autant plus distinctif et "chargé de sens" qu'il est plus proche de l'Unité d'origine. Aussi les neuf premiers nombres, une fois dépassée la Dizaine ( ou Décade) qui est leur synthèse, ne font plus que se reproduire en s'assemblant entre eux.  

Ils ne faudrait pourtant pas croire que la numération décimale fût seule en usage chez les Anciens, loin de là.

Contrairement à ce qui se passe chez nous, ils utilisent divers types de numération, selon l'usage symbolique (toujours purement qualitatif) qu'ils veulent en faire. ***
 

* Les erreurs ne se produiront que plus tard, quand il aura appris les formules permettant par exemple de calculer leurs surfaces respectives.
 Dans le but illusoire de la réduire à la pure quantité, la géométrie a été de plus en plus  "algébrisée"  par Descartes et ses successeurs. Voir à ce sujet  Les Principes du Calcul infinitésimal , de René Guénon.
** Et leur indéfinie multiplicité n'y change rien. On peut comparer cette variété à celle du visage humain, reproduit à des milliards d'exemplaires depuis que le monde est monde, sans qu'aucun soit jamais indisceernable d'un autre...
Ce terme d'idéel se réfère ici aux Idées  de Platon, qui ne diffèrent en rien des Nombres, en ce qu'elles représentent elles aussi les possibilités de manifestation contenues dans l'Unité de l'Etre-Logos.
*** Il en reste d'ailleurs quelques traces chez nous, sans qu'on les explique.. Pourquoi les quatre saisons, les sept joursde la semaine, les douze mois. ?
Pourquoi mesurer la droite par dix, et le cercle par douze ? Sans parler des numérations vigésimales , sexagésimales, centésimales. Tout cela n'avait rien d'arbitraire, n'en déplaise aux illustres promoteurs du Décadi  et des jours "sans-culottides".. Sur toutes ces questions, voir le bref, mais excellent exposé de Jean Brun,  Les Présocratiques  P.U.F.

 

Les deux principales de ces numérations se font par Sept (l'Heptade ou Septénaire) et par Dix (la Décade).

Cette dernière nous étant bien connue, attachons-nous à la
numération Septénaire, qui était particulièrement sacrée à Delphes, le grand sanctuaire pythagoricien.  *

En effet, le Nombre Sept associe les Nombres que nous avons vus à l'œuvre dans le fameux théorème, à savoir la Triade ( 3 ), Nombre ontologique (céleste) et la Tétrade (4), ou Tétraktys, qui est au fondement de la Nature (la "Terre").
Le total constitue donc un abrégé de cosmologie. **

Or ce Septénaire évoque directement le symbolisme des deux "stations" polaires, déjà mentionné.

On sait déjà que le Nombre du Logos Apollon est l'Unité, non manifestée et immuable, qu'on représente au sommet de l'Axe du monde, sous la forme de l'Etoile polaire.

Le reflet de cette Unité à la base du Pôle, et donc au cœur même de la manifestation, est le Nombre Sept, toujours attribué à  Pallas.

Il y a de cela d'innombrables témoignages "folkloriques" , mais ce qui nous importe ici, ce sont les raisons objectives pour lesquelles on tenait le Nombre Sept pour "vierge ", en l'associant ainsi à notre Déesse.

 

*  Dans son Oracle de Delphes , Marie Delcourt montre la place prépondérante qu'occupait dans ce sanctuaire la divinité qu'elle nomme  "le dieu Septime". C'est tout à fait exact, à cela près que cette divinité était une Déesse, Celle-là même dont nous sommes en train de parler.
** Trois et quatre, le pair et l'impair ( Yin et Yang  ), sont les vrais premiers nombres
 ( le un et le deux - le point et la ligne - en sont seulement les principes). Leur produit est douze, nombre solaire (apollinien) qui exprime en effet l'action "productive" du Principe Un.  
 L'union de trois et quatre, soit par addition (association), soit par multiplication (produit), a donné les deux chiffres sacrés fondamentaux Sept et Douze.

 

Raisons purement mathématiques d'abord.

Sept est un nombre premier, donc autonome. (il n'est divisible que par lui-même et par l'unité).

Il est linéaire (i.e. axial ou polaire). *

En outre, il est le seul nombre qui, à l'intérieur de la Décade, ne soit ni producteur (facteur), ni produit.

Autant de raisons pour le considérer comme un reflet direct de l'Unité, elle aussi "non-affectée" par tous les nombres qu'elle
produit. **

Et la cosmologie traditionnelle ne dit pas autre chose, mais en termes plus directement métaphysiques.

En effet, le sommet et la base du Pôle universel (Apollon et Pallas), avec leurs nombres 1 et 7 , figurent les deux extrêmes ( Essence et Substance) entre lesquels est comprise toute la manifestation. ***

On peut donc attribuer à celle-ci le nombre  6, compris entre les limites 1 et 7 ( non-manifestées), et toutes les formes géométriques qui s'y rattachent, et qui représentent la totalité du temps et de l'espace.


* Il est le seul de la Décade à ne pas diviser les 360 degrés du cercle. A Rome, le nom de la Déesse Vesta (la Pallas des Latins ) qui incarnait le Pôle de l'Empire, servait couramment à exprimer le nombre 7, et la Déesse était d'ailleurs servie par sept Vestales, de même Rome était fondée sur les sept collines qui "projetaient" les étoiles du Pôle. Ces mêmes étoiles qu'on voit sur le sceau de Lasne…
** En transposant cette propriété toute spéciale, on comprend mieux ce que mythologie et théologie entendent par  "conception immaculée " et "maternité virginale  " de la Déesse.
*** Selon un symbolisme un peu différent et que nous exposerons plus loin, le Nombre transcendant Pi  représente, par ses décimales sans fin, les myriades de créatures produites par la Nature. Or ces "décimales" - dont chacune est donc unique en son genre - se placent toutes entre 3 et 4, autrement dit "entre Ciel et Terre"…

 

Ce Nombre Six, ou Hexade, qui figure le déploiement du Cosmos à partir de l'Unité du Principe, est donc considéré partout comme le " Nombre  de la Création".

Cet  archétype de l'expansion universelle marque le "plan du Monde", et se retrouve dans le moindre cristal de neige. **
En voici quelques figurations, empruntées aux Traditions les plus diverses
 14

 

Quand on parle de "plan universel", on n'a évidemment pas en vue le monde corporel, seul objet de la physique moderne - et dont la complexité dépasse d'ailleurs immensément ses capacités - mais uniquement son archétype subtil. ***
On pourra donc, si l'on veut, qualifier de "méridiens" les traits composant notre microcosme géométrique, ses "lignes de force".

                  ..
*  La manifestation physique toute entière peut d'ailleurs être considérée comme une "cristallisation" de l'univers subtil.
**  Il existe de cela un exemple, toujours actuel : c'est la conception du corps subtil
(ou psychique)  dont la médecine extrême-orientale  étudie les divers méridiens .
Ceux-ci n'ont aucune existence physique, mais leur action n'en est pas moins indéniable, quitte à embarrasser nos scientifiques .  Ce savoir,  réservé à une classe sacerdotale, avait son exact correspondant dans la cosmologie, du fait de l'analogie reliant le microcosme humain au macrocosme universel.

 

CH. X    LE SEPTENAIRE ET " L'ETERNELLE NATURE"


La numération septénaire présente une autre caractéristique remarquable. C'est qu'elle est centrée sur le Nombre Quatre *, la  Tétraktys  des Pythagoriciens, définie dans leur Serment comme "Source et racine de l'éternelle Nature". Et la forme cruciale du chiffre 4 signale en effet  que ce Nombre est au centre de la "Nature", c'est à dire à l'intersection des  coordonnées spatiales. *
                                              
1     2   3    4   5   6    7

On voit que ce schéma distingue nettement l'Unité initiale, figurant le Principe, des six nombres suivants, qui symbolisent ses "productions", à savoir toute la manifestation formelle.

Six a donc été considéré partout comme "le nombre de la Création" et Sept représente la limite où celle-ci s'arrête, pour revenir à son Point de départ, la fin d'un cycle coïncidant toujours avec le début du cycle suivant. On reconnaît ici un symbolisme bien connu : c'est l'image biblique des "six jours de la Création", phases du temps qui sont en relation analogique avec les six directions de l'espace. **


* Quatre est la moyenne arithmétique entre 1 et 7, ce qui lui donne une position d'équilibre.
Son rôle apparaît plus clairement encore dans le "Quatre de chiffre". Ce signe de
maîtrise des constructeurs médiévaux, qui combine la Croix et le théorème de Pythagore, (c'est à dire les symboles biblique et "païen") a l'avantage de mettre en évidence le Point-sommet de l'angle droit comme centre des coordonnées spatiales..


15


                                               
** Ces directions étant  zénith et nadir, avant et arrière, gauche et droite. ( à  ne pas confondre avec les trois dimensions ).
 Graphiquement, cela se traduit par d'innombrables figurations , qui vont de la rouelle à six branches à l'hexagone étoilé, ou "étoile de David ", figure du Macrocosme.
Cet Hexagramme est formé par l'imbrication de deux triangles, l'un droit, l'autre inversé.
Le triangle droit figure le Ternaire, première manifestation formelle de l'Unité invisible, alors que le triangle inversé n'est que son reflet, la manifestation physique, avec tout ce qu'elle a  en effet de relatif et d'"illusoire". Cette figure a donc servi à symboliser l'union, des natures divine et humaine dans la personne du Christ.


C'est ce qu'indique d'ailleurs la forme circulaire de son chiffre "arabe", par opposition au chiffre axial  7 *

Mais l'Hexade, ou "sénaire" peut aussi avoir des figurations plus complexes.

Suivant qu'on en applique le principe en distinguant les trois niveaux traditionnels de la manifestation, il se présentera comme le Nombre 66, qui évoque la totalité de l'univers psycho-physique (le monde des formes), ou même 666, si on y ajoute le monde informel. **

 

* L'autre chiffre circulaire étant 9, qui précède un autre substitut de l'Unité : la Décade.
** 66 est le "Nombre d'Allah" ( la somme numérique des lettres de son Nom).  Il s'agit dans ce cas de son rôle de Créateur de la manifestation formelle, c'est à dire des deux mondes subtil et corporel. Si l'on s'en tient au niveau informel, le nombre du Principe Créateur est 111 (l'Unité dans les "trois mondes"), sa première expression formelle étant le triple ternaire  333.


Quant au  fameux nombre apollinien 666, il figure l'activité créatrice dans les "trois mondes" . Il a donc pu recevoir dans l'Apocalypse une interprétation sinistre, du fait de sa valeur "démiurgique" qui paraît creuser un écart entre la Création et son Auteur. C'est là un exemple du double sens des symboles, dont la valeur positive prime d'ailleurs toujours.

Si nous considérons l' Hexagramme, autre symbole du Verbe, comme formé par deux triangles imbriqués, on pourra de même donner au triangle inversé un sens "négatif"
que n'a pas le triangle droit et encore moins l'ensemble de la figure.

Le symbolisme des Nombres se double évidemment d'un symbolisme des chiffres.
 Par exemple, les deux figurations du processus cosmogonique, le Septénaire (ou Heptade), et la Décade, s'achèvent respectivement par  6 et  9. Ces deux chiffres, par leur forme circulaire, figurent la limite de la sphère manifestée, avant le retour au centre par 7 et  10, qui sont deux substituts de l'Unité.

Il arrive qu'on représente les deux aspects du Pôle sous une forme assez différente, où ils apparaissent comme les deux "bornes" de l'univers manifesté.

Dans ce cas les deux limites que sont 1 et 7 "encadrent" la sphère cosmique..

 Mais ces tangentes  ne la touchent qu'en un point et n'en font donc pas partie. C'est l'origine des "Colonnes d'Hercule", qu'on retrouve dans la géographie sacrée, où elles figurent les limites du "monde connaissable", qui sont aussi celles du zodiaque. C'est ce que Virgile nomme "les routes de l'année et du soleil", en spécifiant que "l'Axe attaché aux astres" reste en dehors d'elles.(Enéide, VI, 795-797).

Revenons à notre schéma, qui est encore loin d'avoir livré tout son contenu symbolique.

1    2  3   4   5  6    7

Nous venons de voir que la somme pythagoricienne ( ou "triangle" ) de ces nombres vaut 28, ( = 1+2+3+4+5+6+7).
C'est le nombre de jours du mois lunaire (consacré à Pallas), et donc également cyclique. *

D'autre part, en additionnant le carré de 7 (49) et son triangle (28), nous obtenons 77, qui est par excellence le Nombre de Pallas.
Et de même que 7 = 6 + 1 (le cercle + son axe **), 77 est 66 + 11

Maintenant, quand nous parlons du "carré" d'un nombre, nous ne pensons plus guère à l'origine de cette expression. C'est que les Pythagoriciens figuraient les nombres par les formes géométriques correspondantes. Par exemple 16 dessinait un carré de 4 sur 4, alors que 10 ne pouvait former qu'un triangle de base 4 surmonté de 3, 2 et 1 points.

 Si maintenant nous appliquons cette méthode au triangle et au carré de 7 (soit 28 et 49 ), en superposant l'un à l'autre, nous obtenons le schéma d'un petit temple, naturellement dédié à Pallas, dont il porte emblème , le 77 sacré !


   16

 

                                                                                                                                
* Six et vingt-huit sont les deux premiers nombre parfaits ( égaux à la somme de leurs facteurs, respectivement 1+2+3 = 6, et 1+2+4+7+14 = 28). A noter que la somme des carrés des nombres compris entre les axes  1 et 7 vaut 9O, autre nombre circulaire de par sa caractéristique 9.
** De même notre chiffre 10 associe l'axe unitaire et le cercle des 9 nombres manifestés
 ( Apollon et ses 9 Muses).

On pourrait évidemment prendre cette série de "coïncidences" pour pure spéculation de notre part, si on n'en retrouvait un usage incontestable dans l'antiquité, et même à un endroit tout à fait imprévisible, à savoir  dans les Bucoliques de Virgile.

Cette œuvre est généralement tenue pour légère, puisqu'elle se présente comme une "œuvre de jeunesse", en forme d'aimable pastorale. On y a vu aussi une «  comédie des masques »., mais en se trompant sur son véritable objet, qui n’a rien de social ni de politique. 

Cela dit, c’est bien le dernier endroit où l'on s'attendrait à trouver des données extrêmement réservées. * Et par conséquent le lieu idéal pour dissimuler aux profanes ce qui faisait l'objet du secret initiatique.

Considérons par exemple la pièce majeure, qui couronne une Décade (Tétraktys) de chants. Ce chant X compte en effet 77 vers, séparés en 49 et 28 par une coupe significative, ce qui correspond au schéma du temple en question. Mais  c'est un "temple" d'une nature assez spéciale **, et qui nous rappelle que la Vierge céleste, qui règne sur l'humanité, exerce aussi aussi à son égard la fonction de  "Ianua Inferni"..

Car ce petit édifice est en réalité une stèle mortuaire, celle de Gallus, victime de sa passion amoureuse et pleuré en termes inoubliables par ses frères, les "Arcadiens". ***

 

* C'est le savant français Paul MAURY qui le premier identifia dans l'œuvre un contenu pythagoricien Cf Le secret de Virgile et l'architecture des Bucoliques , in  Lettres
d'Humanité , tome III, 1944 (Association Guillaume Budé ). Voir aussi, dans Formes traditionnelles et cycles cosmiques   (N.R.F. 1970 ), le compte rendu de René Guénon.
**  La nef du temple grec a la forme d'un double carré, alors que la base de notre petit monument, comme celle des tombes, est un carré simple.
*** Nom que se donnaient les confréries pythagoriciennes,  ou  platoniciennes, ce qui revient au même. .
On connaît le célèbre tableau de Nicolas Poussin qui laisse entendre que le peintre "lui aussi, avait vécu en Arcadie". C'est qu'il avait dû être admis, sans doute lors d'un séjour en Italie, dans une "académie" initiatique, comme le fut aussi Pétrarque..

 

LE  SEPTÉNAIRE ET LES "CARRES MAGIQUES"

On ne saurait quitter ce chapitre voué au Nombre de Pallas sans évoquer brièvement ces figures numériques, qui ne sont plus chez nous qu'une simple curiosité. *
On verra pourtant qu'elles sont étroitement liées aux symbolisme septénaire dont on a parlé jusqu'ici.

Et c'est pourquoi les Pythagoriciens, aussi bien que les Chinois, s'y sont intéressés de très près, sous la forme d'"abaques", ou tables à calculer, comparables à celle-ci :

 

1      2      3    

4      5      6

7      8      9

 

La plus simple de ces tables ** est centrée sur le 5, Nombre du microcosme humain, qui leur sert de moyenne, et donc d'"équilibre".

En effet, l'addition des trois nombres portés sur leurs diagonales et sur leurs axes cruciaux ° donne toujours 15, somme "magique" de 7 et 8 dont nous avons déjà vu les significations respectives, mais qui associe aussi, plus visiblement, l'Unité au Cinq, Nombre de l'Homme ( cf.le Pentagramme ).

Voilà ce qui s'enseignait au niveau exotérique, c'est à dire dans toutes les écoles. Mais dans des cercles plus fermés, on devait étendre ce tableau, par une sorte d'"extrapolation", jusqu'à lui donner son sens cosmologique intégral.


* Pour un exposé plus détaillé de cette question, voir  Alchimie du Nombre
**  Dite "table de Théon", d'après le "néo-pythagoricien" Théon de Smyrne.


Bien entendu, on ne trouve plus trace écrite de cette démarche, et pour cause, vu sa nature, qui l'excluait du domaine public. *

Mais rien ne nous empêche de reconstituer l'opération en la "prolongeant" jusqu'au septénaire.

ll suffit de disposer les nombres dans leur ordre ordinaire, en trois colonnes de sept Nombres, ou si l'on préfère, en sept colonnes de trois, le résultat étant toujours aussi significatif…                     
                               
                                                        1      2      3
                                                       
                                                        4      5      6
                                                       
                                                        7      8      9

                                                       10   11   12   =  33
   
                                                        13    14    15

                                                        16    17    18

                                                        19    20    21

                                                             = 77

On constate que la figure se présente  maintenant sous la forme de deux tables séparées par un élément crucial dont tous les axes valent 33 , sa moyenne étant le 11, figure du Pôle universel.

L'axe horizontal  vaut 33, et le vertical  77, Nombres qui sont respectivement apollinien (solaire) et palladien (lunaire). 

La figure est donc séparée maintenant en deux carrés magiques dont l'un, déjà connu , "vaut" 15, et est centré sur le microcosme 5 .

* Voir, d'Arturo Reghini,  Les Nombres Sacrés.

On peut donc penser que le second carré, qui "vaut" 51, représente le Macrocosme.
En effet, il est centré sur 17, Nombre qui associe déjà visiblement les deux Pôles de l'univers : l'Unité transcendante et sa manifestation terrestre, le Septénaire, autrement dit Apollon et Pallas.

En outre, le passage du niveau microcosmique à celui du macrocosme, est figuré, comme tout franchissement de limite (traversée du miroir) par le renversement du 15 en 51.

La figure dans son ensemble est donc une image intégrale de l'univers. Ceci ressort particulièrement du fait qu'elle commence par 1 et 2, et figure ainsi le passage de l'Unité à la Dyade, qui est sa première "division". Mais elle se termine par 21, c'est à dire 2 et 1, ce qui symbolise la résorption du multiple dans l'Unité initiale, et du retour de l'Oméga à l'Alpha.

Ceci  est confirmé par les faits suivants :

-  Les nombres centraux des deux carrés ,  5 et 17, ont pour somme 22, nombre qui excède la limite cosmique symbolisée par le 21, et évoque donc la sortie du cosmos. *

-  Quant à l'entrée dans ce même cosmos, elle part de la croix centrale, qui vaut 66, "Nombre de la Création".**


* Se souvenir de l'expression archimédienne de ∏ :  22 septièmes, qui exprime le rapport du Pôle septénaire  avec la totalité de la sphère cosmique.
**  Ce Nombre, qui vaut trois fois 22, est lui aussi transcendant à la manifestation terrestre... Celle-ci  est symbolisée, dans le diagramme du Panthéon par le nombre 2.178 ( 33  fois 66).
Si l’on déduit de celui-ci base transcendante  66, il reste 2112,  autre « miroir » valant 33 (21+12)...

Passons maintenant à la disposition horizontale des trois septénaires.

 

 1     2    3       4       5     6     7

 8    9    10    11    12   13  14   = 77

15  16   17     18      19   20   21

              = 33

Les axes  principaux 33 et 77 ont gardé la même valeur, mais ont cette fois interverti leur position, l'axe 77 ("immanent) ayant retrouvé sa position naturelle ( horizontale ou terrestre), et l'axe solaire 33, sa verticalité transcendante.

-  Les deux carrés ont maintenant pour centres 9 et 13, dont la somme est à nouveau 22. Les totaux de leurs axes sont respectivement de 27 et 39, dont la somme vaut 66.

Mais la croix centrale vaut à présent 55 et non plus 66, ce qui différencie nettement la signification cosmologique des deux tableaux. Expliquons cela brièvement.

D'une part, 55 est le "triangle" de 10 * , c'est à dire le développement intégral du potentiel contenu dans la Décade, c'est à dire l'ensemble des possibilités naturelles. ** C'est la  Natura naturata .

De l'autre, 66, triangle de 11, représente la  Natura naturans , et sa double unité représente  l'action du Principe dans les deux mondes formels.


*  Sa "somme pythagoricienne" ( 1+2+3+4+5+6+7+8+9+10 = 55). Rappelons que la Décade elle même est le triangle du Quaternaire fondateur : 1+2+3+4 = 10.
** C'est pourquoi les alchimistes considèrent le Nombre 56 comme le dépassement de cet ordre, signifiant l'accomplissement du Grand œuvre. Sur ce Nombre, voir  Les Mystères du Panthéon Romain.

 

Le tableau figurant le Septénaire en position verticale a donc logiquement un caractère  plus primordial que l'autre.

Reste à se demander pourquoi l'axe solaire 33 s'y trouve en position horizontale, ce qui paraît contredire sa nature transcendante.
En réalité, c'est l'effet d'une loi d'application très générale : celle qui échange, par hiérogamie, les attributs de deux pôles complémentaires, soulignant ainsi leur identité essentielle. *

Ce phénomène illustre d'ailleurs aussi l'inversion qui se produit au passage d'un niveau de la manifestation à un autre.

Cette même inversion apparaît dans les Nombres symétriques 12 et 21 en tant qu'ils représentent l'entrée et la sortie de la manifestation, qui ne sont en réalité que des phénomènes, c'est à dire des apparences. Leur association dans le Nombre palindrome 1221 montre cela clairement. En effet, tout le processus manifesté y est figuré par le 22 central, mais celui-ci, étant encadré par l'Unité (initiale et finale), s'y résorbe entièrement. **. C'est ce que confirme une autre particularité de ce même Nombre.

 Car 1221 est aussi le produit de 11 par 111, et manifeste donc l'omniprésence de l'Unité.

Après cela, on continuera à soutenir que le monde des Nombres, comme tout le reste, est un effet du hasard, sinon tout simplement une invention humaine !

A notre sens toutefois, ces quelques observations - si élémentaires qu'elle soient, car les Anciens ont poussé cette étude bien plus loin -  montrent suffisamment le bien-fondé de la maxime pythagoricienne :  "La Divinité a organisé toutes choses selon le Nombre".
 

* Voir par exemple l'image des "Noces chymiques"  illustrant cet échange entre le Roi et la Reine  qui figurent la dualité  du Soleil (Yang ) et de la   Lune ( Yin ).
** Par addition interne,  1221 vaut 33 et figure ainsi le principe solaire (LUX) de la manifestation.

 

CH. XI            IMAGO  MUNDI


On a vu comment une forme géométrique pouvait dévoiler les contenus symboliques d'un Nombre donné.

C'est ainsi que le 77, Nombre "palladien" par excellence, et  en quelque sorte l'apothéose du Septénaire, se décompose en 49 et 28, c'est à dire un carré et un triangle, alors qu'il est lui-même de nature linéaire (axiale). *
Cette séparation fait apparaître ses propriétés, qui seules peuvent être "mises en forme", et qui sont de deux types : le carré se rapportant à la Terre, et le triangle au Ciel . **

Cette figuration est encore assez élémentaire, mais les Nombres peuvent aussi s'organiser en diagrammes complexes, analogues aux "Mandalas" des Orientaux, et qui illustrent les relations existant entre les différents archétypes qu'ils figurent.
On peut , dans chacun de ces cas, parler d'un "plan du monde".

Non qu'il s'agisse, bien entendu, du monde corporel. Ce qui est représenté ainsi est un schéma de ses prototypes subtils, autrement dit de son "corps psychique". Loin d'être moins réel que l'univers physique, cet organisme invisible l'est a fortiori, puisqu'il en est la cause immédiate.

C'est pourquoi ces diagrammes, quoique exprimés dans une multiplicité de langues, présentent des caractères analogues qui rappellent leur origine commune.
En témoignent ces représentations appartenant à deux traditions fort différentes l'une de l'autre, le pythagorisme et la Kabbale juive. La première repose sur une découverte assez récente, dont il va être question maintenant.

* il est le produit des deux Nombres premiers (polaires)  7 et 11, et comme le nombre onze est une autre forme d'unité, le rapport rappelle celui du 1 au 7 dont on a étudié certains aspects.
** On a classé les "vertus" en "cardinales" et "théologales". Les premières, seules d'ordre moral, sont au nombre de quatre (comme les points cardinaux) et se rapportent donc à la juste organisation de la société terrestre. Ce sont : Prudence, Justice, Patience et Tempérance. Les trois vertus "théologales" ou "célestes" - et donc de nature métaphysique - sont Sagesse , Force et Beauté - ou Amour - conservées telles quelles par la Maçonnerie, mais transformées par les Chrétiens en Foi, Espérance et Charité. Ces Vertus sont figurées par Pallas ( Minerve), Héraklès ( Hercule) et Vénus, avec pour symboles végétaux l'olivier, le peuplier et le myrte. Le savant Varron se fit ensevelir sur un lit de ces feuillages, faisant ainsi profession de pythagorisme.

 

CH. XII      LA TETRAKTYS  PYTHAGORICIENNE


Vers la moitié du XXème s, le savant français Paul Maury découvrit dans les Bucoliques de Virgile un plan arithmétique faisant correspondre entre eux les nombres de vers des dix pièces de l'œuvre. Il eut même l'idée de les organiser dans l'espace en proposant le plan géométrique d'une "chapelle", suivant le schéma suivant  :                               

            17

L'idée était extraordinaire, les correspondances numériques indéniables
 ( malgré quelques approximations *), et l'auteur y reconnut tout de suite une inspiration pythagoricienne.

Mais cette découverte, après avoir causé une certaine controverse, passa vite à l'arrière-plan, faute d’en comprendre l'utilité. **

*Qui se ramènent facilement à quatre Nombres hautement symboliques : 111 ( le Pôle dans les "trois mondes"), 66 (Nombre de la Création), 183  (l'équinoxe, ou demi-année), et 84 (12 fois 7 (  Nombre soli –lunaire ).. 
**  Pour plus de détails, voir « Les Mystères du Panthéon Romain ».

Or l'œuvre compte Dix chants, et l'assemblage par couples de ceux qui comptent un même nombre de vers reproduit toujours ce nombre ( I + IX / II + VIII / III + VII  etc.). Tout cela aurait dû lui faire penser à la Décade sacrée, la Tétraktys pythagoricienne.

Seulement, figurer cette Décade par une structure carrée ne convenait pas, car il s'agit là d'un nombre triangulaire, autrement dit la "somme pythagoricienne" des quatre premiers nombres.

En effet la Tétraktys , ou Quaternaire fondamental, dont l'expression arithmétique est 1+2+3+4 = 10 , ne peut se "figurer" géométriquement que par un triangle, comme ci-après.
18 

Sans entrer dans le détails de cette figure complexe *, occupons-nous seulement ici de son Axe vertical, et donc Polaire.

Nous avons vu que le sommet et la base de ce Pôle sont occupées dans toutes les traditions par les Divinités figurant les aspects masculin et féminin du Verbe-Un, lui-même informel et représenté par Le Point Métaphysique.

 

*  Le Nombre central  666 figure l'ensemble de la Création, c'est à dire son expansion totale (les six directions) effectuée dans les "Trois Mondes". D'où sa signification "démiurgique", avec ses aspects "négatifs". Le Nombre 333 figure, dans ces mêmes mondes, la première expression formelle du Principe créateur. A noter que 90 + 77 ( somme du couple polaire) vaut 167, ce qui est la moitié (approchée en entiers) de 333. 

  

La mythologie grecque y voit le Seigneur Apollon et la Vierge Pallas.
Et le Pôle de notre Tétraktys présente en effet ces deux principes sous la forme des Nombres 90 et 77.

Or 9O ( ou 9 ), nombre circulaire, est le nombre des Muses * qui entourent leur "Guide" Apollon (le Musagète), et 77, nous l'avons vu, est le Nombre palladien par excellence.

Nous pouvons maintenant envisager une autre version de ce "plan du monde", telle que la présente la kabbale juive. Bien qu'elle réponde à un mode de pensée extrêmement différent, on verra que les analogies essentielles sont frappantes.

 * Ces "mesures" de l'Unité sont les neuf premiers Nombres-arrchétypes qui émanent d'Elle pour constituer la Décade.

 

 

CH. XIII          L'ARBRE DES SEPHIROTH

                           
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Ce schéma ontologique propre à la Kabbale représente les différents "canaux" par lesquels l'Energie principielle se répand dans sa Création.

Comme dans le cas de la Tétraktys, chaque Sephirah * représente un archétype des formes manifestées. Tous ces attributs de l'Etre-Un  sont interdépendants et forment un Tout organique.

On voit que leurs relations sont exprimées par ce graphique de façon à faire apparaître la façon dont la multiplicité créée émane toute entière de l'Unité transcendante , Kether : (« la Couronne ») pour se refléter dans la Décade inférieure Malkuth ( le Trône, cf Isis). Elle peut donc s'y résorber dans l'intervalle entre deux de ses manifestations. Exactement comme la lumière blanche peut se "décomposer" en une illusoire irisation, et se reconstituer à volonté par la synthèse des couleurs.**

* L'hébreu Sepher ( arabe Sifr) est à l'origine de notre terme "chiffre", et aussi du "zéro"
(transmis par l'italiel " zephiro".
** On reviendra plus loin sur ce symbolisme naturel.

En outre, il est précisé que ce schéma  s'applique aussi bien au microcosme humain qu'au Macrocosme universel, moyennant une interversion des colonnes latérales. Suivant le niveau auquel on se place, les Séphiroth apparaissent comme des attributs divins, des types d'énergie, des états de conscience et même des processus biologiques.
Autant de voiles masquant le Principe et constituant l'illusion cosmique.

Tenons-nous en ici à leur Axe central, qui présente des caractéristiques visiblement similaires à celles de la Tétraktys.

L'idée commune à Kether et à Malkuth  est donc l'autorité suprême, sous ses deux formes, transcendante et immanente ( "céleste" et "terrestre" :: le Roi et la Reine des « Noces chymiques »).

La Couronne, qui est par définition un cercle, contient en son centre le Point-Unité dont elle est la première émanation. *
 Ce Point métaphysique est l'origine immédiate de la manifestation, son "postulat de départ "; mais étant informel, il est inaccessible à nos facultés mentales

C'est le verbe sous sa forme masculine. encore nommé, du fait de sa nature éternelle, "la tête blanche" ou "l'Ancien des jours".

*  Dans le microcosme, elle correspond à "l'ouverture du crâne". De la même façon, la structure cosmique figurée par la Tétraktys pythagoricienne peut s'appliquer au microcosme humain aussi bien qu'au Macrocosme. C'est ce qui explique qu'elle ait servi de plan au texte traditionnel du Serment d'Hippocrate, qui compte 666 lettres réparties autour de l'axe constitué par la lettre Phi, en forme de Caducée hermétique, qui est aussi l'initiale du mot central "pharmakon". Toute l'ambiguïté  propre au 666 démiurgique se retrouve donc dans ce terme qui signifie aussi  bien  "remède" que "poison". De même, le latin "potio" a donné naissance aux trois termes français  boisson (neutre), potion (bienfaisante) et poison.

Sa contrepartie féminine, Malkuth,  est un autre nom de la Shekinah  la "Résidence"  divine parmi les hommes, et à ce titre on la représente comme une jeune femme couronnée assise sur son trône.

 Il faudrait être aveugle pour ne pas reconnaître dans cette dernière figuration deux autres images du même Principe royal, prises aux plus extrêmes limites de notre histoire.

La première est la Déesse Mère Isis, dont le nom égyptien d'A- set signifie lui aussi "Résidence", ou "Trône". Et non seulement, elle siège sur ce trône, mais elle en porte l'image sur la tête, en guise de couronne , ce qui insiste sur l'identité essentielle des deux termes.

Plus proche de nous, mais toute semblable, l'image chrétienne de la Vierge Mère en "Sedes Sapientiae" , siégeant sur son trône et tenant, tout comme Isis, l'Enfant-Dieu sur ses genoux. *

 Nous allons voir maintennt comment l'hermétisme occidental a combiné la Tétraktys pythagoricienne avec l'arbre séphirotique, tout en y ajoutant à sa façon ce qui dans ces deux figurations est occulté, en tant qu'inexprimable.

 * LeTrône polaire assure seul la stabilité  du cosmos qui l'environne. Le latin "sed-ere" (trôner ou ré-sid-er) a visiblement le même radical √SD qu' A-Set, qu'on trouve aussi dans le nom biblique de Seth.

 

CH. XIV       LA TETRAKTYS HERMÉTIQUE


Dans un de ses manuscrits, le célèbre alchimiste Robert Fludd donne de l'univers un schéma dont l'image ci-dessous suffit à donner une idée.

 

        20

 

On voit que la dimension cosmologique ( limitée à l'ontologie ) explicite ici son origine :  la Possibilité Infinie, dont l'Etre-Un manifeste tout ce qui est susceptible d'être exprimé. Ce qui est "au-delà de l'Etre" échappe à toute identification. C'est le "Rien" de la Kabbale (Ain), l'"Abîme" et le "Silence" des Gnostiques, le "Nuage d'inconnaissance" de la mystique rhénane, etc. Bref, l'objet de toutes le "théologies apophatiques " ( i.e. "négatives" ).

L'inversion qui se produit ici au passage du "point focal" - la "porte étroite" - et qui fait que " les premiers ( dans l'ordre spirituel) sont les derniers " (dans la manifestation), est l'archétype de toutes les inversions que l'on constate au passage d'un niveau de réalité à un autre.

Et cela jusque dans le domaine physique où l'on voit le rayon lumineux traversant une lentille donner de l'objet ("réel") une simple image inversée. *
 Cette figure alchimique assemble aussi explicitement le quaternaire des éléments, figurés à la base du Triangle et le concept kabbalistique opposant les deux colonnes latérales de Rigueur et de Miséricorde ( les mains droite et la gauche), attributs "négatif" et "positif" présentés respectivement comme Ténèbres et Lumière. **

Mais il est temps maintenant d'approfondir un peu le symbolisme  mathématique qui manifeste l'identité essentielle des deux aspects du Logos : l'Unité et le Septénaire.
Après quoi nous aborderons les transpositions physiques et hermétiques de la même réalité.

  

  • Un phénomène analogue se produit dans le miroir, où l'inversion se fait seulement entre la droite et la gauche.
  • ** Pour ne pas compliquer l'exposé, ces donnés n'apparaissent pas sur notre schéma, qui doit rester éléme

 

CH. XV      LES "JOYAUX DE LA MATHÉMATIQUE"


C'est ainsi que Johannes Kepler nomme le théorème de Pythagore et le "Nombre d'or", * ces deux symboles de l'équilibre universel.

Et il aurait bien dû y ajouter le Nombre Pi, qui n'est pas moins transcendant.
Car il existe entre ces trois cas un lien étroit, et unique, qui est la fonction médiatrice.

En somme, c'est donc toujours du Palladium qu'il s'agit

On va voir en effet que tout le mystère du Nombre Pi vient de ce qu'il symbolise la relation mystérieuse reliant le Ciel à la Terre, c'est à dire le Pôle céleste (Apollon, ou l'Unité) à son reflet terrestre ( Pallas, le Septénaire). En d'autres termes, les rapports existant entre le 1 et le 7 .

Il s'agit là d'une relation d'ordre métaphysique et donc totalement inabordable par les moyens du calcul ordinaire. Heureusement, les observations déjà réalisées sur le théorème égyptien vont nous fournir une explication très simple du phénomène.

On se souvient que c'est l'hypoténuse 5 qui joue un rôle médiateur entre les deux côtés, 3  ("céleste")  et 4  ("terrestre")  de l'angle droit.

Or le Ciel est aussi couramment figuré par un cercle, et la Terre par un carré.
 Ces deux formes sont, en principe, aussi difficiles à concilier que la verticale et l'horizontale, et d'ailleurs affectées des mêmes nombres 3 et 4. L'analogie est donc parfaite.

Simplement, l'antagonisme est ici celui de la droite et de la courbe, c'est à dire du diamètre et de la circonférence, et leur médiateur est précisément le nombre Pi , que nous allons maintenant examiner de plus près.

* Pour une explication de ce principe simple, nous renvoyons le lecteur à nos Eléments de Cosmologie ou à Alchimie du Nombre..

  

LES MYSTÈRES DU  NOMBRE PI

Le Nombre Pi  témoigne du gouffre qui sépare les méthodes des mathématiciens modernes de celle de leurs ancêtres.

Certes, il a toujours fasciné les uns autant que les autres, en raison des propriétés extraordinaires qui lui valent encore d'être appelé "transcendant", et cela dans une science devenue toute profane !

C'est donc dans la manière de traiter ce Nombre que réside toute la différence entre les deux cultures.

Rappelons en deux mots, pour qui l'aurait oublié, que Pi représente le rapport invariable entre la circonférence du cercle et son diamètre. D'où l'intérêt du métaphysicien, pour qui tout lien entre ces "contraires" a une résonance sacrée..

Et cela même si la seule relation possible entre ces "incommensurables" est "irrationnelle", c'est à dire, en termes plus familiers, " qu'elle ne tombe pas juste".  *

Mais nos contemporains, qui sont de simples "physiciens", espèrent s'en tirer par leurs calculs ordinaires."Ordinaires"n'est d'ailleurs qu'une façon de parler, car il y a irrationnels et irrationnels…

Si , par exemple, vous divisez dix par trois, vous obtenez un "irrationnel" puisque cette division ( ce rapport ) "ne tombe pas juste". Mais cet irrationnel, à savoir 3,33333 etc…est encore, si l'on ose dire, relativement raisonnable.

* "Irrationnel" ne signifie nullement ici "contraire à la raison", mais "sans rapport exprimable en entiers" .Rapport (ou relation) se dit en latin  ratio , et  les Anciens ne se servaient que des nombres entiers.

Car il est périodique  : où que l'on arrête le décompte des décimales, la dernière ne sera jamais autre que 3. *

Les résultats de l'opération seront donc toujours prévisibles, ce qui est bien rassurant. La calculatrice peut se contente de "forcer", d'"arrondir", et voilà tout…

Le nombre  Pi, au contraire, inquiète  par son caractère plus que récalcitrant.
Il est en effet  non-périodique. Si loin que l'on pousse les divisions, jamais on ne tombe sur une répétition quelconque, sur ce genre de constante qu'on appelle un pattern .

C'est ainsi.

Mais on a beau acter ce fait irréfutable, il demeure une véritable torture pour l'imagination.

Devant ce défi, nos savants ont déchaîné la démentielle puissance de calcul des ordinateurs, dans le vague espoir qu'un jour, qui sait ?…

Mais rien n'y fait. On se retrouve avec des kilomètres de listings atypiques… et le bec dans l'eau. Voilà donc un de ces nombreux cas où la prétendue toute-puissance des grands nombres échoue de façon humiliante. **

Et les Anciens, dira-t-on,  pouvaient-ils faire mieux ?

Eh bien oui… Mais en prenant l'exact contre-pied des méthodes actuelles.

*  On s'abstient d'envenimer la question en faisant observer que ce ternaire récurrent est lui aussi symbolique…
** Et le cas de nos "atomistes" est parfaitement comparable. On met en oeuvre de ruineuses machines (de plusieurs kilomètre de rayon ! ) dans l'espoir tout aussi vain de tomber sur la particule ultime (indivisible) d'une "matière" qui s'évanouit à mesure. Fuite en avant, aussi vaine que le seraient des tentatives pour découvrir le "dernier des nombres".

Loin d'espérer trop du côté des grands nombres, où l'on  se noie à coup sûr *, il ont fait intervenir les petits, en y ajoutant une bonne dose de réflexion. Car le technique du calcul ne se coupait jamais, chez eux, de ses racines métaphysiques, qui sont toujours du côté de la qualité, c'est à dire de la simplicité.

C'est ainsi qu'Archimède nous propose, pour exprimer Pi, le rapport  de 22 septièmes.

Calculez vous-même, cela fait 3,14 28 57… , approximation très satisfaisante pour une formule aussi simple.  **

Mais le grand  Syracusain avait une idée derrière la tête, et qui n'était pas simplement de simplifier nos calculs  : la voici.

Vingt-deux septièmes, c'est vingt-et-un septièmes, plus un septième.
 Et qu’on n’aille pas rire devant cette évidence enfantine, car on restera vite confondu devant les conclusions qu'elle impose. 

En effet, vingt-et-un septième, c'est trois, nombre entier qui représente donc, à lui seul, la partie rationnelle de Pi. Toute sa partie approximative et "irrationnelle" est donc concentrée dans l'unique septième restant.

Mais "un septième", c'est justement le rapport de l'Unité au Septénaire, notion métaphysique dont nous n'avons cessé de parler

C'est donc aussi - on vient de le voir - la relation exercée par le rayon * entre le centre et la circonférence, ces deux limites de l'espace, l'une interne, l'autre externe.

( la première étant l' unique  Cause, et l'autre, un ensemble d'effets ). 

* Archimède était le premier à en avoir conscience, puisque, dans son  Arénaire , il avait tenté d'évaluer le nombre de grains de sable existant dans le monde !
**  Elle diffère un peu, dans ses chiffres, des approximations modernes, mais cela ne change rien au principe d'un nombre impossible à représenter exactement, et qu'il faut donc toujours "forcer", d'une façon ou d'une autre. Prestigieuse  ou non, une approximation ne sera jamais qu'un à-peu-près. Dans ce cas, l'avantage reste à la simplicité, et Il y a même dans l'expression archimédienne quelque chose qui peut faire réfléchir, au vu des termes redoublés 14, 28, 56 (forcé en 57), tous hautement symboliques..

Ceci traduit, toujours en termes métaphysiques, le rapport de l'Essence à la Substance universelle ( les deux "pôles" du Palladium ), figurés par Un et Sept - entre lesquels se déploie toute la manifestation.  *

Exactement comme le nombre Pi, quoique apparemment sans fin **, est étroitement contenu entre les entiers  trois et quatre .

Rappelons que ces Nombres sont justement ceux que la tradition universelle attribue aux deux limites du Cosmos, le Ciel rond et la terre carrée.

Et comme  Pi symbolise l'accord profond et secret de ces deux complémentaires dans leur Unité essentielle, il évoque la "Quadrature du cercle" (ou encore la "Circulature du Quadrant"), ces objectifs de l'Alchimie spirituelle.

Le lecteur doit à présent aspirer à quelque détente après cette accumulation de paradoxes vertigineux . Nous renvoyons donc en annexe tout ce qui concerne le "Nombre d'or". Là encore, on verra se manifester le principe de médiation, qui joint une extrême simplicité métaphysique à l'immense étendue de ses propriétés techniques.

Pour l'instant passons, en guise d'intermède, à un sujet qui semble fort éloigné du cours de notre réflexion, mais qui montrera d'autant plus clairement comment un principe métaphysique, du fait qu'il est universel, s'adapte à tous les niveaux possibles de la réalité manifestée.


* " Rayon"  ( radius  ) ne signifie rien d'autre que "rapport" ( ratio  ).Le centre est polaire, le rayon est solaire et la circonférence ( la Roue : germ. Rad  ou  Raey ), lunaire.  Ce ternaire s'applique du reste aux trois "religions du Livre".
** Et chacune des créatures qui s'y abritent est donc représentée par sa "décimale" propre, sans qu'aucune n'en répète jamais une autre. Cette idée chère aux Pythagoriciens se retrouve dans la Kabbale et l'ésotérisme musulman, où chaque être a son nombre propre, lié notamment à la valeur des lettres de son nom.
*** Sur la notion d'"infini mathématique", cf. supra l'ouvrage de  Guénon, qui met un terme simple et définitif à une masse de faux débats. L'intervalle entre trois et quatre a beau être fort rempli, il n'a évidemment rien d'infini. Ce n'est qu'un "infini mathématique" (relatif), c'est à dire un indéfini.

 

CH. XVI      LE SEPTENAIRE ET L'ARC-EN-CIEL


Nous connaissons déjà la complémentarité qui, à la fois, distingue en apparence et unit en réalité Apollon et Pallas, autrement dit les deux termes extrêmes du Septénaire, dont la séparation constitue l'illusion cosmique.

Car ces deux Principes ne sont qu'une seule et même réalité, même s'ils expriment celle-ci de deux façons différentes, l'une plus proche que l'autre de l'Absolu.

L'Unité est en effet la synthèse de tous les nombres qu'elle engendre, et dont le Septénaire présente les plus fondamentaux sous une forme analytique, c'est à dire "décomposée".

C'est ainsi que les six directions de l'espace "analysent" les principales « tendances » contenues dans l'Unité du Centre. Une application frappante de ce principe est le symbolisme des couleurs, qui est d'une grande importance traditionnelle.

Nous ne pouvons mieux faire que de citer ici , en substance, une autorité * éminente :

" En fait, l'arc-en-ciel n'a pas sept couleurs, mais six seulement…
îl y a trois couleurs fondamentales, le bleu, le jaune, le rouge, et il y a trois couleurs complémentaires de celles-là, c'est à dire respectivement l'orangé, le violet et le vert, soit en tout six couleurs.…

On peut placer les trois couleurs fondamentales aux trois sommets d'un triangle, et les trois couleurs complémentaires à ceux d'un second triangle inverse du premier… et l'on voit que la figure ainsi formée n'est autre que celle du "sceau de Salomon". **

Pour résoudre la question du septième terme qui doit réellement s'ajouter aux six couleurs pour compléter le septénaire, il faut nous reporter (…) aux six directions de l'espace, formant la croix à trois dimensions et au centre lui-même d'où ces directions sont issues."

 

* Voir l'article de René Guénon intitulé  Les sept rayons et l'arc-en-ciel  , in Symboles de la Science sacrée , ch. 57.
** Un des noms donnés à l' Etoile de David .


"Il résulte de là que le septième terme devra, par rapport aux six couleurs, jouer le même rôle que le centre par rapport aux six directions, centre où les le oppositions apparentes, qui ne sont réellement que des complémentarismes, se résolvent dans l'unité.

Le véritable septénaire est donc formé ici par la lumière blanche et les six couleurs en lesquelles elles se différencient ; et il va de soi que le septième terme est en réalité le premier, puisqu'il est le principe de tous les autres ; mais il est aussi le dernier en ce sens que tous rentrent finalement en lui  :  la réunion de toutes les couleurs reconstitue la lumière blanche qui leur a donné naissance . *

En d'autres termes, un tel septénaire est formé de l'unité et du sénaire, l'unité correspondant au principe non-manifesté et le sénaire à l'ensemble de la manifestation.."

Et l'auteur de conclure  :  " De même que le point n'est pas affecté par le déploiement de l'espace, bien qu'il semble sortir de lui-même pouir en décrire les six directions, ni la lumière blanche par l'irradiation de l'arc-en-ciel, bien qu'elle semble s'y diviser pour en former les six couleurs, de même le Principe non-manifesté , sans lequel la manifestation ne saurait être en aucune façon, tout en paraissant agir et s'exprimer dans l'"oeuvre des six jours", n'est pourtant aucunement affecté par cette manifestation ; et le "septième rayon" est la "Voie" par laquelle l'être, ayant parcouru le cycle de la manifestation, revient au non-manifesté et est uni effectivement au Principe, dont cependant, dans la manifestation même, il n'a jamais été séparé qu'en mode illusoire".

 
* La même remarque s'applique aux quatre éléments issus de la Quintessence alchimique.
Cet Ether central , prototype du monde corporel, est donc en réalité la Prime Essence , d'où son nom grec de Protée.
Tout ceci rappellera au lecteur la fameuse expérience par laquelle  Newton décompose la lumière solaire grâce au prisme, et la recompose par la rotation du disque multicolore qui porte son nom.

 

On peut tirer de là une remarque portant sur ce que Guénon lui-même nomme les "déterminations qualitatives " de l'espace et du temps.
Ces deux conditions, loin d'être homogènes, comme Descartes imaginait son "étendue", diffèrent au contraire dans toutes leurs "parties". C'est ce que signifie  la différenciation des couleurs qui représentent les divers "contenus" de la  couleur  blanche.

Bien entendu, au sens strict du terme, le Blanc n'est pas plus une couleur que l'Unité n'est un nombre. Dans les deux cas, il s'agit de principes immédiats, antérieurs à
leur diversification. *

Les couleurs sont naturellement en nombre indéfini, puisqu'on peut y  distinguer un nombre illimité de nuances secondaires. **

Quant à l'opposition du blanc et du noir, elle n'est qu'une pure illusion.

Là où la lumière blanche figure l'Etre, le noir serait l'image du néant, si celui-ci pouvait avoir la moindre existence. Mais le néant se définit comme ce qui n'est pas. C'est un zéro, au sens élémentaire du terme. Or le noir existe bel et bien, et il présente même un symbolisme complexe.

 

*  Dans la gamme musicale pythagoricienne, ce principe est la tonique , qui est l'analogue du nombre Un et de la "couleur" blanche. Le terme même de "tonique" évoque la tension  ( gr. tonos , de teinô : tendre  )d'où résulte à la vibration physique, et dont l' hypoténuse est l'expression géométrique. De même que la lumière mesure l'espace, le son mesure le temps.  L'Unité contient une indéfinité de nombres, le Point central de la sphère, une indéfinité de rayons. On peut en déduire que chaque créature individuelle a sa "fréquence" propre, et donc une colorations  qui, de même que son nom (attribut sonore ), n'appartient qu'à elle.
**  On dit bien indéfini,  puisque le cercle des couleurs est refermé sur lui-même. Les radiations non visibles n'y ont donc pas leur place. Elles ne sont d'ailleurs pas "à l'échelle humaine", même si d'autres vivants les perçoivent très bien.

 

Au premier degré, il figure le relatif "Chaos" de la Substance cosmique, cet indéfini ( en grec  apeiron  ) dans lequel l'esprit humain  sombrerait, sans l'aide de la droite raison  dont la fonction est d'y mettre de l'ordre *

Dans ce cas, le noir n'est que l'ombre du Soleil de la Connaissance. Et cette ombre est bien réelle, quoique d'une réalité relative. Elle n'a en effet aucune existence propre, puisqu'elle n'est que l'envers  de la Lumière ontologique, seule pleinement réelle. ** 

Il est évidemment impossible de détailler tous les effets de ce symbolisme cosmologique, qui s'applique notamment aux relations unissant la science des Nombres à celle des mythes. ***

C'est là un nouvel aspect de la complémentarité unissant Apollon et Pallas. Le Dieu solaire incarne l'Unité centrale et sa lumière blanche, alors qu'Athèna, sous ses innombrables "avatars", en assure la diffraction colorée. ****

 

* Cf. la devise  Ordo ab chao . Rappelons qu’il  existe aussi un autre "Chaos", c'est l'Abîme de la Possibilité Universelle, c'est à dire l'Infini, encore nommé "Zéro métaphysique" du fait qu'il est antérieur à toute détermination, et qu'on ne peut donc en parler qu'en termes négatifs.
**  On reconnaît les rapports définis par Aristote entre la "science" et l'Intellect premier, qui sont aussi ceux d'Athèna, en tant que Raison, avec Apollon.
*** Athèna gouverne le monde subtil (lunaire), domaine d'Hermès, et à un moindre titre d'Iris (l'arc-en-ciel.)  Ces deux divinités sont "messagères" : Elles évoluent en effet dans le "monde intermédiaire" qui sépare (et unit ) notre monde et celui des Dieux. Mais Hermès transmet les messages de Jupiter, l'Unité Suprême), alors qu'Iris est messagère d'Hèra (Junon), qui  figure la Dualité ( i.e. la polarisation universelle). C'est pourquoi Hermès ne descend jamais sur la terre que par son  pôle immaculé, que personnifie le géant Atlas.  Celui-ci  " soutient le Ciel par son sommet, et ses épaules sont couvertes de neige" ( Enéide  IV, 238-251).Voilà pour la couleur blanche. Quant à l'arc-en-ciel d'Iris, il ne demande pas d'autre explication. Il figure la multiplicité engendrée par Hèra (Junon), qui est d'ailleurs brouillée avec tout le monde. Peut-être n'est-ce pas un hasard si l'anagramme d'Hèra évoque Arès, le Dieu de la guerre…Et comme si les chatoiements d'Iris ne lui suffisaient pas, Hèra a le paon pour animal favori .…
**** Curieusement, le grec mythologia  associeles deux aspects du langage qui paraissent les plus opposés , à savoir la fable ( muthos  ) et la logique ( logos  )…
Le Logos  est en effet le langage le plus clair qui soit, en particulier sous la forme des Nombres, alors que le Mythos  dissimule son sens profond sous des voiles changeants qui en sont le commentaire "muet".

 

Le chapitre suivant montrera en quels termes Virgile, le plus grand des mythologues, dépeint l'Unité polaire et sa dispersion créatrice. S'agissant du mythe le plus central qui soit, il était logique :

1) de le placer au Pôle même du microcosme qu'est son Enéide. *

2) De voiler ce "lieu" ultra-sensible sous une affabulation d'allure fantaisiste, voire extravagante..**

On sait qu’en règle générale, ce sont les mythes les plus bizarres qui dissimulent les contenus les plus élevés et les mystères littéralement cruciaux.  ***

Mais venons-en à ce personnage central de l'Enéide qu'est le Dieu Picus..

Si son étrangeté rebutait le lecteur, ce serait grand dommage, car jamais les ruses d'Athèna n'ont caché plus de sagesse sous autant de fantaisie.

 

* C'est à dire au centre mathématique des 9900 vers de l'oeuvre, au début du Chant Sept.
**  Comme dit le Pythagoricien Porphyre ; " La description étant pleine de telles obscurités, il faut en conclure que ce n'est point une fable imaginée au hasard et pour le simple plaisir de l'esprit (…) Mais il faut y voir une allégorie  du poète (…)
 Le grec Allègoreuein  signifie "dire quelque chose en de tout autres termes". Etant donné l'importance de cette pratique, nous y reviendrons plus en détail.
*** Comme chez Virgile , dans son  portrait baroque du Dieu Protée ( l'énigmatique Quintessence), ou chez Dante, quand il symbolise le mystère des Deux Natures  par la figure du Griffon, le "monstre double".

 

 

CH. XVII        PICUS, UN DRÔLE D'OISEAU


Pour que nul n'en ignore - s'il est tant soit peu initié -  Virgile commence par installer dans son Paradis central un décor polaire si pléthorique qu'il a des allures de bric-à-brac.

C'est que nous sommes là à l'origine du temps et de l'espace, en un point qui doit donc réunir, à l'état virtuel ("en germe"), toutes les possibilités manifestables, à commencer par leurs premières conditions.

Les débuts du temps y sont rappelés par les effigies de Saturne (l'âge d'or) et de Janus (la porte de l'année), suivis de tous les rois, ab origine. Quant à l'espace, il est symbolisé par les armes d'Athèna, lance et bouclier, représentant respectivement le Pôle céleste et l'univers manifesté (la "Roue des choses" ). *

C'est dans ce décor baroque qu'on voit trôner Picus, vêtu du manteau rayé des augures ( la  Trabea  ** ).. Dans sa main droite, le sceptre rituel ( lituus  ), dans la gauche, le bouclier sacré ( ancile ), tombé du ciel.


* C'est donc à ce modèle polaire que se rapportent tous les objets cités à la suite. "Quantité d'armes  (i.e. boucliers), de chars, (les roues), de haches incurvées , sans oublier les épieux ( spicula  ) et les boucliers ronds  ( clipei  .
Tous ces symboles sont suspendus aux montants des portes sacrées  en compagnie d'énormes clefs ( claustra ). Ce dernier termedésigne tout objet servant à fermer, à bloquer, tel que la clé (clavis ), le clou (clavus ), la barre de porte ou épar (clava ).
Tout ce qui tient aux portes est consacré à Janus, qui vient d'ailleurs d'être cité. Ses deux clés, d'argent et d'or, symbolisent l'accès aux petits et aux Grands Mystères, et sont restées les emblèmes de la papauté. Sur la figure  de Janus, voir Symboles de la Science sacrée, de René  Guénon. Dans les  Fastes  d'Ovide, Janus s'identifie lui-même au Pôle en déclarant : " le droit de faire tourner le monde sur ses"gonds" ( Ius vertendi cardinis  ) n'appartient qu'à moi ". Fonction identique à celle du  Chakravarti  hindou. On perçoit la parenté linguistique du latin  cardo  (litt. "charnière") ou circulus  avec le sanscrit Chakra
( "disque", ou "vertèbre"), et l'identité de vertere   et  Varti .  .
** Cette étoffe fait penser au drapeau impérial japonais (le Soleil levant).. Le latin trabs
( cf. l'archi trave)désigne la poutre , qui rayonne  comme les "travées" du théatre

 

Jusqu'ici, le symbolisme est d'autant plus clair que le nom même du Dieu évoque un axe ( picus = polus  ), et qu'il est censé être fils de Saturne, le Dieu des origines.

Seule la suite  pourrait encore faire croire que Virgile cède aux caprices de la fantaisie .
Nous apprenons en effet que ce vieux roi a été transformé par son épouse Circé, d'un coup de baguette magique, * ( aurea percussum virga  ), en un pivert aux ailes multicolores.

Si extravagant que paraisse d'abord ce mythe, une brève exégèse nous suffira pour écarter tout soupçon de  "délire interprétatif ".

Commençons par Picus.  Son nom est celui du pivert (ou pic-vert), mais il désigne aussi une sorte de génie rustique **, et aussi
l'animal composite appelé Griffon. ***

Il a d'ailleurs trop de talents pour n'être qu'un oiseau ordinaire. En effet, outre qu'il est l'époux de la magicienne, Virgile fait de lui un excellent cavalier ! ****
Et s'il est l' époux  de Circé , c'est que celle-ci figure la Roue  des choses , toujours associée à l'Axe polaire , dont elle manifeste les  sept couleurs. *****

 

* Circé étant fille du soleil, cette baguette d'or est le rayon solaire, cause d'irisation..
Son nom  rappelle le latin  circus  ou circulus  : cercle. On va voir pourquoi..
** Toujours associé à un certain Faunus (étrusque  Faun ), du grec  Phaôn : "l'éblouissant", autre nom du Soleil Apollon.
***  Nous verrons, au chapitre suivant, que Dante a su se souvenir de ce dernier renseignement fourni par Plaute (Aulularia . 701). Le choix populaire de l'oiseau est d'ailleurs judicieux, puisque ce grimpeur-né fait son nid dans le tronc même de l'arbre dont il tire aussi sa nourriture en le frappant du bec à grand fracas, rappelant ainsi  (très modestement), les fulgurations polaires…
**** Un "dompteur de chevaux", épithète réservée aux maîtres en sciences hermétiques.
Virgile l'applique au sanctuaire d'Epidaure, centre de la médecine hippocratique (cf. Géorg. III, 44 : épisode central de l'oeuvre ).Le nom même d'Hippocrate signifie d'ailleurs littéralement "dompteur de chevaux". Le cheval est un symbole classique des énergies psychiques (cf Pégase, les Centaures etc.), mises en œuvre par la médecine spagyrique. " Dompter les chevaux" ( en latin  temperare equis ), c'est "tempérer" (équilibrer) la course sauvage d'un quadrige dont les quatre coursiers sont les quatre "tempéraments" ( nous sommes ici au vers 44…)  Ceux-ci sont issus des quatre  éléments alchimiques, dont la synthèse, l'équilibre central, définit la "Quinte essence" et lui vaut donc le nom de "Santé".
***** On retrouve ici une fois de plus, mais dans le seul monde subtil (ou intermédiaire), les deux aspects du Logos universel symbolisés par l'Unité et le Septénaire .

 

Circé  est magicienne, comme Maia  ( la mère d’Hermès) ; elle est la Tisserande qui crée de toutes pièces l'illusion cosmique, figurée par ses  toiles merveilleuses *
C'est cette "illusionniste" qui tient sous sa coupe le commun des hommes (les compagnons d'Ulysse ), métamorphosés en "porcs d'Epicure" ou en bêtes fauves
Seul le héros peut échapper à ses sortilèges, en suivant la "Voie Droite", en grec Odos, d'où le nom d'Odysseus  (Ulysse).

Enée en fait d'ailleurs tout autant.

Sitôt finie sa traversée initiatique des Enfers, il se retrouve dans l'axe des deux Portes célestes (En.  VI, 893-898). C'est l'occasion pour lui de quitter le monde sublunaire et d'avoir accès au domaine de Picus, c'est à dire au "Paradis terrestre". situé sur la montagne polaire.**

Tout cela n'a pu se faire sans l'appui bienveillant de la Lune (Pallas) qui éclaire toute la scène, bientôt relayée par l'Astre du jour.

Ainsi, le héros échappe "par la tangente" aux périls du règne" sublunaire, pour accéder à la sérénité radieuse d'un royaume de Paix. *** 


* On la retrouve, dans la même fonction, et sous le même nom de  Mâyâ dans l'hindouisme. Virgile nus la montre: " faisant habilement glisser le peigne sur ses toiles arachnéennes" ((En. VII, 14).  Le nom grec de la navette est d'ailleurs Kerkis., et les lecteurs de Virgile, tous hellénisés, ne pouvaient donc manquer de voir en. Kiirkè  une soeur d'Arachnè et d'Ariane ( autres noms de Pallas, qui patronnait les artisanats ).
** Enéide, VII,178-179, vers centraux..Ceci  représente, comme chez Dante, le terme des petits Mystères. Le temple polaire s'élève sur cent colonnes, nombre indicateur du monde subtil (psychique). 
*** Ibid., VII, 10 : " On rase de près, à la toucher, l'île de Circé. (Raduntur  proxima litora ).

 

Faute de pouvoir lui donner un sens littéral, on ne peut adopter devant cet épisode virgilien que deux attitudes.

Ou bien on observe le silence prudent des philologues *, où bien on reconnaît la fable pour ce qu'elle est, et on essaie d'en traduire le langage spécial.. Mais celui-ci, , comme on a déjà eu l'occasion de le constater, constitue une "algèbre" ** complexe, dont les règles sont aujourd'hui largement oubliées, et qu'il faut réapprendre patiemment.

Heureusement, ce code étant universel , est commun à toutes les cultures traditionnelles, et le meilleur moyen d'en percer les secrets est donc de comparer celles-ci entre elles. ***

Il faut dire que Virgile n'est même pas  particulièrement obscur en l'occurrence, du moins si on le compare à son meilleur élève, Dante, qui utilise à fond l'aptitude médiévale à manier les images. ****

Voici donc un texte de la Divine Comédie, qu’un lecteur moderne trouvera sans doute – du moins au premier abord – passablement tiré par les cheveux .

C’est qu'à cette époque on ne s’exprimait pas tout à fait comme nous, et qu'en plus, ce texte ne s’adressait pas à tout le monde.

Que le lecteur veuille donc bien s’armer de courage, pour méditer devant le Miroir hermétique.


* Qui peut aussi se changer en platitudes. Par exemple, dans le cas qui nous occupe,
on apprend que " la contrée d'Epidaure était spécialement réputée pour ses haras ", ce qui
 n'a même pas la moindre réalité historique…
** On reprend l'image utilisée par Fabre d'Olivet. Cf. op. cit.
*** C'est un peu ce que fait la "grammaire comparée", mais à sa façon profane et donc assez superficielle.
**** L’opposition classique de  Mythos  et de  Logos  a entraîné une masse de considérations plus ou moins intéressantes, qui ne résistent pas toutes à un brin d’étymologie. Le  Logos  (qui est en métaphysique le  Lien  Universe l ( le Verbe Médiateur)  évoque , sur un plan  moins transcendant, le lien logique qui fonde le langage articulé. Le  Mythe ( du grec muô : fermer la bouche) concerne toutes les expressions non-verbales : images, gestes (rituels) etc

 

 

CH. XVIII    LE GRIFFON, OU LA DOUBLE NATURE

                      
           " Comme le soleil en un miroir, point autrement
           le fier animal à la double nature y rayonnait, réfléchi
           tour à tour avec tels de ses attributs ou avec tels autres.

           Pense, lecteur, si je m'émerveillais,       
           en voyant l'objet rester immuable en soi
           tout en se transmuant en son reflet". *

Une telle "allégorie" semble strictement théologique, puisque le Griffon, ce double animal , en qui l'on s'accorde à voir la figure du Christ, est attelé au char de son Eglise.

Elle concorde pourtant en tous points avec le symbolisme numérique (et donc métaphysique). Tâchons donc d'expliquer en ce sens le rebus  de notre grand initié.    

L'animal à la double nature , c'est le Logos-Un, dont le "dédoublement" dans le miroir manifeste (extériorise) les qualités particulières, qui sont ses attributs.** 

*               "Come in lo specchio sol, non altrimenti
               la doppia fiera  dentro vi raggiava
               or con altri, or con altri  reggimenti .

               Pensa, lettor, s'io mi maravigliava,
               quando vedea  la cosa in se star queta
               e nell'idolo suo si trasmutava."  ( Purgatorio, XXXI, 121 sq. ).

**  Interprétation confirmée par Dante lui-même ( Paradiso XXIX, 142 sq.), à propos de l'Eternel Pouvoir  (i.e. le Verbe )  … che tanti  / speculi fatti s'ha in che si spezza/ uno manendo in se come davanti . (" Qui s'est fait d'innombrables  miroirs en lesquels il s'observe, sans cesser d'être un et immuable en Soi, comme à l'origine".). Cette image des multiples "facettes" en laquelle se reflète l'Unité transcendante est répandue dans l'Islam et  dans la Kabbale. 

 

En d'autres termes, l'Unité ne "produit" les nombres qui constituent son "contenu" qu'en se réfléchissant en face d'Elle-même. *

La figure du griffon , un mixte  d'aigle et de lion, était familière aux lecteurs de l'époque. **
Or cette figure sort tout droit de l'imagerie pythagoricienne. ***

Elle se double en outre d'une signification alchimique, habilement voilée, mais qui était parfaitement claire pour les initiés.

L'attention est attirée sur ce point par le choix du verbe trasmutar  pour évoquer les transformation qui s'opèrent au sein du reflet, tout en laissant immuable l'Unité originelle.

Et cela est en rapport étroit avec le but ultime de l’alchimie spirituelle, qui est  l’Union des contraires .

A cet égard, l'opération par laquelle le Verbe "sacrifie" son Unité
pour produire la manifestation **** - comme dans son incarnation -  est inversement analogue au processus de réalisation  par lequel l'initié sacrifie son individualité ( i.e. sa participation au multiple) à l'Unité de la Personne "commune à tous".


* D’où la formule d’Aristote :  Noèsis  Noèséôs  ( Pensée d’une Pensée ). Dans le symbolisme arithmétique, cela correspond à la répétition de l'unité initiale dans la série de Fibonacci . Les deux unités qui commencent cette série n'ont en effet pas le même statut. Seule la seconde appartient à la série des nombres qu'elle produit par addition, et est donc immanente à cette multiplicité, alors que la première lui est transcendante. Mystère que Dante souligne en ces termes  : "Encore me faudrait-il apprendre comment le modèle et sa copie ne sont pas de même nature, car c'est en vain que je cherche à le comprendre .(Dante, Paradiso, XXVIII, 55 sq.).
** Ces deux animaux solaires conviennent à un symbole du Verbe et sont en outre les emblèmes.des évangélistes Jean et Marc.
***  Les griffons étaient censés vivre en Hyperborée, "extrémité de la terre" et patrie mythique des Pythagoriciens. Chez Virgile (où Dante l'a découvert), ce Griffon est le dieu Picus, qui siège naturellement au Pôle de l'Enéide. ( VII, 189).
**** Ce sacrifice est figuré par le "démembrement" d'Osiris, ou celui du  Purusha  hindou
.


Or, ce but ultime de l'initiation,  Dante l'a appelé trasumanar, ("sortir de la condition humaine"), ce qui  s'assimile à une désincarnation. *
L'assonance des deux termes  trasmutar   et  trasumanar  est donc là pour souligner la complémentarité des deux opérations. *

Tout cela peut nous paraître bien compliqué, mais Dante nous a prévenu lui-même que son oeuvre comportait quatre sens superposés, dont le plus élevé est le sens anagogique, c'est à dire métaphysique. *

Les commentateurs modernes s'en tiennent généralement au sens éthique, relativement obvie, mais qui en appelle trop vite au mystère.

Car le seul vrai Mystère, c'est l'origine même de l'univers.

En effet,  s'il est possible de concevoir, avec l'appui du symbole, comment l'Unité ontologique a pu donner naissance à la multiplicité de l'existence, il est impossible à la seule raison humaine de remonter jusqu'à cette source.

Nous allons voir maintenant comment dans un contexte tout différent, , sont conçus les rapports de l'Unité et du multiple, et cela, une fois de plus, sous le forme du Pilier cosmique.


Paradiso, I, 70  : Trasumanar significar per verba /  non si poria  … ( "ce  dépassement de l'humain   ne pourrait s'exprimer en paroles" ). En effet, le discours ne peut nous faire sortir du domaine rationnel. Et elle n'est pas la seule à donner à ce passage son sens hermétique. En effet, la fiera doppia   (le "fauve double")est appelée plus loin cosa , terme étrange pour désigner le Logos , à moins de se souvenir que  l'italien cosa  provient du latin causa , ce qui convient en effet à la Cause Première. Mais il y a plus. Le latin causa  (en français : chose ) a fini par remplacer le terme classique res  pour désigner toute espèce de réalité.Cette cosa doppia   se traduit donc en latin res bina ,  ce qui est une allusion très précise au Rebis  ( l'androgyne alchimique). Sur toutes ces questions, voir L'ésotérisme de Dante, de René Guénon. (N.R.F., Tradition ). Celui-ci a bien précisé que pour le métaphysicien, la tradition, dans son essence profonde, n'a pas à être conçue sous le mode spécifiquement religieux, qui n'est après tout qu'une affaire d'adaptation aux conditions de la mentalité générale et moyenne (cf.. Introduction aux Doctrines Hindoues ). Cela s'applique évidemment aux prétendues  hérésies  de Dante.

 

 

CH. XIX       LE PILIER COSMIQUE AUX INDES


Pour mettre en lumière l'universalité du symbolisme polaire, voyons quels sont, cette fois dans l’hindouisme, les équivalents des symboles axiaux examinés jusqu'ici.

L' identité  entre leur Pilier cosmique, le  "Skhamba", tel qu'il est décrit dans les Védas *, et les formes qu'il a prises chez nous, saute aux yeux. Tous les éléments de ces mythes concordent parfaitement, en dépit de leur éloignement dans le temps et dans l'espace.

Dans les hymnes , Narayana **, le Maître Tisserand qui élabore tout l'univers avec le fil divin ( tanthu ) qu'est sa Loi unique, est assimilé à ce Skhamba, qui soutient le monde en maintenant les six directions de l'espace dans un équilibre parfait.

" Ce  Pilier où tendent les directions de l'espace, dis-moi, quel est-il donc ? Lui sur lequel s'appuie  Prajâpati *** pour soutenir tous les mondes . Lui en qui les hommes connaissent ces mondes et leurs origines, en qui sont à la fois le Non-Etre et l’Etre…

Lui en qui la Terre, le domaine aérien et le Ciel  ****sont assujettis, en qui sont fixés le feu originel, la lune , le soleil et le vent, sur les membres duquel sont concentrés les trente-trois Dieux  *****, ce Pilier, dis-moi, qui donc est-il  ?


* Cf. par exemple  Atharva Veda, X, 7, 1-44.
** C'est un des noms du Dieu solaire Vishnou : "Celui qui marche sur les Eaux", ce qui rappelle le symbolisme biblique menant aux six phases" ("jours" ou "directions") de la Création. On prête aussi à Vishnou les"trois pas" ayant manifesté les trois dimensions de l'espace, et donc ses six directions. On voit que Narayana combine le "mesure" du Dieu géomètre Apollon, les "Arts"  de la Tisserande Pallas.
***  Le "Père des êtres créés".
**** Les "Trois Mondes", où l'air figure le domaine intermédaire de l'Ether subtil. Le Pôle est leur "fixation", au sens littéral du latin  Firmamentum . En Egypte, c'est le Dieu Shou qui joue le rôle d'élément aérien ( psychique), intermédiaire entre le Ciel ( Nout) et la Terre ( Gèb), ce qui était aussi la fonction d'Hermès..Les deux Dieux sont d'ailleurs "ailés", l'un et l'autre .
***** Chacun présidant à un étage ( Chakra  ) de l'Axe cosmique qui a donc, tout comme  notre épine dorsale, trente-trois vertèbres.

 
Et en effet, qui donc est-il, ce Pilier ?

Puisque tout le monde se pose des questions à son sujet, c'est bien qu'il constitue le mystère majeur de la manifestation.

Nous allons voir maintenant comment l'hermétisme occidental nous le représente dans une œuvre qui peut être tenue, avec celle de Dante, sans oublier les cathédrales, comme constituant le testament de l'ésotérisme chrétien médiéval.

Ici encore, seule l'équation "algébrique" a changé de forme.

Le contenu doctrinal, qu'elle dissimule plus soigneusement que partout ailleurs, n'en est pas moins identique.

 

 

CH. XX          L'AGNEAU "MYSTIQUE" :


UN PALLADIUM HERMÉTIQUE

Comme il arrive souvent aux chefs-d'oeuvre les plus transcendants, ce tableau nous est parvenu intact comme par miracle, du moins pour l'essentiel. *
Il a donc dû bénéficier d'une protection particulière, qui n’a pu être que d’ordre  ésotérique. .

C’est pourquoi son panneau central est dissimulé par les autres aussi longtemps que le polyptyque est replié sur lui-même.
Ce panneau intérieur représente ainsi un degré de réalité plus profond que celui des autres figures, dont le sens est simplement "théologique".

Ceci répond à la distinction entre exotérisme et ésotérisme, la partie la plus extérieurede l'oeuvre servant de "couverture" à sa "moelle" initiatique.
Et ce "voilement" matériel symbolise déjà l'énigme  qui est au coeur de l'oeuvre, et de tout le christianisme.
 
On va voir qu'à moins d'appliquer jusqu'au bout la loi d'analogie, cette scène apocalyptique reste inexplicable, alors même que rien ne peut y être arbitraire, le tableau ayant manifestement valeur "canonique".

Il manque en effet dans ce panneau central un personnage essentiel, en la personne de la Vierge, qui semble bizarrement exclue de cette"Communion des Saints", alors qu'elle est, en tant que  Sedes Sapientiae , la pierre fondamentale de l'Eglise, et l'objet d'un culte sans égal.

Cette absence est donc littéralement stupéfiante; et sa seule explication, nous allons le voir, réside dans l'hermétisme de l'oeuvre.
 

* La disparition rocambolesque des "Juges intègres" passe pour un fait divers. Mais rien n'est simple en l'occurrence, et on ferait peut-être mieux d'y voir un signe des temps…

 

C'est que la volonté d'effacement de Marie n'est pas moindre que celle d'Athèna, même si elle a pris chez nous le nom d'humilité. *

La Mère de l'Agneau, Elle aussi, fait appel à la ruse pour se voiler. Ruse bien innocente, mais qui n'en trompe pas moins tous ceux qui, experts  compris, ont des yeux pour ne pas voir.

Qui nous a lu jusqu'ici avec attention ne devrait pourtant pas s'y laisser prendre, moyennant l'avertissement qui suit.

On sait que le moyen idéal de dissimuler à la foule une vérité majeure  est de la placer à l'avant-plan, en pleine lumière, et en l'exagérant même, si possible. Bref, de nous la "mettre sous le nez" avec tant d'insistance qu'elle en devient invisible. **

Reprenons notre observation du tableau, dont le symbolisme apocalyptique est assez évident, du moins en ce qui concerne la personne du Christ. En effet, Celui-ci, contrairement à tous les saints, n'est pas représenté sous la forme humaine.
Mais cela n'empêche personne de le reconnaître dans la métaphore  de l'Agneau. ***

Car ce n'est pas la personne humaine du Christ qui importe ici, mais le Principe qu'elle représente, et qui peut aussi bien s'incarner dans un autre objet, tel qu'un livre, ou même un animal.

Maintenant, pourquoi ce symbolisme radical, une fois admis, ne s'appliquerait-il pas aussi à la forme féminine du Logos ?

La Vierge doit donc se trouver quelque part dans le tableau, mais forcément sous une forme aussi métaphorique que celle de l'Agneau.

 

* Le latin  humilis  signifie "près du sol" ( humus  ), ce qui convient à la fonction terrestre  ("immanente") de la  Shekinah .
** C'est l'ingénieux procédé exposé par Edgar Poe dans sa nouvelle  La lettre volée, et qu'on qualifie parfois de "manteau de lumière".
*** Par cet artifice, le peintre reconnaît l'impossibilité de donner de la Divinité une image adéquate, et rejette délibérément l'anthropomorphisme ordinaire.

 Vu sa fonction essentielle, et malgré son extrême humilité, elle n'y est certainement pas reléguée dans un coin…

Or quelle image, en plein coeur du polyptyque, y occupe une place littéralement "exorbitante" ?

C'est une fontaine dont l'emplacement et la taille excluent tout rôle simplement décoratif, et qui doit doncforcément être aussi "mystique" que l'image de l'Agneau.

On sait que celui-ci figure l'aspect masculin et actif du Verbe (le Logos ), présenté comme principe igné ou solaire. *

La Fontaine sacrée en représente donc le complément féminin (lunaire) dont on a vu qu'il est lié au monde des Eaux. **
Son emplacement, au pied de l'Axe cosmique, est  d'ailleurs traditionnellement celui réservé à la Vierge, en tant que Trône de Sagesse, et à Elle seule.

 

*  Dans la tradition hindoue, le Principe igné à l'origine de l'univers est Agni , terme identique au latin ignis  (le feu). Or le véhicule de ce Dieu est un bélier. On laisse le lecteur faire les rapprochements qui s'imposent. Bien entendu, l'unité essentielle (androgynique) des deux formes du Logos implique que chacune participe à l'élément opposé". C'et ainsi que l'Agneau est souvent figuré à la source des quatre fleuves, comme la Quintessence alchimique se trouve au centre des quatre éléments manifestés. D'autre part, l'eau de la "Fontaine de Jouvence" se présente comme un liquide igné. En témoignent ces vers de Chrétien de Troyes:  " La fontaine verras qui bout, quoique plus froide que le marbre.  Ombre lui fait le plus bel arbre que jamais sut faire nature "… Cet arbre, décrit  plus loin comme fulgurant, représente couramment l' Axis  Mundi ,et il  existe même des figurations qui en font un exact équivalent de notre fontaine, puisque les cerfs viennent s'abreuver à son pied. : Sicut cervus ad fontes aquarum.
**  Dans la symbolique des alchimistes, c est le soufre qui est le principe actif (igné), avec sa couleur d'or, alors que le mercure représente l'élément passif (aqueux), d'où son nom de "vif argent". On trouve d'ailleurs, dans l'abondante iconographie alchimique, des figurations de la "Fontaine mercurielle" qui sont la réplique saisissante de notre Fontaine mystique.

 

LA  FONTAINE  MERCURIELLE   (gravure hermétique)

La fontaine est en position polaire, sous l’étoile et les deux Ourses, et entre soleil et lune. Les deux formes spiralées  qui l’encadrent évoquent , par leur apparence nuageuse, la nature subtile des serpents du Caducée, Malgré quelques différences de détail, la parenté avec la fontaine de Van Eyck saute aux yeux.

Voyons maintenant quel rôle les Nombres jouent dans le tableau

Il est reconnu que le Nombre 8 y est très présent, notamment dans la répartition des groupes de personnages. Plus important, la margelle de la fontaine est un octogone (comme d'ailleurs tous les fonts baptismaux *).

Cette parfaite visibilité de l'Ogdoade s'accorde avec le fait qu'elle figure la "Communion des Saints "** , très présente dans le tableau. Mais une margelle, comme le dit son nom, n'est que marginale . Et la géométrie nous dit que la périphérie n'a d'existence que par le centre dont elle est issue.

Conclusion : on a perdu de vue tout l'essentiel, qui tient ici dans le Nombre Sept, depuis toujours inséparable de la Vierge Universelle. Et ce Septénaire, tout en étant fort discret (comme tout ce qui est d'ordre causal), est ici dominant.

Une fois opérée la "reconnaissance" de ce paradoxe central, tout ce qui suit en découle, si l'on peut dire, de façon parfaitement claire.

Rappelons d'abord que la Vierge est étroitement liée au symbolisme des Eaux. Elle est d'ailleurs Fons Amoris  et Stella  Maris  ( Etoile de la Mer) , ce qui unit symbolisme aquatique et polaire. ***

Mais observons la fontaine sacrée de plus près.


* Ou le baptistère tout entier, comme à Florence. Cette structure octogonale a "dirigé" tout le tracé du tableau.
**   Pour les Pythagoriciens, 8 et le nombre de l'Harmonie, notamment sociale.
*** De même, la parèdre d'Agni   ( sa  Shakti  ), est Tara ("l'Etoile" ) ,


Elle occupe l'axe médian du tableau, s'identifiant ainsi à
l' Axis Mundi .
Cet axe, qui se prolonge jusqu'au sommet du tableau, est survolé par la Colombe de l'Esprit, figurant " le plus haut des Cieux", alors que sa base plonge jusqu'au fond des Enfers. *

L'enfer est d'ailleurs bien présent lui aussi, sous la forme, trop négligée, du diablotin qui, à la base de la fontaine, lui sert de déversoir. Malheureusement pour lui, le pauvret a beau  en recracher l'eau bénite à

pleine gueule, il n'est pas de taille à vider l'énorme vasque. **
Car celle-ci est alimentée en permanence par le haut, ce qui nous amène à observer de plus près les bouches (ou "griffons") d'où émane une surabondance de grâces ***, à savoir les "Sept dons du Saint-Esprit", lesquels sont liés aux "sept Mystères virginaux."  ***
Et ce Septénaire se retrouve, de façon plus visible encore, sur la colonne de la fontaine, laquelle ne diffère donc en rien des divers piliers attribués partout à la Grande Déesse..

Cette colonne doit compter en effet sept étages entre sa base et le niveau de ses "sources". ****

 
* Comme dans toute cosmogonie, le feu de l'Esprit  plane sur les Eaux La colonne qu'est la Fontaine mercurielle rappelle ainsi le  Pilar ret le cierge pascal. Mais elle descend plus bas que le niveau terrestre, jusqu'au "tréfond d'enfer", qui est glacé, à l'extrême opposé du Feu divin.
** Avec un humour très médiéval, le peintre nous propose ainsi un classique" problème de robinets"..
***  Cette Fontaine a donc tout de la Cornucopia  ( "Corne d'abondance").
**** Ces Dons sont aussi figurés par des langues de feu. **** En y ajoutant les trois étages supérieurs, on arrive à la Décade, qui peut se référer à la Tétraktys pythagoricienne aussi bien qu'aux dix Sephiroth  de la Kabbale. La première est d'ailleurs définie comme "racine et source de la Nature", alors que les Sephiroth  se présentent comme des "canaux". L'"émanation" de l'Esprit (du latin manare ) est un "écoulement"..L'archange  qui surmonte la fontaine rappelle  la figure ailée surmontant le Palladium de Minerve.

 

On a ainsi restitué au Septénaire la place principielle qui est la sienne, au coeur de l'Ogdoade ecclésiale. *

Cette façon d'évoquer l'action centrale, mais invisible de l'Esprit sur la société des hommes se retrouve dans les temples de l'antiquité, et en particulier dans les principaux sanctuaires de la Déesse Mère que sont le Parthénon d'Athènes et le Panthéon romain.

Leur plan illustre en effet de multiples façons les rapports du Sept et du Huit.**

Faisons un nouvel effort de "traduction", qui porte sur les apparences les plus immédiates de ces deux temples de Pallas.

L'un et l'autre ont pour façade une rangée de huit colonnes encadrant donc sept "portes". Le nombre 8 affecté aux colonnes qui supportent visiblement le temple est aussi celui des "piliers" de l'Eglise, ces huit groupes de saints qui peuplent le tableau, alors qu'en leur centre trône invisiblement la Vierge, parèdre ("épouse") de l'Esprit dont la Colombe survole toute la scène.

La parfaite discrétion de la fontaine est donc ici analogue au "vide" septénaire des portes séparant les huit colonnes du Temple antique..*****

 

* Le Principe est naturellement Un, mais on a retenu que le Sept était un substitut naturel de  l'Unité. Le Nombre huit et l’octogone symbolisent le monde psychique, qui est le terrain naturel de l’exotérisme religieux..
**  Voir  Les Mystère du Panthéon Romain.
*** Et de , la Vierge, sa parèdre.
**** La supériorité du "vide" sur le "plein", c'est à dire de l'Esprit - et de la Vierge, sa parèdre - sur la manifestation, ressort du fait que chacune des portes a une surface double de celle des colonnes.  Dans le cas du Panthéon, le module des colonnes est 3, et celui des "portes", 6. Le total des colonnes vaut donc 24 ( 8 fois 3), et celui des portes 42 (7 fois 6).
Ces deux totaux "en miroir" symbolisent l'inversion qui est de règle quand on passe d'un niveau de manifestation à un autre, et ici du domaine subtil à celui de la métaphysique.
***** La Vierge est "Ianua Caeli", et le Christ a dit de lui-même 'Je suis la Porte".

  

Cette  profonde continuité de deux traditions si diverses en apparence ne peut évidemment s'affirmer que dans un contexte initiatique, c'est à dire avec la plus grande discrétion.

Et c'est précisément le cas de la tradition hermétique, intégrée dans l'ésotérisme chrétien, et dont la chaîne ne s'est jamais rompue, même si son "vocabulaire" est devenu de plus en plus impénétrable aux approches de la "modernité". *
                                                                                                                                                                                                                                         Il existe heureusement dans le tableau un personnage qui s'en porte garant, en incarnant la Sophia Perennis.

C'est Virgile, qui y figure à l'avant-plan, mis en évidence par le grand manteau blanc, habit distinctif des Pythagoriciens, puis des Templiers cisterciens. **

Ce païen  revêt ainsi dans le christianisme une fonction de Médiateur, littéralement canonique, comme l'’est celle des Sibylles ***, également présentes dans les panneaux latéraux, à égalité avec deux prophètes hébreux.. La vraie raison de la présence du poète tient dans sa fonction de " Vates ", prophète chargé de transmettre à l'Occident les doctrines "hyperboréennes" - c'est à dire primordiales - conservées notamment par le pythagorisme historique. ****

Et comme le montre notre tableau, c'est lui qui incarne le lien assurant la secrète continuité des deux traditions, et en constitue le "Chaînon manquant".

 

* A cet égard, les manuscrits alchimiques étaient devenus, depuis la Renaissance, de vrais grimoires, à côté desquels le symbolisme que nous étudions ici est l'enfance de l'art..
** Voués comme lui à la Grande Déesse.
*** A la suite de la quatrième Bucolique, on appliquait les prédictions de ces prêtresses à la venue du Messie.
**** Cf. Annexe   Virgile et l'apothéose de Pallas.


Mais avant d'en venir à ce point, une dernière question se pose à propos du peintre van Eyck, dont on vient de voir qu'il joue lui aussi un rôle  dans la transmission de données extrêmement "pointues".

Etait-il, comme Virgile, pleinement conscient de son rôle de "transmetteur" ?
Ce pouvait être dans le cadre d'une initiation artisanale.
Mais il a aussi bien pu être choisi par une organisation hermétique comme support passif de doctrines qui lui échappaient. *
Citons à ce propos une remarque capitale de René Guénon  **  :

" Dante  ( comme Virgile )écrivait en parfaite connaissance de cause. (…) bien d'autres furent probablement beaucoup moins conscients de ce qu'ils exprimaient, et peut-être certains d'entre eux ne le furent-ils  pas du tout ; mais peu importe au fond, car, s'il y avait derrière eux une organisation initiatique, quelle qu'elle fût d'ailleurs, le danger d'une déformation due à leur incompréhension se trouvait par là même écarté, cette organisation pouvant les guider constamment sans même qu'ils s'en doutent, soit par l'intermédiaire de certains de ses membres leur fournissant les éléments à mettre en oeuvre, soit par des suggestions ou des influences d'un autre genre, plus subtiles et moins "tangibles", mais non moins réelles pour cela ni moins efficaces. ***
On comprendra sans peine que cela n'a rien à voir avec la soi-disant "inspiration" poétique, telle que les modernes l'entendent, et qui n'est en réalité que de l'imagination pure et simple, ni avec la "littérature", au sens profane de ce mot ; et nous ajouterons qu'il ne s'agit pas davantage de "mysticisme"…"

Ce dernier trait vient  très précisément appuyer ce que nous avons dit de la véritable nature de l'Agneau .

* On a montré ailleurs comment cet enseignement a été mis à l'abri pour la postérité par un savant "encodage" dans les deux "monuments" les plus éternels de l'Empire, à savoir l'oeuvre poétique de Virgile et le Panthéon. C'est ici que l'art ou, si l'on veut, la ruse  de la Vierge Divine atteint à la perfection, et par la main de son poète le plus dévoué, véritable Athénagore .
**  Cf.  Symboles de la Science Sacrée , ch. IV.
*** Il n'existe aucune raison pour que ces transmissions plus ou moins "irrégulières" aient cessé tout à fait de se produire, d'autant qu'à notre malheureuse époque elles sont plus nécessaires que jamais…

 

CH. XXI     LES  "NOCES  CHYMIQUES"


Une gravure accompagnant l'ouvrage attribué au mythique Christian Rosenkreutz, nous offre une autre figuration de l'Axe cosmique. Celui-ci est identifié ( comme dans l'Agneau mystique ) par le "survol" de l'Esprit, sous la forme d'une colombe.
Ici, la dualité de ses pôles, au lieu de se situer au sommet et à la base de l'axe, est figurée de part et d'autre de celui-ci, et donc en position horizontale, ce qui pourrait faire croire à un degré d'universalité moindre, puisqu'on se situe ainsi sur un seul plan (terrestre) de la réalité, parmi une indéfinité d'autres possibles. *

Mais l'union indissoluble du Roi et de la Reine, affermie par l'échange des rameaux, * ne laisse aucun doute sur leur identité essentielle, réalisée dans l'unicité du "Pilier" cosmique. **

Ces deux personnages représentent respectivement les principes cosmologiques que nous avons vu incarnés par Pallas et Apollon, alias le Yin et Yang, l'Eau et le Feu, le Mercure et le Soufre alchimiques, la Fontaine et l'Agneau .

 

* Un tel échange d'attributs, qu'on retrouve dans tous les domaines dy symbolisme, porte le nom d'hiérogamie (mariage sacré), terme convenant particulièrement à ces Noces "mystiques".
** Les deux rameaux Yin et Yang, en se croisant surl'Axe polaire (la Voie royale ou Tao), dessinent l' Hexagramme créateur.


NOCES  CHYMIQUES

  

CH.XXII            VIERGE ET  MERE  ?


Les  deux chapitres qui suivent peuvent paraître une simple parenthèse, mais ils apportent des précisions sans lesquelles nos propos risquent de perdre toute vraisemblance. On s'est efforcé jusqu'ici de montrer la continuité essentielle de doctrines passées d'une antiquité immémoriale au christianisme.

On a bien dit continuité essentielle, car sur le plan purement extérieur, les diverses religions * "païennes" et la religion nouvelle semblent se situer aux antipodes les uns des autres. Cette opposition tout extérieure est d'ailleurs une bonne chose, en ce qu'elle empêche les syncrétismes grossiers entre traditions.

En nous voyant assimiler les trois formes de la Grande Déesse que sont Isis, Pallas et la Vierge chrétienne, le lecteur est toutefois en droit de soulever une objection apparemment majeure.

En bref Isis , sœur ou épouse d'Osiris, et mère d'Horus, n'est jamais présentée comme vierge, alors qu'on ne saurait, au contraire, attribuer à Pallas ou à Diane un rôle maternel, vu leur résistance farouche à tous les prétendants possibles. Dans ces deux cas, rien ne choque donc la raison ordinaire.

Mais voilà que la Grande Déesse des Chrétiens est dépeinte comme vierge et mère en même temps, dogme qui, en défiant le gros bon sens, semble exiger une foi aveugle. **
Il doit pourtant bien exister quelque explication à cette apparente absurdité, que l'exotérisme présente comme un mystère à ne pas discuter. La plupart des théologiens évitent d'ailleurs cela soigneusement, sous peine de s'en prendre à ce qui est le cœur même de leur doctrine. Et il font bien, car la solution de ce paradoxe est justement d'ordre ésotérique, un domaine où ils n'ont aucune compétence particulière.


* Nous prenons ce terme au sens large, mais il  ne convient strictement qu'aux traditions d'origine abrahamique.
** On se souvient du mot attribué à St Augustin : "Credo quia absurdum". Faute de voir, le théologien ne peut en effet que croire.


Par contre, on va voir que l'ésotérisme chrétien, du temps où il existait encore, n'y a jamais rien vu d'inaccessible à une raison supérieure.

Commençons par constater que le christianisme, à la différence des doctrines "païennes", professe le monothéisme qui est commun aux trois religions "du Livre". C'est d'ailleurs cette affirmation massive de l'Unicité qui permet à ces religions de se présenter comme intrinsèquement supérieures aux polythéismes anciens ou "exotiques". Mais cette supériorité supposée demande à être relativisée.

Car ce qui apparaît comme évident au niveau exotérique, celui du croyant ordinaire, ne l'est plus du tout si on se place sur un plan plus intérieur. En ce qui nous concerne, cette distinction est d'autant plus nécessaire que le lecteur a pu être choqué de voir accorder le même degré de réalité aux formes d'"incarnation"les plus diverses, dont la plupart sont pourtant tenues aujourd'hui pour des mythes sans consistance autre que "poétique".

Cela découle pourtant du fait que toutes les religions authentiques sont les langages par lesquels l'Esprit *communique avec l'humanité. Or, comment croire qu'un langage humain particulier puisse être absolument supérieur à un autre ?.
Cela peut toutefois être relativement vrai, on veut dire à un certain point de vue, par exemple s'il est mieux adapté aux circonstances, notamment cycliques. **
Cette continuelle adaptation est d'ailleurs, on l'a vu, la règle fondamentale de toute "pédagogie spirituelle".***

A tout autre égard, on doit s'abstenir de prendre pour argent comptant des affirmations comme celle de "peuple élu" ou de "nouveauté radicale" du christianisme, hors duquel (même si on n'ose plus le dire) "il n'y aurait pas de salut".
Car en vérité, il n'y a rien de nouveau sous le Soleil de l'Esprit.

* Seul ce Logos étant le Verbe, au sens absolu du terme.
** Il y a là une illusion comparable à celle qui fait confondre les nombres, qui sont des Idées pures et invariables, avec les chiffres  qui les expriment extérieurement, et sous les formes les plus diverses.
*** Les Pythagoriciens, par exemple, sont tenus de « traduire », chacun dans son propre langage, mais sans en altérer le sensle contenu de leurs doctrines ; Cette souplesse d’esprit, qualifiée de « polytropie » s’opposait ainsi à tout psittacisme,  dénommé évidemment « monotropie ». L’intelligence ne va pas sans une aptitude à s’adapter aux circonstances..


D'où provient alors, dans les "religions du Livre, ce "chauvinisme dévotionnel" ?

1 )  Cela résulte déjà de leurs racines hébraïques. Car l’exotérisme judaïque a un "Dieu jaloux", et se présente comme réservé à une nation, autrement dit à une race particulière et privilégiée, ce qui revient à refuser toute ouverture sur l'extérieur, considéré comme ténébreux. * 

2) Le christianisme, même après son extension paulinienne, s'est longtemps identifié à l'Occident (la "Chrétienté"), confondu de plus en plus, à mesure que se répandait le "néo-paganisme" moderne, avec sa forme de prétendue  civilisation  .
Et la supériorité technique occidentale n'a fait qu'appuyer cette forme d'arrogance, souvent affichée  innocemment par un certain prosélytisme  missionnaire. **

3) Quant à la "nouveauté radicale" du christianisme ***, cette prétention assez récente se fonde naturellement sur le fait de l'incarnation, par laquelle les principes métaphysiques se manifestent sous la forme humaine.

C'est certes là une forme de langage  très originale, comme le signale assez la notion de Verbe , mais qui, répétons-le, n'est pas essentiellement supérieure à toutes les autres.

D'un point de vue purement intellectuel ( ou spirituel  , au sens le plus élevé du terme ), il est en effet indifférent que le Principe se manifeste sous la forme d'un Livre, d'une pierre, ou encore, comme on vient de le voir ( et au coeur même du christianisme ), d'un animal ou d'une fontaine…
De toute manière, cette manifestation ne sera jamais que l'image, souvent délibérément dérisoire, d'une réalité inexprimable.

Et la prendre au pied de la lettre ne sera jamais qu'idolâtrie.


* Cette attitude peut d'ailleurs se défendre dans la pratique d'un exotérisme, à condition de bien voir ce qu'elle a d'essentiellement "borné" .
** Prosélytisme partagé  par des traditions comme le bouddhisme et l'Islam.
*** On en est  même venu récemment à appliquer cette notion absurde de "nouveauté radicale" à des faits plus ou moins historiques... Si bien que notre époque, après avoir stupidement décrété que " tout est relatif ", excluant ainsi l'unique Absolu, n'a plus que ce dernier mot à la bouche, et à propos de n'importe quoi…


La seule différence véritable entre les traditions est donc dans la façon dont elles adaptent la doctrine universelle aux relativités contingentes.

Or, plus nombreuses sont les foules auxquelles s'adresse une tradition, plus elle doit tenir compte du degré de compréhension limité de ses fidèles. Et ce qui peut-être parfaitement clair pour une certaine élite est inabordable pour la multitude.

C'est ce qui a largement déterminé la forme des dernières révélations, où l'anthropomorphisme joue un grand rôle. Et cela s'est fait sous la forme d'affirmations massives, comme le sont les dogmes qui présentent sous une forme figée de "Mystères" censés impénétrables, ou encore, quand les circonstances s'y prêtent, en écartant toute intellection véritable, tenue pour suspecte, au profit d'une dévotion de plus en plus sentimentale. *

L'Esprit, pour toucher les peuples occidentaux, relativement barbares (et qui, à leur façon, le deviennent de plus en plus **), a dû prendre en compte leur attachement trop exclusif aux "réalités concrètes", ce " syndrome de Saint Thomas", sorti tout droit des  Evangiles. ***


* Comparer les représentations anciennes et orthodoxes du Christ glorieux au dolorisme piétiste exprimé par "l'Homme des douleur".
** Le dogme "évolutionniste" du progrès continu a beau avoir du plomb dans l'aile, même sur le plan purement matériel, cela n'a pas empêché le développement d'impérialismes messianiques de plus en plus meurtriers.
*** On voit que ceux-ci font une large part à la faiblesse humaine, puisqu'ils ajou tent ainsi aux personnages apostoliques du traître et du renégat un prototype de «  matérialiste ».


Mais chaque tradition, n'étant qu'une expression  relative, présente les défauts de ses qualités. *

Ainsi le christianisme constantinien, pour combler le vide laissé par l'ancienne religion déchue, à dû étendre à toute une population ce qui était à l'origine un ésotérisme très strictement réservé. Cela ne pouvait se faire qu'en durcissant sous la forme de dogmes la teneur des Mystères  originels. En outre,la doctrine de l’ incarnation semble dévaluer les formes plus anciennes ** et moins "incorporées". 

Mais s'il est une chose dont le rationalisme moderne se flatte d'avoir horreur, c'est tout ce qui ne peut être prouvé  .

Malheureusement pour lui, tout ce qu'il y a de vraiment important lui échappe ainsi a priori car le domaine métaphysique, fondé sur  l'intuition immédiate de l'Un,  échappe entièrement aux exigences de la preuve, qui ne saurait  en aucun cas dépasser le stade de la dualité. ***

Même la plus simple dévotion a donc quitté nos murs pour se réfugier dans des régions moins évoluées .


* Relativité qui, comme celle des langues, découle forcément de leur multiplicité.
**  Ou même plus récentes, comme dans le cas de l'Islam, où le Verbe est "incarné" dans le Coran, et non dans le Prophète, comme on le croit trop souvent. Celui-ci a une fonction toute semblable à celle de la Vierge. Comme Elle, il a dû être fécondé par l'Esprit. De même que la Vierge "ne connaissait point d'homme" , Mohammed était «  illettré »Dans l'un et l'autre cas, toute  conception   était donc humainement exclue, mais le messager était Gabriel, dont le nom signifie "force de Dieu". L "oecuménisme", en mettant sur le même pied ce qui ne devrait pas l'être, montre assez ses limites.
***  Cf. cette remarque de Guénon à propos de l'Intuition intellectuelle : " En métaphysique, on comprend ou on ne comprend pas. : un point, c'est tout ".  N'en déplaise aux zélateurs de l'université pour tous…


Pendant ce temps, la raison, d'abord déifiée par la furie révolutionnaire, s'est lancée dans une attaque frontale contre toute forme de transcendance, notamment sous la forme d'un utilitarisme forcené, que les Anciens nommaient plus justement cupidité ( "la peste dans la Cité", selon Platon et Dante). Et à ceux qui n'avaient pas perdu tout souvenir de "l'opium du peuple", on propose des "produits de remplacement" autrement toxiques.

Il faut maintenant se demander pourquoi le christianisme s'est montré si vulnérable à ces attaques, alors que partout ailleurs dans le monde, la plupart des spiritualités résistaient plutôt mieux.

On peut en voir une des causes dans l’historicisme des théologiens, esclaves de « faits » qui ,selon eux,  déclassent toute autre manifestation du sacré.
Car cette revendication a une terrible contre-partie.

En l'absence d'un soutien intellectuel profond, tout "exotérisme" pur et simple souffre en effet d'une extrême fragilité, car les preuves historiques, pas plus que les miracles, ne prouverontjamais rien.. *

Comment aussi une population qui a perdu le sens du symbole comme aucune autre dans l'histoire, pourrait-elle encore prendre au sérieux  des points de foi comme la présence réelle du Christ dans l'eucharistie, ou plus incroyable encore, la  virginité d'une mère ? ***

Mais avant d'aborder ce sujet, voyons comment d'autres traditions ont réussi à éviter ce choc frontal entre un symbolisme paradoxal et la "raison raisonnante".


* Qu'on se souvienne de  Bertram de Born, dont les prétendues " Lumières"n'étaient plus qu'un lumignon.
**  Et il en va exactement de même pour la morale qui, si elle ne se fonde sur une transcendance, n'a plus que des "motivations" sentimentales ou pratiques, pour ne pas même parler du fameux "impératif" kantien, qui est l'exemple même du sophisme par lequel on transforme une pure relativité en absolu  catégorique. Aujourd'hui que nos augures entendent se passer de métaphysique, ils n'ont plus que morale à la bouche. Triste et inopérant substitut… Les trop fameux "tribunaux internationaux" ne feront jamais que multiplier les "crimes contre l'humanité" (il y en aurait donc d'autres ?).
*** Toute la théologie du monde n'y peut rien, car elle se définit comme une réflexion rationnelle portant sur des articles de foi. Ces croyances sont donc exigées au départ, et comme elles ne peuvent se prouver elles-mêmes, on se trouve au rouet… Par contre, l'intuition métaphysique, si elle peut se préparer par la raison, n'en est nullement tributaire, car elle la transcende absolument. Comme le dit un métaphysicien médiéval, cette vision, qualifiée elle aussi de " Foi", peut seule suppléer aux insuffisances de la rationalité.
 ( " Praestet  Fides supplementum sensuum defectui. "  ).

 

 

CH. XXIII                POLYTHÉISME ET MONOTHEISME


Le monothéisme est présenté, implicitement ou non, comme un signe de la supériorité des "gens du Livre " sur les "infidèles" et les "païens".Or on a vu que le point le plus crucial de la cosmologie est le passage de l'Unicité divine à la multiplicité créée.

Car cee passage de l'Un au "Deux" peut parfaitement se concevoir, mais il défie l'imagination, qui a bien besoin d'un élément de transition. *

Une fois de plus, un simple exemple géométrique va nous éclairer. Il est indéniable pour la droite raison. qu'une sphère quelconque - à commencer par la sphère universelle - sort toute entière du centre unique qui est son origine.

Ce point central, étant sans dimension, n'appartient pas à la sphère
manifestée. D'ailleurs, il était là avant qu'elle n'apparaisse, et elle peut s'y résorber à tout moment, avec tous ses rayons vecteurs.

Mais que le visible sorte ainsi tout entier de l'invisible, c'est là un pur concept, évidence dont le caractère paradoxal ** confond l'imagination, et qui est donc normalement d'ordre "ésotérique".

Car le peuple ne vit pas d'intellectualité,, mais d’opinion, étant ainsi voue sans défense aux images les plus trompeuses.


* On observera à ce propos que la médiation, ce fondement de toute religion, n'est en somme qu'une forme de transition.
** Le grec  Para  doxan  signifie "contraire aux apparences". Il faut par exemple avoir atteint un certain niveau intellectuel pour reconnaître que le centre d'une roue en mouvement reste immobile. Et que seule cette immobilité rend le mouvement possible.… C'est le sens du "Moteur immobile" d'Aristote, réalité  qu'un enfant, nourri d'images, n'admettra  jamais..


Et c'est un avantage certain des polythéismes que de présenter une cosmologie acceptable par les gens simples,* puisqu'on y ménage une transition entre l'expérience quotidienne de la multiplicité  et le mystère abrupt de l'Unité originelle.
Et cela sans réellement nuire  au monothéisme foncier.

Car le fait de présenter comme des Dieux  "individuels" les divers attributs de la Divinité unique, n'a jamais abusé les plus réfléchis, qui pouvaient toujours résorber la multiplicité des personnages divins dans l'Unicité de l'Etre et, a fortiori  , dans la "non-dualité" de
l'Infini. **

Le besoin d'un certain anthropomorphisme est d'ailleurs si naturel qu'aucun monothéisme n'y échappe tout à fait.
Mais c'est là une source de malentendus dont nous n'avons pas à nous préoccuper ici. ***

Revenons-en plutôt au sujet de cet ouvrage, c'est à dire à la manifestation féminine du Logos.

 
* Ces " gens simples" ayant été remplacés chez nous par les produits d'une culture à bon marché, l'absence d'une cosmologie crédible pour tous - on veut dire fondée sur la raison - a des effets tragiques que ne peuvent compenser ni les divagations des "scientifiques", ni les prêches fondamentalistes .
**  Ce terme de "non-dualité" traduit l' Adwaïta   des Hindous. Or leur tradition est celle où la prolifération des Dieux est littéralement sans limite. Mais il savent bien que l'origine de toutes ces entités est  Brahma  "qualifié", c'est à dire le Verbe-Un, Lui-même issu du Suprême Brahma  (le Zéro métaphysique), qui est au-delà de toute détermination.
Les Dieux gréco-latins sont eux aussi des  Dei  consentes  ("toujours d'accord entre eux"), ce qui exprime le Volonté unique incarnée  par l'Etre Universel,), qui Lui-meme est soumis au  Fatum  insondable.
*** Vu de l'extérieur, le monothéisme le plus radical peut toujours être pris pour ce qu'il n'est pas.

Par exemple, le commun des musulmans soupçonne les Chrétiens d"association"
( shirk  ), puisqu'ils distinguent trois personnes en Dieu. Mais la même incompréhension pourrait se retourner contre eux, qui distinguent en Allah quatre-vingt dix-neuf attributs, eux aussi passablement personnifiés dans la pratique..


Jusqu'ici, nous l'avons envisagée  sous les traits d'Athèna, qui figure son aspect virginal, et rien que lui.

Mais on a vu que la forme féminine du Verbe a aussi un aspect maternel, qui n'est pas moins important, en ce qu'il s'identifie tout naturellement à la Providence. *

Or, chez nos Anciens, ce rôle maternel  est attribué à Vénus, l'Alma Mater virum . ** 

En partageant ainsi entre deux Déesses ces fonctions complémentaires de l'Esprit, on les rendait facilement acceptables pour le sens commun.
Mais il va de soi que cette concession, purement exotérique, ne touchait en rien à la profonde unité de la doctrine.

Une telle prudence se justifie d'ailleurs a posteriori , puisque le fait de réunir dans la personne de Marie deux fonctions perçues comme incompatibles entraîna dans la suite nombre d'objections.

Encorecelles-ci n'apparurent-elles qu'avec l'introduction par la Réforme d'un "libre examen", qui n'est que la forme religieuse du rationalisme envahissant. ***
En laissant chaque fidèle libre de discuter les points de doctrine les plus délicats, on renouvelait les querelles byzantines, sous la forme d'innombrables sectes .
Cette explosion rationaliste entraîna fatalement un déterminisme ****
 ( cf.le "serf-arbitre" luthérien, ou le jansénisme ), négateur de la liberté humaine, cette faculté relative qui reflète l'absolue autonomie de la Possibilité universelle.

Voyons maintenant comment la sagesse antique résolvait sereinement ce problème potentiel.


* Cet " Oeil qui voit tout" est une fonction de l'Esprit, nommé  "Paraclet" (en grec : " avocat de la défense" Elle s'oppose donc diamétralement à l'action du diable ( Diabolos  : "accusateur public" et surtout "calomniateur" )..
A noter que dans son  Salve Regina   St Bernard qualifie la Vierge d' Advocata  nostra  , confirmant ainsi sa fonction providentielle, ou  paraclétique.
** "Mère nourricière des hommes". Il est frappant que ce titre d'Alma mater ait été repris tel quel par le christianisme. Par exemple, associé à celui de Sedes Sapientiae, il est toujours l'emblème - au moins nominal - de l'université de Louvain.
*** Après la disparition de toute métaphysique véritable, ces doctrines ne laissent plus place qu'à des considérations sociales et morales..
**** Le même qui imprègne le rationalisme scientifique.

 

CH. XXIV                           ALMA MATER


Athèna passe donc chez nous pour représenter la "froide raison", et rien qu'elle.
Vision réductrice entraînant le préjugé inverse qui ne voit dans Vénus, l'Alma Mater, qu'une incarnation de la passion amoureuse.

Et bien entendu, elle est cela aussi

Mais le sage Virgile lui rend sa vraie place, qui est d'incarner l'Amour dans tous les sens du terme, c'est à dire du plus bas au plus haut de la Hiérarchie.

Commençons par constater qu'Enée, l'Homme parfait, a deux protectrices.
C'est d'abord Vénus qui, étant sa mère, est la cause de sa première naissance, déjà peu ordinaire.Ce rôle se situe donc sur le plan vital, le plus extérieur, d'où son évidence. Mais la seconde naissance du héros, naissance toute intérieure et "virginale", est cette fois du ressort de Pallas, et ne se produit qu'au plus secret du coeur.. *

Mais Vénus, elle aussi, a son secret, évoqué dans un épisode de l'Enéide qui occupe les 99 vers finaux du premier chant .


* Nous avons montré dans un chapitre précédent combien l'action de Pallas relevait des Mystères nocturnes et de leurs faux-semblants.


La scène commence ainsi :

" Mais voilà que la Déesse de Cythère. conçoit de nouvelles ruses, et agite dans son coeur des desseins nouveaux…"  *

Et ce stratagème ** réside tout entier dans les termes stupéfiants que la Déesse adresse au supposé Cupidon :

"Mon fils, toi qui es ma force, la seule source de mon grand pouvoir, toi qui peux dédaigner les traits meurtriers ***  du Père Céleste, je cherche refuge auprès de toi, et j'implore à genoux ta puissance divine ". ****

Etrange façon pour une mère d'aborder son jeune enfant, on en conviendra… Et qui siérait mieux à l'humble fille d'un très haut personnage.

C'est  d’ailleurs bien là le sens véritable de l'épisode.


At Cytherea  novas artes, nova pectore versat /  consilia (…) . On voit à l'identité des termes que les ruses de Vénus  ( Veneris artes  ) ne le cèdent en rien à celles de Pallas
 ( Palladis artes ).
** Il  rappelle tout à fait la ruse finale par laquelle Virgile a substitué la grande Pallas au jeune homme du même nom. Cette fois, c'est Cupidon qui va prendre la place d'Ascagne, le fils d'Enée, pour offrir à la reine Didon les présents destinés à affoler sa passion.
Rien qui diffère en somme d'une intrigue classique.
*** Typhoea tela. : la foudre, dont Jupiter avait frappé le monstre Typhon, ombre  du sage serpent Python, comme l'indique l'anagramme de leurs noms.   PYTHO = Connaissance (même radical que le sanscrit Buddhi ) opposé à   TYPHO = obscurité ( cf. le grec  typhlos :aveugle).
**** Voici ce dernier vers : " Ad te confugio, et supplex tua numina posco " .
On ne saurait concevoir invocation plus merveilleusement solennelle.
Et il s'agit du vers 666 !  Nombre qui, on l'a vu représente le Règne universel, comme le font aussi les 99 vers de l'épisode.


Car il a un rapport direct avec l'énigme proposée par Dante lorsqu'il invoque la Vierge en ces termes :  " Vergine madre, Figlia del tuo Figlio "  ( "Vierge Mère, "Fille de ton Fils"). *

Cela semble, à strictement parler, n'avoir pas plus de sens que de l'appeler "Mère de Dieu" !

La solution de ces apories ** n'exige pourtant pas que nous renoncions à l'usage de la raison. Suffit qu'elle reconnaisse ses limites, qui sont atteintes dès qu'on traite des rapports de la manifestation avec son Principe. Ou, si l'on préfère, de la "physique" (au sens d'ordre naturel ) avec la métaphysique.

De quoi s'agit-il, en somme, sinon des relations existant entre les deux aspects du Logos Médiateur, qui font tout l'objet de notre ouvrage.

La distinction la plus fondamentale, celle qui préfigure et "encadre" toute la multiplicité manifestée, est celle engendrée par l'"écart" *** entre  le Logos masculin ( figuré par Apollon) et sa parèdre féminine ( Athèna ). Ou encore, entre le principe actif (essentiel ou  Yang  ) de la manifestation, et son reflet passif ( substantiel, ou Yin  ). ****


* Paradiso, 33, 1 :  clé de voûte de l'oeuvre.
**  L'aporie ( litt.  "impasse" ) sert ici à "bloquer" la logique ordinaire, un peu comme les  Koan  du bouddhisme Zen. Comme dit  Porphyre, en définissant l'"allégorie" (qui est le fait de "dire (agoreuein ) autre chose ( allo ti  )" :  " La description étant pleine de telles obscurités, il faut en conclure que ce n'est point une fable imaginée au hasard et pour le simple plaisir de l'esprit  (…) En interpréter et en dévoiler pleinement le sens a paru aux Anciens. une tâche difficile, et à nous aussi, qui après eux tentons de l'expliquer par nous-mêmes ". ( L'Antre des Nymphes, introd.)
*** C'est dans cet "intervalle" que vient s'inscrire toute "l'illusion cosmique". Ecart figuré dans la symbolique égyptienne par le Dieu du monde intermédiaire empêchant du geste le Ciel et la Terre de se rencontrer. Mais ce  geste, comme l'indique la position des mains, est en même temps un signe d'union.
****  Ce sont les principes cosmologiques  Purusha  et  Prakriti  de l'hindouisme.


Cette distinction est toute tout relative, car elle n'existe que du "point de vue" de l'humanité. En effet l'Etre, étant antérieur à toute séparation, a été dépeint comme androgyne.  (cf. le  Banquet  de Platon). Mais notre raison, étant analytique, ne fonctionne qu'à coups de distinctions et d'oppositions, et elle est donc incapable de rendre compte de la synthèse unique qui constitue sa limite. *

Et si elle veut malgré tout en donner une idée, ce ne pourra être que sous forme de paradoxes, dont on vient de voir quelques exemples, et des plus provocants. 
Car toute réalité peut être observée d'un grand nombre de "points de vue" , mais jamais dans son identité intégrale. **

C'est à cette terrible limitation qu'entend échapper le langage initiatique, sous la forme de divers codes ,  tous destinés à
dévoiler *** ce qui se trouve "au-delà du rideau".

Et il va de soi que le code sous lequel s'exprime le grand mystère de la Création est aussi le plus secret. ****


*  Celle-ci ne peut être le fait de l'expérience ordinaire, mais seulement de la Gnose…
** "Point de vue" doit s'entendre comme "angle de vision". Des peintres modernes ont tenté de donner à voir les deux faces d'un objet (comme un visage) en même temps. Et cela sur une toile qui déjà met tout à plat.  Le caractère difforme du résultat dénonce l'échec de l'entreprise. On ne pourra jamais écarquiller suffisamment les deux yeux pour atteindre ce que voit l'invisible "troisième", à savoir l'essence des choses…Le même leurre gouverne les milieux "scientifiques", toujours en recherche d'une théorie ultime, alors que tout phénomène peut toujours susciterr autant d'hypothèses qu'on veut
*** Toute révélation, est en même temps un voilement, le latin  re-velare  étant ambigu.
**** Cf. Dante, Paradis , 33, v. 133 sq. : "Pareil au géomètre qui tout entier s'applique  à mesurer le cercle, sans pouvoir jamais retrouver le principe dont il aurait besoin" . Allusion au vrai sens du Nombre Pi. N.B. Les nombres du chant et du vers associent à l'Unité ontologique sa première expression formelle, qui est le module 33, omniprésent dans la Comédie, avec ses tercets de vers hendécasyllabes. (3 fois 11 vers)


Mais comme dit encore un contemporain de Porphyre :

" Nous ne tiendrons aucun compte du fait que cette doctrine ait été si longtemps négligée, qu'elle se dissimule derrière des formulations étranges, des symboles secrets et des écrits trompeurs,tous obstacles qui visent à rendre son accès difficile.
En suivant la volonté des Dieux, on surmontera des difficultés plus grandes encore que celles-là ".  *

Essayons donc de suivre la volonté de la Déesse en surmontant les difficultés de son langage codé.

 

* Jamblique, Vie de Pythagore, 1,1.

 

CH.  XXV                           " FILLE DE  SON  FILS


Cette mystérieuse invocation de Dante * vise à définir la relation existant entre le Christ et sa Mère. A première vue, elle est donc sans rapport aucun avec le couple d'Apollon et d'Athèna, qui sont présentés comme "frère et soeur".

C'est le moment de récapituler ce que nous avons dit jusqu'ici des relations unissant les deux aspects majeurs du Logos.

Ce qui est affirmé, dans un cas comme dans l'autre, c'est la "connaturalité" essentielle des deux extrémités du Pôle universel, à savoir son origine transcendante, supra-cosmique, et sa limite intérieure, qu’on peut dire "immanente".

Commençons par le cas de Pallas Athèna, ou encore d'Isis.
En tant que Divinité lunaire, on doit déjà reconnaître qu'elle n'est pas l'égale de son frère, et loin de là.Comme Elle n'a pas de lumière propre, sa fonction de simple "miroir" la fait dépendre totalement de Lui.

Et cela au point qu'on pourrait bel et bien la considérer, non seulement comme la sœur - et l'épouse -  mais comme le "fille de son frère ", expression tout aussi "inacceptable" que celle de Dante, et néanmoins pertinente.

Si maintenant, sans même faire appel à ce symbolisme astral **, nous étendons la même logique aux deux aspects du Pôle chrétien, nous constatons qu'une dépendance toute semblable unit la Vierge à son Créateur, le Christ- Logos.***

Et fût- Elle sa Mère dans le cadre de la manifestation et, de toutes les créatures, la première en dignité, Elle n'en est pas moins sa fille sur le plan de la réalité supérieure qu’est l'Unité ontologique.

Mais ce qui est évidence pour l'intuition Intellectuelle est inaccessible à la rationalité ordinaire, enfermée dans la multiplicité.


*  Paradiso , XXXIII, 1.
** Symbolisme soli-lunaire qui n'a d'ailleurs pas disparu de la tradition chrétienne.
*** Comme cela apparaît à l'évidence dans l'iconographie médiévale, la création est l'oeuvre du Fils, et non du Père, qui reste inconnaissable. C'est donc aussi le Fils qui  se charge de la juger à la fin des temps. Il porte d'ailleurs la tiare, en signe de sa souveraineté sur les "trois mondes": Esprit, Ame et Corps ( qu'il s'agisse d'ailleurs du Macrocosme ou de son analogue, le microcosme humain).


Sur ce plan cosmologique, on veut dire humain, le "point de vue" diffère donc du tout au tout.

Car c'est la Vierge qui, dans sa fonction de Médiatrice, va permettre l'incarnation dans le cosmos de l'Etre- Un .
Celui-ci, quoique transcendant en fait, y apparaît alors comme immanent, en tant qu' Emmanuel  ( Dieu parmi nous, ou mieux "en nous" ). *

Etant Elle-même une incarnation de la Divinité au centre de notre univers (la  Shekinah ), la Vierge peut donc, à ce titre, être dite "Mère de Dieu". **
Cette interversion des rôles de Mère  et de Fille , toute paradoxale qu'elle est, obéit à la loi, déjà exposée, selon laquelle tout symbole s'inverse dès qu'il franchit la "barrière" séparant deux "mondes".

Car le monde céleste et celui des hommes ne sont pas simplement juxtaposés : ils sont séparés, et en même temps unis, par le monde subtil ("animique"), justement appelé  intermédiaire ,  qui constitue l'"interface" entre ces deux niveaux de réalité sans commune mesure.

C'est donc dans ce monde subtil que s'opère l'inversion créatrice. ***

Or la régente de ce monde intermédiaire est précisément la Vierge lunaire, dont le rôle est de s'interposer entre leSoleil divin et la terre, en protégeant ainsi les hommes d'une destruction instantanée. ****. Mais cette notion d' instant  appelle une brève explication d'ordre cosmologique.

 
* Ce qui est Premier dans l'ordre de l'Etre apparaît comme "dernier" dans le domaine existentiel. Mais la réelle transcendance du Logos est rappelée par la position du  Pantokratôr,à l'oeil du dôme.
** Définition daant du concile d’Ephèse. En termes hindouistes, on dira qu'elle permet la venue au monde ( la descente) de l' Avatara  , c'est à dire lamanifestation  immanente   d'un Attribut divin.
*** La séparation entre cette  Anima Mundi  et le domaine ontologique est décrite comme un diaphragme , ou un  Isthme  (en arabe : Barzakh  ), lequel est aussi une "porte étroite" C'est également le sens du Sphinx ( du grec sphingo  : étrangler ), qui figure le "resserrement" en question. Voir  L'énigme du Sphinx .Rappelons que cette" réfraction" est représentée dans l'ordre physique par la lentille optique (litt. "petite lune"), dont le point focal ( passage étroit) concentre d'abord  l'image,  puis la diffuse dans un autre milieu après l'avoir inversée.
**** Les mythologies conservent le souvenir de personnages qui ont voulu voir la Divinité en face, malgré toutes les mises en garde, et qui n’y ont pas survécu..

 

CH. XXVI            " FILS DE  L'INSTANT "


C'est ainsi qu'on nomme l'adepte qui, en se "réalisant", s'est identifié avec le centre de la manifestation.

En effet, l'instant, au sens fort, est le centre éternel (quoique ordinairement inaccessible ) du temps, tout comme le point est le centre intangible de l'espace.

On vient d'évoquer le rôle miséricordieux de la Divinité lunaire. Elle seule peut voiler l'éclat dévorant du Soleil spirituel, en rendant ainsi l'espace qu'elle mesure vivable pour le genre humain.

Mais la Lune joue en outre, par ses phases, un rôle capital dans la mesure du temps.
Or, temps et espace, ces conditions fondamentales de la manifestation corporelle, sont unis par une analogie essentielle.

De même que l'espace dissimule le point d'origine au centre de ses coordonnées, le temps "voile" l'instant central, cet inaccessible point d'intersection entre le passé et l'avenir.

Les deux conditions de temps et d'espace se trouvent combinées dès le départ dans le mouvement élémentaire, qui se présente comme une oscillation de part et d'autre d'un axe de symétrie.

Et cet axe invisible est précisément le "lieu" où coïncident le point et l'instant, c'est à dire le Pôle spatio-temporel.*              
                                                          

* Voir  Eléments de Cosmologie. La sinusoïde ci-dessous est la schéma classique du mouvement alternatif..


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.

Lorsque la figure est disposée  verticalement (signe de transcendance), on a le schéma du Caducée, où l'onde  est figurée par deux serpents "en opposition de phase", et qui se neutralisent donc mutuellement. Le sceptre d'Hermès qui les sépare constitue l'axe de symétrie, et ses ailes signifient que l'alternance élémentaire a sa source dans le monde subtil (psychique), qui est le domaine de l'hermétisme. La figure  du Yin- Yang  chinois est tout à fait analogue.

En raison de la stricte analogie unissant temps et espace,
le rôle protecteur qu'exerce dans l'espace le Principe féminin en diffusant la lumière trop brutale du Soleil *, doit s'étendre également à l'ordre temporel.

Ceci nous amène à réfléchir à la nature profonde du temps, cette indéfinissable "image mobile de l'éternité" (selon Platon).

Commençons par observer qu'on ne peut le mesurer directement:: il faut pour cela passer par l'espace, sous forme de mouvement. **

Si nous considérons le Principe de la manifestation comme  Pure Energie ***, le dégagement instantané de cette énergie "réduirait tout en cendres" ou,  plus exactement, rendrait radicalement impossible toute l'émanation universelle. Il faut donc que cette énergie trop directe soit "disciplinée" de quelque façon.

C'est donc le temps qui, en se manifestant comme alternance, assure cette "diffusion". ****


* Du simple point de vue physique, c'est notre atmosphère terrestre, c'est à dire l'élément air, qui diffuse et atténue le rayonnement mortel du soleil. Or l'air est le premier élément produit par l'Ether central, et cet Ether constitue justement l'élément premier, qui relève du domaine subtil .
**  Le mouvement combine ces deux conditions en parcourant un espace X en un temps donné.
 On présente vulgairement le temps comme "la quatrième dimension", mais il faut éviter de prendre au pied de la lettre ce sophisme à la mode, car le temps, contrairement à l'espace, est irréversible  Ce qui est vrai, c'est que le temps seul permet le mouvement, qui est pure succession, puisque sans lui, un objet ne pourrait occuper simultanément diverses positions dans l'espace.
A la fin de ses 99 Sonnets, Pétrarque dit donc fort justement : " Le temps disparaîtra, et l'espace sera changé …"  Mais ce qu'il a en vue, c'est l'Apocalypse …En attendant on peut considérer le temps à la fois comme "providentiel", puisqu'il permet la vie, et comme "infernal" en tant qu'il nous tient à l'écart de l'Eternel Présent…L'homme, plus que l'animal, ressent durement les effets de cette "chute dans le temps", qui est aussi une "chute dans le mental".
*** Cette définition du Principe comme Energie sans limite à le grand avantage d'être acceptable pour les nombreuses personnes qui rejettent - et de façon compréhensible - toutes les représentations anthropomorphiques.
**** Cf. dans  Eléments de Cosmologie, le symbolisme de l'horloge, un appareil dû à des  Philosophes de la nature , comme le grand Huyghens. Dans sa dynamique, l'énergie active du Yang  est limitée par la réaction passive du Yin , qui apparaît comme "élasticité" ou pesanteur.


Il nous faut maintenant revenir sur cette notion d'alternance, qui sous la forme d'oscillation, de vibration ou encore d'onde , est à la base de toute l'existence physique. *

Elle suppose l'existence de deux pôles entre lesquels "basculent" sans cesse ls deux phases de l'oscillation, autrement dit une dualité en perpétuelle inversion. **

Or la première dualité de toutes, la Dyade, est incarnée par Athèna. C'est dans le domaine subtil, qu'elle partage avec Hermès, que va donc se manifester l'oscillation élémentaire, origine immédiate de toutes les formes de vie.

Et ce domaine de la "formation" ( le Ietsirah  de la Kabbale ) est représenté comme celui des Eaux, dont on connaît le lien étroit, symbolique aussi bien que physique, avec la Lune.**

Ces Eaux constituent donc le milieu "embryogénique" où va pouvoir se maifester ("descendre", ou s'incarner) le "Dieu fait Homme".***

 

* Si les "ondes" sont un autre nom des eaux, c'est que les vagues sont l'image la plus évidente de n'importe quel phénomène ondulatoire (et ils le sont tous…)
Aphrodite , cette Alma Mater  des Anciens, est "née de l'écume des flots"; Athèna n'est
donc pas la seule Déesse des Eaux, sans même parler dMarie, dont le nom de  Stella Maris évoque aussi bien la Mère que la Mer, le radical √ MA étant commun. Aux deux termes.
La mère d'Hermès se nommait  Maia, et la  Maia  hindoue s'identifie à Tara  ("l'Etoile"),
qui est aussi l'épouse ( la Shakti  ) d' Agni , le Feu divin.  Cf. le symbolisme des Eaux dans l'Agneau "mystique". L’hébreu Myriam comporte les mêmes caractères que  Maîm (les Eaux).
** Cette loi se manifeste, cette fois en mode statique, dans l'alternance engendrée par le Nombre d'or qui gouverne toutes les structures naturelles.. Voir à ce propo nos Eléments de Cosmologie.
*** En termes  hindouistes, l' Avatara  s'y forme comme" Embryon  d'or" ( Hiranyagharba ).
Il est donc à la fois "Père", du fait de sa divinité, et "Fils" en raison de son incarnation, et le paradoxe de cette double fonction est donc strictement parallèle à celui de la Vierge, à la fois Mère et fille. Il est aussi l'archétype de la génération humaine qui se produit au sein du liquide amniotique, la matrice étant assimilée à une "coupe" (en grec amnion ). Sur ce symbolisme de la coupe lunaire, voir Les Mystères du  Panthéon  Romain. On a vu que les formes corporelles étaient issues par "solidification" de prototypes psychiques "fluides" ( cf. ibidem le chapitrre concernant les Nymphes). Ce qui est vrai pour le macrocosme l'est aussi pour l'être individuel  :  la formation de son organisme corporel est précédée par la formation de son corps psychique, également en milieu "aquatique".
L'hérédité psychique est d'ailleurs aussi manifeste que l'hérédité physique, et défie toutes les tentatives de réduction à une génétique "matérielle".

 

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CH. XXVII      ATHENA  ET  LA  MORALE


"DIABOLUS  IN  MUSICA"

Quittons un instant la métaphysique et les cosmologies qui en découlent, pour descendre au niveau subordonné de l'éthique.

Cette discipline sociale n'est rien d'autre que l'application de la rationalité au comportement humain. Elle est donc entièrement dominée par la dualité, sous la forme toute relative de bien et de mal, et ne saurait en aucun cas donner accès à l'Unité universelle qui constitue son unique fondement et sa seule vraie justification. *
C'est pourquoi la Cité, si elle ne veut périr en se divisant contre  elle-même, doit rappeler sans cesse l'origine ultime de ses lois, qui est purement métaphysique. **    

On a vu que les  Pythagoriciens nommaient Harmonie  l'équilibre reflétant dans le domaine humaine l'unité et l'immutabilité transcendantes de l'ordre incréé.

Harmonie toute relative donc, et de plus en plus menacée à mesure que vieillissait l'organisme universel.

On sait par ailleurs que la manifestation première de l'harmonie est d'ordre musical. C'est pourquoi cette notion d'harmonie gouvernait tous les secteurs de l'activité humaine, jusqu'à la médecine et à la politique.


* C'est pourquoi toute la philosophie moderne, à la suite de Kant, est en total porte à faux. L'impératif "catégorique" ( c. à d.  soi-disant absolu ) était déjà un vain effort du rationalisme protestant pour fonder une morale "pratique" ( et en somme déjà "laïque ), sans devoir faire appel à une vraie transcendance. Depuis, on l'a remplacé par des critères encore plus contingents, parfois purement sentimentaux, comme dans le cas d’Emmanuel  Levinas, qui entend fonder l'ordre moral sur la contemplation du visage humain. C'est plus sympathique qu'un vulgaire utilitarisme, mais néanmoins un peu court…
** C'est la véritable origine de la notion de droit divin, droit aujourd'hui transfére au peuple prétendument"souverain". Les Anciens considéraient comme "tyrannie" tout gouvernement (quelles que fussent ses qualités) qui ne reposait  pas sur une intronisation sacrée.
 Faute de comprendre cela, nous traduisons par Œdipe Roi  le titre de Sophocle qui était en réalité  Œdipe tyran, vu l'irrégularité du règne de ce héros, qui se révéla pourtant un grand sage.


C'est un fait bien connu, mais mal expliqué, que les antiques cités inscrivaient en tête de leurs constitutions la gamme musicale qu'on nomme encore "naturelle". *
La moindre altération de cette gamme apparaissait en effet comme une agression contre l'ordre naturel qu'elle servait à figurer. **

Revenons maintenant à Pallas, dont on a vu qu'elle incarnait l'Equilibre universel.
Equilibre fondé sur l'alternance du rythme, et donc sur la Dualité (Dyade), réalité relative issue directement de l'Unité principielle, seule absolue. Cette relativité propre à la Vierge Divine - quel que soit son nom - est la conséquence directe de sa proximité avec les humains.

C'est là un fait que les Anciens reconnaissaient ouvertement en lui donnant mille noms, et un double visage. Elle s'identifiait donc aussi bien à "la grande Diane des Ephésiens", qu'à l'infernale Hécate entourée de sa meute hurlante, ***

Voilà un "amalgame" que ne pouvait envisager la théologie chrétienne.
Captive de son monothéisme, qui exclut de tels paradoxes, elle était contrainte de dogmatiser.  ****


* Au moyen âge encore, on traitait de "Diable dans la musique" certains accords interdits à ce titre par la tradition.
** Voir dans nos  Eléments de cosmlogie  le chapitre intitulé  La Musique et la Cité .
*** La cosmologie souligne le rôle ambigu de la Lune, à la fois séjour des morts, et "réservoir" des germes de vie. Ses phases, dénommées  "labores Lunae", exprimaient la forme de souffrance due au changement continuel., dont le soleil ne connaissait que l'alternance jour/nuit.
**** Cf. ce que nous avons dit à propos de l'expression "Fille de son Fils".


En effet, il était exclu de reconnaître en la Vierge une Divinité
féminine *, c'est à dire une "incarnation" comparable à celle de son Fils.
Mais d'autre part, on lui prêtait un caractère surhumain, excluant  comme blasphématoire tout aspect tenu pour "négatif". **

Pourtant, en raison de la polarisation universelle - qu'on n'a cessé de mettre en évidence - il n'existe pas de médaille sans revers.

Et cette complémentarité du Mal et du Bien apparaît clairement dans celle, déjà signalée, du Calomniateur  et de l' Avocate  ? ***

Ainsi, le mal, que  nos  philosophes présentent comme un "problème", est un simple phénomène naturel ( et qui dit "phénomène" dit "apparence"). On peut voir là le signe le plus cuisant de l'écart qui apparaît entre la Divinité et notre Monde, ou entre la  Grâce  et la  Pesanteur  , ces deux faces d'une même réalité relative. Pourtant, seul un fou aurait l'idée de se plaindre de la gravitation, qui  seule nous permet de garder les pieds sur terre.

Bien entendu, tout cela va à l'encontre des "idées reçues" et suffit à justifier une certaine réserve en la matière. Cette discrétion même dont faisaitt preuve Van Eyck dans son tableau  hermétique, en figurant le Diable au fondement même de la Fontaine de Grâce. 
Car le Malin, lui aussi "porte pierre", mais à sa façon, qui est toute relative. Cette contribution à l'équilibre universel se borne ici à empêcher la vasque de Grâce de déborder…Sans quoi, le monde ne serait plus le monde

* Ce que fait pourtant indéniablement toute l'iconographie..
** Alors pourtant que le Christ avait dit " Ne m'appelez pas bon, Dieu seul est bon ". Et cela même était une image, car en toute rigueur on ne peut attribuer au Sur-Etre une qualité quelconque, l'Infini étant au-delà de toute détermination.
*** L'Evangile lui-même nous montre le Christ suivi par le Démon comme par son ombre.


Cette dernière constatation nous oblige à réexaminer la formule selon laquelle " La fin ne justifie pas les moyens", ce qui est à l'origine d'innombrables confusions.
Cette loi ne vaut en effet que dans son ordre, qui est exclusivement moral, c'est à dire social  et politique. Autrement dit, elle ne doit s'appliquer, et de la façon la plus stricte, que dans l'ordre des relativités. *

C'est d'ailleurs là tout ce qui nous reste en matière de "spiritualité", et c'est naturellement "mieux que rien".

Or les "moralistes" que sont les théologiens ** et les philosophes à la mode n'ont aucun accès au domaine unifié, qui est celui de la Personne (le "Soi"), tout occupés qu'ils sont à chercher une réponse au "problème du mal" , sur lequel bute sans fin l'individu (le petit "moi") du simple fait qu'il est mortel.

Ce soi-disant problème n'est en fait qu'une question fort mal posée, et excluant donc a priori  toute solution. Mais il est, pour le dire en termes familiers, impossible à "digérer " pour qui n'a pas l'estomac solide.

On comprend donc les réticences dont le poète latin fait usage pour épargner jusqu'à un certain point la sensibilité du public profane, en feignant de s'étonner de l'apparente immoralité des Dieux :

" Tantaene animis caelstibus irae  ?"   Comment s'expliquer de
telles fureurs , venant d'esprits divins ?" ( Virg. En. I, vers 11 ***).

Et que penser de ce « blasphème » ::  " Heu !  nihil invitis fas quemquam fidere divis  ! "
" Hélas, on ne peut accorder aucune confiance aux Dieux, à partir du moment où Ils nous en veulent …"  ( En. II, 402). ****   

* Ceci n'exclut pas des transpositions symboliques d'un ordre plus élevé. Mais dès qu'il est question d' Ethique  dans les  "médias", on ne peut  penser sans rire à  un certain Axe du Bien , censé faire barrage  aux représentants du  Mal Absolu.
** Dans le simple domaine "théologique", tout ce qui est de nature rituelle n'a pourtant rien de commun avec des prescriptions morales.
*** Ces Nombres disent assez que cette question est le point de départ du drame qu'est toute la cosmogenèse de l'Enéide …Voir en annexe  Virgile et l'apothéose de Pallas.
**** On dit, en Islam, « Plus il blasphème, plus il loue Dieu ! » ( du simple fait de son existence).


On sait que les doctrines initiatiques se dissimulent volontiers, comme ici, sous des dehors scandaleux et hérétiques. Ce sont sans doute les Grecs qui ont été le plus loin dans cette voie, et c'est pourquoi les chapitres qui suivent s'appliquent avant tout à éclaircir les attributs et les activités ambiguës de leur rusée Déesse.

On a donc regroupés sous le titre général d' "Arts palladiens",

1) Ses créations, fruits d'une technique (ars) aux effets apparemment sinistres, comme le labyrinthe et le cheval de Troie.

2) les divers symboles toujours associés à son image, tels le serpent, le cheval, et la mythique Gorgone.

 

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Fontaine Mercurielle

 

CH. XXVIII     LES ARTS  PALLADIENS *


Nous voilà confrontés  à cet ultime paradoxe qui fait apparaître les chefs-d'oeuvre de la Déesse comme des oeuvres de mort.**

Cela ne peut signifier qu'une chose  :  c'est que la mort corporelle, tenue par l'ignorant pour "la fin de tout", est en réalité, - comme l'incendie de Troie ou celui de la  grande Forêt - une manifestation de la Miséricorde Divine. ***
Les Pythagoriciens voyaient donc juste, qui comparaient le corps à un tombeau ( Sôma sèma  ), et devaient donc forcément juger positif tout ce qui  nous en déllvre. ****

C'est dans cet esprit que nous pourrons maintenant aller plus loin dans la compréhension de ces deux merveilles de l'art palladien que sont le Labyrinthe et le Cheval de Troie, dont la leçon s'applique on ne peut mieux à notre époque troublée.


* Expression employée par Virgile dans sa description du cheval de Troie. Le latin  ars  est l'équivalent du grec technè , dont un des premiers sens est "piège".
CF. Enéide, II,15-16 : "Instar montis equum, divina Palladis arte, / Aedificant sectaque intexunt habite costas"; soit, en substance, :(…) Les Grecs, suivant les "instructions techniques" de Pallas, bâtissent un cheval énorme aux flancs charpentés de sapin". ( après l'olivier, l'épicéa était consacré à la Déesse).
**  Le symbolisme littéral et numérique confirme cet aspect du Logos féminin.Son initiale, la treiizième lettre, le M, est signe de Mort., alors que le N, ou 14, évoque la (re)naissance.
 Le même symbolisme s’observe en arabe, où le Mim et le Nun jouent exactement le même rôle.
***  La "purgation" ( gr.  Catharmos  ) se faisant ici par l'élément igné.
****  Virgile ne parle pas autrement, lorsqu'il proclame l'origine céleste de tous les êtres vivants, "dans la mesure où ils ne sont pas "ralentis" par la nuisance  de leurs corps, et abrutis par ces membres faits de terre et voués à la mort ". ( …quantum non corpora noxia tardant / terrenaque hebetant artus  moribundaque membra". ( En. VI, 130 sq.).


De là vient, ajoute-t-il, qu'ils sont agités de craintes et de désirs, qu'ils se réjouissent ou s'affligent, sans jamais voir la lumière, prisonniers qu'ils sont des ténèbres d'un obscur cachot ". On reconnaît la caverne de Platon.

 

CH. XXIX          LE  LABYRINTHE


On a déjà évoqué certains aspects de cette construction mystérieuse, dont le symbolisme est d'une importance capitale. Ce n'est pas pour rien que Virgile, ce prophète de l'Occident, l'a placé au centre de son oeuvre, ce qui en a intrigué plus d'un. *

En effet, avant de descendre aux Enfers, Enée fait une halte devant les portes de l'antre sibyllin pour parcourir des yeux - perlegere oculis -  l'image du labyrinthe qui y figure. ( En. VI, 14-33).

Ce labyrinthe n'a donc dans l'oeuvre aucune présence matérielle : c'est une pure représentation mentale, point capital sur lequel nous aurons à revenir.

Mais il y a plus. Cet épisode central est comme le noyau dans lequel toute la trilogie se trouve en germe

Car c'est toute son oeuvre que le poète a organisée comme un labyrinthe mathématique dont le fil d'Ariane est donc la connaissance des Nombres pythagoriciens. *

Mais avant d'en venir à ce point capital, résumons les termes du mythe, comme Virgile le fait d'ailleurs dans l'épisode en question.

 
*. Cf. l'ouvrage de Jackson Knight, Cumean Gates , et le commentaire qu'en donne Guénon  dans Symboles de la Science Sacrée, ch. XXIX.


Le Labyrinthe est l'oeuvre de Dédale, qui lui a laissé son nom. Ce nom évoque  un habile  artisan  et donc un protégé de Pallas.

Or l'origine de cette mystérieuse construction *a un caractère particulièrement monstrueux. Tout commence par un meurtre, celui d'Androgée ( "l'homme de la terre  "), fils de Minos, tué par les Athéniens. Leur châtiment sera de livrer chaque année sept de leurs rejetons à la voracité du Minotaure.

Ce monstre réside au centre du labyrinthe et met à mort tout qui y pénètre, les héros mis à part. 

On sait qu'il est né des amours de Pasiphaé, l'épouse de Minos, avec un taureau. ** C'est donc un hybride   au sens fort du terme, un produit de l' Hybris , cette arrogance contre nature, inspirée ici par la démiurgique Vénus.

Voilà pour la légende, qui a l'air aussi inextricable que son objet.

Mais on sait maintenant d'expérience que plus un récit est bizarre, plus il a des chances d'être important.

Essayons donc de déchiffrer l'allégorie , en commençant par l'abominable Minotaure.


* Virgile le définit comme  Labor domus et inextricabilis error. : "un lieu de souffrance et d'errance sans fin". On s'attendrait à trouver  domus laboris , mais cette inversion bizarre attire l'attention sur l'assonance  Labor / Labyrinthus.
**  Pasiphaé est fille du Soleil (son nom signifie "qui brille pour tous").  On reviendra sur le symbolisme lunaire - donc mental - du taureau qui , à l'origine, devait être Minos lui-même, mais l'anthropomorphisme croissant a dissocié les deux figures, au bénéfice du pittoresque…

 
On ne reviendra pas sur l'étrange prédilection que nourrit Pallas pour des monstres tels que Cyclopes, Centaures et autres Chimères, comme la Gorgone ( Méduse) qui orne son égide, et qu'Elle porte donc sur le coeur. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que le Minotaure, lui aussi,  soit à ses ordres.…*
Dès qu'elle aborde ces sujets sensibles,  la mythologie constitue à elle seule une sorte de labyrinthe…  

Mais elle ne cesse pas pour cela  d'être rationnelle, surtout quand c'est la raison elle-même qui est en question.Car le vrai sens du labyrinthe, c'est d'illustrer les impasses où se perd la raison quand elle est réduite à ses propres forces
L'exemple dantesque de Bertram de Born nous a montré clairement qu'une fois coupée de l'Intuition intellectuelle, qui est "son Père", la raison n'est plus que la faculté qui nous égare . **

Car seule la  Gnose , ce fil d'Ariane qui va droit au but, permet d'échapper aux tortueuses embrouilles du mental.


*  Le monstre est une créature lunaire. En effet, le nom de Minos, le Mental cosmique, se retrouve dans celui de  Pallas-Minerve, la Déesse Lune ( en grec  Mènè  ).. Quant au taureau, c'est un symbole lunaire connu (cf Isis) Pour le Pythagoricien Porphyre  ( dans  l'Antre des Nymphes  ), le Taureau est associé à la Lune et au Cancer, signe astrologique du "fond des Eaux" et de la "Porte des homme"s. Les fleuves sont donc représentés comme des taureaux. Cf Géorgiques, IV, 370. A la fin de cette même Géorgique (V.  540 sq.), les quatre taureaux dont le sacrifice doit apaiser les Nymphes des Eaux) figurent  les phases de la Lune. Tout ce symbolisme, que nous ne pouvons développer ici, a des rapports très étroits avec le passage hermétique de Buc. VI, déjà cité.
**  Inextricabilis error.


Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le cerveau, organe physique de cette faculté, présente les mêmes  circonvolutions que son modèle subtil. *
De tout cela, il faut retenir que l'intelligence cérébrale, cette arme à double tranchant a créé, à force d'abus, les conditions de notre perte. **
Car ceux dont le Dieu a décrété la perte, il commence par les priver de raison  : Quos vult perdere  Iupiter, dementat prius. 

 
* On peut donc dire à son propos que c'est la fonction  qui a créé l'organe. L'idée naïve selon laquelle le cerveau produirait la pensée est donc tout le contraire de la vérité.
En réalité, comme le montre sa place dans l'organisme, le cerveau a une fonction  purement  périphérique ; il constitue la limite extérieure, l' interface  séparant le domaine corporel du monde psychique, qui l' informe  ( dans tous les sens du terme). C'est donc un simple relais, et  lui attribuer la production des idées est aussi absurde qu'il le serait de considérer un central téléphonique ou un ordinateur comme créant les conversations et les données, qu'ils ne font que transmettre ou traiter.  Répétons-le, ce sont  les structures du monde subtil qui entraînent la complexité inextricable du cerveau, de même que c'est le développement en spirale de la gamme naturelle qui détermine la forme de l'oreille :  lobe et  cochlée interne (le limaçon).
** C'est son rationalisme même qui a fini par priver la modernité  du bon sens élémentaire, faute duquel on ne voit pas ce qui pourrait encore la retenir au bord du gouffre..

 

 CH. XXX   LE MYTHE D'ARACHNE


On a déjà observé que les détours du labyrinthe mental ont leur "traduction" dans l'ordre corporel sous la forme des circonvolutions cérébrales.
Mais ce n'est pas la seule "incarnation" de cette réalité psychique.

 Pallas Athèna, entre autres avatars, s'identifie au personnage d'Ariane, dont le fameux fil sauve du labyrinthe le héros Thésée.

Mais elle est aussi Arachnè (l'araignée), qu'une légende tardive présente, sous une forme humaine, comme sa concurrente malheureuse dans une épreuve de tissage. *

Pallas, sous le nom d'Erganè  (l'ouvrière), est en effet la patronne des initiations artisanales, notamment féminines, où le tissage joue un rôle éminent. **
Voilà pour la mythologie.

Mais le symbolisme trouve ses meilleurs modèles dans les réalités les plus modestes.
Il reconnaît donc que la simple épéire de nos jardins bâtit tous les jours, et de toutes pièces, un modèle cosmique difficile à surpasser.

Pour commencer, elle tire toute entière d'elle-même la toile qui constitue son microcosme , et lorsque cette toile a cessé de servir, elle la réabsorbe sans en laisser rien subsister. ***

Première analogie avec la création de l'univers, dont on voit déjà qu'elle ne se fait pas ex nihilo…

*  Nouvel  exemple de l'anthropomorphisme qui dissociait la Déesse de son symbole animal., comme cela avait déjà  été le cas pour la Chouette.
** Remarquons, sans y insister, la proximité linguistique ( sinon la parenté directe ) des termes Erganè,  Arachnè   et Ariadnè ,  et revenons à l'araignée, la tisserande par excellence ( cf. les broderies et les dentelles arachnéennes ).Tout ceci se rapporte au symbolisme du tissu cosmique, que rappelle aussi la légende de Pénélope. Le travail de sa journée se défaisait chaque nuit, rappelant les alternances de la manifestation  (les jours et les nuits de Brahma ).
***  Les naturalistes, en veine de poésie, précisent que cela permet à l'animal  d'économiser les protéines…


Venons-en au mode de construction qui rappelle le rite des bâtisseurs traditionnels. *

Celui-ci consiste à "suspendre" tout le temple - image du cosmos - à son origine transcendante, figurée par la "Grande Unité", située au  "Faîte" polaire de l'univers.

L'araignée, elle aussi, choisit un point d'ancrage qui sera la clé de voûte de tout son petit monde. Elle y accroche un fil au bout duquel elle se laisse tomber, puis qu'elle fait balancer entre deux points. Ceux-ci, une fois réunis, seront la base horizontale (terrestre  )de sa toile. Le triangle fondamental ainsi défini servira de support à la toile proprement dite, qui ne diffère en rien du labyrinthe mythique. Comme celui-ci, elle est un piège inextricable, sauf pour la propriétaire des lieux, qui seule s'y déplace à sa guise.

Tapie au centre, l'araignée rappelle le Minotaure ou la Gorgone **, en tant qu'elle représente la mort, sortie ordinaire du dédale existentiel.
 
Les fils de sa toile ***, sont disposés de deux façons  :

- Les uns rayonnent  en ligne droite du centre de la toile à sa périphérie. Ces fils droits sont doublement voués à la communication directe.

Ils sont les chemins par où l'araignée se porte instantanément en n'importe quel point de son piège, sans s'y engluer elle-même. En même temps, ils lui transmettent les vibrations engendrées par les mouvements des captures.

- L'autre fil  -  il est unique - s'enroule en spirale du centre à la périphérie, sans aucune solution de continuité.


* Voir Les Mystères du Panthéon romain.
** Cette même Gorgone figure au centre du bouclier de Pallas, son égide, autre modèle cosmique dont il sera question plus loin.
*** Ils sont produits par des filières  dont chacune produit une soie de nature différente.
L'animal mélange à volonté ces diverses qualités de fil pour répondre aux exigences structurelles de son architecture !


Cette double disposition des fils traduit la loi universelle selon laquelle chaque créature est rattachée à son origine d'une double façon.

1 )  En tant qu'individu ,  chaque être est l'aboutissement d'une longue histoire et n'est arrivé là où il est qu'à travers une chaîne ininterrompue de cycles historiques.
C'est ce qu'on pourrait appeler sa relation  génétique   avec les origines.
Cette relation peut se définir à la fois comme  participation et comme séparation, puisque l'être, en tant qu'effet, reste essentiellement contenu dans sa Cause, tandis que sa  "chute dans le temps" ne cesse de l'en éloigner, du moins en apparence. *
Ce parcours cyclique est figuré dans la toile par le fil spiralé **
et collant où viennent se prendre les proies du prédateur..

Ceci exprime bien la situation des créatures incapables de se déplacer à leur gré dans le temps, et qui sont donc "à l'attache" et prisonnières du Destin. ***

2)  Cela dit, ce fil fatal n'est pas le seul dont soit faite la toile.
Comme le fil de trame mis en place par les mouvements alternés de la navette, **** il repose en effet sur une chaîne de fils droits qui constitue la base de la toile.


* A un autre point de vue, elle l'en rapproche dans la même mesure, puisque l'Alpha et L'Omega de la manifestation finissent par serejindre, comme la tête et la queue du serpent Ouroboros.. C'est ce qui fonde aussi l'identité essentielle des Nombres Un et Sept.
** Cette image est fort exacte, car les cycles ne sont pas circulaires, faute de quoi ils se répéteraient dans un "éternel  retour". Il est bien vrai que la fin d'un cycle et le début du cycle suivant se correspondent analogiquement, comme le montrent la fin et le début d'une année; mais les contenus de deux années successives ne sont nullement identiques, et tout cycle est donc en réalité une spirale,
*** C'est exactement le sens du terme pashu   ("animal à l'attache", en latin  pecus ), que les Hindous appliquent à la condition humaine. Et ne dit-on pas aussi que " Là où la chèvre a été attachée, il faut qu'elle broute". Cela signifie que le passé, auquel on ne peut plus rien changer, nous conditionne en tant que destin. Et comme l'avenr n'existe pas encore,le seul lieu de pure liberté est dans l'instant.
**** Par analogie avec la production du textile, certains textes  anciens présentent une écriture qui change de sens à chaque ligne. Elle imite en même temps le parcours du laboureur derrière ses boeufs, d'où son nom de boustrophèdon  Ainsi, les premières activités humaines portent la marque de l'alternance universelle.

 
Une relation directe avec le Principe ne saurait donc être le fait de l'individu (du moi ), car l'Unité est une limite - figurée par le point et l'instant, limite qui ne peut être atteinte dans le cours de l'existence multiple, c'est à dire sans un saut qualitatif.

Seul en effet le semblable peut connaître le semblable.

Or ce qui dans tout être est semblable à l'Etre universel, c'est ce qui est à la racine de son existence, cette fine pointe de l'âme  qu'on a appelée le Soi , ou la Personnalité.
Cette réalité, étant "ponctuelle", est antérieure et transcendante à toute expérience sensible, et par conséquent à toute division (ou polarisation).* C'est ce caractère inattaquable qui lui a valu le nom de " noyau d'immortalité".

La bestiole qui a inspiré ces réflexions n'a certes pas conscience  ,  à notre manière, du sens  de son ouvrage. A cet égard, elle se situe en-dessous du niveau rationnel, mais elle est aussi à l'abri des mensonges du mental. Son instinct  infaillible ** la fait participer obscurément aux certitudes de l'Intellect, en la metttant en consonance avec l'harmonie du cosmos.***

L'histoire figure par contre assez bien ce qui va arriver au monde moderne, pour avoir rejeté une métaphysique (le fil vertical) dont la vie ordinaire lui semblait pouvoir se passer. Ceci nous rappelle la relation fatale qui enchaîne Hybris  à Némesis ,  et dont il sera question, une fois de plus, dans le chapitre qui suit.


* Cette unicité fait dire à Héraclite que le Logos est commun à tous , ce Logos étant l'étincelle divine présente en tout être.
** La science moderne a pourtant démontré le contraire, puisque les araignées auxquelles on  administre des drogues psychotropes ne tissent plus que des toiles d'allure surréaliste.
On n'a pas manqué d'en tirer des enseignements importants sur les mécanismes  de la pensée humaine. Suggérons une manière simple et radicale de modifier plus encore le comportement  de l'animal : il suffit de l'écraser sous le talon…
*** On ne peut donc accepter tel quel l'apologue suivant lequel une araignée, inspectant sa toile, se serait interrogée sur l'utilité du fil supportant tout l'édifice. En effet, ce fil, à la différence de tous les autres, ne lui semblait pas avoir d'usage pratique. Elle l'aurait donc tranché, avec le résultat qu'on devine..

 

CH. XXXI      LE  CHEVAL  DE  TROIE


OU LE DESTIN DE L' OCCIDENT

Le lien est donc étroit entre cette arme de destruction et le principe qu'on vient d'énoncer.                                                   

Car si les Grecs ont pu mener à bien leur entreprise démoniaque, c'est uniquement parce que Troyens avaient perdu l'usage de la raison.  Et cette démence  était la conséquence directe d'un orgueil sacrilège, cette  hybris  qui les persuadait que rien ne pouvait leur arriver, tant ils étaient riches et puissants. *
Ils pouvaient donc fermer leurs oreilles à  ceux-là, peu nombreux, qui, comme  Laocoon ** et Cassandre, voyaient clair et leur annonçaient des vérités désagréables, . ***
Car le vulgaire n'aime rien tant que d'être abusé :  Vulgus vult decipi .                                                                                                                       
Et il le sera donc, par la bouche du traître Sinon, qui sait flatter les foules pour les circonvenir en douceur. ****


* L'histoire du colosse aux pieds d'argile n'a jamais été plus vraie qu'aujourd'hui.
** Ce  nom  paraît signifier " celui qui est à l'écoute de son peuple" En ce cas, son peuple le lui a bien mal rendu
*** Cassandre, qui tentait désespérément d'empêcher le pire :  Tunc etiam fatis aperit Cassandra futuris /ora, dei iussu non umquam credita Teucris  (En. II,246 sq.).:"Même alors, Cassandre ouvre encore la bouche pour dévoiler l'avenir, Cassandre, à qui, par ordre du Dieu, jamais les Troyens ne firent confiance ". Cassandre avait en effet reçu d'Apollon le don de prophétie, mais avait omis de l'en remercier. Le Dieu, ne pouvant  revenir sur le privilège accordé, se contenta de le rendre inopérant
**** Les vieilles dictatures étaient naïvement violentes. La nouvelle repose sur la veulerie des foules repues et hypnotisées par des medias  dont la source principale n'est pas douteuse. Huxley voyait donc plus loin qu'Orwell lorsqu'il en prêtait à son 'meilleur des mondes" des méthodes plus hédonistes que brutales. Et Charles Perrault avait bien raison d'écrire : "Mais hélas ! qui ne sait que ces loups doucereux, de tous les loups sont les plus dangereux ? ".


Le grand Swift a montré avec une amère lucidité le caractère progressif et sournois qu'a revêtu cette "invasion de l'intérieur". Son héros, endormi sur la plage, se retrouve le lendemain entravé dans tous ses mouvements par les liens presque imperceptibles qu'ont tendus des nains malfaisants

Mais avant d'aller plus loin dans la lecture du mythe, une observation s'impose. Quand on parle de mythe à un archéologue , il faut craindre qu'au lieu d'en rechercher le sens intellectuel, il le rattache à quelque  fait historique censé avoir laissé sa trace sur le terrain.

Par exemple, et puisque " la Bible a dit vrai  " , diverses expéditions s'acharnent à rechercher les vestiges de l'arche de Noé au sommet du mont Ararat. On peut leur souhaiter bonne chance. D'autres experts ont vu dans l'oeuvre d'Homère une description géographique fort littérale.  Quant à localiser  les Cyclopes, les Lestrygons, les Lotophages et autres phénomènes, leur perspicacité ne va pas jusque là…
La découverte  de Troie par l'épicier Schliemann témoigne elle aussi de cette naïveté toujours en quête de preuves matérielles , et jusque dans les domaines qui s'y prêtent le moins.*

Trêve de sottises.

Mais pourquoi associer le destin de l'Occident à celui de Troie. ?

Il s'agit avant tout de sa destinée spirituelle, car les faits historiques ne font que suivre les sort des idées, et jusque dans leur dernière dégradation
Comme on dit en Chine, le poisson pourrit par la tête…


* La prétendue localisation de Troie à Hissarlik est du même tonneau que les localisations
de la pensée dans le cerveau. Où qu'on fouille en Turquie, on trouvera toujours une demi-douzaine de cités en ruine, toutes superposées, dont on pourra, avec un peu de chance, extraire  le" trésor de Priam". Mais ces illusions ne sont pas le monopole de l'archéologie, dont les travaux se classent même plutôt bien si on les compare aux sornettes des  paléontologues. C'est là qu'est le vrai domaine de la foi aveugle, où  n'importe quelle mâchoire de chimpanzé découverte n'importe où par le plus grand des hasards, passe illico pour le chaînon manquant, parent de la petite Lucy et de l'homme de Piltdown … .
Mais ne retournons pas le fer dans la plaie :  admirons simplement le puissant pouvoir créateur de l'imagination. A ce propos, on connaît l'anecdote du bonnet tibétain, telle que la rapporte Alexandra  David-Néel.  Un voyageur ayant été décoiffé par un coup de vent, son bonnet fourré s'était enfoncé dans un buisson. Les passants croyant voir là quelque petit fauve, s'en écartaient prudemment.  Et ils faisaient bien, car, à la longue, le chapeau s'était mis à mordre…


Les pages qui précèdent ont suggéré que l'humanité était passée graduellement de ce stade de connaissance encore intuitive et unifiante à un dualisme généralisé, celui de la raison, puis au rationalisme épais qui en est l'ultime corruption.
C'est ce processus fatal qui est retracé, à mots couverts, mais jusque dans ses derniers détails, par la légende troyenne.

Celle-ci n'est d'ailleurs pas la seule à aller dans ce sens, et nous avons vu comment la tradition des Hindous, en abordant la succession des quatre Yugas , ou âges du monde, détaille les étapes de cette dégradation intellectuelle, allant de l'intellection unitive généralisée à l'abrutissement matérialiste, en passant par le stades de la vision et du mythe *

Mais revenons à notre sujet, qui remonte donc au stade mythique.

En effet, le cheval de Troie, avec son chargement d'envahisseurs, figure l'intrusion du mental et de la pensée rationnelle  dans un monde encore assez proche de "l'âge d'or", et donc de l'intellection "paradisiaque". **

Cela nous fera aborder divers paradoxes, propres au caractère ambigu du monde psychique, d'où provient tout le drame. Le plus énorme et le plus mystérieux de ces paradoxes, c'est que le fameux cheval a été construit par les charpentiers grecs sur les
plans conçus par Athèna..

C'est donc la sagesse divine en personne qui a machiné la perte de la Cité sainte. ***
Et le rôle joué dans cette affaire par le rusé Ulysse, n'est pas moins paradoxal. Car il a  la réputation, méritée par ailleurs, d'un héros plein de sagesse, au point d'être personnellement protégé par Pallas. Or, il est présenté ici par Virgile comme un modèle de duplicité.


* Voir notre ch. II . Cette vérité sans âge  heurte de plein fouet  l'illusion du progrès, à laquelle, malgré l'actuel  déferlement de barbarie, quelques croyants s'accrochent encore mordicus.
** Telle qu'on la trouve dans les énigmes d'Héraclite.
.*** Hélène (alias Sélènè ), cause première du conflit, est la représentante terrestre de la Déesse lunaire. Elle en incarne à la fois la beauté, et le caractère ambigu.
A la fois grande coupable, et héroïne acquittée par les Dieux pour services rendus à l'humanité, elle a donc une fonction analogue à celle de Prométhée, ou d'Ulysse, ces champions du mental.


Et puisque les énigmes ont pour première fonction de stimuler le jugement, voyons ce que nous pouvons tirer de celle-ci, qui a tout l'air d'une provocation.

On sait que les Dieux eux-mêmes doivent obéir au Destin, l'insondable  Fatum . *
Tout organisme vivant (et donc mortel ), doit a fortiori  se soumettre à ses lois. C'est donc le cas du grand vivant qu'est le Cosmos. Or, au fur et à mesure que celui-ci vieillit, et que le cycle de la manifestation approche de sa fin, des changements se produisent dans l'ambiance , ce qui oblige  les institutions humaines à s'adapter pour éviter un effondrement trop rapide. **

Appliquons maintenant cette loi universelle au cas de la sainte Ilion (Troie).
Cette descendante directe de l'âge d'or ne pouvait plus subsister telle quelle dans les conditions de l'âge de fer (le  Kali Yuga   des  Hindous). Or, quand une tradition a "fait son temps", elle est vouée à disparaître dans un déluge, qu'il soit d'eau ou de feu. ***


* Litt. "ce qui a été dit" , la volonté du Sur-Etre impersonnel, dont les effets Iparticuliers sont les divers  Fata . L'arabe dit de même : "c'était écrit" ( Mektoub  ), et on lui fait une faute de ce fatalisme, pourtant si raisonnable. Quand il se trouve à quia , dans une situation inextricable, Enée se réconforte d'un " Fata viam invenient " : "Les destins finiront bien par nous tirer d'affaire".L'homme moderne pense que "tout s'arrange, mais mal " ( ce qui, soit dit en passant, contredit ouvertement l'idée de progrès); l'homme de tradition sait que tout s'arrange finalement, et pour le mieux.Si Dante intitule Comédie  ce qui a tout d'un drame atroce,  c'est que pour lui la comédie est  " un drame qui finit bien".
**  Les Pythagoriciens comparent une politique bien comprise à ce qu'est la médecine pour le corps. Dans les deux cas, il s'agit d'entretenir la vie de l'organisme, qu'il soit social ou individuel.
*** Ce principe intervenait, par analogie dans la succession des dynasties, tant en Chine qu'à Rome.  Le régime déchu était symboliquement incendié ou liquidé,  comme le fut la flotte d'Antoine à Actium, ou sans doute le Panthéon lui-même, quand dut abdiquer la descendance d'Auguste. Après quoi, il fut reconstruit, en mieux, par l'Empereur Hadrien.


Mais l'histoire de la Ville Sainte n'en reste pas là , car elle a des héritiers.

Ainsi, la ville de Troie ne mourra pas toute entière, puisque quelques survivants, sous la conduite du sage Enée, vont fonder une nouvelle Ilion, l'aïeule de Rome.

La "Ville éternelle", sous sa forme impériale, représentait donc ce très grand bien qu'est, dans les conditions présentes, le "moindre mal". Et l'Empire, quoi qu'en pensent ses modernes calomniateurs,  s'efforçait bel et bien de rétablir la Grande Justice, dans toute la mesure du possible. *

Tous ces événements se prêtent à une double lecture, selon qu'on les envisage à court ou à long terme. Dans le premier cas, la ruine de Troie apparaît comme un scandale "qui crie vengeance au Ciel". Mais considérée "du point de vue de l'éternité", elle n'est qu'une étape nécessaire dans le déroulement de notre manifestation, en attendant que celle-ci échappe pour de bon aux affres de la condition temporelle. **

Revenons au récit de la catastrophe troyenne.

Comme le lecteur  connaît sans doute les grands traits du conte, nous pouvons passer à l'usage qu'en fait Virgile pour illustrer sa philosophie de l'histoire.

Tout y contribue à choquer le lecteur non- prévenu.


*  C'est le propre de toute subversion révolutionnaire que de proposer son programme comme le "bien absolu", en traitant donc de "mal absolu" tout ce qui n'y entre pas. La suite de cette arrogance  ( en grec  Hybris  ) ne se fait pas attendre :  toutes les catastrophes causées par la modernité partent d'idéaux irréalisables, comme la liberté et l'égalité pour tous. Ce que la fraternité devient dans cette affaire, le XXème siècle nous l'a  démontré amplement, en attendant mieux.  On  se débarrasse d'un dictateur sanguinaire, et c'est une tyrannie cent fois pire encore qui s'installe, celle de l'anarchie.
L'existence n'est faite que de relativités, et pour être simplement vivable, a grand besoin de modestes compromis. Cette évidence n'a d'ailleurs aucune chance de se faire accepter, car  elle n'a rien de romantique…
**   Chacun est libre d'appliquer ce principe à sa propre existence éphémère.…


On l'a vu, ce sont les Grecs, à qui Virgile doit tout son art, qui ont le très vilain rôle, avec à leur tête, le perfide Ulysse.

Qui plus est, l'entreprise scélérate est inspirée par Pallas en personne.
Or celle-ci devrait être la protectrice naturelle des Troyens, puisque son temple domine leur citadelle, comme le fera plus tard le Parthénon d'Athènes.

Mais ce n'est pas tout. Deux personnages ont pressenti le piège infernal et en ont prévenu les Troyens à grands cris. Or, ils vont le payer très cher. Précisons qu'il s'agit d'êtres sacro-saints :  Laocoon, grand-prêtre de Neptune et la vierge Cassandre, prêtresse de Pallas  (Minerve), qu'on pourrait donc croire protégés par les Dieux.

Or Laocoon est étouffé avec ses fils par deux dragons sortis de la mer et donc envoyés par Neptune lui-même. *

Quant à Cassandre, ** les guerriers grecs finiront par la sacrifier dans le sanctuaire même de Pallas, malgré l'opposition farouche de quelques héros troyens, revenus trop tard de leur aveuglement. 

Mais l'épisode le plus important pour la question qui nous occupe, à savoir l'usage nouveau et subversif de la pensée rationnelle, a été traité par Virgile avec un soin tout particulier.


* Neptune (Poséidon), Hermès et Pallas  sont les régents du monde subtil, les deux premiers en tant que Dieux des "Eaux" et des "Airs", et la Déesse comme représentante du mental cosmique. Les deux dragons sont donc les serpents descendus du Caducée hermétique
** Apollon lui avait accordé le don de prophétie, assorti d'une clause funeste : comme le dit  Virgile avec une douce amertume :  Fatis aperit Cassandra futuris/ Ora, Dei iussu non umquam credita Teucris  ( " sa bouche dévoile l'avenir, mais jamais les Troyens ne lui ont accordé foi…" (En. II, 246-247).
Son sort est d'autant plus "incompréhensible" qu'elle est la représentante élue de la Déesse Vierge, dont elle occupe même le siège au centre du chant.
On a vu que Virgile lui-même, sans doute soucieux de ménager ses lecteurs, s'efforce de "moraliser" un peu cette horreur : " Hélasrien ne sert de se fier aux Dieux, quand il leur plaît de se montrer contraires ! "   (En. II, 402).


C'est le discours du traître Sinon, dont le nom même est déjà tout un programme, puisqu'il signifie "oui-non" (lat. sic-non  ), et désigne donc un adepte du double langage *, ces  ambiguas voces   qu'il feint de reprocher à Ulysse.

Son discours est en effet un modèle accompli de sophistique, cet art oratoire que Virgile avait dû étudier lui-même dans sa jeunesse, et qui permettait de plaider indifféremment le chaud et le froid.  **

Ce qui frappe dans le discours de Sinon, c'est que sa logique spécieuse s'accompagne d'un recours permanent au registre émotionnel. ***

Cet expert en larmes de crocodile est très en avance sur son époque. Même le recours à l'argument religieux nous rappelle quelque chose…: Selon ce bon apôtre, si les Troyens s'en prennent au cheval (un présent de Minerve), ils vont au devant d'une catastrophe.

Devant cette mauvaise foi dialectique, les Troyens se comportent pour la plupart comme des enfants :  la vox populi   oublie son instinct de survie immédiate au profit de l'obscure prescience d'un avenir lointain, en s'accordant ainsi avec la  vox deorum .

Rien n'est simple, pas même dans les contes.

En attendant, celui-ci a son exacte réplique dans le monde actuel, comme on le verra plus loin.

Mais seuls s'en rendent compte les  rari nantes   qui ont encore leur "saine  raison" . ****


* Contrairement à la vision intuitive, qui est infaillible, le mental s'y entend à mentir.
Et ce n'est pas un jeu de mots. Le radical  MN de mens  qu'on retrouve dans la mesure
( men-sura  ) et la mémoire (  me-men-to  ), ces facultés rationnelles, est aussi celui de
mentiri . Tout cela est propre à l'être humain (Mensch ), et à lui seul.
** Cette habileté, Platon l'avait combattue farouchement à coups de dialectique, l'arme même de l'adversaire.  Mais Platon n'était pas dupe de son propre talent  : en bon pythagoricien, il place tout l'essentiel de son enseignement dans les mythes.
La rouerie cynique des sophistes est à nouveau très en vogue, sous le beau nom de "langage efficace". Il n'y a pas si longtemps, cela se nommait encore "bourrage de crâne".
Présenter une pensée comme vraie suscite à présent l'ironie, car "mon opinion vaut la vôtre". Ce qu'il faut dire, c'est qu'elle est forte , et donc à même de susciter la sensation et l'émotion
*** L'insupportable sécheresse rationaliste a pour seule compensation une sentimentalité niaise. Mais double déséquilibre n'est pas vertu.
**** Cf. Dante et les intelletti sani  capables d'apprécier  la dottrina che s'asconde sotto il velame…( l'enseignement voilé ).


Retenons de tout cela que le langage contemporain est dans l’erreur la plus complète en opposant le mythe à la réalité.  .

En réalité, le mythe, à condition d'être garanti par la tradition, est beaucoup plus vrai que toute présentation rationnelle, en tant qu'il unit les contraires au lieu de les opposer de façon irréductible.

Il nous reste un dernier point à éclaircir, sous la forme de cette étrange question  :  pourquoi est-ce un cheval qui a fait tomber Troie ?

Au vu de tout ce qui précède, ce n'est sûrement ni le hasard ni la fantaisie poétique qui en ont décidé. Et c'est encore au mythe qu'il va falloir faire appel pour expliquer ce choix. Le cheval a toujours constitué, jusqu'à une époque récente, la principale énergie motrice. *
Mais pour les Anciens, l'énergie n'est pas seulement physique, comme dans nos systèmes réducteurs. Elle a sa source immédiate dans le monde subtil **

Chaque fois que le cheval intervient dans la légende, c'est donc pour représenter les diverses énergies du psychisme cosmique ou individuel.

En voici des exemples très variés, outre celui qui nous occupe directement.


* Le "cheval-vapeur" sert encore parfois d'étalon  énergétique…
** On peut s'en faire une idée en constatant que la force musculaire est impossible à
exercer sans un acte de la volonté, qui est une faculté purement psychique. En témoigne le Dieu des Vents, c'est à dire du souffle universel ( lat. Spiritus , gr. Psychè  ), dont le nom, Eole, s'interprète en  Aï-Wolos  :  "le très puissant". La deuxième partie de l'étymon est apparentée au grec (W) elaunô ou  Helkô  et au latin  velle  et  velox, termes  évoquant l'"entraînement" et la "spirale"  (hélix ) du désir. Et cela jusqu'au plus haut niveau, puisque l'attraction divine, que les Chinois nomment " Volonté du Ciel ", est figurée par la spirale universelle (le Dragon, image du Verbe)..


Il y a d'abord le cas de la médecine hippocratique. Cet "art médical", très différent du nôtre, faisait intervenir avant tout des énergies psychiques, ce qui est aussi la spécialité des alchimistes, tels les Centaures,  mi-hommes, mi-chevaux.*

Et le nom même d'Hippocrate - un nom de fonction -`évoquait la maîtrise ( Krateô  : dominer ) de ces énergies. On connaît aussi le rôle de  psychopompe  (guide des âmes) exercé par le cheval  Pégase, ce véhicule d'Hermès qui figure sur le casque d'Athèna . **

Mais une des bizarreries de la légende troyenne, c'est que le cheval a l'air aussi étranger que possible aux deux divinités impliquées dans le désastre, à savoir Neptune et Pallas.

On ne connaît pas cette dernière sous les traits d'une amazone, et quant au dieu des  mers, on ne voit pas bien où il aurait pu pratiquer l'équitation. ****

Maintenant, si on considère le cheval comme un représentant des énergies subtiles, l'énigme se dissipe aussitôt. En effet Neptune règne sur le monde formateur  des "Eaux" primordiales, alors que Pallas figure l'intelligence mentale, autre force psychique.

La légende nous en apprend d'ailleurs davantage sur les liens qui associent le Dieu des mers au cheval. Car c'est Neptune en personne qui a créé cet animal , en le faisant sortir de terre d'un coup de son trident. ***


* Ces Centaures alliaient une grande science à une brutalité choquante  :  union des contraires. Le Centaure Chiron fut le sage précepteur d'Achille, mais son nom pouvait faire craindre "le pire"  ( en grec cheiron  ).
** Le chevaux ailés de l'Apocalypse et la jument Bourak, qui emporta le Prophète dans les Cieux, participent du même symbolisme
***  Légende à comparer avec celle du cheval Pégase, qui , d'un coup de sabot, fit jaillir Hippokrène ( litt. "la source du cheval ). Encore une fontaine, et située sur le mont Hélicon, dont le nom rappelle la spirale cosmique entourant le Pôle.
L'Eau étant, comme l'Air, une image de l'Ether, Il existe aussi des chevaux marins, comme ceux qui forment l'attelage de l'alchimiste Protée (la Quintessence). Ils finissent d'ailleurs"en queue de poisson" , étant mi- -partis comme doivent l’être toutes les créatures du monde intermédiaire. 


Le séisme causé par cette intervention lui a d'ailleurs valu son nom grec de  Poséidôn  , qu'on peut interpréter comme "l'ébranleur du Pôle". On retrouve là l'effet violent des énergies psychiques sur la « matière ». physique. Et c'est l'arme même du Dieu qui achève d'identifier cette énergie. En effet le trident de Neptune, ce "sceptre du monde", a la forme de la lettre Psi, initiale de Psychè. *

Terminons cette réflexion sur le symbolisme hermétique du cheval par une remarque, d'ordre plus anecdotique, mais dont on comprendra qu'elle nous tienne à cœur…


LE  CHAR BELGE

" Hic vel ad Elei metas et maxima campi
sudabit spatia et spumas aget ore cruentas,
belgica vel molli melius feret esseda collo ".

                                                                       (Virgile, Georg. III, 202-204)

" Tantôt, une écume sanglante à la bouche, il se crèvera à dévorer les grands espaces des plaines ou des champs de course ; tantôt, ce qui vaut mieux, on l'attellera à des chars belges, moins cruels à l'encolure ".

Comparé à l'Aquilon hyperboréen, ce cheval figure l'énergie psychique de l'initié, qui peut suivre deux voies, l'une violente et directe, l'autre plus progressive. Ce sont les voies "sèche" et "humide" de l'alchimie.

On voit que la chevauchée peut s'accomplir "à l'arraché", ou encore d'une façon plus douce, quand , au lieu d'avaler l'obstacle, on le grignote et le "lime" patiemment.


* Ce  Psi  fait partie des consonnes exprimant le souffle, sifflantes et aspirées. Ainsi, la lettre centrale du fameux Serment d'Hippocrate  est le Phi  du mot pharmakon  (médicament); Cette lettre dont l'axe vertical traverse un cercle, est donc le schéma du caducée médical.
On a montré ailleurs qu'elle est précédée et suivie de 666 lettres, le total du texte valant donc 1333… Il n'en faut pas plus pour confirmer l'inspiration apollinienne  ( et non infernale, bien entendu), de ce texte  universellement reconnu comme sacré. (Cf.  Les Mystères du Panthéon Romain.


Tout chauvinisme mis à part, on doit en conclure que c'est cette dernière voie, celle de la prudence, qui est reconnue de longue date à la modeste Belgique…

La Gaule était en effet réputée pour la supériorité de ses artisans du bois, tels  les charrons, et plus généralement, tous les charpentiers. *

Ces métiers font appel aux mêmes connaissances géométriques et l'art de la charpente était placé formellement sous le patronage d'Athèna, puisque le cheval de Troie a été bâti en suivant un plan conçu par la Déesse en personne.

Il va sans dire que tout cela n'a rien à voir avec le rôle essentiel joué par des Belges comme Franz.Cumont, Armand Delatte, Guy le Grelle  etc. dans la redécouverte du pythagorisme…       


* La tradition celtique dont le symbolisme végétal était  resté proche des origines, excluait les temples de pierre. Son vrai pôle était le bois sacré ( nemeton , en latin  nemus ).
** Le rayon (ou rai  ) de la roue était assimilé au rayon solaire ( du  latin  radius , fr.  rai,   germ.  rad   ou  raey . Cf. all.  rademacher : charron). La poutre de charpente (trabs) l'était tout autant, comme le montre encore l'anglais  sunbeam. Les charpentes  rayonnantessont comparées à des roues, dont le mât central du bâtiment étaitt l'essieu, alors que le moyeu  était souventsculpté en forme de rose.
Cette parenté entre rles deux techniques est confirmée par le terme latin  Carpentum , désignant une charrette couverte ou un carrosse ( véhicule répandu dans tout l'Empire), et dans lequel on reconnaît l'ancêtre de notre "charpente". Virgile se sert ici de l'équivalent gaulois  Essedum , allusion possible à ses propres origines.

 

CHAPITRES ANNEXES
XXXII       LE  GARDIEN  DU  SEUIL


La réalité de la « Porte étroite » figurée notamment par le Sphinx *, est universelle au plus haut degré,  et nous ramène directement au mythe d'Athèna.

Car la Déesse porte sur le coeur, au centre de son égide, la Gorgone Méduse, autre image de la Mort **

Les images de ce type, qui sont innombrables , illustrent toutes le fait qu'une fois sorti de l'état "paradisiaque", cet âge d'or qu'est l'union avec le Principe, l'homme "déchu" en est désormais séparé par une barrière  apparemment infranchissable. ***

Celle-ci figure l'écart infini que la métaphysique constate entre deux niveaux de réalité qu'elle nomme immanence  et  transcendance , ou encore  relativité   et Absolu , et dont la relation n'implique aucune réciprocité.

Cet écart ne pourra donc être comblé qu'à des conditions paradoxales, pour ne pas dire choquantes.

Elles exigent en effet, soit "que la Divinité se fasse homme, soit que l'homme devienne Dieu" ****, ce qui est l'essence même de la Médiation.

Propositions hautement improbables donc, et qui constituent pourtant tout le défi initiatique, qu'on pourrait qualifier d' héroïque . *****


* Voir, du même auteur L’énigme du Sphinx.
** Cela fait partie de son aspect funéraire, lié au nombre 13.
***  En termes bibliques, c'est  l'Ange à l'épée de feu  interdisantl'entrée du Paradis terrestre à l'humanité déchue
**** Formule empruntée à l'hésychasme orthodoxe.
***** L'extrême difficulté de l'entreprise est soulignée par Virgile dans son Enéide
 ( VI, 125-131), où la Sibylle s'adresse à Enée en ces termes  : " Troyen fils d'Anchise, issu d'un sang divin, il est facile de descendre aux Enfers ( c'est à dire de rester, par la transmigration, enfermé dans le cosmos), car la demeure de Pluton reste ouverte jour et nuit.  Mais revenir sur ses pas et s'évader dans l'Espace, voilà tout le travail  ( opus  : le "Grand Oeuvre"), voilà le défi  labor   litt. la souffrance: , l'épreuve). Rares sont ceux-là, vrais fils des Dieux, qui ont pu y parvenir, soit que Jupiter, dans sa justice, les ait privilégiés, soit qu'une ardeur héroïque leur ait fait escalader le Ciel ".


Revenons maintenant un instant, en raison de son importance cruciale, sur un thème déjà abordé, celui de " l'espace de médiation".

L'exemple de Dédale nous a montré qu'un moyen de s'évader  * est de se forger des ailes ou d'enfourcher Pégase pour conquérir  le  Ciel  , sur lequel ni  Minos, ni son  geôlier  bâtard  n'ont aucun droit.

Cette voie des airs   est l'image la plus répandue du monde subtil, justement dénommé intermédiaire  , puisqu'il est la "frontière" (l' interface  ) entre le monde physique et le domaine ontologique (métaphysique).

Et comme toute frontière, il joint ces deux territoires étrangers tout autant qu'il les sépare.
 
Cela est aussi vrai pour l'Univers entier (le Macrocosme) que pour l'homme individuel, ou microcosme.

Chez ce dernier, la liaison entre l'esprit immortel et le corps grossier serait également inconcevable sans le psychisme jouxtant leurs confins respectifs, qui sont ceux .de l'Absolu et de la relativité.

Pour varier un peu les symboles, voici comment les Egyptiens se représentaient cette réalité.


* Mais non le seul, car il existe des  réalisations  métaphysiques directes, comme celles des Jivan Muktas  indiens. L'hermétisme n'est qu'une voie cosmologique.
** On voit le régent du monde subtil, le Dieu  Shou  , unir et séparer, d'un même geste, la Déesse du Ciel  ( Nout  ) et le Dieu terrestre  ( Gèb  ). La scène est dominée par la barque du Soleil (Râ ) figurée dans ses deux positions exrêmes
( les solstices).  Le Dieu  Shou  porte sur la tête la plume d'autruche, emblème de sa fonction  aérienne, comme le chapeau ailé (pétase) est celui d' Hermès

LES  TROIS  MONDES vus par les Egyptiens

Le Ciel (Nout) est séparé de la Terre (Geb) par le Dieu Shou ; qui symbolise le monde subtil (aérien), comme l’indique la plume d’autruche qu’il porte sur la tête. Les deux figurines du haut représentent la barque du Soleil (Râ) dans ses deux positions solsticiales. En même temps qu’elle est un geste de séparation, la médiation de Shou rapproche les deux partenaires, qui font d’alleurs des pieds et des mains pour se rencontrer…

 

XXXIII    DES ORIGINES A LA FIN DES TEMPS 


I )  L'HYPERBOREE *

On a déjà évoqué  l'accord des traditions sur l'habitat polaire de l'humanité primordiale.
Si étrange que paraisse cette notion, on fera bien d'y réfléchir sérieusement, dût-on pour cela s'écarter de l'opinion scientifique consacrée.

Car les hypothèses considérées aujourd'hui comme seules acceptables en matière d'origines, sont fondées sur une expérimentation physique fort inadéquate à son objet, qui  ne pas pèse pas lourd face à l'unanimité des traditions.

Leur témoignage, qui est le seul souvenir possible d'une expérience directe, a pu se transmettre oralement pendant des dizaines de millénaires, conception qui échappe au monde moderne, toujours à la recherche de "documents tangibles" et dont la vision du passé est donc ridiculement restreinte.

Car ces "documents" permettent tout au plus de remonter de trois ou quatre millénaires, tout le reste étant classé comme une "préhistoire" peuplée d'une caricature d'humanité.

Comme si l'histoire du genre humain se mesurait à cette échelle minuscule, celle de la dernière pluie.

Et comme si la tradition orale - dédaignée comme  "folklorique" -ne pouvait avait maintenu certaines données, dites à grand tort  "immémoriales" , alors que c'est justement la mémoire des peuples qui les conserve obstinément. **


* Voir, sous le même titre, l'ouvrage de Claudio Mutti.
** Les grandes épopées indiennes sont depuis toujours mémorisées intégralement par les chanteurs, en dépit de leurs quelque 80.000 vers. Les poèmes homériques ont été transmis oralement pendant un millénaire (au bas mot), avant d'être mis par écrit sur l'ordre du tyran Pisistrate, à une époque où précisément, la mémoire se dégradait. Retenir les 10.000 vers de l'Enéide était encore au programme des "humanités"romaines, et les écoles coraniques n'en font pas moins.


L'autre erreur de l'astro-physique et de la paléontologie (laquelle fait du reste une assez grande place aux faussaires) est de considérer naïvement que les conditions physiques actuelles ne se sont jamais modifiées au cours du temps, ce qui paraît pourtant contraire aux axiomes évolutionnistes…

Mais revenons à l'Hyperborée et à ses caractéristiques - telles qu'un printemps perpétuel au Pôle Nord -  tenues pour pure affabulation - alors qu'elles pouvaient découler simplement d'un état plus équilibre de la "mécanique céleste", où l'axe terrestre aurait été "fixé" en position verticale.

Mais du fait que l'axe terrestre est actuellement incliné et animé d'un mouvement cyclique *, on part du préjugé qu'il en a toujours été ainsi. **

D'autant que les pôles sont associés pour nous à des frimas rigoureux, et que prêter au grand Nord un climat mieux que tempéré est proprement "impensable ». 

C'est cependant ce que soutiennent des sources aussi variées que les Vedas, *** les écrits taoïstes, pythagoriciens, islamiques, sans même parler de la Bible ou d'innombrables « folklores » moins connus.


* Cette "nutation" qui sert de base à la mesure du temps. Cela suggère qu'à l'origine la  condition temporelle était d'une nature proche, non de l'éternité -qi est l'absence de temps, mais de la "perpétuité".
**  Par contre, on doit bien admettre, sur des bases expérimentales cette fois, un phénomène comme le renversement des pôles magnétiques, qui n'est pas moins étrange..
*** Cf. Bâl Gangâdhar Tilak, The Arctic  Home in the Vedas


C'est ainsi que des textes de Pline l'ancien , d'Ovide et de Virgile présentent des ressemblances parfois littérales avec les descriptions chinoises de ce" Paradis terrestre" , qui rappelle L'Arcadie des Orphiques.

Le Lie-tzu  taoïste décrit un climat idéal et des peuples au caractère pacifique, exempts de tous les tracas qui nous accablent. Au centre de cet Eden, une montagne en forme de jarre (sphérique ) à l'ouverture torique *, dont s'écoulent les quatre fleuves, et qui est à la fois une  Cornucopia  et une Fontaine de Jouvence.

Selon l'Islam, qui reprend une doctrine mazdéenne (persane), c'est également dans l'extrême Nord que se situe la montagne Qâf ( ou Alborj / Elbrouz ) "d'où part la voie polaire vers Allah". **

La tradition magyare parle de "six pays et un septième", où l'on reconnaît les six directions de l'espace, la "septième" étant leur origine commune (cf. les sept couleurs ).

Enfin, Virgile parle d'un Mont Atlas (mythique), sur lequel atterrit Mercure chaque fois qu'il visite les hommes.***


* Ceci rappelle furieusement le schéma de la rotonde du panthéon, qui est également une sphère, avec son oculus en forme de tore. Dans les Géorgiques de Virgile, IV, 360 ( nombre cyclique ), le palais de la Nymphe Cyrènè (alias Selènè-Pallas) est une énorme bulle d'eau sous-marine d'où s'écoulent tous les fleuves.
Sur cette question, voir  Les Mystères du Panthéon Romain...
** Comme le remarque très justement Henri Corbin, dans  Corps spirituel et terre céleste , ce Pôle est le centre de toute orientation concevable.
*** cf.  Enéide VI, 795-79) Ceci établit la nature subtile de ce lieu, d'ailleurs situé en dehors du monde spatio-temporel  ( ou zodiacal  : extra anni solisque vias ) et qui est en outre présenté comme le siège de l'autorité impériale "non humaine".

2 )  LA CHUTE DE TROIE

Dans la légende pythagoricienne, l'incendie de la ville sainte symbolise la fin d'un cycle humain, préparant l'instauration d'un nouvel âge d'or.*
Cela devrait nous inciter à rapprocher le destin de l'orgueilleuse Troie et celui de notre civilisation  occidentale,  aveuglée par l' Hybris  de son rationalisme technique.
Mais notre maladie est beaucoup plus grave, car elle ne se limite plus au périmètre d'une cité. L'échelle du désastre est à présent mondiale et n'épargne pas le moindre espace vierge permettant un nouveau départ.

Cela ne laisse plus donc aucune place à des solutions ordinaires. **

Et comme l'évidence métaphysique interdit d'envisager une plongée pure et simple de l'humanité dans le Néant, il faudra bien, tôt ou tard, admettre l'hypothèse d'une solution extraordinaire.

C'est le moment de se souvenir que le héros Dédale se trouvait dans une impasse tout aussi totale. Mais plus sage que nous, il en savait parfaitement à la fois la cause et le remède, qu'Ovide définit en deux vers justement célèbres de ses  Métamorphoses  .

Leur portée immense, autant que leur forme lapidaire, nous amène à en paraphraser tous les termes.

* Figuré, sur le plan historique, par le Saint Empire Romain
** En dehors du projetpuissamment réaliste d'une colonisation des  "exoplanètes" récemment découvertes. Et il y aurait même des traces d'eau sur Mars…On respire … ( façon de parler),
 à l'idée que notre avenir est assuré.
Il n'est en effet de difficultés que la théorie des supercordes  et les  nanotechnologies  ne puissentrésoudre.. Suffit d'y croire très fort.

Observons d'abord que le premier vers exprime un constat lucide, et le second la résolution dramatique qui en découle :

" Admettons que Minos domine tout l'univers visible… iI n'a pourtant pas la maîtrise des airs. Et puisque le ciel reste large ouvert, c'est par là que nous partirons ".  *

On voit s'opposer ici deux mondes  : l'un n'est qu'une prison, voire un tombeau, c'est celui de l'univers corporel.

L'autre est large ouvert : c'est le monde intérieur qui déborde de toutes parts les détours du labyrinthe cérébral.

Comme l'indique le symbolisme des ailes **, il s'agit du monde subtil (psychique) dans l'immensité duquel nous risquons de nous perdre, à moins de suivre la Voie menant droit au Pôle divin, et qui passe à mi-chemin entre les extrêmes ***

 

    Labyrinthe  

Labyrinthe
 

 *  "Omnia possideat, non possidet  aera  Minos. / At caelum certe patet  :  ibimus illac."
**  Qu'on se souvienne des Nymphes ( ces  Nuées angéliques), d'Hermès, de Pégase, ou encore du petit  Shou  des Egyptiens, tous familiers du monde intermédiaire.
*** Ultime conseil donné à Icare  :  " Suis la voie du milieu ( medium Iter ) en volant à
 mi-chemin des éléments opposés" (  Inter  utrumque vola  ). Le soleil et la mer - le Feu et l'Eau, (Essence et Substance) - représentent deux énergies qui, affrontées séparément, faute d'équilibre, se révèlent destructrices. On voit que le"fil d'Ariane" ne diffère en rien du "fil "de l'épée dont la Tradition celtique a fait un pont, jeté au-dessus de l'abîme.
La réussite de Dédale est proclamée en ces termes par Virgile (En. VI, 14-16)  :
Daedalus, ut fama est, fugiens Minoïa regna / praepetibus pennis ausus se credere caelo / Insuetum per iter gelidas enavit ad Arctos. " La Tradition rapporte que Dédale, fuyant le royaume de Minos, osa se confier au Ciel  en s'abandonnant à des ailes fragiles, et par cette voie peu ordinaire, réussit à naviguer jusqu'aux Ourses glaciales".
On peut voir dans cet essor, à la fois désespéré et inspiré, une autre version du "Saut de Leucade".


Reste à montrer que le Labyrinthe et le Cheval de Troie - tous deux créations "infernales" de la Grande Déesse - ne sont nullement de l'histoire ancienne, mais symbolisent les "fins dernières" de notre cycle tout entier.

C'est en effet de nous qu'il est question dans toute cette "Comédie", ce qui fait une  raison de plus pour nous y intéresser de  près .

Mais avant tout définissons ce  cycle humain   dont il vient d'être question.
Nous devrons pour cela faire un bref détour par les traditions les plus vénérables, comme l' hindouisme, à qui son caractère primordial permet d'être assez explicite sur le sujet **

Un cycle complet, ou Kalpa ,  représente le développement d'un état de l'Etre (et d'un seul ***), tel que l' humanité terrestre en général.

Chaque  Kalpa  se compose de quatorze  Manvantaras , ou ères successives, chacune de ces "manifestations humaines" étant divisée en quatre âges tout à fait semblables à ceux dont se souvenaient les Grecs. ****

*"C'est de toi que parle toute cette histoir »e  Avertissemnent donné par le poète Horace au terme d'une de ses "paraboles".
** Tout ce qui concerne cette fin des temps se nomme  eschatologie , et fait  l'objet exclusif du" Livre de la Révélation" ( alias  Apocalypse  ). Ainsi, la Bible s'ouvre sur la Naissance paradisiaque (ou  Genèse ) de notre monde particulier, et s'achève sur sur sa mort, qui n'a évidemment rien de définitif, vu la manifestation de la Jérusalem Céleste.
*** Voir  Formes traditionnelles et cycles cosmiques  de  Guénon.
**** On a vus que le Nombre 13 (la lettre M) symbolise la Mort,  alors que 14 ( ou  N ) est lié à la génération ( Cf. les 42 générations (3 fois 14) précédant la venue du Christ ).

En outre, les quatorze  Manvantaras  , étant eux aussi polarisés,se séparent en deux groupes de sept, qui  représentent le passé et l'avenir par rapport à l'instant imperceptible figurant le milieu de l'histoire.  * Ce schéma est assez semblable à celui de la double spirale, dont chaque moitié s'enroule en sens contraire, pour assurer l'équilibre.

Revenons maintenant au cycle  rstreint de nos quatre âges. Selon la tradition unanime, nous en occupons l'extrême fin, définie comme  Kali Yuga  ou"âge de fer".

Situation déjà peu enviable, mais qui s'aggrave encore du fait que notre cycle est le septième des quatorze Manvantaras. Il en termine donc la première phase, pour se situer "au milieu du temps". **

Et cela suffit à expliquer les caractères "anormaux" de notre époque. Celle-ci constitue en effet une sorte de "point mort" entre deux phases inverses. En d'autres termes, tout aussi imagés, le temps doit "s'y arrêter" un instant avant de repartir dans l'autre sens". ***

Exactement comme le temps s'est arrêté pour les Troyens à l'instant même où, à l'insu de tous, commençait la destinée de Rome. ****

Car, selon les traditions, "c'est au moment où tout semble perdu que tout sera sauvé ".


* Et donc sa réelle origine. De même, les deux phases opposées du Caducée ou du  Yin-Yang se situent de  part et d'autre de l'axe, donc avant  et  après .
**  Symboliquement, Dante situe sa propre existence au milieu même du cycle occidental.
*** Cet instant figure la rencontre avec l'axe essentiel qui se produit dans la "sinusoïde" à chaque inversion de phase, rencontre qui seule "nourrit" le mouvement.
Ce renversement est figuré par la substitution de la Jérusalem Céleste à son modèle terrestre, totalement dévalué. On rappelle l'ultime vers de Pétrarque prédisant la disparition du temps, accompagnée d'un changement radical dans la nature de l'espace.
On pourrait naturellement développer ces analogies, notamment en ce qui concerne l'actuelle accélération de l'histoire, comparable à celle que subit une onde en s'amortissant . En effet, la  fréquence  des événements s'accroît indéfiniment à mesure que  diminue leur amplitude  ( i.e. leur" retentissement"). C'est  "l'accélération de l'histoire", que plus personne ne songerait à nier.
**** Au moment même où Enée arrachait aux flammes le Palladium, emblème éternel de l'Empire sacré. Le siège de Troie dura dix ans, ce qui correspond à la durée totale des quatre âges, qui se succèdent dans la proportion de 4,3, 2 et 1.

Cela signifie aussi que la "fin du monde" ne sera en rien un anéantissement, car aucune chose, n'eût-elle qu'une ombre de réalité, ne saurait disparaître dans le néant.

Simplement, notre monde, en disparaissant physiquement   retrouvera son aspect initial, à savoir l'état subtil dont l'avait fait "sortir" une solidification comparable à celle de l'eau "prise" par le gel. *

Sous l'apparence d'une catastrophe, Il s'agit donc d'une transmutation **, dont l'effet est bénéfique , puisque les corps deviennent "glorieux" ***, et que la Jérusalem Céleste est "bâtie de pierres précieuses. Et l'on a vu que les instruments majeurs de cette  catastrophe , qui apparaissent comme des pièges  mortels, sont aussi les chefs-d'oeuvre d'Athèna, la Sagesse Divine.


* Cette image de sortie  est forcément incorrecte, car la nature  physique ne saurait "échapper" à l'élément subtil qui la pénètre entièrement.. La mythologie présente ce processus de "retour" à l'état subtil comme l'histoire d' Hylas "enlevé" par les Nymphes.
( Cf. Bucolique VI, 44 -nombre alchimique- ).Cet homme encore  hylique ("matériel")  était un des Argonautes, en quête de la Toison d'Or (l'immortalité). Laissé par ses camarades au bord d'une Fontaine ( sûrement  Celle qui bout, quoique plus froide que le marbre  ), il "disparut" sans laisser de traces, "saisi" par les représentantes de la  Psychè universelle.
Il s'agit en d'autres termes de cette phase de l'initiation qui fait passer du stade "grossier" au stade subtil. Sur tout cela, voir notre chapitre sur l'Antre des Nymphes dans  Les Mystères du Panthéon Romain..
**  Rappelons que le sens premier de catastrophe  est simplement " renversement de situation", alors que le cataclysme  ( apparenté à  clystère  ! ) est un déluge à effet purgatif…
*** La Mandorle qui "nimbe" les apparitions célestes porte aussi le nom de  "gloire".
Pour rappeler un principe déjà énoncé, la Gloire "au plus haut des Cieux" exprime l'immutabilité du Principe, alors que la   Paix  est sa manifestation terrestre la plus éminente, à savoir l''équilibre. Cette Paix est d'ailleurs réservée aux "hommes de bonne volonté", c'est à dire à ceux qui suivent la "Voie droite", entre deux extrêmes.

 

XXXIV       EMANATION  ET RESORPTION DE L'EXISTENCE CORPORELLE


Cette question des origines et des "fins dernières" de notre monde échappe entièrement aux physiciens, et même en grande partie aux théologiens eux-mêmes , pour peu qu'ils croient à une "création ex nihilo".

Les uns comme les autres raisonnent comme si quelque chose pouvait, brusquement ou non, surgir du néant. La réponse à cette absurdité va de soi, puisque le néant, par définition, n'a aucune existence.

La position traditionnelle à cette matière est la suivante :
1 ) Il n'existe aucune raison de traiter différemment la question de l'origine de notre monde et de sa fin, puisque ces deux "extrémités du temps" sont en étroite correspondance, comme le signifie la coïncidence finale de l'Alpha et de l'Omega. Toute naissance étant en même temps une mort.

Si l'on se limite à notre seul cycle d'existence, sa fin rejoint évidemment son commencement, * mais ces deux limites ne se situent pas dans le même plan que ce qui se trouve enfermé entre elles, à savoir toute l'existence corporelle.

2 Selon la doctrine traditionnelle des "trois mondes" ( spirituel, subtil * et corporel)., la Nature n'a pu émaner de son Principe informel qu'en passant  par le stade, dit "intermédiaire", du corps psychique **

Evidemment, à partir du moment où l'on nie l'existence de ce vaste domaine subtil, par conviction matérialiste délibérée *** et mépris de la métaphysique, l'origine de l'univers n'est plus pour la pensée qu'un 'trou noir" cognitif.

*Cf.  l'image gnostique du serpent Ouroboros ("qui se mord la queue"). Si l'on envisage une multiplicité de cycles successifs, la seule image qui convienne est la spirale, dont chaque spire intègre une progression, ce qui exclut tout "éternel  retour".. Voir à ce sujet la Voie Métaphysique de Matgioi.                                               
 ** Cette tripartition traditionnelle  ( Esprit immortel, âme et corps), qui vaut à la fois pour le microcosme humain et pour le macrocosme universel, est niée par Descartes, qui réduit le composé humain à la seule dualité de l'âme et du corps.
*** Comme le fontz les physiciens moderne, qui en niant pour de mauvaises raisons la réalité de l'élément éthéré, ont jeté leur science dans la confusion pour un bon siècle


Voyons maintenant comment un symbolisme universel décrit la "formation" de l'univers corporel à partir de son archétype subtil.  Ce dernier, comme son nom l'indique, échappe à la perception ordinaire.
C'est pourquoi 'Ether" impalpable, origine immédiate des éléments sensibles, est généralement représenté par les éléments qui présentent le plus de fluidité, à savoir l'Eau et l' Air.

C'est donc l'Océan, domaine de Neptune et des Nymphes, qui est présenté comme le milieu "embryologique" de notre monde, alors que l'Air est le domaine de la communication "hermétique" entre les Dieux et les hommes

C'est par "coagulation" de cet élément subtil qu'apparaît le monde corporel et par sa "solution" qu'il prend fin.

L'image la plus frappante de cette coagulation primordiale est le récit hindouiste du "barattage" de la mer de lait, opéré par les efforts alternés des Dévas et des Asuras, * et à la suite duquel apparaît la "matière" sous la forme d'un caillot de beurre.  **
Pour les Pythagoriciens, la création des formes se fait par l'intervention des Nymphes, créatures "nuageuses" *** qui peuvent donc se "métamorphoser" en prenant n'importe quelle apparence solide. ****

C'est le sens de la petite cosmogonie chantée en six vers par le vieux Silène dans une des Bucoliques de Virgile *****
Bref récit dont la grande importance doctrinale se dissimule sous les dehors bouffons d'un personnage aviné.      Mais on sait que Silène est le père nourricier (rôle  assez "féminin") de Dionysos/Bacchus, et il s'agit donc ici d'une ivresse sacrée de haute valeur initiatique.

Voici donc ce chant, suivi de son commentaire.

* Les Devas sont lumineux et les Asuras obscurs ( "a-sura" = litt. "non-solaire"). Ces forces démiurgiques alternent comme le Yin et le Yang.
** Cailler vient du latin coagulare.
*** Le grec Nympha  correspond au latin Nimbus
**** C'est le sujet des  Métamorphoses  d'Ovide, un traité hermétique.
***** Buc. VI, 31-36. Six étant le Nombre de la création.

" Il chantait comment, à partir d'un Vide immense*, s'étaient agglomérés les germes de la terre, de l'air, des eaux et du feu, et comment, de ces principes, s'étaient condensées toutes choses, et avait pris consistance la sphère universelle.                                                        C'est alors que la terre avait durci, en refoulant les Eaux dans la mer, et peu à peu , avait pu prendre toutes les formes . "  **

Voilà pour la naissance (genèse) du macrocosme, qui se reflète par analogie dans la constitution de l'embryon humain au sein des eaux amniotiques. Mais dans les deux cas, il n'est pas moins important de savoir comment s'achève ce processus de manifestation.

Par analogie inverse, cette "sortie du cosmos" sera un retour à l'élément éthéré, et sous l'action même d'un des éléments qui en sont issus, Eau ou Feu, agents d'un Déluge ou d'un embrasement général ("ekpyrose").

C'est donc aussi à cette "dissolution" *** que doit aboutir le chant de Silène.
Et elle tient en deux vers, qui font allusion à un épisode mystérieux de la légende des Argonautes, en quête de la Toison d'or.  ****                                                                                   
Un de ces nautes, nommé Hylas, s'était écarté du groupe pour s'abreuver à une fontaine ; or on n'en retrouva plus jamais trace, et on en conclut qu'il avait été enlevé par les Nymphes du lieu.

* Ce  Magnum inane est l'Ether primordial. Tout ce qui n'a pas de réalité concrète est "inanis". Virgile traite les Enfers, ce royaume fantomatique d'"inania regna" .            ** Le monde "réel" (en dur…) est évoqué par les verbes cogere (de co-agere = rassembler, dont coagulare est une forme intensive), concrescere ( d'où vient "concret" ) et durare (= durescere : se durcir).                                                   
*** En sanskrit "Pralaya", équivalent exact du latin "dis-solutio", et apparenté au grec  "luô" (dissoudre, délier).                                                                            
  **** Celle-ci n'est pas autre chose que le Graal, ou la Pierre philosophale, en tant que but de l'initiation, qui est précisément de libérer l'individu de la prison cosmique.


L'importance de ce bref passage est souligné par la triple répétition du nom d'Hylas *, personnage que nous devons donc identifier à tout prix. Son nom, tiré grec "hylè" ("bois", et plus généralement "matériau" **, a été utilisé par Aristote au sens de "matière", dans sa théorie de l' hylémorphisme, qui associe en effet matière et forme. ***

Maintenant quelles sont les forces qui associent ces deux principes de la manifestation, issus de la Substance et à l'Essence universelles ( alias Purusha et Prakriti ) Ce sont les Nymphes, qui par leurs "métamorphoses", nous ont fait entrer dans la forme (morphè = forma ), et peuvent donc aussi bien nous en faire sortir. ****

Au niveau individuel, Hylas désigne donc un personnage "enfermé" dans la matière", ce qu'on appelait d'ailleurs un "hylique", par opposition au "pneumatique" (i.e. spirituel ).
Les Nymphes, en l'enlevant, l'ont "trans-formé" (fait passer au-delà de la forme grossière), si bien qu'on ne retrouve plus trace de lui dans le monde corporel. *****

Il a donc atteint le but ultime de la "transmutation" alchimique, en rejoignant l'Ether originel.

* Une tradition éditoriale, dont il serait intéressant de rechercher l'origine, imprime encore parfois ce nom en capitales.
  ** En portugais "Madeira" signifie "bois", d'où le nom de Madère, île jadis couverte de forêts qui subvenaient au radoub des navires
 *** Virgile, loin de n'être qu'un "doux poète", était un savant renommé, et devait donc connaître les écrits pythagoriciens (dont Aristote) sur le bout des doigts.
**** Voir, dans  Les Mystères du Panthéon Romain , le chapitre consacré à l'Antre des Nymphes.
 **** C'est donc une "liquidation", au sens propre.

 

XXXV         VIRGILE, ET L'APOTHÉOSE DE PALLAS


Virgile a joué dans notre redécouverte des attributs de la Grande Déesse un rôle si essentiel que nous ne pouvons terminer cette étude sans montrer à quel point il s'était voué à Celle-ci,  corps et âme.

Les amis de Virgile l'avaient surnommé "la Vierge". On peut ne voir là que le goût romain pour les sobriquets, celui-ci portant sur le nom du poète, ou sur son caractère extrêmement réservé ( et pour cause…).

Mais cette explication facile ne dit pas tout. Car les amis en question, Horace, Ovide, Tite-Live et autres génies étaient tous pythagoriciens, membres de la même Confrérie,* et connaissaient donc fort bien le dévouement du poète à sa Protectrice.

Mais le silence initiatique ( échémythie  ) imposait à Virgile la plus grande discrétion. **
Dans toute son oeuvre, il s'ingénie donc à dissimuler sa patronne sous les masques les plus variés. ***


* Une fois de plus, les apparences "historiques" sont trompeuses. Ce  "cercle d'Auguste", loin d'avoir été institué par Octave, qui en eût sans doute été bien incapable, avait au contraire choisi  ce dernier pour exercer la fonction impériale. Et ce nom d'Octave, en vertu du principe " Nomen, omen "  ("Le nom même d'un être  présage son destin"), a pu être pour quelque chose dans ce choix, vu le sens "harmonique" de l'Ogdoade. Soit dit en passant, on prête à Auguste, pour dernière parole,  "Acta est fabula : plaudite cives  " soit en termes actuels : " La représentation est terminée : on applaudit bien fort ! ". L'empereur n'était donc pas dupe du rôle qu'on lui avait fait jouer…
** Cette discrétion dont a manqué Ovide. Celui-ci, à la fin de ses  Métamorphoses , affiche fort longuement ses attaches pythagoriciennes, ce qui lui sans doute valu son exil inexpliqué…
*** Tout le monde admet que les Bucoliques sont une comédie de masques. C'est seulement quand il s'agit d'identifier ceux-ci qu'on tombe dans le dérisoire.


Contentons-nous d'un seul exemple de ces déguisements, mais qui occupe une "place d'honneur", au couronnement de l'Enéide.

L'épopée s'achève en effet sur une scène de meurtre étrangement choquante, compte tenu de la sagesse éprouvée d'Enée, qui devrait lui interdire toute violence gratuite. *

Voici l'épisode en question.

Turnus, principal adversaire  d'Enée dans la "guerre sainte" que mène celui-ci pour établir son peuple en Italie, n'est rien d'autre qu'un fou assoiffé de meurtre. **
Il a récemment massacré l'ami de coeur du héros, le jeune Pallas, à la suite de quoi il se trouve engagé dans un duel à mort avec Enée en personne.

Et ce duel tourne si mal pour lui, qu'il est bientôt réduit à la merci du Troyen. Celui-ci se dispose à épargner Turnus, par pure compassion, lorsqu'il aperçoit sur lui les dépouilles du jeune Pallas.

Saisi alors d'un colère implacable, il jette à Turnus :  " C'est Pallas, Pallas en personne, qui t'immole par mes coups, pour punir un sang  criminellement répandu ".

Voilà pour les apparences, dont on a appris à se défier.

En réalité, un seul mot suffit à trahir l'ultime ruse, on veut dire le subtil transfert opéré par Virgile entre le jeune Pallas et la Déesse dont il portait le nom, et qui, en réalité, est ici la seule intervenante. C'est le verbe immoler.


* Etant donné aussi le dégoût manifesté par Virgile en ce domaine. Cf En. VI, 833 : " Non patriae validas in viscera vertité vires "   ( " N'allez pas transformer les forces vives de la nation en viande de boucherie" ). L'extrême énergie ( vis  ) de l'exclamation est soulignée par les quatre -v- assonants.
**  Dans les quatre derniers chants de l'Enéide, il incarne la passion guerrière, à laquelle, dans les quatre premiers, fait pendant la passion amoureuse de Didon.  Vénus et Mars, forces qui font tourner le monde, encadrent ainsi la sagesse polaire qui règne dans les quatre chants centraux. Le Rutule Turnus, c'est la tornade  rutilante  (cf. XI, 486) qui mène ses  sujets  à leu r perte.
Le parallélisme entre les quatre premiers chants et les quatre derniers veut qu'ils se terminent tous deux par un sacrifice humain. Car Didon fait de son suicide  un  auto-sacrifice dédié notamment à la Diane infernale ( Hécate) et à se Furies vengeresses ( Dirae  ) 
Cf. En. IV, 609-611. Diane s'identifie ici à Pallas, dans son sombre rôle de Ianua Inferni
.                           


Ce terme , tout comme "sacrifier", a le plus souvent pour nous un sens tout profane . Mais il n'en allait pas de même pour les Romains, car leur souci de précision dans l'exécution des rites allait jusqu'au scrupule.

L'immolation , acte sacré ( sacri-ficium  ) destiné à relier l'homme à la Divinité,  ne pouvait donc en aucun cas s'adresser à un autre homme.

Le propos d'Enée, prétendument inspiré par la colère, est en réalité la formule consacrée du rite dont il est le prêtre, et qu'il prononce donc " sine ira nec studio…"  ( sans colère ni parti- pris )

D'ailleurs c'est la Déesse elle-même qui, faisant ici figure de Nemesis , a décidé de punir l'arrogance ( hybris ) de Turnus, à un moment où celui-ci tentait encore d'échapper à son destin. ( En. XII, 911- 912). Mais quoi qu'il fît, Pallas lui interdisait de réussir  : Successum Dea dira negat.  ( litt. " l'impitoyable Déesse refuse de lui accorder le moindre sursis ".

Enée n'est donc ici que le bras armé de la Divinité. C'est pourquoi, contrairement à l'usage, il se sert des armes mêmes d'Athèna pour arrêter Turnus dans sa course folle. *

Toute idée de basse vengeance méconnaîtrait du reste le caractère solennel de l'épisode par lequel s'achève le groupe  des trois derniers chants. Ceux-ci constituent en effet, comme on va le voir maintenant,. une "trilogie" couronnant l'épopée toute entière,  exactement comme l'Olympe couronne tout l'univers.

 
* Ce sont la lance ( Hasta) ) et le bouclier rond  ( clipeus  ). Ce bouclier de Minerve représente les sept cercles planétaires. Quant à la lance, elle transperce la cuisse de Turnus  par le milieu.  ( v. 924 ). Cette lance ( Hasta  ) remplace ici le javelot ( Pilum  ), habituel arme de jet, ce qui suffirait à éveiller l'attention… De plus, cette arme vole "comme une sombre tornade" ( Turbinis instar ), ce qui évoque la magie d'Hécate autant que les fulgurations de l'égide. Ainsi, la carrière tourbillonnante de Turnus trouve une fin appropriée…


Cet Olympe des chants X, XI et XII * s'ouvre en effet de façon non équivoque, et dès le premier vers  :

" Panditur interea domus omnipotentis Olympi / Conciliumque vocat divum Pater atque hominum rex /  sideream in sedem " . **

Apothéose naturellement confirmée par les Nombres.

Les trois derniers chants comptent en tout 2772 vers, ce qui constitue une totalité ( 27 + 72 = 99 )

Leur valeur moyenne est donc de 924, emblème soli - lunaire, puisqu'il représente le produit du 12 zodiacal par le 77  éponyme de la Vierge.
Ou encore  le produit des modules 33 (Apollon)  et 28 (Pallas).

Or, toute cette trilogie est centrée très exactement sur le vers 477 du chant XI, donc au "pôle du Pôle", où s'élève un temple- acropole , consacré, non à Jupiter, comme on pourrait s'y attendre en plein milieu de l'Olympe, mais à Pallas. ***

Comble des paradoxes, c'est là que se rassemble une cohue de matrones (le culte est féminin), mais justement pas celles qu'on s'attendrait à y voir, on veut dire les Troyennes.
Ce sont au contraire les épouse de tous les Latins, ennemis jurés d'Enée, et elles viennent prier pour la perte de celui qu'elles traitent de "pirate phrygien" !

Parmi elles, Lavinia, qui, comme Hélène, est la cause involontaire du conflit…  mais aussi la future épouse d'Enée.


* Ces trois Nombres ont pour total  33, et ont pour centre le 11 polaire.
**  " Voici que s'ouvre l'Olympe tout-puissant, et que le Père des Dieux, ce roi des hommes, assemble le Grand Conseil dans sa demeure étoilée…".                             *** Ces trois Nombres ont pour total  33, et ont pour centre le 11 polaire. Le latin Summae arces  traduit littéralement le grec  Akropolis . Ce temple est donc l'archétype du Parthénon et de l' Artemision d'Ephèse, aussi bien que du Panthéon, tous sanctuaires majeurs de Pallas.

Bref, Athèna semble brouiller les cartes comme à plaisir…
Et on ne voit pas d'autres raison à cela que de souligner le caractère trompeur et illusoire des affaires humaines dont elle a la charge.

En attendant, le poète a placé sa Déesse au centre même de l'Olympe, ce qui pourrait passer pour une provocation, si les Douze Dieux n'étaient qualifiés de  Consentes ( "toujours d'accord"), ce qui exclut d'avance toute possibilité de conflit.

C'est ce qui explique l'attitude joviale du Père des Dieux, et nous permet de laisser le dernier mot à Dante.

Comme on lui reprochait d'avoir donné le nom de "Comédie" à une œuvre si évidemment tragique, le poète répondit simplement :

" Une comédie, c'est un drame, mais un drame qui finit bien…"

 




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