LES MYSTERES DU PANTHEON ROMAIN

L'Heritage de Pythagore et D'Archimede

Le Panthéon - Rome

 

Le Panthéon, comme tous les grands sanctuaires, est un "Livre de pierre".

Or, ce qui devrait nous intéresser dans ce livre, c'est moins le "volume" écrit et sa "reliure"matérielle, fatalement périssables, que les Idées éternelles qu'il est chargé de transmettre.

A cet égard,  nous n'imiterons donc pas les archéologues lorsqu'ils se comportent comme certains bibliophiles, qui connaissent tout d'un ouvrage, hors son contenu intellectuel.

 

PREMIERE PARTIE: LE THEOREME OUBLIE
AVANT PROPOS:

La première fois que le touriste se trouve en face du Panthéon, il risque d'être déçu par son aspect extérieur, moins frappant que celui de bien d'autres monuments antiques.
En effet, le bâtiment est enserré, depuis le moyen âge, par des habitations banales qui ne laissent de dégagement qu'à sa façade.

Et cette façade elle-même, quoique conçue "à la grecque", ne peut rivaliser sur le plan esthétique * avec les plus beaux temples de l'Attique et de la Grande Grèce.

Pourtant, sous le porche, une plaque, apposée à la Renaissance, annonce que cet édifice est le plus remarquable et le plus visité de toute la sphère terrestre .

Cette affirmation, qu'on pourrait attribuer à un chauvinisme naïf, exprime en réalité l'intérêt immense que ce monument unique a toujours suscité auprès des gens bien informés, et en particulier des architectes, qui durant deux millénaires, n'ont cessé de s'en inspirer, sans qu'il en existe aucune copie exacte. C’est qu’à l’impossible, nul n’est tenu.

Comme notre titre même le laisse à penser, le Panthéon gagne à être connu.
Disons même qu'il demande à être "déchiffré" : ses vraies beautés, nous l'avons dit, ne relèvent pas de la sensation subjective, mais de la pure intelligence.
Comme le disaient les architectes médiévaux  (au temps lointain où les  Francs- Maçons étaient encore des bâtisseurs de cathédrales…)  :  " Tout art qui ne s'inspire pas d'une doctrine intellectuelle est nul et non avenu " (Ars sine scientia nihil ).
Dans tous les sens du terme, le Panthéon doit donc être apprécié de l'intérieur.

Mais avant d'entreprendre cette exploration, commençons par situer le monument dans le temps et dans l'espace.

 
* L'esthétique est littéralement la "sensation" immédiate du beau.

 

CH.I
L'ESPACE-TEMPS IMPÉRIAL

L'histoire du Panthéon, coïncide avec la création de l'Empire, qui avait  mis un terme aux guerres civiles quelques année avant le début de notre ère. *

Un siècle plus tard, cet Empire englobait la majeure partie de l'Europe, sans compter des implantations en Asie et en Afrique. Avec un réseau de routes indestructibles étendu sur100.000 kilomètres, une langue officielle unique, le latin, parlée de la Crimée à la Grande Bretagne et des pays rhénans à la Tunisie, et une monnaie de très bon aloi, l'Empire constituait une entité formidable à laquelle seul, à l'époque, pouvait se comparer l'Empire chinois.

Cet immense territoire constituait le monde connu, monde conçu comme un grand cercle :Orbis terrarum.

Au centre de ce cercle, Rome, désignée simplement comme "la Ville, et comme "capitale du monde"  (Caput Mundi  ) était elle-même entourée d'une enceinte circulaire. **
La représentation concentrique de cet "Empire du Milieu" se complétait par la présence, "au centre du centre" d'un monument "polaire".
En d'autres lieux, ce Pôle symbolique  pouvait n'être qu' un simple poteau ***, ou une borne, comme le célèbre omphalos  de Delphes, qui marquait le centre traditionnel du monde méditerranéen.

Mais l'extension de l'Empire romain imposait un monument  de
plus grande ampleur, et ce monument **** n'est autre que le Panthéon, situé au milieu de la Rome nouvelle conçue sous Auguste, et donc de la Rome actuelle.
Seule la différence de taille empêche qu'on fasse le rapprochement entre l'omphalos  grec et celui de Rome.

* La dédicace inscrite au fronton rappelle le nom d'Agrippa, le général d'Auguste vainqueur à Actium. Cette inscription fut conservée lors de la restauration du temple par l'empereur Hadrien, vers 120 après J.C. Voir notre ouvrage sur  La Tradition pythagoricienne (à paraître). .
**Le monde étant une simple extension de sa capitale, Orbis  et  Urbs  sont un même mot. Cfr. l'expression Urbi  et Orbi .
*** On conservait à Rome le Palladium, "totem" central de Troie transféré jadis à l'ancienne Rome comme à Athènes, où il était conservé à l’Acropole, dans l’Erechteion.
****  En latin, monumentum  (de monere ), joint au sens de "souvenir" celui  d'"enseignement" (documentum ). .

L'importance exceptionnelle du temple venait donc de ce qu'il représentait l'âme la plus intérieure du grand corps politique.*ee

Insistons sur le fait que celui- ci était conçu  comme un organisme vivant se développant de manière concentrique, sur le modèle d'une  plante ou d'un animal.**

Sa position axiale fait donc du temple comme la racine  ou le
le noyau  de tout le territoire. ***

Et de même que la racine contient tout l'héritage génétique de la plante et annonce, en tant que germe, tous ses futurs développements, le temple central doit résumer sous forme symbolique, tout le passé de la Cité.****
Cette mémoire séculaire représente sa "personnalité" et conditionne donc son avenir.

La croissance de l'organisme impérial est signalée à la périphérie par un limes  "marquant" les confins du territoire, et souvent constitué de vraies murailles, semblables à celles des villes.

C'est ainsi qu'à l'apogée de l'Empire romain, l'empereur Hadrien, en même temps qu'il restaurait le Panthéon, entreprit de bâtir le mur qui porte son nom, et qui devait fixer définitivement la "forme" du territoire

* Cette âme était symbolisée par le feu sacré de Vesta, que rien ne devait éteindre.
En fait, le Panthéon avait remplacé le temple primitif de cette déesse, centre de la vieille ville.
**  Virgile décrit la première expansion de Rome comme faite de cycles successifs de 3, 30 et 300 ans, dont la somme 333 interviendra dans la suite de l'exposé.
*** On parle au présent, car il s’agit d’une loi universelle/
**** Selon Plutaque, on y enterrait, dans une fosse significativement dénommée « mundus » , les reliques des temps anciens, et en particulier celles de la ville – mère.
 La première de ces reliques était à Rome le Palladium de Troie..

Bref, pour preuve qu'on n'a exagéré en rien l'importance du Panthéon, voici des témoignages pris à différentes époques de la vie du monument.

- Au milieu du IVéme siècle, dans l'Empire déjà christianisé, l'historien Ammien Marcellin voit dans le Panthéon le foyer d'une cité ronde, surmonté par une voûte d'une beauté aérienn et
" le temple de l'Univers entier ".

- Michel-Ange déclare, au comble de l'admiration, " Disegno angelico e non umano !"

- Le grand peintre Raphaël *, après avoir veillé à la restauration du temple, exige d'y être enterré, comme le seront plus tard  tous les rois d'Italie. **

Enfin, pour en venir aux temps modernes, voici comment l'archéologue William Mc Donald; grand connaisseur du Panthéon pour tout ce qui concerne ses aspects archéologiques  commence  l’excellente monographie qu'il a consacrée au monument. ***

" Le Panthéon d'Hadrien est une des plus grandes  réalisations architecturales de tous les temps.
Original,audacieux à l'extrême,contenant plusieurs niveaux de sens et d'analogies,il possède une sorte d'universalité concrète.
Il nous parle d'un monde plus vaste encore que celui de la Rome impériale, et plus qu'aucun autre bâtiment,il a marqué l'architecture.

 *  Son  Ecole d'Athènes   est présidée par Pythagore et Platon. Dans la même lignée, on trouve notamment Piero della Francesca, Vinci, à la suite de son maître Pacioli, et jusqu'à Nicolas Poussin, dont nous aurons à reparler.
** Ceux-ci étant d'office Grands Maîtres de la Franc – Maçonnerie italienne, le Panthéon se trouve donc être une "Loge", en même temps qu'une église catholique consacrée à la Vierge. Paradoxe unique et qui oblige à repenser aux origines !
***  William L. MacDonald, The Pantheon , Harvard University Press, Cambridge, Massachusetts. ( Nous avons traduit les extraits).

" L'intensité de sa présence et de son symbolisme planétaire exercent toujours un effet irrésistible sur le visiteur qui, passées les portes de bronze, se retrouve enclos dans la rotonde et éprouve l'effet sidérant de ce grand vide voûté.
Et cependant, malgré tout ce qu'on sait de lui, la signification ultime du Panthéon demeure, dans sa complexité, un vrai mystère."

Ce dernier constat est plus vrai encore que ne le croit son auteur, comme on le verra en découvrant dans les pages qui suivent, le "mystère de cette signification ultime".

Le Panthéon, outre qu'il est le symbole le plus extérieur d'une politique temporelle, enferme en effet une Sagesse cachée et qu'on peut dire "méta-historique", car elle transcende non seulement les vicissitudes  des Etats successifs, mais même celles des formes religieuses.

Cette Sophia Perennis (la Sagesse éternelle) habite  en effet, outre le Panthéon, les temples bâtis à son exemple, comme Sainte Sophie de Constantinople, ou le dôme de Florence.

Pallas Vesta identifiée au Pilier CosmiqueMonnaie avec le Palladium

PALLAS  VESTA (gr. HESTIA) IDENTIFIEE AU PILIER COSMIQUE.
Comme chez les Grecs, la lance se substitue couramment au Pilier, et son inclinaison manifeste celle de l'axe terrestre.
La monnaie date de l'Empereur Hadrien, restaurateur du Panthéon. Elle figure le Palladium, fondement de l'Empire, devenu plus tard le célèbre Pilar  de Saragosse, emblème du "Saint Empire", également consacré à la Vierge Universelle. "

 En attendant, s'il faut en croire notre'expert, nous nous trouvons en face d'une énigme quasi-insoluble. Il ajoute en effet, dans un chapitre intitulé : "The problem of meaning"  (le problème du sens) :

"Dire avec quelque précision ce que le Panthéon signifiait pour Hadrien et ses contemporains ne sera sans doute jamais possible.
Et cela pour nombre de raisons, parmi lesquelles le manque de documents écrits datant de l'époque, l'inévitable subjectivité que comporte l'analyse des formes architecturales, l'état de nos connaissances sur la société impériale de Rome et sur ses croyances, et enfin les difficultés dues à l'éloignement dans le temps.

Malgré ces obstacles formidables, la tentative vaut d'être répétée ( elle l'a d'ailleurs été à de nombreuses  reprises), en raison de l'importance qu'a eue l'édifice, tant à son époque que dans la suite des temps."

Résumons les obstacles qui s'opposent actuellement à un  déchiffrage  du Panthéon : 

1)  Le manque de documents écrits.
2)  La subjectivité dans l'appréciation des formes.
3)  Notre ignorance de la culture impériale.
4)  L'éloignement dans le temps.

Supposons maintenant la découverte d'un document écrit    contenant l' analyse des formes  la plus objective    qui soit ( puisque purement mathématique), et qui  aurait traversé  le temps   pour nous renseigner sur  la  culture impériale.. *

Dans un tel cas, censé improbable, il est évident que les obstacles  précités disparaîtraient tous.comme par enchantement.

Mais un "document écrit"  n'a pas nécessairement la forme  qui nous est familière. **
Il est d'ailleurs évident qu'un tel écrit , s'ilse présentait sous une forme accessible à tout un chacun ***, ne se serait sans doute jamais perdu, et que le problème si bien défini par notre archéologue ne se poserait même pas.

 
* Cette culture est infiniment plus éloignée de la nôtre que ne pourraient le faire croire
les très nombreux témoignages archéologiques. On trouvera, dans la suite de cet exposé, des exemples de la naïveté avec laquelle nous prêtons aux Anciens nos  attitudes utilitaristes. Par exemple, tel bâtiment situé en bord de mer n'est forcément qu'une piscine, alors même que la vox populi , mieux avisée,l'a toujours tenu pour un temple.
Mais nous croyons comprendre la mentalité des Anciens, à des centaines de générations de distance, alors que celle de nos grands parents nous échappe déjà largement.
Il faut donc bien admettre que seules des données intellectuelles précises peuvent traverser impunément les siècles.
** Ainsi, les hiéroglyphes, avant leur déchiffrement par Champollion,  constituaient bel et bien un document écrit, même si personne n'y entendait rien.
*** Que cela plaise ou non, la science des Anciens est profondément aristocratique, car
on exige du candidat qu'il commence par prouver son aptitude à être éduqué.

Il doit donc s'agir de tout autre chose.Et c'est l'existence de cet autre chose   que nous nous proposons d'établir, et par A + B, pour qu'aucun doute ne reste possible.
 
Comme cette démonstration ne suit jamais les sentiers battus,* on demandera au lecteur de s'armer d'un minimum de patience attentive, et de se souvenir
que  Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable…** 

Commençons par le plus simple, la seule observation extérieure du monument Elle suffit déjà à nous apprendre comment le Panthéon incorpore, dans sa structure même, les "reliques" dont allait se nourrir l'Empire, à savoir une Sagesse éternelle et les arts chargés d'exprimer celle-ci.

 
* Elle se conforme au conseil pythagoricien de ne "jamais suivre les grands boulevards"
( Mè tous léôphorous badizein )
** Nicolas Boileau, Art Poétique.



CH II
UNE  SYNTHESE UNIVERSELLE

En vertu de ce qui précède, on doit s'attendre à trouver dans le Panthéon

  • Un témoin des cultures qui ont inspiré l'Empire
  • Un abrégé de l'Univers tout entier, dont il représente le noyau central.

Précisons avant tout que, par synthèse ,   il faut entendre la fusion harmonieuse de plusieurs éléments complémentaires en un organisme nouveau. *

Les deux éléments principaux de la synthèse impériale sont :

  • La culture grecque, particulièrement brillante dans le domaine de la Sagesse, des sciences et des arts. ( cf. Platon, Archimède, Phidias)
  • La culture étrusco-latine qui a fourni à Rome des législateurs et un sens aigu de l'organisation matérielle, lequel se déploie notamment dans la politique et la construction.
    En témoigne le légendaire roi Numa,  réputé d'origine étrusque, dont le nom même évoque "la Loi" ( Nomos ).**

Or la synthèse des deux traditions devrait apparaître au premier regard jeté sur le Panthéon. L'édifice combine en effet harmonieusement deux plans et deux techniques de construction à première vue incompatibles.


* Il ne s'agit donc en aucun cas d'un assemblage artificiel de parties disparates, auquel
cas on parlerait de syncrétisme .
** A ce caractère résolument gréco-latin de l'Empire s'ajoute une forte influence égyptienne. Les Grecs, aussi bien que les Romains, ont avoué leur stupeur devant la qualité et le gigantisme surhumain des constructions égyptiennes, et devant le sens de la durée qui avait soutenu des dynasties millénaires. Du reste,  rien n'était moins "nationaliste" ni chauvin que l'Empire des Antonins, dont les plus grands souverains furent des » étrangers », comme l'Espagnol Hadrien .
Un Empire qui se voulait universel devait être aussi éternel. C'est en ce sens que Virgile fait dire à Jupiter qu'il a fait don à Rome d'un empire illimité, sans aucune borne ni dans l'espace, ni dans le temps. "His ego nec metas rerum nec tempora pono / Imperium sine fine dedi. "  ( Enéide, I, 278)

Sa partie antérieure est un temple grec, sur le modèle du Parthénon d'Athènes. Son schéma est donc tout angulaire :  le triangle du fronton repose sur une nef en double carré, entourée de colonnes. La construction est un simple empilement   de blocs, et son seul matériau est le marbre.

La partie proprement romaine du monument contraste totalement avec le plan grec :
- Par la forme  de la rotonde et de la coupole, cette dernière étant fondée sur le principe de la voûte, sans doute la plus géniale des inventions constructives, souvent attribuée aux Etrusques.
- Par les matériaux : brique et béton. *

L'assemblage de deux éléments aussi discordants en apparence fait penser au mariage de l'eau et du feu.

Et nous n'avançons pas cette image au hasard, car le temple manifeste, dès l'abord, cette  coïncidence des opposés  que recherchent toutes les spiritualités. Ce qui a été mis en oeuvre dans sa réalisation, c'est une véritable alchimie **, fondée aussi bien sur l'interaction des éléments que sur celle des Nombres sacrés.

En d'autres termes, l'association harmonieuse de deux structures aussi antagonistes  n'a été possible que grâce à la médiation mathématique qui constitue leur lien secret.

Le fait même que personne n'ait jamais insisté sur le caractère invraisemblable de cet assemblage est la meilleure preuve de sa parfaite réussite.

Il a réussi à se faire oublier, comme toutes les vérités dont l'évidence crève les yeux 

 
* Selon l'architecte Vitruve, la brique relève des quatre éléments : faite de terre mêlée d'eau, sèchée à l'air puis durcie au feu. Le marbre, par son éclat et sa structure cristalline, représente leur synthèse, l'éther, ou quintessence (c. à. d. le cinquième élément), normalement invisible, mais figuré comme un fluide solidifié (eau ou neige), d'où son nom "marin"  de mar-mar-on ( lat. marmor ).
** Au sens général du terme, qu'on ne limite donc pas à l'hermétisme alexandrin.


On devine déjà que la fonction impériale  du monument n'est pas ce qu'il a de plus profond .
Sa signification politique n'est que la conséquence la plus extérieure des principes spirituels qu'il incarne.

Mais elle n'en a pas moins son importance : en englobant le plan du Parthénon dans un ensemble plus vaste, le Panthéon manifeste de façon spectaculaire l'intégration du monde grec à l'Empire issu de l'organisation politique romaine.

Le nom même de Panthéon ( nom grec !  *) manifeste la ferme intention d'honorer "tous les Dieux", y compris ceux des autres. L'assonance même entre "Parthénon" et "Panthéon" n'est sûrement  pas fortuite, d'autant que les deux temples étaient, on le verra, dédiés secrètement à la même divinité, la Vierge Universelle Pallas.**

Cette étroite parenté des deux temples est confirmée par la présence dans chacun d'eux du  Palladium  ***, sceptre surmonté d'une statuette de la déesse, qui servit d' omphalos   aussi bien à Athènes qu'à Rome, après avoir été dérobé à Troie par Ulysse, ou encore arraché aux flammes de la ville sainte par Enée en fuite.

S’ ajoute à cela le désir manifesté par les Romains de concentrer dans la ville éternelle tous les trésors de l'univers. Il leur fallait donc, à eux aussi, un Parthénon, cette "merveille du monde". Mais une simple copie ne pouvant les satisfaire tout à fait, ils ont fini, comme nous le verrons, par améliorer  l'idée à leur manière.


* De même, l'oeuvre de Virgile, étroitement associée au Panthéon , porte trois titres grecs, ce qui n'est pas banal pour un monument dédié à la gloire de Rome !
** Parthénon  signifie "temple de la Vierge". Pallas, déesse nocturne
( son emblème est la chouette lunaire), préside au culte secret des Mystères.
Assimilée à Athèna, puis à Minerve et Vesta, elle est la Sagesse divine, plus tard nommée "Sainte Sophie" ou Sedes Sapientiae , deux appellations mariales… L'architecture de l'Aghia Sophia   byzantine s'inspire directement du Panthéon..
*** Ce Pôle sacré est qualifié par Cicéron de pignus imperii   ( garantie de l'autorité et du pacte social ). C'est à ce titre que le Palladium   de Vesta ( Pallas - Minerve dans sa fonction de fondatrice ) figure sur les monnaies romaines.

Car si l'on ne pouvait guère surpasser le Parthénon, il restait possible de le compléter ., idée tout à fait conforme à l'esprit romain, dont la tournure juridique n'acceptait aucun sous-entendu. Or, le Parthénon par sa base rectangulaire, symbolisait le monde d'ici-bas, et son fronton triangulaire figurait le domaine subtil d'un Paradis  terrestre.

Mais pour que le temple soit une représentation intégrale de l'univers, il lui manquait encore une image du ciel cosmique.*

C'est cette image de la voûte céleste qu'Hadrien a ajoutée au plan grec, sous la forme de la célèbre coupole.

L'observation la plus immédiate du monument nous a donc déjà permis d'établir sa fonction unificatrice, confirmée par sa position axiale. En effet l'unité se représente géométriquement par le point, et en particulier par le point central du cercle.

Ce point est l'origine de toute la géométrie ** sur laquelle nous allons à présent porter notre attention, en dépassant les apparences immédiates du Panthéon, pour envisager

A ) Les idées symbolisées par son plan, d'origine purement grecque.

B ) Les techniques extraordinaires appliquées lors de sa construction par les ingénieurs romains. 


* Les Grecs se contentaient du ciel ouverrt au-dessus de leur temple. Il faut dire aussi que le Panthéon, caché sous sa voûte, donne une parfaite image de la caverne platonicienne.
**  Selon Dante, "Tout l'espace de la géométrie  (et donc de la politique)se situe entre le point et la circonférence".

 

CH. III
UN PEU DE MATHEMATIQUE

Le  Panthéon est constitué d'un  naos, double cube supportant le fronton * et d'une rotonde coiffée de sa coupole hémisphérique. Représenté  en plan , il associe donc deux formes   fondamentales : le carré (ici redoublé) et le cercle. **

Or, dans toutes les traditions du monde, l'opposition entre le carré et le cercle (c'est à dire entre la droite et la courbe) symbolise ce qui sépare le monde des mortels de celui des Immortels, autrement dit la Terre du Ciel.

Deux mondes en principe incommensurables, incompatibles, à moins qu'on leur trouve une commune mesure  permettant la communication .

Cette commune mesure, que les Grecs appellent  médiété ( c'est à dire moyenne ) peut prendre les formes symboliques  les plus diverses. En mathématique, ce sont des moyennes arithmétiques ou géométriques, ou des  nombres "irrationnels" ***, tels que le nombre (qui réconcilie la droite du diamètre  et la circonférence ), le "Nombre d'or", ou encore l'hypoténuse du triangle rectangle. ****

* Ce fronton triangulaire, du fait de sa position verticale qui lui donne un statut spécial, n'apparaît  sur la vue en plan que  comme un simple trait.
**  Le Ciel est rond et tourne comme une grande roue autour de son axe polaire.
Quant à la terre, elle.apparaît, dans l'expérience immédiate de chaque homme, comme en équilibre stable et immobile, ce que symbolise la forme carrée ou cubique..
*** Ces valeurs ne sont évidemment pas "contraires à la raison". Elles ont en effet une expression géométrique toute simple, et seule leur formulation arithmétique "ne tombe pas juste", en raison  de  son caractère discontinu.
****  La médiation peut aussi être assurée par une figure mythologique, telle la Vierge Divine qui , chez les "païens" , se nommait Isis, Pallas Athèna, Vesta ou Minerve. Elle peut même - cas très particulier - s'incarner   dans une personne, qui sera donc mi-divine, mi-humaine, comme est chez nous la Vierge Médiatrice..

 

De toute façon, cette médiation constitue l'acte essentiel de toute religion. Ce terme latin de religio  désigne en effet l'acte de relier, d'unifier ce qui est apparemment séparé.

On s'aperçoit déjà que si la géométrie, cet art de "mesurer le monde", intéressait tant les Grecs, c'est qu'ils y voyaient un langage universel permettant d'expliquer, fût-ce à des
enfants, * les  relations  simplesqui fondent le cosmos..

La même chose peut se dire des nombres arithmétiques qui, bien compris, sont un langage commun à tous, hommes et Dieux. **
Chez les Anciens, arithmétique et géométrie sont d'ailleurs tout à fait inséparables. En effet, leurs nombres sont figurés.

Cela signifie qu'à chaque nombre entier correspond une forme, à commencer par 3 ***, qui correspond au triangle (la surface élémentaire). La forme triangulaire  est  la synthèse du point (son sommet) et de la ligne (sa base), soit 1 + 2.

Elle comporte certes trois éléments, mais c'est un  triangle.

Etant la forme fondamentale, le triangle sert donc à mesurer toutes les autres surfaces, justement par triangulation . ****

 

* Ceci pour rassurer le lecteur qui se croirait totalement "nul en maths".
L'intuition du nombre est en effet innée ;  sauf respect, même les animaux privés de raison en ont quelque notion. Essayez d'enlever un oeuf à un serin, qui en a pondu quatre, sans qu'il s'en émeuve.
**  Il faut se garder de confondre les Nombres, qui sont des idées universelles, avec les chiffres  qui les représentent et varient avec chaque époque et chaque langue.
***  1 et 2  sont des principes informels (c.à.d. antérieurs à la forme), 1 correspondant au point, qui est sans dimension, et 2 à la ligne   (distance entre deux points), qui n'en a qu'une, n'ayant  pas de surface. Cette ligne s'étend indéfiniment en deux sens opposés, et aboutirait à l'éclatement définitif de l'unité, si le nombre 3 (le triangle) ne venait, par sa nature synthétique, mettre un frein à cette expansion, qui repart d'ailleurs aussitôt avec le 4, et ainsi de suite.
**** Seules les figures courbes font exception  :  elles ne peuvent se mesurer ainsi qu'avec une approximation apparentée à celle du nombre ∏.

 

Mais c'est une figure fermée sur elle-même, et il faut en assembler deux ( nombre diviseur  ) pour former le premier carré, qui correspond au nombre 4, avec lequel commence
l'expansion de l'espace et du temps. (cf.les quatre points cardinaux et les quatre saisons, les quatre âges du monde, ou de l'homme, les quatre éléments etc.).

Le nombre 4  est le modèle du développement exponentiel, et la figure qui lui correspond, le parallélogramme, est déformable par définition. *

L'opposition des deux premières formes, triangle et carré, autrement dit 3 et 4, inaugure aussi l'alternance indéfinie des pairs et des impairs qui assure le développement bien réglé de la numération, de la même façon que l'alternance ondulatoire équilibre le mouvement physique élémentaire. **

Tout impair contient en son centre l'unité, qui assure sa cohésion. Par exemple, 3 vaut  1 + 1 + 1.
C'est en raison de ce rappel constant de l'unité que  "les Dieux préfèrent les nombres impairs". ***

Le pair comporte deux parties égales (paires), qui s'ouvrent sur un "vide" :  4 = 2 + 0 + 2, modèle de division.

L'impair 3  est donc naturellement plus proche de l'Unité céleste, alors que le pair 4 sert de départ à la multiplicité terrestre, par "scissiparité". ****

Ceci explique la fonction de ces deux nombres 3 et 4 dans une proposition fondamentale de la mathématique grecque, le fameux théorème de Pythagore.


*  Cf.  De la Décade . Ces caractères opposés du ternaire et du quaternaire trouvent une application immédiate en mécanique. Un "cadre", c'est à dire un carré, se déforme à volonté. Mais il suffit de le "trianguler" au moyen d'une barre diagonale pour le rendre rigide et indéformable. De l'influence de la métaphysique surl'industrie du cycle…
** Pair et impair sont, chez les Grecs, l'équivalent exact des deux principes naturels alternants que les Chinois nomment Yin   et Yang . Leur opposition apparente est en fait une complémentarité, comme celle du féminin et du masculin..
*** Numero Deus impare gaudet  ( Virgile, Bucolique VIII, 75 )
**** Terme qui cmbine les idées de division (scission) et de parité.

plan du Panthéon romain

CH. IV
LE VRAI THEOREME DE PYTHAGORE

Son attribution au premier des philosophes montre assez que les Grecs accordaient à ce théorème* une importance capitale  : c'est qu'ils fondaient sur lui, et sur ses extensions, toute leur cosmologie sacrée. Expliquons cela.

Le fondement de toute religion repose, nous l'avons vu, sur la possibilité d'une relation ** entre l'existence finie des mortels et l'Etre Infini et Eternel de la Divinité

Or, c'est de cela qu'il est question dans le fameux triangle rectangle qui a pour côtés la suite d'entiers 3, 4 et 5.

Nous y retrouvons en effet le 3 (côté vertical) et le 4  (base horizontale) comme représentants du Ciel et de la Terre.  Leur position perpendiculaire indique assez qu'ils sont antagonistes comme le feu (vertical) et le "niveau d'eau", et aussi incompatibles entre eux que le cercle et le carré.

theoreme de Pythagore

Les deux côtés "antagonistes " de l'angle droit se réconcilient toutefois en leur sommet, ce point unique qui est leur origine commune. Mais ce point, étant sans dimension, ne relève pas de notre monde corporel : c'est une pure idée, sans étendue ni forme, et qui n’est donc pas "de ce monde ".


* "Théorème" est à l'origine une "contemplation" ou "méditation", et non le simple exercice technique qu'il est devenu chez nous. Le théâtre  et la théorie  ont la même origine liturgique : ce sont des "visions" ( de théaô  : contempler).
** "Religion" et "relation" sont apparentés par l'idée de "lien". Les Anciens n'ont jamais, sauf cas de démence, mis en doute la nécessaire réalité des Dieux.
Par contre, ils se sont demandé plus d'une fois, avec plus ou moins de sérieux, si les Immortels, au sein de  leur béatitude, se souciaient le moins du monde de notre misérable humanité


En d’autres termes : les contradictions de l'univers ne se résolvent qu'en dehors des formes créées, dans l'absolu qu'est l'Unité du Principe.

Mais l'intérêt du théorème ne s'arrête pas là.

En effet, on aimerait trouver  pour ces "ennemis" quelque terrain d'entente à l'intérieur même de notre existence.

Un tel accord entre la verticale et l'horizontale (autant dire entre Feu et Eau), s'il est possible, ne peut être que relatif, puisqu'il se situe à l'intérieur même de notre monde formel, simple reflet des réalités essentielles.*

On va voir que cet accommodement  ** entre antagonistes est obtenu dans notre théorème par la médiation de l'hypoténuse.

Du point de vue le plus extérieur, l'hypoténuse, du fait qu'elle est oblique , c'est à dire ni verticale ni horizontale (tout en tenant de l'une et de l'autre), représente déjà une telle moyenne.. ***
Cette observation pourrait paraître simpliste, si elle n'était confirmée aussitôt par le calcul.

En effet, l'hypoténuse 5 est la moyenne géométrique entre 3 et 4   ****

Mais si merveilleux qu'il soit dans sa simplicité, ce théorème ne peut s'appliquer tel quel à l'opposition du cercle et du carré, opposition que nous avons constatée dans le plan du Panthéon 


* Voir, chez Platon, le mythe de la caverne. Le Panthéon est une telle caverne, avec son ouverture unique sur la vraie lumière.
** Accommoder  signifie littéralement "donner une commune mesure" ( modus
communis  )
*** Apollon était surnommé Loxios  ( "l'Oblique" ), épithète qui peut tenir à son rôle de Médiateur divin, aussi bien qu' au caractère allusif de ses oracles.
****  En effet  9 ( carré de 3 ), + 16 ( carré de 4 )  =  25, carré de 5 .
Si l'on donne aux côtés de l'angle droit les valeurs 1 et 2, l'hypoténuse vaudra  √5, ce qui confirme la valeur médiatrice du nombre 5. Mais ce dernier cas doit s'entendre en mode potentiel (non-manifesté), car le nombre 1, qui correspond au point, n'admet aucune représentation linéaire.

 

En effet, ce plan propose des relations entre surfaces, alors que jusqu'ici nous n'avons vu intervenir que des segments de droite, donc des rapports simplement linéaires;

Mais n'existerait-t-il pas aussi une forme de médiation entre le cercle et le carré, comme il en existe une entre les segments 3 et 4 du triangle  ?

Les deux cas sont en effet comparables, puisque tous deux évoquent l'incompatibilité entre "Ciel" et "Terre"

La seule forme géométrique pouvant jouer un rôle de "médiété" entre le cercle et le carré, devrait  logiquement être le pentagone, seule figure correspondant au nombre médiateur 5.

Mais pour l'instant il nous est impossible de tracer ce pentagone médiateur, faute de connaître avec précision les proportions relatives des deux parties du monument. Pour cela, l'observation archéologique est insuffisante, ce qui semble justifier le pessimisme des experts.

Ce qu'il faudrait donc, c'est retrouver les nombres permettant de mettre en proportion le double carré (le Naos ), le cercle (la rotonde) et l'hypothétique pentagone médiateur.

Ces nombres secrets seraient-ils  perdus à jamais, nous laissant devant une énigme dont beaucoup ont pressenti l'existence, mais que personne n'arrive plus à résoudre ? *


* Du moins à notre époque, car à la Renaissance encore, il en allait tout autrement, comme le montre l’émerveillement de Michel – Ange. De même, le secret des pyramides semble perdu, en tout cas pour le moment. Il ne réside certainement pas dans quelque chambre secrète, chère à la fiction, mais plus sérieusement dans les proportions même des monuments et dans leur orientation astrale.



CH V
UN PEU DE PSYCHOLOGIE

Les constructeurs de l'antiquité gardaient secrets leurs procédés, qui ne se transmettaient que dans des Confréries très fermées.*
Il serait un peu facile d'expliquer cela par une sorte d'égoïsme corporatiste, si ce n'est pis encore. **

Nous venons de voir que les formes architecturales pouvaient révéler les vérités les plus profondes. ***
Or, celles réservées au culte des Mystères, n'étaient pas destinées à tomber dans toutes les mains.

Mais comment  dissimuler les proportions sacrées qui donnaient au monument son sens ultime, strictement réservé aux adeptes ?
La solution la plus normale, et aussi la plus répandue était de recourir exclusivement à la transmission orale, le message verbal ne parvenant qu'à des personnes dûment éprouvées, qui juraient de garder le secret.

L'efficacité du procédé est démontrée par le fait bien connu que jamais, durant des siècles, les initiés aux Mystères n'en ont divulgué un traître mot.


* Comme les Collegia fabrorum,  ces confréries d'artisans, ancêtres de nos corporations, dont les secrets se sont perpétués dans l'art roman, puis dans la Maçonnerie opérative.
**  Rappelons que la rupture entre l'Eglise et la Maçonnerie a eu pour prétexte la question du secret, dont le sens profond n'était plus compris ni des uns ni des autres.
*** Il y avait dans le Panthéon une superposition de cultes, dont les plus extérieurs étaient directement accessibles. Cela commençait par les rites civils tournant autour du César, dont la statue trônait dans l'entrée. Venait ensuite le culte de Mars et Vénus, dieux qui personnifiaient les énergies naturelles, réparties en forces de division (la guerre) et d'attraction (l'amour). Les dieux "officiels" représentaient une religion fort extérieure, à laquelle plus grand monde ne croyait vraiment.
Il n'en allait pas de même du culte le plus intime, adressé à la Déesse Pallas, qui personnifiait l'Amour Sacré. Mais les Mystères auxquels présidait cette Divinité lunaire passaient forcément inaperçus.

Sa faiblesse vient de ce que, dans des conditions exceptionnelles, liées à des persécutions ou même à la disparition naturelle des derniers adeptes *, le secret est exposé à disparaître, faute de témoins vivants.

La transmission orale étant menacée, ** et tout recours à des écrits explicites exclu d'office, que faire pour que la doctrine parvienne malgré tout, dans la suite des temps, aux personnes qualifiées pour la comprendre ?

La réponse est évidente :  il faut laisser derrière soi un  cryptogramme, un message indéchiffrable pour tout qui n'en possède pas le code.

Encore faut-il que le support de ce message soit aussi impérissable que possible.

Or cette condition est remplie, du moins pour la partie du message qui, comme nous l'avons vu, est inscrite dans la structure même du Panthéon et s'est conservée de façon quasi- miraculeuse…

le Panthéon est en effet le seul monument de l'antiquité qui nous soit parvenu à peu près intact.

Ce qui nous fait défaut, c'est donc uniquement son "mode d'emploi".

Pour découvrir où se trouve dissimulée la partie manquante du message, à savoir les nombres gouvernant sa géométrie, nous devons donc nous demander s'il n'existe pas un autre "monument" *** de l'Empire, également bien conservé, qui aurait pu en assurer la survie.


* C'est à dire aux plus aptes  à comprendre. On pense au sort qu'a connu la tradition druidique.
**  Et elle l'était, comme le montre la persécution de l'empereur Claude contre les Pythagoriciens, au cours de laquelle fut "éradiqué" leur sanctuaire de la Porte Majeure. Voir à ce sujet  La Tradition Pythagoricienne.
***  Rappelons que le latin monumentum ( de monere ) désigne tout objet susceptible de transmettre un enseignement ou un souvenir (cf. ad monition, memento  etc. ), donc un document au sens large du terme.


En fait, il n'existe qu'une oeuvre "impériale" dont la survie stupéfiante puisse se comparer à celle du Panthéon.Ce sont les trois grands poèmes de Virgile qui, plus que n'importe quelle oeuvre antique, ont nourri les esprits durant deux millénaires, et qui sont d'ailleurs toujours au programme de nos écoles.

Durant de nombreux siècles, le caractère sacré et même prophétique de cette trilogie   n'a jamais été  mis en doute. On pourrait soutenir que Virgile fait partie, comme Dante, des auteurs canoniques, notamment du fait de ses relations avec la Sibylle, dont la liturgie chrétienne elle-même invoque l'autorité.*
Comment expliquer sinon l'acharnement qu'ont mis les moines à recopier ses divers manuscrits et à en préserver l'essentiel ? **
Il devait y avoir à cela des raisons supérieures aux croyances ordinaires, car le moyen âge n'a jamais manifesté tant de respect pour quantité d'autres oeuvres "païennes". ***

Bref, le Panthéon et l'oeuvre de Virgile ont bénéficié d'une protection exceptionnelle, dont nous allons maintenant découvrir les raisons.


* Les naïfs médiévaux représentaient Virgile comme un mage et un astrologue, et il existe une longue tradition des Nombres virgiliens ,qui triomphe chez Dante. Pour savoir comment elle a ressurgi après six cents ans d’occultation, cf. La Tradition pythagoricienne.(à paraître).
**  L'histoire des manuscrits, dont il ne subsiste parfois que de minuscules fragments, est à elle seule un  roman à peine croyable. Seules des interventions
conscientes et répétées ont permis de sauvegarder l'essentiel. On veut dire par là qu'on s'est préoccupé avant tout de garder intactes, en dépit de lacunes, les proportions numériques  respectives des trois oeuvres. C'est aussi le cas du Panthéon, dont les Nombres , comme on va le voir,  ont bravé les outrages du temps.
*** Les beaux temples ont servi de carrières, et d'innombrables manuscrits ont été recyclés , qui nous sont quelquefois restés sous la forme de palimpsestes.


 CH.VI  
LE SECRET DE VIRGILE

Au point où nous en sommes arrivés, une grave question se pose : comment  dissimuler, dans un texte poétique , des données arithmétiques, et a fortiori des formes géométriques ?

N'est-ce pas le dernier endroit où, de nos jours, on s'attendrait à découvrir de tels renseignements ? *

Observons néanmoins cette oeuvre prodigieuse, comme nous l'avons fait pour le Panthéon, en commençant par un survol tout extérieur. Qu'on n'ait jamais lu une seule ligne de Virgile, ou qu'on ignore même son nom, importe en effet assez peu à notre propos, puisqu'il porte bien plus sur les Nombres que sur leur "support" littéraire.

Il suffira donc d'en retenir ce qui suit

L'essentiel de l'oeuvre virgilienne tient en trois poèmes de longueur très inégale.

  • Les Bucoliques, pastorale en 10 chants et 833 vers,.
  • Les Géorgiques, sorte de calendrier et d'encyclopédie agricole. Elles comptent 4 chants et 2.178 vers.
  • Enfin, L'Enéide, épopée en 12 chants qui traite du passé légendaire de Rome, et de ses destins futurs . C'est de loin l'oeuvre la plus étendue, avec ± 9.900 vers

Concentrons-nous  sur ces deux derniers poèmes, oeuvres tenues pour majeures, surtout en raison de leurs dimensions..


* Font exception les modernes qui ont étudié, avec des résultats fort divers, la tradition des Numeri Vergiliani;  à commencer par le Français Paul Maury, le premier a avoir retrouvé (dans les Bucoliques) une structure  numérique incontestable (voir Annexes).

Se pourrait-il que le nombre des chants  ou des vers de chacune d'eux nous livre une indication quelconque ?

C'est immédiatement évident pour les 4 chants des Géorgiques et les 12 chants de l'Enéide, qui évoquent respectivement la forme rectangulaire et le cercle. *
L'examen le plus superficiel fait donc apparaître directement les deux formes constitutives du Panthéon, le double carré du Naos et le cercle de la rotonde.

Mais cela ne nous dit encore rien sur le rapport des deux surfaces, leurs proportions respectives étant le noeud du problème.

Ici, nous devons faire un nouvel appel à la patience du lecteur, car cette question nous impose un petit détour.
On ne peut en effet y répondre sans évoquer brièvement les usages artistiques de l'époque impériale..


* Chez nous encore, en dépit du système décimal, la mesure du cercle se fait par douze et ses multiples, les droites seules se mesurant par dix.


CH. VII
UNE VANNERIE POÉTIQUE

L'art le plus en vogue à l'époque alexandrine était celui de la mosaïque, dont on retrouve d'innombrables exemplaires jusque dans les contrées les plus reculées de l'Empire. 

On sait que le mosaïste réalise ses compositions au moyen de plaquettes (tessères) multicolores de dimension invariable.

L'ensemble est modulaire  : il entre toujours le même nombre de tessères (ou modules) dans une surface donnée.Cet art s'apparente donc à celui du tissage, dont on connaît l'importance symbolique *, et dont une variante est la vannerie.

Or, justement, dans la post-face des Bucoliques, Virgile se compare à un vannier "tissant ses petits paniers avec les rameaux flexibles de l'hibiscus ".  **

Cette curieuse métaphore n'a qu'un sens possible : elle fait entendre que le poète compose son poème comme on réalise un tissu, dont chaque point serait un vers.***

Son oeuvre, dans ce cas, est donc une sorte de mosaïque , où le nombre des vers mesure une surface, dont la forme, on l'a vu, a déjà été indiquée par le nombre des chants.

Tout cela pourrait, jusqu'ici, passer pour pur délire d'interprétation.. Voyons pourtant si la suite confirme notre hypothèse.

Et pour cela, il faudra compter les " points" de notre vannerie symbolique.


* La création toute entière est souvent présentée comme un tissu dont chaque créature représente un point. D'où le symbolisme cosmogonique du métier à tisser, encore très répandu en Afrique. Le fameux ouvrage de Pénélope apparente celle-ci à Pallas, la Divine tisserande.  En ce sens, un  texte  - et celui de Virgile est tout un monde - ne diffère pas d'un  textile .
**  L'image gracieuse, et même affectée, est dans le ton de l'oeuvre,  qui paraît à mille lieues de toute réflexion profonde. Mais, là aussi, les apparences sont trompeuses.
*** Ici, tous les vers sont des hexamètres, ce qui assure la régularité des "points" ( ou, si l'on veut, des tessères).


CH. VIII
CERCLE ET CARRE


1)  LE RECTANGLE DES G
ÉORGIQUES

Les 4 chants de Géorgiques comptent en tout 2.178 vers.*

Ceux-ci sont divisés en deux parties égales par une ligne de séparation très nette située au vers 33 du chant III. **
L'oeuvre est donc une sorte de diptyque dont chacun des volets compte 1.089  vers (la moitié de 2.178) Or,  1.089 est le carré de 33. ***

Les Géorgiques, valant deux fois le carré de 33, figurent donc littéralement un double carré , ce qui correspond précisément à la partie rectangulaire du Panthéon. Celle-ci mesure donc 66 sur 33. ****                           
                                              
                                   Rectangle des Géorgiques

Conclusion  :  le nombre des chants et le nombre des vers sont en parfait accord : ce sont tous deux des carrés. Il ne peut donc subsister aucun doute sur l'intention du poète                                                    

* C'est à dire de "points". La post-face de huit vers est visiblement surajoutée (colophon incorporé au texte).
**  Le contexte décrit un temple idéal dédié à Auguste, et ce monument est expressément situé sur l'axe S/N, c'est à dire au centre de l'Empire, puisque on cite les nations conquises, qui se situent à l'Est et à l'Ouest de cet axe.
On a donc affaire à une sorte de planisphère, dont les marches ultimess sont personnifiées par les Indiens  Gangarides  et les Britanniques.
*** Cette expression de "nombre carré", qui n'est plus pour nous qu'une abstraction, avait pour les Anciens un sens très concret, car ils "figuraient" tous les nombres sur un tableau (ou abaque). Le terme " 33 au carré " signifiait donc un carré comportant 33 rangées de 33 points, figurés par des jetons ou des cailloux ( en latin  calculi  , d'où  notre terme "calculer")..
****  C'est le "plan basilical", qui a servi plus tard dans les cathédrales sous le nom de "carré long". Bien entendu, ces proportions sont indépendantes de tout étalon de mesure, et la question de savoir s'il s'agit - comme c'est probable - de coudées romaines ne les affecte en rien.


2)  LE CERCLE ZODIACAL DE L'ENEIDE

Ce résultat significatif nous encourage à appliquer la même méthode à l'énorme masse de l'Enéide.

Le nombre de ses chants, une douzaine, indique une structure  cyclique, comme celle de l'année solaire (le zodiaque). *

Voyons si le nombre des vers vient confirmer cette forme, comme dans le cas des Géorgiques..

Ce nombre est de 9.900 vers, soit 99 centaines.**

Or on sait que 99, lui aussi multiple de 33, est le nombre de mois de l'année pythagoricienne  et donc, tout autant que 12, un nombre circulaire. ***

Maintenant, si nous avons bien affaire à un cercle, son centre doit se situer juste à la moitié des 9.900 vers , soit au début du chant VII. ( v. 192-193 ). 

Cet endroit est particulièrement sacré, puisque il est situé sur l'axe du zodiaque, seul point de notre monde qui échappe au mouvement cosmique, et donc considéré comme  "porte du Ciel".


* .Cette structure zodiacale de l'Enéide est généralement reconnue ; les difficultés n'apparaissent que lorsqu'il s'agit de déterminer le point de départ du cycle,  puisqu'en  cas d'erreur aucune interprétation ne tient. Et c’est malheureusement le cas le plus général, d’ailleurs peu explicable, car le signe zodiacal est clairement mentionné au centre de plusieurs des chants !  Pour ne citer que les deux premiers chants, C'est Enée, vêtu de la peau du lion de Némée ( premier travail d'Hercule), qui trône au centre du premier chant , alors que la vierge Cassandre occupe la même place dans le second. Notre zodiaque commence donc par le Lion et la Vierge.  Cet exemple suffit, même si Virgile n’a pas eu le temps d’appliquer ce procédé à l’ensemble de l'œuvre..
**  Qu'il s'agisse de centaines est secondaire : ce qui importe, c'est la caractéristique  99, qui purement qualitative, et repose sur la valeur cyclique bien connue du 9.
***  Le cercle des 12 chants figure les mois de l'année solaire , et les 99 centaines de vers  les 99 mois de l'année lunaire, ou  delphique  ( cf.  l' Oracle de Delphes , de Marie Delcourt) Oon trouve encore cette double mesure annuelle chez Pétrarque, avec ses 99 sonnets et les 365 pièces du Canzionere.

Et en effet, tout comme dans les Géorgiques, nous nous trouvons là dans un temple, mais un temple céleste, décrit comme situé en dehors du temps et
de l'espace, et où trône * une sorte de "Pontife-Roi", souverain du monde subtil. **  ( cf. Enéide , VII, 173 ).

La forme circulaire de l'Enéide étant ainsi  plus que confirmée, et sa surface connue , nous pouvons maintenant en calculer le diamètre.
En donnant au nombre Pi la valeur archimédienne de 22/7  et en l'appliquant au cercle de 9900 de surface, nous trouvons que son diamètre vaut 112 ***

Nous pouvons donc quitter (provisoirement) Virgile, puisqu'il a déjà rempli l'essentiel de sa fonction, qui était de nous transmettre les proportions secrètes du Panthéon


* Letrône (lat. sedes  ) a dans toutes les traditions une grande importance symbolique . Par exemple, le vers central de l'Enéide nous montre Latinus, souverain éponyme des Romains, " sede  sedens, c'est à dire littéralement
 " trônant sur son trône". Une telle répétition expressive fait partie des "indicateurs" signalant les passages cruciaux. 
** Cette double fonction est soulignée par le terme "curia templum" qui, en associant le palais royal (la Curie) et le sanctuaire,  insiste sur l'origine unique de l'autorité spirituelle et du pouvoir temporel.
*** Valeur approchée. Ce nombre représente en outre le cercle tout entier, avec son centre 1 et sa circonférence 12.


CH. IX
LE THÉOREME CACHÉ

Maintenant que nous connaissons les dimensions respectives du grand cercle et du rectangle, nous allons pouvoir intégrer ("fondre") ces deux formes, comme elles le sont déjà dans le plan du Panthéon.*

Nous voyons en effet que la partie rectangulaire de l'édifice a été engagée   dans la rotonde, de telle sorte que son côté long  constitue une corde du cercle  : 
                       
                                  Theoreme cache                        

C'est le moment d'appliquer à ce schéma géométrique ** les mesures retrouvées dans les Géorgiques et l'Enéide.

* Voir le plan officiel à  la page suivante.
** Ce tracé est celui de nombreuses tombes chinoises antiques.
Leur forme a valu à ces monuments, qui sont autant de représentations cosmiques, le nom poétique de tombes " en trou de serrure".. On en attend toujours la clé…"
        

PLAN OFFICIEL DU PANTHEON

(observer l'orientation au Sud, et les huit chambres "de décharge" semi-cylindriques constituant une "rose des vents".

Rappelons que le cercle céleste a pour rayon 56 , alors que le côté long du rectangle qui y est engagé vaut 66.

Cette base 66 est donc commune aux deux figures, puisqu'elle est à la fois le côté du rectangle et la corde du cercle.

Mais elle exerce encore une troisième fonction, dont l'importance est capitale.

En effet, si nous traçons dans un cercle de rayon 56 une corde valant 66, cette corde est le côté du pentagone inscrit au cercle.

Circulo y pentagono

l s'agit là d'un cas aussi unique que celui du triangle rectangle 3-4-5 , dont il est l'exact analogue, mais cette fois en deux dimensions.

Le pentagone exerce en effet, entre les deux figures antagonistes du carré et du rond,  une fonction médiatrice comparable à celle de l'hypoténuse 5 réunissant les côtés de l'angle droit.

Et les surprises ne s'arrêtent pas là.

Il suffit en effet de tracer les diagonales du pentagone convexe ainsi découvert, pour voir apparaître le symbole le plus illustre de toute l'antiquité grecque.

Il s'agit du pentagone étoilé, ou pentagramme *, le signe de reconnaissance secret, ou du moins très discret, de la Confrérie pythagoricienne.

 Circulo y pentagono2

Etant indissolublement lié à la forme de son oeuvre, ce pentagramme constitue un sceau  attestant, sans doute possible, non seulement l'appartenance de Virgile à la grande Confrérie, mais surtout la parfaite orthodoxie des doctrines qu'il nous transmet.

Et il précise en même temps la vraie nature de l’œuvre, car il est l’emblème des Petits Mystères, qui sont d’ordre hermétique.

* On l'appelait aussi  Pentalpha , car on y voyait 5  alphas enchevêtrés. Mais il y a ici une dissimulation de plus. Car en donnant  à cette initiale d'Athèna  et de sa cité  la forme ci - dessous , il suffisait de poursuivre le tracé pour obtenir un pentagramme complet, ce qui répond à la mystérieuse maxime des Pythagoriciens : " Le commencement est la moitié du Tout". Nous verrons plus loin une autre application frappante de ce procédé "hiéroglyphique"..


CH. X 
LE PENTAGRAMME, SIGNE DE VIE

En cachant ce signe sacré au coeur de leur plan commun , Virgile et l'architecte du Panthéon * donnaient  à celui-ci une résistance indestructible.

On observe en effet que le pentagramme lie  étroitement le Ciel et la Terre dont il constitue la mesure commune.  C'est pourquoi il est représenté comme un noeud . **

Ce Noeud symbolise la cohérence universelle inspirant les deux plus grandes oeuvres d'art de l'Empire, et à leur suite,  de nombreux monuments romans, gothiques, byzantins et arabes.  Même la Maçonnerie moderne, cette lointaine héritière des bâtisseurs de cathédrales, se souvient encore du Pentagramme, sous le nom d' Etoile Flamboyante .

Ce  flamboiement   mérite d'ailleurs qu'on s'y arrête, car il paraît doter la figure d'un certain mouvement, chose étrange pour une forme géométrique, qu'on suppose naturellement statique. Mais justement, le langage mathématique actuel parle à son propos de figure pulsante .

Et voici pourquoi.


* Tout porte à croire qu'il s'agit de Vitruve, familier et ami de Virgile. Cette réalisation explique assez son exceptionnelle et durable célébrité.
** Toutes les représentations, notamment sur des monnaies, montrent que les branches de l'étoile sont  entrelacées, "tressées", comme  une vannerie.
Dans sa description de l'axe du monde (République, X, 616, c), Platon décrit les chaînes  lumineusesqui, parties de cet axe, enserrent toute la sphère cosmique dans les liens de la Nécessité, comme les cordages qui entourent les navires".
Autre image du pentagramme qui, par triangulation, rend  "indéformable" le diagramme du Panthéon, et en mesure toutes les parties...

Nous avons obtenu l'étoile en traçant les diagonales du pentagone convexe.
Mais ces diagonales délimitent à présent, au centre de la figure, un nouveau pentagone convexe, inversé, dont les diagonales, à leur tour, déterminent une nouvelle étoile, inversée elle aussi, et ainsi de suite.

Circulo2

Cette alternance indéfinie en sens croissant ou décroissant, qui rappelle notamment celle des nombres pairs et impairs, symbolise à merveille la pulsation de la vie.

Nous allons voir que cette propriété géométrique est attachée à la nature du nombre 5, le Nombre de l'Homme.*

* L'image de l'Homme étendu sur le Pentagramme, qu'on trouve chez les alchimistes (comme Agrippa de Nettesheim),  rappelle le mythe d'Atlas, ce géant qui, les deux pieds sur terre,  soutenait de ses épaules la voûte du Ciel.
 Du fait de l'analogie entre macrocosme et microcosme (l'Univers et l'Homme), le Pentagramme relève aussi de la médecine hippocratique. C'est le "noeud vital" éthéré assurant la cohérence du ternaire humain ( Esprit, âme et corps). Dès que ce lien subtil cesse d'agir, ces parties,  dont il est la seule commune mesure, se dissocient aussitôt dans la mort. Aussi le Pentagramme était-il dénommé "Santé" (Hygeia ). Et cette "santé" d'origine subtile s'applique à tous les types de microcosmes, donc aussi au Panthéon. Elle explique seule la résistance invraisemblable de sa structure, pourtant plus qu'audacieuse..A propos de ce caractère indestructible  -  privilège de quelques très grandes œuvres  -  nous avons entendu un Surintendant des antiquités romaines terminer sa "visite guidée" par cette constatation : " Eppur,  non si  muove ! …"

Les Pythagoriciens nommaient le nombre Gamos ("mariage" ) parce qu'il associait, par addition, la capacité expansive du 2 ( Yin ) à la "fixité" synthétique du nombre
impair 3 ( Yang ). *
Mais la meilleure illustration de cette propriété du Nombre Cinq est d'ordre géométrique..

En effet, le pentagramme, quoique impair et donc centré sur l'unité, montre néanmoins une capacité de croissance (et donc de vie) comparable à celle des nombres pairs. **
Et cette qualité n'appartient qu'à à lui seul.

Bien entendu la variation dont il s'agit ne saurait être continue, la géométrie étant une discipline statique. Mais elle se réalise par l'alternance des deux formes que peut prendre le pentagone, à savoir convexe et étoilée .

Cette propriété  paradoxale lui vient de l'élément √5  contenu dans sa formule, et qui est aussi la caractéristique du fameux "Nombre d'or". ***

Ce dernier est un principe d'accroissement proportionnel , qui est à l'oeuvre dans tous les phénomènes vitaux.. Il permet en effet à l'organisme vivant de se développer (en quantité), mais en  conservant toujours les mêmes proportions (qui sont d'ordre qualitatif).

En d'autres termes, l'organisme peut grandir sans perdre sa forme, c'est à dire sans rien changer d'essentiel à ce qui fait sa définition.  Autrement dit, Il devient "autre", mais sans cesser d'être
"lui- même". ****


* Une autre association de 2 et de 3 est leur produit  6, qui symbolise l'expansion universelle ( cf. 66 et 666 ). Ainsi, 5 et 6 sont des "nombres conjonctifs". Voir à ce sujet René Guénon, L'Esotérisme de Dante.
** Tel que le"carré" 4, exemple classique de croissance exponentielle.
*** La formule algébrique de cet "irrationnel" est (√5 ± 1) : 2. La valeur décimale des deux racines est 1, 618 et 0, 618, (inverses, dont le produit vaut donc l'unité). 
**** C'est en ce sens que, pour Platon (Timée ), le cosmos se compose d'un mélange de Même  et d'Autre .


Le cercle céleste, sous-tendu * par le Pentagramme, est donc tout entier sous la loi du Nombre d'Or. Mais est- ce aussi le cas pour le double carré terrestre ?

On a vu que ses côtés valent  33  et 66 . En simplifiant ces nombres par 33,  les côtés du rectangle deviennent 1 et 2 , et sa diagonale  √5 , par simple application du théorème de Pythagore. **
On a ainsi obtenu - et à nouveau par simple tracé - les trois éléments qui constituent la formule algébrique du Nombre d'or, à savoir  1 ± √5 .
                                                                            2
Tout ce qui précède nous fait donc réaliser que l'édifice du Panthéon, du fait qu'il obéit dans toutes ses parties à la loi des organismes vivants, est doté d'une sorte de vie, de rythme propre, qu'il partage avec ceux de l'Univers tout entier.

Il constitue ainsi un mystérieux médiateur entre  l’être humain et l’Univers, c’est à dire entre le microcosme et le Macrocosme.

Comme un instrument de musique dont les cordes tendues, engendrent divers rythmes, le temple, mis sous tension par ses "cordes" géométriques, engendre des sons, et un accord audible seulement par l'oreille subtile. ***

Reste à voir quelle est la nature de cet accord.

C'est ici que va intervenir le grand Archimède, dont la réputation ne semble pourtant pas d'ordre musical.

* Exactement comme le triangle de Pythagore est sous-tendu par son hypoténuse,
** La diagonale du rectangle est l'hypoténuse commune à deux triangles accolés..
*** C’est celui de la "Musique des Sphères". On a pu parler, à propos des temples grecs, de "cantique des colonnes", ce qui fait penser au poème de Keats :  Heard melodies are sweet, but those  unheard / are sweeter…

Mais le schéma de la rotonde, une sphère inscrite dans un cylindre, illustre son dernier théorème * où il démontre que la proportion de ces deux volumes est de 2 à 3.

Or, ce rapport de deux tiers correspond, dans la gamme pythagoricienne, à l'accord de quinte.**

Le monument est donc accordé à la quinte, de par la domination du Pentagramme éthéré, sa "Quinte essence".

On voit ainsi qu'aucune science traditionnelle ne se développe indépendamment ldes autres, puisqu'elle sont toutes étroitement unifiées par la loi d'analogie. ***

* Virgile cite donc Archimède parmi ses sources scientifiques, à côté de l'astronome Aratos.  Mais étant tenu à la discrétion, il masque légèrement ces noms illustres  sous des jeux de mots (cf. Bucoliques III, 40-44).  Aratos devient donc arator  (" le laboureur " , étrangement qualifié de  curvus  (courbe), ce qui ne peut s'appliquer qu'au défricheur des orbites célestes.  Quant à  Archimède, comment ne pas l'identifier sous le pseudonyme d'Alcimédon, qui a également le sens de "grande et noble intelligence" . 
On peut donc attribuer l'idée première du Panthéon au  Syracusain, qui devait tenir ce théorème  pour son ultime chef-d'oeuvre. En tout cas, selon  Plutarque ( Vie de Marcellus, 17 ) " il pria ses amis et ses parents de placer sur son tombeau, après sa mort, un cylindre renfermant une sphère, avec pour souscription le rapport du volume contenant au contenu".  Cicéron raconte, dans ses Tusculanes, qu'étant gouverneur de Sicile, il s'enquit de cette tombe oubliée et finit parla retrouver,  telle que l'avait décrite Plutarque.
**  La gamme pythagoricienne, base de la nôtre, a sur celle-ci l'immenseavantage de la simplicité. Ses trois "piliers" sont l'octave, la quinte et la quarte. La moitié de la corde donne l'octave supérieure, ses deux tiers la quinte, et ses trois quarts la quarte. Les autres notes sont intercalaires.
*** On n'ose penser à ce que donnerait, de notre temps, un colloque regroupant musiciens, médecins, ingénieurs, architectes, politiciens etc., tous étant censés parler d'une même voix …

Un temple égyptien portait l'inscription suivante : "Ce temple est comme le Ciel dans toutes ses dispositions".  *

La même chose pouvant se dire du Panthéon, nous allons maintenant évoquer sa signification astronomique. **

Le Pentagramme, devenu l' Etoile Flamboyante  des Maçons, est le Soleil spirituel, le Logos Apollon, dont l'image physique est le soleil  ( Hélios  ) qui se projette dans le Panthéon par l'oculus  de la coupole.

Cette identification au soleil est confirmée par les Nombres.

La géométrie nous apprend en effet que le pentagone étoilé occupe le tiers du cercle dans lequel il s'inscrit.Le cercle de l'Enéide ayant une surface de 9.900, l'étoile qui le sous-tend vaut donc 3.300, où l'on reconnaît le module solaire 33, omniprésent dans le plan.

La Lune, l'autre "grand luminaire", s'y trouve également représentée, , discrètement comme il se doit, par la série de 28  caissons répartis sur la périphérie de la voûte. ***


* Temple de Ramsès II  , musée du Caire.
**. Le trajet annuel du soleil est figuré par le zodiaque, avec toutes ses implications, notamment psychiques. Le Soleil est la colonne vertébrale  de notre univers, et ses 33 stations correspondent, dans l'ordre macrocosmique, aux 33 vertèbres du microcosme humain.
*** Au cours du  mois lunaire, qui compte 28 jours, la lune traverse  28 constellations. Sa fonction étant de refléter la lumière de notre étoile, elle se trouve également représentée sur le diagramme par les 4 segments  périphériques (ou lunules)  figurant ses quatre phases, et qui sont découpés dans le cercle par l'inscription du pentagone. On verra plus loin la fonction très spéciale du cinquième segment situé  sous la corde du cercle.
Quant aux cinq planètes elles avaient leur place dans des "niches" pratiquées à l'intérieur des murs de la rotonde.
 Notons que 66 et 56, les nombres qui déterminent les proportions de notre diagramme, sontaussi les premiers multiples de 33 et 28, nombres respectifs du Soleil et de la Lune.

Mais ce qui frappe le visiteur, dès son entrée, c'est la manifestation spectaculaire del'astre du jour.

La coupole, percée de son oculus , constitue en effet une sorte de cadran   sur lequel le soleil vient projeter sa tache lumineuse, marquant ainsi les heures et les saisons.*
Symboliquement, Apollon, le Soleil spirituel, rayonne dans la sphère cosmique en y envoyant ses flèches à travers l'oeil  qu'est la clé de voûte.  **

 

Passons maintenant à une partie du diagramme dont nous n'avons pas encore parlé. Il s'agit du triangle (ici ombré) situé entre les pointes inférieures de l'Etoile, et qui surmonte le rectangle terrestre.

circulo3

Ce triangle de base 66 et de hauteur 45 a donc une surface valant  825. Nombre à retenir . ***

* Le Panthéon, Omphalos  ("nombril")de la nouvelle Rome, n'était pas son seul monument astrologique. Non loin de là s'étendait en effet  le solarium  d'Auguste, cadran solaire plus classique, puisque c'est  l'ombre du soleil,  et non sa lumière qui  y  mesurait le temps. Ce qui était moins conventionnel dans ce monument récemment retrouvé,  c'étaient ses proportions gigantesques, dont on se fera une idée en sachant que l'aiguille (ou gnomon  ) chargée de projeter l'ombre mouvante n'était rien de moins qu'un obélisque égyptien.
**  Cette position du  Logos au sommet de l'Axis Mundi   sera plus tard celle du Verbe  Pantokratôr  représenté au centre des coupoles byzantines.
***  Il représente le carré de 5 multiplié par le module 33.

C'est là un élément essentiel, même s'il ne nous est apparu qu'en dernier lieu. *

Il figure en effet le fronton du temple grec englobé dans le plan général du Panthéon, temple que nous avons assimilé au Parthénon.

Ce fronton, normalement vertical, a dû être rabattu  dans le plan pour pouvoir y figurer, et il faut se demander maintenant à quel élément du diagramme virgilien il peut bien correspondre.

On pense tout de suite aux Bucoliques, premier recueil de la trilogie, et qui lui sert en quelque sorte de "fronton" **
Encore faut-il que l'oeuvre,  pour pouvoir remplir cette fonction,  ait bien une structure triangulaire, et que sa surface   s’accorde avec celles des autres parties du diagramme.

Le chapitre qui suit est consacré à toutes ces correspondances.

N.B. En raison de sa complexité ***, le poème  présente forcément un aspect technique  qui risque de lasser le lecteur.
 Si ce dernier n'éprouve pas le besoin de ce genre de preuves, il  pourra  passer directement, et sans autre inconvénient, à notre chapitre XIV.

* Le diagramme se dévoile par étapes successives.
**  On parle encore en ce sens de "frontispice".
*** Complexité qui est en raison inverse de sa concision. Les Bucoliques ont avec les deux "grandes" oeuvres un rapport comparable à celui de la graine minuscule avec la plante épanouie, qui y est pourtant contenue toute entière en germe.



CH. XI  
LE  NOMBRE  D'OR

Les Pythagoriciens nommaient le nombre Gamos ("mariage" ) parce qu'il associait, par addition, la capacité expansive du 2 ( Yin ) à la "fixité" synthétique du nombre
impair 3 ( Yang ). *

Mais la meilleure illustration de cette propriété du Nombre Cinq est d'ordre géométrique..

En effet, le pentagramme, quoique impair et donc centré sur l'unité, montre néanmoins une capacité de croissance (et donc de vie) comparable à celle des nombres pairs. **
Et cette qualité n'appartient qu'à à lui seul.

Bien entendu la variation dont il s'agit ne saurait être continue, la géométrie étant une discipline statique. Mais elle se réalise par l'alternance des deux formes que peut prendre le pentagone, à savoir convexe et étoilée .

Cette propriété  paradoxale lui vient de l'élément √5  contenu dans sa formule, et qui est aussi la caractéristique du fameux "Nombre d'or". ***

Ce dernier est un principe d'accroissement proportionnel , qui est à l'oeuvre dans tous les phénomènes vitaux. Il permet en effet à l'organisme vivant de se développer (en quantité), mais en  conservant toujours les mêmes proportions (qui sont d'ordre qualitatif).

En d'autres termes, l'organisme peut grandir sans perdre sa forme, c'est à dire sans rien changer d'essentiel à ce qui fait sa définition.  Autrement dit, Il devient "autre", mais sans cesser d'être
"lui- même". ****


* Une autre association de 2 et de 3 est leur produit  6, qui symbolise l'expansion universelle ( cf. 66 et 666 ). Ainsi, 5 et 6 sont des "nombres conjonctifs". Voir à ce sujet René Guénon, L'Esotérisme de Dante.
** Tel que le"carré" 4, exemple classique de croissance exponentielle.
*** La formule algébrique de cet "irrationnel" est (√5 ± 1) : 2. La valeur décimale des deux racines est 1, 618 et 0, 618, (inverses, dont le produit vaut donc l'unité). 
**** C'est en ce sens que, pour Platon (Timée ), le cosmos se compose d'un mélange de Même  et d'Autre .


Le cercle céleste, sous-tendu * par le Pentagramme, est donc tout entier sous la loi du Nombre d'Or.

Mais est- ce aussi le cas pour le double carré terrestre ?

On a vu que ses côtés valent  33  et 66 . En simplifiant ces nombres par 33,  les côtés du rectangle deviennent 1 et 2 , et sa diagonale  √5 , par simple application du théorème de Pythagore. **
On a ainsi obtenu - et à nouveau par simple tracé - les trois éléments qui constituent la formule algébrique du Nombre d'or, à savoir  1 ± √5 .
                                          2
Tout ce qui précède nous fait donc réaliser que l'édifice du Panthéon, du fait qu'il obéit dans toutes ses parties à la loi des organismes vivants, est doté d'une sorte de vie, de rythme propre, qu'il partage avec ceux de l'Univers tout entier.

Il constitue ainsi un mystérieux médiateur entre  l’être humain et l’Univers, c’est à dire entre le microcosme et le Macrocosme.

Comme un instrument de musique dont les cordes tendues, engendrent divers rythmes, le temple, mis sous tension par ses "cordes" géométriques, engendre des sons, et un accord audible seulement par l'oreille subtile. ***


Reste à voir quelle est la nature de cet accord.

C'est ici que va intervenir le grand Archimède, dont la réputation ne semble pourtant pas d'ordre musical.


* Exactement comme le triangle de Pythagore est sous-tendu par son hypoténuse,
** La diagonale du rectangle est l'hypoténuse commune à deux triangles accolés..
*** C’est celui de la "Musique des Sphères". On a pu parler, à propos des temples grecs, de "cantique des colonnes", ce qui fait penser au poème de Keats :  Heard melodies are sweet, but those  unheard / are sweeter…

Mais le schéma de la rotonde, une sphère inscrite dans un cylindre, illustre son dernier théorème *
où il démontre que la proportion de ces deux volumes est de 2 à 3.

Or, ce rapport de deux tiers correspond, dans la gamme pythagoricienne, à l'accord de quinte.**

Le monument est donc accordé à la quinte, de par la domination du Pentagramme éthéré, sa "Quinte essence".

On voit ainsi qu'aucune science traditionnelle ne se développe indépendamment ldes autres, puisqu'elle sont toutes étroitement unifiées par la loi d'analogie. ***

 
* Virgile cite donc Archimède parmi ses sources scientifiques, à côté de l'astronome Aratos.  Mais étant tenu à la discrétion, il masque légèrement ces noms illustres  sous des jeux de mots (cf. Bucoliques III, 40-44).  Aratos devient donc arator  (" le laboureur " , étrangement qualifié de  curvus  (courbe), ce qui ne peut s'appliquer qu'au défricheur des orbites célestes.  Quant à  Archimède, comment ne pas l'identifier sous le pseudonyme d'Alcimédon, qui a également le sens de "grande et noble intelligence" . 
On peut donc attribuer l'idée première du Panthéon au  Syracusain, qui devait tenir ce théorème  pour son ultime chef-d'oeuvre. En tout cas, selon  Plutarque ( Vie de Marcellus, 17 ) " il pria ses amis et ses parents de placer sur son tombeau, après sa mort, un cylindre renfermant une sphère, avec pour souscription le rapport du volume contenant au contenu".  Cicéron raconte, dans ses Tusculanes, qu'étant gouverneur de Sicile, il s'enquit de cette tombe oubliée et finit parla retrouver,  telle que l'avait décrite Plutarque.
**  La gamme pythagoricienne, base de la nôtre, a sur celle-ci l'immenseavantage de la simplicité. Ses trois "piliers" sont l'octave, la quinte et la quarte. La moitié de la corde donne l'octave supérieure, ses deux tiers la quinte, et ses trois quarts la quarte. Les autres notes sont intercalaires.
*** On n'ose penser à ce que donnerait, de notre temps, un colloque regroupant musiciens, médecins, ingénieurs, architectes, politiciens etc., tous étant censés parler d'une même voix …


CH. XII
LE  PLAN DU  MONDE

Un temple égyptien portait l'inscription suivante : "Ce temple est comme le Ciel dans toutes ses dispositions".  *

La même chose pouvant se dire du Panthéon, nous allons maintenant évoquer sa signification astronomique. **

Le Pentagramme, devenu l' Etoile Flamboyante  des Maçons, est le Soleil spirituel, le Logos Apollon, dont l'image physique est le soleil  ( Hélios  ) qui se projette dans le Panthéon par l'oculus  de la coupole.

Cette identification au soleil est confirmée par les Nombres.

La géométrie nous apprend en effet que le pentagone étoilé occupe le tiers du cercle dans lequel il s'inscrit.Le cercle de l'Enéide ayant une surface de 9.900, l'étoile qui le sous-tend vaut donc 3.300, où l'on reconnaît le module solaire 33, omniprésent dans le plan.

La Lune, l'autre "grand luminaire", s'y trouve également représentée, , discrètement comme il se doit, par la série de 28  caissons répartis sur la périphérie de la voûte. ***

 

* Temple de Ramsès II  , musée du Caire.
**. Le trajet annuel du soleil est figuré par le zodiaque, avec toutes ses implications, notamment psychiques. Le Soleil est la colonne vertébrale  de notre univers, et ses 33 stations correspondent, dans l'ordre macrocosmique, aux 33 vertèbres du microcosme humain.
*** Au cours du  mois lunaire, qui compte 28 jours, la lune traverse  28 constellations. Sa fonction étant de refléter la lumière de notre étoile, elle se trouve également représentée sur le diagramme par les 4 segments  périphériques (ou lunules)  figurant ses quatre phases, et qui sont découpés dans le cercle par l'inscription du pentagone. On verra plus loin la fonction très spéciale du cinquième segment situé  sous la corde du cercle.
Quant aux cinq planètes elles avaient leur place dans des "niches" pratiquées à l'intérieur des murs de la rotonde.

 Notons que 66 et 56, les nombres qui déterminent les proportions de notre diagramme, sontaussi les premiers multiples de 33 et 28, nombres respectifs du Soleil et de la Lune.

Mais ce qui frappe le visiteur, dès son entrée, c'est la manifestation spectaculaire del'astre du jour.

La coupole, percée de son oculus , constitue en effet une sorte de cadran   sur lequel le soleil vient projeter sa tache lumineuse, marquant ainsi les heures et les saisons.*
Symboliquement, Apollon, le Soleil spirituel, rayonne dans la sphère cosmique en y envoyant ses flèches à travers l'oeil  qu'est la clé de voûte.  **

Passons maintenant à une partie du diagramme dont nous n'avons pas encore parlé.
Il s'agit du triangle (ici ombré) situé entre les pointes inférieures de l'Etoile, et qui surmonte le rectangle terrestre.

      

Ce triangle de base 66 et de hauteur 45 a donc une surface valant  825. Nombre à retenir . ***


* Le Panthéon, Omphalos  ("nombril")de la nouvelle Rome, n'était pas son seul monument astrologique. Non loin de là s'étendait en effet  le solarium  d'Auguste, cadran solaire plus classique, puisque c'est  l'ombre du soleil,  et non sa lumière qui  y  mesurait le temps. Ce qui était moins conventionnel dans ce monument récemment retrouvé,  c'étaient ses proportions gigantesques, dont on se fera une idée en sachant que l'aiguille (ou gnomon  ) chargée de projeter l'ombre mouvante n'était rien de moins qu'un obélisque égyptien.
**  Cette position du  Logos au sommet de l'Axis Mundi   sera plus tard celle du Verbe  Pantokratôr  représenté au centre des coupoles byzantines.
***  Il représente le carré de 5 multiplié par le module 33.

C'est là un élément essentiel, même s'il ne nous est apparu qu'en dernier lieu. *

Il figure en effet le fronton du temple grec englobé dans le plan général du Panthéon, temple que nous avons assimilé au Parthénon.

Ce fronton, normalement vertical, a dû être rabattu  dans le plan pour pouvoir y figurer, et il faut se demander maintenant à quel élément du diagramme virgilien il peut bien correspondre.

On pense tout de suite aux Bucoliques, premier recueil de la trilogie, et qui lui sert en quelque sorte de "fronton" **
Encore faut-il que l'oeuvre,  pour pouvoir remplir cette fonction,  ait bien une structure triangulaire, et que sa surface   s’accorde avec celles des autres parties du diagramme.

Le chapitre qui suit est consacré à toutes ces correspondances.

N.B. En raison de sa complexité ***, le poème  présente forcément un aspect technique  qui risque de lasser le lecteur.
 Si ce dernier n'éprouve pas le besoin de ce genre de preuves, il  pourra  passer directement, et sans autre inconvénient, à notre chapitre XIV.


* Le diagramme se dévoile par étapes successives.
**  On parle encore en ce sens de "frontispice".
*** Complexité qui est en raison inverse de sa concision. Les Bucoliques ont avec les deux "grandes" oeuvres un rapport comparable à celui de la graine minuscule avec la plante épanouie, qui y est pourtant contenue toute entière en germe.

 

CH. XIII
SOUS LE SIGNE DU TRIANGLE

Les Bucoliques se situent en Sicile, anciennement dénommée Trinacrie( nom grec qui signifie "le Triangle" ).

Cette indication, déjà assez suggestive, est confirmée par les Nombres, et cela de deux façons concordantes.

Nous avons vu, à propos des Géorgiques et de l'Enéide, que leur forme répondait à la fois au nombre de leurs chants et de  leurs vers. Mais peut-on en dire autant des Bucoliques ? C'est ce que nous aurons à vérifier maintenant , en nous servant de la même méthode

Les Bucoliques ont 10 chants, et 833 vers.

Autant il est facile de faire admettre au lecteur que le 4 chants des Géorgiques dessinent un carré, autant le rapport du nombre 10 avec un triangle risque de lui paraître obscur.

C'est que la mathématique actuelle nous a familiarisé avec les nombres carrés, dont elle fait grand usage, mais pas du tout avec les nombres triangulaires , lesquels, faute d'utilisation  pratique, sont restés une simple curiosité.

Mais il n'en était pas de même pour nos ancêtres. Du point de vue symbolique, le triangle, du simple fait qu'étant le premier dans l'ordre de création des formes,  était tenu pour céleste et avait donc priorité sur le carré, réputé terrestre. Mais il y avait aussi à cela une raison plus profonde, tenant à la nature de ces nombres triangulaires.

Commençons par  comparer le nombre carré, qui nous est familier, avec le "triangle", encore appelé "somme pythagoricienne ".


* La Sicile est une terre sacrée pour les Pythagoriciens, et notamment la patrie d'Archimède, le seul Pythagoricien, avec Platon, à avoir mérité l'épithète de "Divin".

Cette dernière n'est rien d'autre qu'une addition élémentaire, celle des nombres successifs contenus dans un nombre donné.

Par exemple, 10 est le triangle  de 4.
En effet, 10 = 1+2+3+4. *

En procédant de même,  on voit que 28 est le trianglede 7.

Or la nature de ces deux opérations est foncièrement différente en ce qu'elle oppose qualité et quantité.

- Le nombre carré est le produit d'un nombre par lui-même.
L'opération multiplie doncle potentiel de la racine en l'extériorisant , avec un effet purement quantitatif.* *
C'est donc le principe de la croissance exponentielle qui se manifeste dans le monde physique (corporel ou "grossier").

- Le nombre triangulaire, par contre, n'est pas tourné vers cette production toute extérieure, mais bien vers  l’introspection, qui met au jour les diverses qualités de ses constituants.

C'est donc une opération d'ordre  causal qui met en lumière les archétypes (principes immédiats) du monde visible, ou  phénoménal  . Ceux-ci, qui sont de nature subtile, appartiennent  donc au "monde de la formation" .

* La Décade jouait donc le rôle de "contenant" ( synthèse) des neuf premiers nombres. D'où le jeu de mots grec sur  Dékas (dizaine) et  Déchas (réceptacle).
**  Les Anciens comparaient cela au développement d'un arbre dont la racine  reste cachée jusqu'à son extraction..  Par exemple, la racine de 4 ( un carré ), le  2, est linéaire (informelle, donc non-apparente).              

 

Ainsi 10 - la Décade sacrée, ou Tétraktys - a pour base le nombre 4.
Au-dessus de ce fondement "terrestre" viennent se placer dans l'ordre hiérarchique : le 3, principe de la forme et le 2, principe de la multiplicité.

Enfin le point unique du sommet figure l'Etre universel, Principe de tous les "êtres", qui émanent de Lui pour descendre dans l'existence. *

                                   1              °
                                   2           °   °
                                   3        °    °   °
                                   4      °   °   °    °

Compte tenu de ce que nous venons de voir, les Bucoliques, avec leurs 10 chants figurant la Décade originelle, ne peuvent donc avoir qu'une forme triangulaire.

Et ce triangle coïncide avec le fronton du temple grec figuré sur notre diagramme, et dont la surface, on l'a vu, vaut 825 "points". **
Pour obtenir la surface totale du Naos, il suffit donc d'ajouter celle du fronton (825) à celle du double carré de base qui, rappelons le, vaut 2.178.

Or, 2178 + 825 = 3003, nombre qui manifeste une fois de plus le module solaire 33.

Au vu des telles "coïncidences", il n'est donc pas excessif de considérer que le diagramme du Panthéon "se prouve de lui-même" sans  qu'il soit besoin du moindre argument externe…

 

*  La même relation s'observe dans la pyramide égyptienne, dont les faces triangulaires font le lien entre le point non-manifesté du sommet et la base carrée. Contrairement à l'élévation au carré, la "sommation pythagoricienne" (triangle) n'a guère d'utilité technique; son importance est toute symbolique, ce qui explique qu'elle soit si oubliée.
**  A première vue,  cette surface semble ne  pas correspondre parfaitement avec celle des Bucoliques, qui ont en tout 833 vers. Mais la  différence entre 833 et 825 tient à la présence d'une post-face de 8 vers, qui est une sorte de hors-d'oeuvre, comme l'indique d'ailleurs Virgile lui-même.  Ces 8 derniers vers commencent en effet ainsi :  " O Muses, votre poète a dit  maintenant tout ce qu'il avait à dire " . Ce 833, lu 8 /. 33 n’est d'ailleurs pas dénué d'une charge symbolique, 8 étant le nombre d’ Octave -Auguste, et 33, la signature de sa fonction….
Après avoir ainsi constaté la parfaite intégration de la Tétraktys bucolique dans l'ensemble du diagramme, nous pouvons maintenant nous intéresser au contenu symbolique de ce fronton. Etant donné la position "supra-terrestre" de la Décade triangulaire, et sa qualification de  "Source et racine de l' éternelle Nature  , elle nous fait pénétrer dans le monde subtil,  où s'élaborent les prototypes  psychiques de tous les êtres corporels.

Ces notions complexes sont peu familières au lecteur moderne. Nous tâcherons donc de les expliquer le plus simplement possible. *

*. L'aspect mystérieux des Bucoliques découle de leur fonction causale de racine , qui en fait l'oeuvre la plus courte des trois.La racine; comme la graine, contient déjà tout l' "arbre de la Création" à l'état potentiel ou  "enveloppé"  ( im plicite  c.à d." replié sur lui-même", du latin  plicare ). Ex pliquer  une réalité  com plexe c'est la "déployer"..L'image classique du développement exponentiel était le "pliage" d'une feuille. ..Le simple pliage permet d'obtenir des résultats géométriques qui ne peuvent être obtenus autrement, comme la trisection de l'angle. Et les Pythagoriciens devaient bien connaître le pliage dit 'en chapeau d'évêque" qui livre en un instant un pentagone en bonne et due forme.On s'abstiendra pourtant de gloser sur le symbolisme de la mitre épiscopale…

Toujours à propos de pliages, on peut penser que l' origami  japonais n'était pas sans signification symbolique, car un de ses thèmes favoris est la grue, oiseau couronné qui, dans le monde entier, est un symbole du Verbe.. La "Danse de la grue", rite astral et labyrinthique, apparaît dans l'Enéide à titre de rite troyen, et s'appelle d'ailleurs "Troia".( cf. En. V,  575- 603 ). La grue se dit en grec "géranos" , terme apparenté à ceux désignant le Couronne (corona), ou la Corne (Cornu), et même la foudre ( Keraunos ) On ne peut évidemment développer ici ce symbolisme fort riche, qui rappelle celui de la  Sephirah  Kether


CH. XIV
UN  MONDE  SUBTIL

Les dix chants des Bucoliques doivent présenter, comme les Géorgiques et l'Enéide, ces autres structures solaires, la forme d'un zodiaque, qui est ici réduit à l'essentiel. *

Ce plan s'organise autour de deux axes cruciaux, qui sont respectivement l'axe vertical des solstices et celui, horizontal, des  équinoxes.

Un monde subtil      

1)  L'axe solsticial est la verticale reliant les chants V  et X , et qui représente le Pôle des 9 premiers chants. **

Le faîte V ( Fastigium  ) de cet Axis Mundi  est voué à la figure apollinienne de Daphnis, alors qu'à sa base (Vestigium ) se trouve  le chant X. ***
Il faut entendre par là  qu'Apollon occupe une place unique et transcendante  au faîte du cycle manifesté, alors que la Divinité  du chant X en régit la base  Immanente.


* Et tel qu'on en trouve au portail des églises romanes, sous une forme semi-circulaire. Ainsi, les trois oeuvres de Virgile ont un parcours zodiacal. Le Sud étant en haut (contrairement à notre usage), on part de l'Est en tournant vers la droite, pour suivre le parcours apparent du soleil.
**  Neuf est en effet un nombre circulaire, et figure donc un cycle parfait. C'est celui des  9 Muses groupées autour d'Apollon  Musagète , et celui des 90 vers de ce chant
*** Nous avons expliqué ailleurs l’identité essentielle de ces deux extrémités du Pôle, qui sont en termes kabbalistiques  Kether   (la Couronne) et  Malkuth. ( le Trône) ; ces deux attributs royau «étant indissociables.  De même, les termes latins Fastigium (faîte) et Vestigium  (fondement), sont visiblement, et linguistiquement, identiques.

Les deux "stations" de l'axe vertical correspondent donc aux deux "portes" du cosmos :  au Sud, la  porte des Dieux , sous le signe du Capricorne, et au Nord, la  porte des hommes,  sous celui du Cancer. *

Le simple fait que le chant X, base du fronton, compte 77 vers suffit à en identifier la Divinité titulaire.

77 est en effet la perfection du Nombre 7 qui désigne la Vierge Pallas ( Athèna ou Minerve) siégeant au milieu des hommes, sans être affectée en rien par leurs tribulations. **

Tout le reste de la disposition s'ensuit.

2 )  Et puisque le pôle vertical de la figure, régi par les deux Divinités jumelles, Apollon et Pallas, s'identifie à l'axe solsticial  du zodiaque, reste à en définir l'axe équinoxial
qui doit être horizontal .

Celui-ci relie les pièces III et VII, dont le total des vers vaut 183, soit la moitié du nombre annuel 366.

C' est la définition même de l'équinoxe.

                * Sur toutes ces questions, que nous ne pouvons détailler ici, voir dans
Symboles Fondamentaux,  de René Guénon, le chapitre traitant de ces Portes solsticiales.
** La Vierge Pallas (Minerve) est née tout armée de la tête de Jupiter, par une sorte d'"immaculée conception".Le Nombre 77  est une apothéose du Septénaire, puisqu'il est la somme du carré et du triangle de 7 (49 + 28). Dans toutes les traditions, le nombre Sept ( que les Romains nomment "Vesta")  est particulièrement sacré comme rappel de l'Unité, figurée ici par Apollon, dont Pallas est la parèdre .
N.B. La somme des pièces V et X compte 167 (77 + 90) vers,  moitié approchée du  nombre solaire 333.


CH. XV
LE  PARADIS  TERRESTRE

Dans le diagramme du Panthéon, le seul contact direct entre le Soleil spirituelet la Terre  se fait par les deux pointes inférieures de l'Etoile flamboyante  , qui, comme celles d'un compas, mesurent l'équerre terrestre.

Ce contact est toutefois purement ponctuel, comme l'est toujours la présence imperceptible  de l'Etre dans chacun des "êtres produits". Il subsiste donc, entre le Ciel et la Terre, un espace  qui ne peut être comblé que par un élément jouant le rôle de Pont.  *

C'est précisément cette fonction de médiation dans la forme ** que remplit le triangle des Bucoliques, puisque sa base est en étroit contact avec la manifestation terrestre.
 C’est ainsi qu'il l'achève  ***, alors que ses côtés obliques touchent aux deux rayons inférieurs de l'Astre Divin.

Paradis Terrestre

 

* Dans l'ordre humain, cette fonction est celle du  Pontife   et elle s'exerce précisément dans l'ordre subtil.
**  Rappelons que dans le théorème de Pythagore, il existe, entre les côtés antagonistes 3 et 4 (c'est à dire entre Ciel   et Terre  ), un contact permanent et essentiel, à savoir le Nombre Un, au sommet de l'angle droit, alors que  l'hypoténuse  médiatrice assure une liaison d'ordre simplement existentiel (formel).
*** Achever , dans la langue des Maçons, c'était mener le monument à son  chef , au sens de "couronnement". D’où le sens profond du terme  chef- d’oeuvre.

Les trois formes fondamentales, triangle, carré et cercle, qui composent  notre diagramme cosmique
illustrent donc exactement la tradition selon laquelle l'ensemble de la manifestation se compose de trois "mondes".

- Au sommet de la Création, le Monde de l'Etre, origine du Ciel cosmique sous la forme d'un simple Point. *

- A sa base, le monde corporel (ou grossier) qui constitue l'ultime  descente   de l'Esprit, décrite comme la coagulation (i. e. condensation ou solidification) des archétypes subtils.

- Entre ces deux extrêmes,  un élément de liaison, qui est précisément ce monde subtil, décrit par conséquent comme intermédiaire.**

Et de même que, dans le composé humain, l'âme fait la liaison entre le corps et l'Esprit immortel, de même, dans la constitution du Cosmos, c'est le monde subtil qui assure la médiation entre le domaine physique et son origine métaphysique.

Dans sa partie supérieure, ce monde intermédiaire se présente comme le "Paradis terrestre", cette antichambre  de l'Unité ontologique dont le nom juxtapose, d'un même souffle, le domaine des Dieux et celui des hommes..

Revenons donc à nos Bucoliques, qui représentent précisément un tel Paradis terrestre, non seulement dans leur forme géométrique, mais dans la substance même du texte.


* C'est ce point qui constitue la "Porte étroite", qu'on doit franchir pour passer "à travers le Soleil" et atteindre le "Sur- Etre", ce qui définit la ' Délivrance"définitive.
** C'est le "psychisme cosmique", appellation anthropomorphe.  Selon une formule  connue : "Le monde est un grand Homme, et l'homme un petit monde".


CH. XVI 
UN  UNIVERS ONIRIQUE

Les  Pythagoriciens font remonter leur origine à l'Hyperborée, c'est à dire aux régions polaires ou boréales. *

C'est pourquoi des termes comme Bucoliques,  ou Arcadie (la région mythique où elles se situent) évoquent discrètement, mais sûrement, la constellation polaire.

Il faut savoir que les Anciens connaissaient comme nous les Ourses . Les Romains, peuple d'agriculteurs, appelaient en outre les sept étoiles de la Grande Ourse  "les sept boeufs", ce qui se dit en latin Septem Triones , notre Septentrion.

D'autre part, l'ours est en grec Arktos  (d'où l'Arctique ), et le latin Boreas ,** autre nom du Septentrion, se réfère lui aussi à l'Ourse.

Mais revenons à nos bergers.

Boukolos  signifie en grec bouvier.

Les Boukoloi  sont donc , en langue ésotérique, les gardiens des "Boeufs" , c'est à dire les fidèles du Pôle universel.  ***


*  Ceci remonterait à l' époque  où l'axe de la terre ne s'était pas encore incliné en causant les saisons. Les Romains gardaient le souvenir de cet éternel printemps, dépeint  par Virgile et Ovide.
** Le radical du terme boréal  se retrouve en germanique (all. behr, angl. bear  ). Ajoutons à ce propos que la Déesse grecque Artémis, la Diane des Latins, était servie par des fillettes qu'on appelait "les Ourses". Cette appellation inexpliquée  évoque évidemment le caractère polaire de la Grande Déesse Vierge.. Gageons que ces oursonnes  et leur guide formaient un groupe de sept, comme leurs grandes soeurs, les Vestales romaines, groupées autour du  Pontife.
***  Bou-kolos , du grec Bous  (bovin).Ce titre de "meneurs de boeufs" doit intriguer le lecteur attentif, car les bergers d'Arcadie sont en fait des chevriers
( Ai-poloï  ). Le mot final des Bucoliques est d'ailleurs capellae  ( chevrettes ). Drôles de bouviers, donc… Il faut savoir que le symbolisme polaire de la chèvre, animal des sommets, est  plus répandu encore que celui des boeufs, mais ce n'est pas ici le lieu d'en parler. Rappelons simplement que les Templiers sont eux aussi des " Gardiens du Pôle ".

Il n'est  donc pas contradictoire que l'action des Bucoliques se situe dans une Sicile peuplée d'Arcadiens ( i.e. de "polaires" ). 

Le triangle sicilien préfigure en effet ce qui sera chez Dante la montagne du Purgatoire.
C'est au sommet de celle-ci que se situe le Paradis terrestre où parvient le poète, après avoir été couronné par Virgile "empereur et pape sur  lui-même ", parfaite définition de l'homme régénéré, au terme des  Petits Mystères.

Pour en arriver là, il a dû traverser une série d'épreuves rappelant les "purifications" * des Pythagoriciens  qui ont donné leur nom à notre Purgatoire .

Le précurseur Paul Maury avait donc vu juste en distinguant  dans l'oeuvre diverses épreuves, surmontées grâce à la Musique libératrice  , à savoir la science des Nombres.
Cette libération des contraintes terrestres devait se faire par degrés. **

Aussi, à mesure qu'elles se rapprochent du pôle central ( la pièce  V, consacrée au divin Daphnis *** ), les Bucoliques nous font sortir du temps et de l'espace ordinaire, en nous rappelant les origines et la fin de l’Existence universelle. .

C'est en  particulier le cas des pièces encadrant directement le centre de l'oeuvre, puisque la quatrième annonce le futur âge d'or, alors que la sixième est le rappel d'une genèse intemporelle.

* En grec :  Katharmoï  , en latin  Purgationes.
** Voir notre annexe  consacrée aux Bucoliques.
***  Une image d'Apollon, à qui est consacré le glorieux laurier ( en grec Daphnè  d’où le nom de Daphnis ), comme l'olivier de la sagesse l'est à sa soeur Pallas.
 
En tant qu'image du monde subtil, les Bucoliques s'identifient donc à l'Antre des Nymphes , cette caverne initiatique dans laquelle doit avoir lieu le processus de Délivrance .  *

Symbolisme capital sur lequel nous aurons à  revenir.

En attendant, on doit s'attendre à trouver dans notre diagramme une figuration des éléments complémentaires du Grand Oeuvre, à savoir le Feu et l'Eau

Univers Onirique

Commençons par le Feu. Il est normalement figuré par la figure ascendante du fronton, un triangle droit ; ce triangle, "couvé"qu'il estpar le soleil spirituel, connaît donc de près le feu originel..

Mais où peut bien se situer l'eau ? Cet élément, à l'inverse du feu, s'étale en position basse, et a pour symbole traditionnel la  coupe . ***
Justement, dans notre diagramme, cette coupe est dessinée par l'intersection du Ciel et de la Terre, à la partie supérieure de celle-ci. ****

* Cette caverne est le modèle de la  Loge  maçonnique opérative, mais avant tout de l' Athanor  alchimique où s'opère "l'union des contraires" qui doit ramener l'être humain à l'unité principielle, et que symbolise le mariage de l'Eau et du Feu.
** Les Pythagoriciens associaient les éléments aux formes géométriques (cf. le  Timée de Platon).
*** Cette coupe a souvent pour complément la lance, autre modèle de verticalité.
Dans le cas des armes de Pallas, le bouclier rond se substitue à la coupe.
****  Les deux éléments antagonistes sont donc à la fois séparés et joints par la corde médiatrice  66

Nous avons déjà assimilé ce segment à une Lune, ce qui, loin de contredire l'image de la coupe, ne fait que la renforcer.

Traditionnellement, en effet, la Lune est le domaine des Eaux. Ces "Eaux" subtiles sont le milieu où s'élaborent les formes destinées à peupler le Terre, et on connaît leur rôle dans le processus de Création .  *

Naturellement, si les âmes  descendent ainsi du "réservoir" lunaire, elles doivent aussi, en remontant, repasser par- là au cours du processus de réintégration.

C'est pourquoi la Lune est aussi l'astre des morts.

Nous aurons à revenir ailleurs sur ces questions qui faisaient jadis l'objet d'une science terriblement réelle.**

C’est ainsi que le symbolisme lunaire, simplement esquissé ici, est susceptible d’une interprétation cosmogonique portant sur le « double nature » de l’Androgyne  ( ou Rebis)

* A l'origine, " L'Esprit de Dieu flottait sur les Eaux".  Cet Esprit est l'Etre universel qui, en effet, domine le monde subtil. Au niveau humain,  on sait le rôle de la lune dans la génération corporelle.
**.Si cette science est aujourd'hui oubliée, c'est en raison de ce qui apparaît comme "le discrédit des mythologies", causé dès l'antiquité par la diffusion d'une foule d'images "lisibles" seulement en milieu qualifié, et qui, pour la foule, n'étaient que contes de fées.  Même des principes aussi simples et évidents que les dix  Nombres pythagoriciens n'ont pu échapper à cette inflation figurative. C'est ainsi qu'on relève chez Jamblique
 ( Théologie de l'arithmétique. ), pour la seule Dyade ( à savoir  le nombre Deux) , quantité de dénominations telles que  Témérité  (gr.Tolma  ), Impulsion , Opinion ,  Mouvement, Génération , Changement , Division , Longueur, Multiplication, Addition,  Parentèle, Relativité, etc.…
On crie grâce, bien que tout cela soit parfaitement clair pour qui reconnaît dans la dualité l'origine "scandaleuse" de  l'existence multiple et changeante.

 

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE

Il eût été impossible de " rassembler ce qui était épars", pour déchiffrer la symbolique du Panthéon sans l’active médiation de Dante.

Celui-ci a expressément reconnu en Virgile son Seigneur et Maître, et la Divine Comédie  affiche avec insistance lemodule  33, soigneusement occulté chez le poète latin. *


Dante

Faute de pouvoir approfondir ici ce sujet, contentons-nous de reproduire ce portrait de Dante, peint d'après l'oeuvre d'un de ses contemporains. Le poète présente d'une main sa Comédie., et désigne de l'autre le dôme de Florence,  situé à l'arrière-plan.

L'analogie avec le modèle romain  est assez claire.

Qui  plus est, cette cathédrale , dénommée Sainte Marie des Fleurs ,  est donc,  comme le Panthéon dont elle  s'inspire, dédiée à la Vierge Divine.

.*  La Comédie  compte en effet, outre un chant introductif, 99 chants répartis en 3 groupes de 33 ( Enfer, Purgatoire, Paradis). L'oeuvre est écrite en tercets de 11 syllabes, comptant donc chacun 33 syllabes . En outre,  le Paradiso   s'ouvre sur un hymne à Apollon, et cela en plein climat chrétien. Comme il n'est évidemment pas question de taxer Dante de paganisme, ni même d'hérésie, il faut donc bien admettre qu'il se rattache à une tradition métaphysique sous-jacente aux religions historiques, justement parce qu'elle transcende le temps..  Sur ces questions, cf. L'ésotérisme de Dante  de René Guénon.

 

DEUXIEME PARTIE : LE  GENIE  ROMAIN
CH. XVII
L'APOTHEOSE DE LA VOUTE

Les Romains reconnaissaient, sans trop se faire prier, la supériorité intellectuelle des Grecs.*

C'est sur le terrain des réalisations qu'ils retrouvaient leur vraie vocation, celle de politiques profonds et d'ingénieurs inégalables. Nous allons donc trouver dans la partie proprement romaine du Panthéon - la rotonde et sa voûte - une somme de prouesses techniques qui bousculent tous les usages architecturaux.

Et malgré les apparences, cela ne nous éloignera en rien, bien au contraire, de la signification symbolique du monument

Déjà le principe de la voûte (une invention du monde étrusco-latin) est un défi en soi.

C'est un paradoxe que de faire tenir en l'air, souvent sans même un liant, des pierres maintenues seulement par leur propre poids. Tout le secret réside évidemment dans leur taille oblique qui reporte la charge, de proche en proche, jusqu'aux piliers (ou pieds-droits) fermement appuyés au sol.

Une coupole comme celle du Panthéon perfectionne le même principe.

* Voir le "programme de l'Empire" où Virgile (En. VI, 847-853), réserve aux Grecs, san toutefoiss nommer ceux-ci, le domaine entier des art et des sciences

En multipliant les arches et en les disposant radialement autour d'une clé de voûte commune, on obtient une structure bien plus résistante que l'arche simple. Celle-ci s'élève dans un seul plan, alors que la coupole, qui est une "arche en rond", donc à double courbure, bénéficie de la plus grande rigidité possible pour une masse donnée.

Le modèle naturel est celui de la coquille d'oeuf, ultra- mince, et dont toute la résistance provient de sa forme.

Vu ses dimensions (± 50 mètres de diamètre), il était naturellement exclu de composer cette voûte en croisant des arcs uniques d'une pareille portée. On a donc organisé un tissu  d'arcs superposés et décalés les uns par rapport aux autres, de façon à reporter les poussées, d'arc en arc, jusqu'au  mur de la rotonde *

Jusqu'ici, le procédé peut paraître relativement simple, du moins pour des ingénieurs capables de calculer le transfert régulier de ces poussées multiples, et q'il est un peu facile de traiter d' empiriques.

C'est à partir de là que commence une série d'exploits techniques , véritables défis, et qui ne sont pas là seulement pour afficher la maîtrise du concepteur anonyme.

Chose à peine concevable pour des modernes, il s'imposait avant tout de respecter la signification symbolique de l'édifice. **

* Cette disposition s'observe  sur les  murs de la rotonde elle-même, où l'on distingue nettement les arcs de brique affleurant le revêtement de béton.
**   Même remarque à propos du sanctuaire  de la Porte Majeure, construit  littéralement "à l'envers", dans des conditions invraisemblables.
Comme le relèvee assez justement Jérôme.Carcopino : " il faut que des motifs impérieux aient pesé sur l'architecte pour qu'il oubliât ainsi son intérêt et abdiquât à ce point tout amour-propre. S'il accepta de bâtir en sous-sol dans ce conditions ingrates, c'est qu'elles lui étaient imposées par une contrainte morale impossible à éluder".
Il suffit de remplacer le terme "morale" par "symbolique" pour que cette observation prenne toute sa valeur.


CH. XVIII
DE QUELQUES PARADOXES CONSTRUCTIFS


1 )  UNE VOUTE SANS CLÉ DE VOUTE ?

Nous avons vu que toute la résistance d'une voûte, ou d'une croisée de voûtes est commandée par sa "clé". Or la coupole du Panthéon ne pouvait bénéficier de cet appui essentiel, du moins sous sa forme classique. A la place normalement dévolue à la clé, devait en effet s'ouvrir un "oeil" ( oculus  ), pour permettre au soleil d'éclairer le temple , à l'image de la "Caverne" platonicienne.

La solution a été de placer à cet endroit névralgique un anneau de bronze ( une "virole"), qui assure la cohésion de l'ensemble. Il s'agit en somme d'une clé de voûte "en creux" *

2 )   DES PILIERS IMMATERIELS ?

La supériorité de la forme, qui est idée pure, sur la masse brute du matériau, éclate dans la façon dont les dessinateurs ont conçu les huit "piliers" supportant l'essentiel du poids de la voûte (soit ± 5.500 tonnes).

Ces piliers ne résistent si bien, depuis près de 2000 ans, que par leur forme ; eux aussi sont en effet creux .
Ce sont les huit vides verticaux ménagés dans le mur de la rotonde, et qui marquent les huit angles d'un octogone inscrit.
Ces "colonnes creuses" n'ont pas la forme de colonnes ordinaires : elles sont demi- cylindriques, et leur courbure est tournée vers l'intérieur du bâtiment., donc en sens inverse de la poussée.

* A l'image de la coupole toute entière, cette clé originale tire sa résistance de sa forme  plus que de sa  masse presque négligeable.
Le Panthéon s'appuie sur le vide, répondant ainsi au principe d'économie qui règne sur l'ordre naturel. Qu'on pense aux bulles de savon qui, en adaptant leurs formes à des supports variés, développent une resistance impressionnante, compte tenu de l'infime quantité de matière mise en oeuvre..
Métaphysiquement, le vide  principiel (l'informel) a priorité sur le plein.
 Les Chinois disent que seul son vide central permet à la roue de tourner…

Ainsi disposées, elles reçoivent la poussée de la coupole, savamment répartie par son réseau d'arches  :  c'est donc à nouveau le principe de la voûte qui triomphe ici..

Et comme nous l'avons constaté à propos de l'oculus, ce sont encore des considération symboliques qui ont imposé aux architectes cette solution géniale.
Les vides ménagés aux angles de l'octogone sont en effet des chambres   *, et à plus juste titre encore qu'on ne l'imagine.
Il faut savoir que l'octogone est traditionnellement présenté comme la "Rose des Vents".
Sa géométrie en fait un élément de liaison ** entre le carré, figurant la Terre  ( c.à d.) le monde corporel, et le cercle, image du monde divin.

C'est cette nature médiatrice   qui lui permet de symboliser le monde intermédiaire (psychique, ou subtil), celui des "souffles", c'est à dire des Vents.

Il faut se souvenir ici de l'épisode par lequel s'ouvre le grand cycle de l'Enéide.
 
Une tempête inouïe disperse la flotte d'Enée. A l'instigation de la rancunière Junon, Eole, Dieu des Vents, a ouvert d'un seul coup les huit cachots où sont normalement emprisonnés ses sujets. On devine l'effet de cette "décharge" généralisée., et l'on sait maintenant ce qu'est le sens mythologique des huit chambres. du Panthéon.

Une fois de plus, il faut admirer la capacité des concepteurs à mettre leur technique au service des impératifs symboliques. En ce temps-là, L'intendance n'avait qu'à suivre

Et elle suivait en effet, mais au prix de quels tours de force !

*  Les architectes actuels parlent de "chambres de décharge".(Ces vides soulagent en effet la muraille du poids de la voûte).
**  Nous avons vu le Pentagramme inscrit dans un rôle de médiation analogue , mais l'octogone circonscrit figure la transition entre le monde profane ( les "ténèbres extérieures") et l'espace sacré. A Florence, cette forme octogonale est celle du baptistère construit à l'extérieur de la cathédrale, alors que l'octogone du Panthéon trouve tout juste sa place  dans l'épaisseur   du mur de la  rotonde.


3 )   UN PLAN  FONDAMENTALEMENT ABSURDE ?

Nous n'avons pas encore évoqué le paradoxe fondamental du Panthéon, une étrangeté qui suscite, de nos jours encore, bien des débats entre experts .

C'est le désaccord apparent entre la rotonde cylindrique, où s'amasse la communauté des hommes, et la coupole, ce domaine céleste. L'incompatibilité entre ces deux mondes, nous l'avons déjà vu symbolisée par l'opposition du carré et du cercle.

Elle est soulignée ici par le fait que la coupole, dédiée à la Vierge Pallas,  se mesure par le  nombre 7, qui lui est consacré.
Elle comporte en effet cinq rangées de 28 caissons, nombre multiple de 7. *
Or, la rotonde inférieure, nous l'avons vu, est  au contraire vouée au 8 par l'octogone.qui la "ceinture".

Le seul moyen d'accorder deux mesures aussi antithétiques est de conclure une sorte de "mariage" symbolique.On leur a donc donné un rayon commun, et comme ce rayon vaut 56, produit de 7 par 8, on voit que le nombre Pi exerce une fois de plus son rôle de médiateur

Mais l'ingénieur actuel à qui on proposerait de faire porter une énorme structure ** à base 7 sur un soutènement à base 8, crierait à la démence. C'est d'ailleurs ce qu'ont fait plusieurs architectes de la Renaissance, qui ont pensé guérir le Panthéon de cette tare supposée en redessinant ses plans ! ***

D'autres, mieux avisés, comme Michel-Ange ou Raphaël, devaient rire sous cape : " Dessin d'un ange, et non d'un homme…"

*Le mois lunaire compte 28 jours et l'on sait qu'une confrérie pythagoricienne compte 28 membres.
 ** Son poids est évalué à plus de 5000 tonnes
***  Sujet abordé par W.C. Loerke dans un article du Journal of the Society of Architectural Historians, qui nous a été aimablement communiqué par Mr Mac Donald. L’ auteur soutenait l'idée que le Panthéon pourrait bien être un temple cosmique…On ne peut que lui donner raison …

En effet, l'association du Septénaire céleste et de l'Ogdoade * humaine apparaît dès la première approche du Panthéon.Sa façade comporte en effet, comme celle du Parthénon, 8 colonnes séparées par 7 portes.  *

Nous avons ainsi mentionné les principales "anomalies" du temple, en montrant qu'elles ne peuvent s'expliquer par une logique constructive ordinaire. Seules en effet des considérations purement symboliques peuvent résoudre le "problème du sens"

Il nous faut donc montrer maintenant le lien étroit qui rattache le rituel le plus secret de la rotonde à sa conception architecturale.

Et pour cela, aborder un point de la mythologie qui n'a jamais, à notre connaissance, reçu le moindre début d'explication .

* Ici encore se manifeste la supériorité, non seulement du nombre impair ( " Favori des Dieux " ) sur le pair, mais du "vide" , qui est"vierge", sur tout ce qui est "matériel". En effet, la valeur 66 de la façade se répartit comme suit entre "vides" et "pleins".
 En donnant à chaque "porte" une valeur de  6  et à chaque colonne la moitié seulement de ce nombre,  l'ensemble des 7  portes vaut 42 (7 fois 6), alors que le total des 8 colonnes est de 24  (9 fois 3).
Or 66 = 42 + 24.  Les nombres-miroirs illustrent une fois de plus l'inversion qui se peoduit au passage d'un "monde" à l'autre.
 ** L'Ogdoade (le Nombre huit) est pour les Pythagoriciens le nombre de l'Harmonie subtile incarnée dans les institutions terrestres .  Ainsi, l'empereur Auguste s'appelait Octave, et on lui avait consacré le  huitième  mois de l'année. L'Heptade, pour sa part, symbolise le règne invisible de l'Esprit
.


CH. XIX
L'ANTRE DES NYMPHES

Nous arrivons ici au point le plus délicat de notre exposé, car on y aborde un domaine ignoré par la plupart de nos contemporains, quand ils n'en nient pas tout simplement l'existence. C'est  pourtant de là que notre diagramme tire son sens, et le Panthéon l'essentiel de sa fonction. *

Il s'agit du monde subtil, cause nécessaire et immédiate de notre monde physique, celui-ci étant produit par la différenciation de l'Ether, cet élément impalpable  qui constitue la source unique des quatre éléments sensibles. **

C'est ce monde, décrit poétiquement comme celui des Nymphes, que nous allons maintenant tenter d'explorer.

Les Nymphes sont omniprésentes dans la mythologie, sans que leur fonction ait jamais été clairement définie.

Demi-Déesses,  elles apparaissent comme plus ou moins victimes du Seigneur Apollon ( Daphnis) qui, perpétuellement, en "tombe amoureux" et provoque leurs "métamorphoses". ***
Car ce qu'elles ont de plus frappant, c'est  leur aptitude illimitée à "se transformer en autre chose", leurs transmutations . ****


* Ces réalités ne pouvant s'exprimer que dans un langage symbolique sorti d'usage, le lecteur peu désireux d'en découvrir les éléments pourra passer directement au chapitre XXIII, où il se retrouvera en terrain plus familier.
** Décrits parfois comme les quatre fleuves du Paradis. A l'aube du siècle dernier, nos sciences matérialistes ont nié l'existence de l'éther, milieu pourtant indispensable à l’expansion de notre univers. Or la nature ondulatoire de celui-ci avait été  établie au XIXème siècle par l'expérimentation la plus irréfutable, comme celle de Fresnel. Après la négation de cette évidence, les théories particulaires ont abouti  à des absurdités si criantes qu'il a bien fallu "rapatrier" l'éther, fût-ce sous un autre nom, pour tenter de sauver la face. Voir dans nos  Eléments de Cosmologie  le chapitre intitule "Les désarrois de la physique moderne".
*** Ces amours  figurent les relations du monde ontologique avec le domaine subtil qui lui permet de se manifester dans l’Existence.
**** C'est l'unique sujet des  Métamorphoses  d'Ovide,  ouvrage apparemment aussi léger que les Bucoliques, mais qui dissimule en fait un traité d'hermétisme (clminant d'ailleurs sur un long éloge de Pythagore…).

Le domaine favori des Nymphes est donc celui des Eaux, qui symbolisent la parfaite plasticité de l'élément subtil.

Leur nom même évoque d'ailleurs les nuages aux formes perpétuellement changeantes *
Comme les Vents, tout aussi mobiles, elles habitent le "monde intermédiaire", celui des formes non encore figées  , qui font le lien entre le monde des Idées pures et celui des substances corporelles.**

Sous les dehors d'une fable gracieuse, l'univers des Nymphes, symbolise donc un principe fondamental de toute cosmologie authentique :  c'est que tout passage du monde corporel au monde spirituel, que ce soit dans un sens ou dans l'autre, ne peut se faire qu'en traversant ce monde subtil; qui tient de là son nom de "monde intermédiaire".

C'est bien  pourquoi ces divinités sont  si chères *** aux vrais "hermétistes" ou "alchimistes", dont le but ultime est de se "déifier", de "transmuter" leur nature humaine, en l'absorbant toute entière, par "concentration", dans sa racine
éternelle.****
Ce processus d'immortalisation, que Dante nomme trasumanar  , est le thème fondamental de toute mythologie, et notamment de la fable qui suit, et qui associe étroitement les processus inverses et complémentaires que l'alchimie dénomme Solve et Coagula .


* Le latin   Nimbus, est identique au grec  Nymphè  (litt.  "la voilée" ).
 La nymphe  d'un insecte en cours de métamorphose, le nimbe enveloppant les apparitions divines et même le voile nuptial  ( de  nubes : nuage) symbolisent l'obscurité enveloppant tout changement d'état.
**  Nous les avons donc appelées "demi-déesses", car les Dieux "à part entière" relèvent du monde spirituel, qui transcende l'univers psychique.
***  Virgile les appelle  Nymphae sorores  . Certes, elles sont soeurs entre elles, mais on peut aussi  bien lire, affectueusement,  " Nos soeurs les Nymphes"…
****  Ce "noyau d'immortalité" qui donne à l'être individuel sa seule vraie réalité.


CH. XX
LE MYTHE D'HYLAS

Ce personnage, comme la quasi- totalité des héros grecs, participait à l'expédition des Argonautes *, lorsqu'il connut un sort aussi singulier que plein de sens

S'étant écarté de ses compagnons, il se noya dans une source où l'avaient attiré les Nymphes, et disparut ainsi sans laisser de traces, à la grande perplexité de ses compagnons.

Rien que par son nom, Hylas évoque le monde corporel, celui que nous nommons  matériel . **
En se noyant dans la fontaine des Nymphes, il s'est donc "résorbé" entièrement dans l'élément subtil - dans son "corps psychique" -, ce qui du point de vue terrestre - apparaît comme une disparition. ***

Si ce mythe est familier aux poètes inspirés, c'est qu'il évoque ce but essentiel de toute initiation, la "Délivrance", cette ultime transformation  qu'est le passage de notre monde à celui des Dieux.

C'est donc le processus inverse de celui que pratique le Démiurge créateur, lorsque, sous son règne, le monde des archétypes psychiques prend consistance (se "coagule") pour créer la Nature visible, qui l'emprisonne désormais dans des corps grossiers.****

* Leur périple s'identifie à une quête de l''immortalité,  puisque la Toison d'or est celle du Bélier hermétique, aspect igné du Logos.
**  En effet, le grec  Hylè  se traduit généralement par "matière", et cette substance corporelle, pour réintégrer son origine, doit se résorber dans le monde subtil dont elle émane toute entière.  On retrouve ce terme dans l' hylémorphisme  d'Aristote, qui combine les notions abstraites de  matière  et de  forme. Les Anciens n'ont jamais eu l'idée de ce que nous entendons par matière . Hylè  était pour eux le matériau  de construction courant ( le bois ), en latin materia ( d'où notre madrier ).
*** Sort partagé notamment par Oedipe et par  Romulus. Ce dernier disparut dans "le marais de la Chèvre " ( lisez  : la porte solaire du Capricorne… ). De même, le pêcheur Glaucus , ayant goûté d'une certaine herbe, se jeta à la mer où il devint un compagnon des Nymphes Néréides (  Ovide,  Met. XIII, 897-967 ). D'où l'intérêt que lui témoigne Dante…
**** Voir l'Enéide (  VI  723-751 ) :  " Toutes ces âmes font preuve d'une nature ardente due à leur origine céleste, pour peu qu'elles ne sont pas ralenties par de pauvres corps, et abruties par ces organes faits de terre et voués à la mort ".

Ces  processus complémentaires  manifestent les deux faces de l'alternance universelle, et sont donc associés étroitement dans un autre exposé cosmogonique, celui de la sixième Bucolique , véritable répertoire de mythes traitant du même sujet .*
Le passage est à ce point sensible  que Virgile l'a prudemment travesti en discours d'ivrogne. **

C'est le chant "panique" du vieux Silène, dans un antre  peuplé de Nymphes , et aussi de Faunes et de Satyres, qui sont ses enfants. ***
Or, c'est en plein milieu de cette créativité  débridée qu'on évoque la défection inopinée d'Hylas, vainement appelé à grands cris par ses compagnons les Nautes ( vers 43-44 ).
Toutes ces images encadrent un passage qui exprime fort nettement le phénomène d' élémentation  (v. 31-36)  :

"   Il  (Silène )  chantait comment , du grand   Vide  ****,
émanèrent les germes de la terre, de l'air, de l'eau et du feu
subtil , et comment, à partir de ces principes, se solidifia tout l'univers, y compris la sphère encore  malléable de notre terre .  *****


*  Six étant le" Nombre de la Création". .
**  Ce n'est qu'un des innombrables "déguisements" dont l'oeuvre regorge. Les plus grotesques demandent aussi la plus grande attention ( ce procédé fut exploité plus tard par l’hermétique Rabelais, dont la " Dive Bouteille" figure également l'inspiration sacrée).
*** Silène lui-même est fils d'une Nymphe et du dieu Pan, et incarne donc les énergies psychiques de la   Natura naturans , qui"jouent selon les Nombres" ( in  numerum ) dans une sorte de transe frénétique . Il est le" père nourricier" de Dionysos, et cet aspect maternel tient à sa nature lunaire ( Sélènè ) et assez peu virile, qui le distingue de ses enfants.Alors qu'Apollon, avec sa lyre, symbolise la mesure solaire, le Dieu du vin pratique le flûte, instrument "non -mesurable"        ( irrationnel ) accompagnant les Mystères nocturnes.
**** Nom couramment donné à l'Ether, et jusque dans les temps modernes, en raison de sa nature immatérielle. Mais cela n'en fait pas un Néant, dont la seule définition est de n'avoir aucune existence. Cf. le "Vide Universel" des bouddhistes (Sarva Shunia ), objet du  Nirvana , qui n'est qu'un passage au-delà de toutes les formes.
***** " Namque canebat uti magnum per inane coacta / Semina terrarum animaeque marisque fuissent /Et liquidi simul ignis ; ut his exordia primis /Omnia, et ipse tener mundi concreverit orbis. " Les verbes  cogere  et  concrescere  évoquent avec précision la "coagulation" hermétique.


CH. XXI 
LE  NYMPHAEON

Peut-être le lecteur se demande-t-il quel rapport ces quelques notions d'alchimie peuvent bien avoir avec le monument que nous étudions ?
En fait, ce rapport est si étroit que, si on n'en tient pas compte, le Panthéon perd le plus clair de sa véritable identité.

Car le sens le plus secret - et donc le plus ignoré - de ce temple est d'être un Nymphaeon  : une demeure de ces Nymphes, dont nous connaissons maintenant la fonction
hermétique. *

En effet, si bizarre que cela puisse  paraître, la structure du Panthéon l'apparente à l'instrument alchimique essentiel  nommé Athanor  .**

Réalisé généralement à très petite échelle , l' Athanor était une sorte d'alambic dans lequel s'opérait le Grand Oeuvre, c'est à dire les opérations symboliques aboutissant aux métamorphoses de la "matière". *
Or ces métamorphoses sont justement la spécialité des Nymphes ***, dont le.milieu naturel est l'Ether.

Mais comme cet Ether, encore entièrement indifférencié, n'est pas directement perceptible à nos sens ****, sa représentattion la plus courante est l'Eau, demeure des Nymphes Naïades.


* Ces créatures subtiles ne diffèrent pas essentiellement des fées, des anges ou des djins qui nous sont plus familiers (si l'on peut dire…). Toutes formes de cet animisme   qui a acquis chez nous une telle réputation de barbarie "prélogique".
** Si personne ne s'en avise, c'est simplement en raison de ses dimensions gigantesques, qui donnent le change en dissimulant le temple sous un "manteau de lumière". L'ouverture supérieure de l'Athanor est son ope , du grec  opè , ou  opaïon  ("trou pour la fumée") dont le radical OC/ OP est d'ailleurs identique à celui de l' oculus  romain. . L'assimilation à un "oeil" est d'ailleurs pleine de sens, car l'ope, cette "porte étroite" est le "point focal" de la transmutation. Quant à sa "matière première", c'est l'homme, et ses divers états figurant les étapes qui doivent mener à la "déification".
***  Elles ont donc servi de modèles aux Vestales, entièrement voilées, qui entretenaient le feu sacré.  On sait que pour les Pythagoriciens  l'"antre " est une image du cosmos, tout entier issu de l'Ether. L'alambic des alchimistes n'est rien d'autre qu'un cosmos en réduction.
****t Ce qui suffit à expliquer son fâcheux  rejet par la physique moderne, Einstein en tête…

On doit donc se demander pourquoi cet élément, tout aussi fondamental que le Feu de Vesta, semble aujourd'hui si absent de notre monument.

La suite du texte va répondre à cette énigme, et confirmer le fait qu'en dépit de ses apparences actuelles, le Panthéon est  le modèle le plus parfait de cet "Antre des Nymphes"décrit par Homère *, et plus complètement encore par Virgile.**

Dans l'Enéide ( I, 166-171), la caverne en question - celle- là même du mythe platonicien - explicitement décrite comme  Nympharum  domus,  offre un paisible ancrage aux navires d'Enée, à peine sauvés de la tempête par l'intervention de Neptune.
Or, au chant IV de ses Géorgiques, Virgile accentue encore le caractère marin de ce temple., puisqu'il se trouve cette fois au fond  même de l'Océan, cet habitat naturel des Naïades et des Néréides. 

Sans  prononcer le mot d' antre  , un peu trop explicite, Virgile fait de la demeure des Nymphes un tableau aussi charmant que chargé d'allusions
 
Leur palais, blotti au creux d'une énorme bulle d'eau, se compose en effet des deux parties que voici.

* Voir le commentaire de Porphyre, in  L'Antre des Nymphes dans l'Odyssée, edit. Verdier.
** Géorg. IV, 360-418. On engage le lecteur à consulter directement ce texte capital, où la description des lieux commence au vers 333, ce qui devrait déjà attirer notre attention…

1) On y pénètre par une domus , qui abrite les sources de tous les fleuves.
Il s'agit d'une habitation de forme carrée, sur le modèle de la maison romaine. C'est la partie basilicaledu temple.

2)  De là, on passe au thalamus , pièce ronde
(une  cella  ), plus intime, où se pratique le rite qu'on doit appeler le " mariage de l'eau et du feu". *
Et ce rituel est ici bien à sa place, puisque thalamos  signifie en grec "chambre nuptiale". *

Le plan de l'Antre est donc tout à fait comparable à celui du Panthéon, qui associe lui aussi domus  ( la basilique) et thalamus  (la rotonde voûtée ). **

Ce patronage des Nymphes explique tout naturellement d'autres énigmes posées par le  Panthéon.

A commencer par le temple de Neptune qui lui est directement accolé ***, sans qu'on s'en explique la présence, qui est puissamment symbolique.


*  D'où notre "épithalame". Par une sorte d'"hiérogamie" (échange d'attributs  destiné à renforcer les noeuds entre partenaires) , c'est la partie grecque du sanctuaire (son Naos  rectangulaire) qui est baptisée du nom latin de domus . En revanche, la voûte,  chef-d'oeuvre ultime de l'architecture romaine, porte ici le nom grec de Thalamos
**  Pour qui douterait de cette identification, Virgile précise que la partie ronde de l'antre des Nymphes est surmontée d'une voûte en suspens, réalisée en pierre- ponce ( le matériau révolutionnaire du Panthéon ). Cf. Géorgiques IV, 373 : thalami pendentia pumice tecta . Ce détail technique, qui surprend dans le contexte, est donc un "clin d'oeil" à l'adresse des bons entendeurs.
*** C'est  un  Posidonion  , ou "domaine de Neptune" (cf D. Cass. LXVI, 24 ).Sa décoration n'est donc faite que de créatures aquatiques, Tritons, dauphins et coquillages. Du reste, c'est le Panthéon tout entier qui est qualifié de lavacrum Agrippae , ou de  purgatorium (  Hist. Aug. Hadr. 19, 10) : "établissement de bains" C'est ce déguisement ( une "couverture"), confirmé par Vitruve ( Arch. V, 10 ),  qui a fait prendre le temple de Baïes pour un bassin de natation.  Le professeur Lugli  disait déjà avec clairvoyance : "  Quando ancora si credeva che la basilica di Nettuno fosse una sala delle terme "…
Heureusement , il subsiste à Albano une coupole toute semblable, et parfaitement identifiée : le Nymphée de Domitien, qui est  resté, comme le Panthéon, et sous le même nom ( Santa Maria della rotonda ), un temple de la Vierge.

On sait déjà qu'un Nymphée, étant donné la nature de ses habitantes, doit être construit au bord des eaux, ou du moins abondamment irrigué. Idéalement, les flots doivent même pouvoir y pénétrer librement, comme elles le font dans le temple de Baïes dont nous parlerons plus loin, et qui est justement un  prototype  du Panthéon.

Or, la construction de ce dernier, en plein centre de Rome, posait  le problème, apparemment insoluble, de l'accès aux Eaux . Mais l'imagination symbolique des Romains n'allait pas se laisser arrêter pour si peu. Et puisque le Panthéon ne pouvait aller à la mer, c'est donc la mer qui irait à lui, avec tout ses habitants.

En effet, la basilique de Neptune n'est plus pour nous qu'une  simple image de l'océan .

Mais pour u Romain, nourri de symbolisme,  c'était l'océan. Et le Panthéon construit sur ses bords, bien réellement un temple des eaux  : le Nymphée idéal…

Il ne faudrait d'ailleurs pas croire que cette ambiance aquatique ait été une pure métaphore,   confinée au Panthéon et au Poseidonion  contigu.

Car les Anciens, toujours en quête de cohérence et d'unité, intégraient toujours leurs monuments dans le paysage en établissant entre eux des liens d'autant plus solides qu'ils étaient définis par la géographie sacrée. *

* Qui seule peut rendre la topographie intelligible

Or, on tire aujourd'hui argument du fait qu'il n'aurait existé  aucune communication, telle qu'un portail, entre le Panthéon et la basilique de Neptune, pour dissocier l'étude des deux monuments, dont le second est d'ailleurs assez négligé.

En réalité, c'est tout le contraire qui est vrai, comme le montre  l'intégration parfaite des deux temples à toute la région environnante, c'est à dire au Champ de Mars. **

Comme par hasard, c'est là que se trouvait le fameux "Marais de la Chèvre"  ( Palus Caprae  )  dans lequel Romulus, à la manière d'Hylas, put disparaître corps et biens, car il  était situé à la base même de l'Axis  Mundi  , et donc très fréquenté par les Nymphes. ***

La séparation murale  constatée par l'archéologie entre le Panthéon et le Poseidonion n'implique donc en rien une absence de relations.


** Cette "plaine de manoeuvres" fut entièrement rénovée sous Auguste pour devenir le quartier central de la nouvelle Rome, d'où la position axiale du Panthéon., d'ailleurs toujours actuelle.
*** Certes, ce marais fut comblé lors de l'installation des jardins d'Agrippa, mais les eaux, qui n'arrêtaient pas de dévaler du Pincio et du Quirinal, furent  déviées vers un important Stagnum  ( étang), avec son  canal  baptisé  Euripe . Le niveau de cette pièce d'eau était entretenu par la dérivation  d'un aqueduc dit  "de la Vierge" ( ce qui nous rappelle Pallas et ses Nymphes ! ),  l'eau en excès étant rejetée dans le Tibre par une canalisation partiellement souterraine. 
 On a vu que le terme  palus  désigne aussi bien un marais que le  poteau ("pal", comme le  Palladium ) qui  figurait le Pôle universel. Or le sommet de celui-ci est placé lui aussi sous le signe de la Chèvre ( Capricorne )…

Il suffit pour s'en convaincre de penser à l'eau du ciel qui pénétrait dans le temple par son vaste oculus, en alternance avec le feu solaire, les deux éléments étant indispensables au rituel alchimique.

Cette eau était forcément recueillie dans un grand bassin - l'impluvium  -, dont personne ne parle, parce qu'il n'en reste plus trace, mais qui devait bel et bien s'y trouver, tradition oblige.

A son propos, on se contente de parler de  drainage

Mais par où drainer ,  sinon par un conduit souterrain reliant cette grande vasque à la mer  de Neptune *, et de là, par un étroit canal dénommé Euripe  **, jusqu'au stagnum , puis au "Père Tibre" et à la mer ?.

Il ressort de tout cela  que les Nymphes n'avaient pas à quitter leur milieu natal pour venir hanter la vasque sacro-sainte du Panthéon, et s'ébattre à l'occasion dans la zone magnifiquement irriguée des Thermes et des jardins d'Agrippa,

Affecter, , comme on le fait auourd'hui , de ne voir en ces établissements que des installations de loisir, c'est oublier qu'il n'existait alors aucune séparation entre le sacré et le profane, et qu'une basilique, par exemple, pouvait se prêter successivement aux réunions les plus variées, qu'elles fussent de loisir, judiciaires ou politiques, et cultuelles. ***


* Les Nymphes n'avaient donc que faire d'un portail pour passer de l'un à l'autre  Il existe un  exemple célèbre, et tout aussi spectaculaire, de ce genre de communication souterraine. C'est la fontaine sicilienne dite "Nymphe Aréthuse", qui avait sa source en Grèce et passait sous la mer  pour ressurgir dans la Trinacrie !  Signe des liens étroits qui unissaient l'Hellade à l'Italie méridionale (la"Grande Grèce")
** L' Euripe est  le nom du canal séparant l'île d'Eubée de la Béotie, et qui fascinait les Anciens par l'inversion périodique de son courant. D'où le nom appliqué  à l'étier assurant l'alimentation du Panthéon et dont le courant changeait de sens suivant le régime des pluies.  Quand l'impluvium  était près de déborder, c'est par là que son trop-plein s'évacuait dans le  stagnum. En période de sécheresse, le courant  revenait au contraire  l'alimenter à partir du même stagnum  .Le tout.au grand émerveillement des badauds…(cf.  Ovide,  Pontiques I, 8 sq. ).
L'analogie affichée entre les  deux  Euripes  devait faire passer le Nymphée romain pour une Eubée , le reste du site représentant sa   Béotie.  En effet ces nomsdésignent tous deux la "terre des Boeufs". Or cette terre  bucolique , c'est à dire  polaire, s'identifie à la ruche des Nymphes-Abeilles. C'est le sujet majeur, donc très secret, qui constitue le couronnement des Géorgiques.  ( IV, 280-560, Nombres palladiens).
*** C'est un peu ce qu'on observe encore dans les mosquées.


CH.XXII 
LA  COUPE  LUNAIRE

Le Panthéon étant ainsi identifié à l" Antre des Nymphes" (qui est le cosmos tout entier), reste à définir quelle partie de son diagramme représente le domaine des Eaux, habitat favori de ces Déesses, 
Ce domaine, assimilé au monde "intermédiaire" , doit donc, en toute logique, se trouver quelque part "entre Ciel et Terre".

Seules deux parties de notre tracé directeur conviennent  à cet énoncé : c'est le triangle du fronton, et, à la base de celui-ci, le segment de cercle découpé dans la surface terrestre par le tracé du grand cercle . *.

LA COUPE LUNAIRE

 

* Nous l'avons ici dénommé "lune noire". En effet, les quatre segments "lunaires" de la périphérie qui  représentent les  phases visibles de la lune, renvoient les rayons solaires vers le centre. Mais le segment inférieur, cette "cinquième lune" agit  au contraire comme une barrière diffusant ces rayons et les empêchant.d'atteindre directement la Terre, excepté le long de l'axe central. Nous devons nous contenter ici d'une allusion qui pourra mettre le lecteur curieux sur la voie. C'est que L'Antre des Nymphes, comme n'importe quelle caverne, ne se montre pas à ciel  ouvert , mais implique l'existence d' une voûte, dont il n'y a pas trace sur notre figure.

On rappelle que le triangle droit représente communément l'élément feu. La coupe située juste en-dessous sera donc un réceptacle tout indiqué pour les Eaux  peuplées par les Nymphes.
Dans ces conditions, les deux éléments complémentaires se trouvent accolés aussi étroitement possible.

Mais ce qui intéresse l'alchimiste, c'est la fusion parfaite des contraires, cette hiérogamie par laquelle les attributs de l'un et  l'autre  antagoniste  s'échangent pour exprimer une identité profonde.

C'est ici qu'intervient la  polysémie   du symbole, cette aptitude à se charger de sens multiples, dont aucun n'est exclusif des autres.  Et c'est le cas de notre segment central, si riche de significations "superposées" que nous devrons nous en tenir aux plus évidentes.

Nous avons déjà reconnu sa nature aquatique et lunaire. *
Mais en quoi peut-il bien manifester aussi le principe igné, comme l'exige l'"Union des Contraires"  ?

Observons que la coupe  des Eaux est dessinée par l'arc  de cercle céleste.
Or l'arc est l'attribut le plus connu du Dieu solaire Apollon.

On voit qu'ici, il décoche un rayon de feu en direction de la terre,  rayon qui s'identifie à l'axe polaire.

L'arc et le contour de la coupe se superposent donc  pour ne plus faire qu'un, et réaliser ainsi cet idéal hermétique qu'est la coïncidence des opposés . *

*  Objet de la " Docte ignorance" (Nicolas de Cuse). Ce sont les Noces hermétiques du Roi  et de la Reine, c'est à dire du Soleil et de la Lune ( le Feu et  l'Eau).

 

CH. XXIII
L'OCTOGONE

Après avoir situé dans le diagramme la place du monde intermédiaire ( le psychisme cosmique) que figurent les Eaux, revenons à une autre de ses figurations traditionnelles, que
 sont les  Souffles  ( spiritus  ) dont l'image classique est la " Rose des vents". *

On a vu que cet  octogone  est représenté dans le Panthéon par les huit "chambres de décharge" situées à la périphérie de la rotonde et à l'intérieur même de la muraille  .**
Chez Virgile ***, ces chambres sont les cachots dans lesquels Eole, aux ordres de Neptune , enferme ses turbulents sujets.
Ces "Vents divins" qui soufflent sur les Eaux sont une image  connue des forces  régissant le monde psychique. ****

La parfaite cohérence de tout ce symbolisme apparaît jusque   dans les traits les plus inexpliqués de la légende. D'après celle-ci, Poséidon, Dieu des eaux, (le Neptune des Latins) aurait créé le cheval en ébranlant la terre d'un coup de son trident .

Voilà qui paraît un comble d'absurdité, le cheval étant une créature éminemment terrestre.

* On voit encore, à Athènes, une "tour des vents" octogonale.
**.Le choix de l'octogone pour figure du monde  intermédiaire  vient notamment de ce que sa forme représente une transition et un "juste milieu" entre  cercle céleste et carré terrestre.
*** C'est "la tempête", en 99 vers, qui ouvre l'Enéide, après une préface de 33 vers.Ses 99 vers font de ce passage une préfiguration de l'oeuvre entière (9900 vers).  Le fait de déchaîner tous les vents  en même temps  est une parfaite image du chaos précédant la création du Cosmos.   

Mais tout change si l'on s'avise que le cheval plein de feu  est aux yeux des Grecs, l'image des énergies psychiques, que l'alchimiste – il  est aussi un médecin - se propose de maîtriser. *
Aucun détail de cette légende n'est dénué de signification. Si Neptune crée le cheval en ébranlant la  terre   d'un coup de trident, c'est que le séisme est l'équivalent terrestre de la tempête en tant que dechaînement d'énergie. **

Quant à la nature de cette énergie, c'est l'arme même du Dieu qui nous l'indique .

Le trident est en effet le schéma de la lettre Psi, initiale de Psychè . dont l'axe central , entre les voies de droite et de gauche, figure le Chemin direct.***
Ce sceptre, image de l'invariable milieu ,  diffère donc peu du caducée d'Hermès et d'Hippocrate, lequel est figuré par la lettre  Phi

                                   Octogone
                                       Psi                              Phi

Ainsi, Neptune est bien le maître des éléments, puisqu'il régit à la fois les Eaux, les Vents, le Feu et la Terre, et sa présence au seuil du Panthéon confirme bien la fonction alchimique du monument.  ****

* Le nom même d'Hippocrate ( " Dompteur de  chevaux  "), est celui d'une école médicale fondée sur l'équilibre  des quatre tempéraments. Le  medicus  est  ainsi nommé en tant qu'adepte du  "juste milieu"  Ces tempéraments étaient figurés par les chevaux du quadrige apollinien.qu'il s'agissait de mener dans la voie droite, ce qui se dit   en latin  temperare  equis ...
**  Le nom même de Po-séidon évoque ce séisme.
***  Les consonnes sifflantes et aspirées sont en relation avec les souffles psychiques.
Ainsi, le caractère central du Serment d'Hippocrate ( qui divise ce texte en deux volets de 666 lettres) est le Phi , qui donne ainsi une indication précise sur la nature de la médecine hippocratique. Celle-ci donne la priorité au traitement de la psyché , carr: avant  de soigner le corps, il faut guérir l'âme.
**** Il a sous ses ordres Nérée, père de toutes les créatures aquatiques, ainsi    qu' Eole, le gardien des vents. Ceux-ci sont dépeints comme des chevaux furieux que le dieu est seul à pouvoir dompter, et non sans mal (  Cf. Enéide, I, 52-63 : : "lié par un contrat des plus stricts, il est (seul) capable de serrer ou de détendre leurs rènes " .Cette dernière expression fait allusion à la science spagyrique . L'idée  du contrat ( foedus ) est l'expression même du droit romain.


CH. XXIV
LA FOLLE ENTREPRISE

Une fois exposées, dans leurs grandes lignes, les implications symboliques du plan, reste à expliquer quand et comment les ingénieurs romains s'y sont pris pour le "concrétiser".

Ce plan, puisqu'il se trouve encodé  dans l'oeuvre de Virgile , existait donc à coup sûr dès l'époque augustéenne, juste avant notre ère. Mais cela ne signifie nullement qu'on puisse faire remonter sa réalisation en dur  à la même période.

On sait que pour diverses raisons, la construction  est attribuée à l'empereur Hadrien qui régna de 117 à 138 AD, donc un siècle et demi plus tard.

Mais  s'agit-il seulement d'une  reconstruction   tardive du monument primitif, au sujet duquel les archéologues ne peuvent rien nous apprendre, car il a disparu entièrement ?

A cette question, une réponse est possible, mais comme tout ce qui touche au Panthéon, elle prend une allure paradoxale , puisque c'est à la fois oui  et non. .

Oui, le Panthéon actuel reproduit exactement le monument augustéen, mais dans une seule de ses parties, .

Il s'agit de sa partie quadrangulaire, ou basilicale. 

Seule cette partie porte une dédicace datant du règne d'Auguste, puisqu'au  fronton figure le nom de son gendre Agrippa. Cette dédicace représente une énigme en soi, puisqu'elle paraît faire remonter le monument tout entier à cette époque, ce qui n'est guère défendable.


*  Par exemple, les matériaux sont datés de façon indiscutable et toutes les briques portent des marques d'identification. L'administration impériale ignorait l'ià peu près.…Sur tout cela, voir l'ouvrage déjà ancien de G. Lugli Il Pantheon  e  i Monumenti adiacenti..

La réponse est pourtant toute simple.

Le Panthéon primitif, comme la plupart des temples républicains, suivait le plan les temples grecs quadrangulaires. C'est cet édificequi a été reconstruit très exactement  par Hadrien. Mais l'empereur ne s'est pas contenté de cette restauration.

Il a voulu compléter  le monument en ajoutant à sa partie carrée (terrestre), une coupole figurant le Ciel, de façon à en faire une image intégrale du cosmos.
Les arguments confirmant cette réalisation "en deux phases" sont d'ordre à la fois rituel et technique, et se conforment strictement aux conditions de l'époque

1) Le rituel de restauration

Chose bien connue, celui-ci doit  se conformer scrupuleusement au mos maiorum  (la tradition ancestrale) qui est un des fondements de la `religio . *
On peut donc être assuré, dès lors qu'intervient une restauration, que le nouveau bâtiment reproduit le précédent jusque dans ses moindres détails **

Compte tenu de  ce qu'on sait sur l'instauration  augurale, cela découle du fait  que le rite confère au monument un caractère ineffaçable. ***

* Ce respect de la volonté des Anciens, qui confine à la superstition, est une obligation formellement  garantie par l'autorité religieuse.
** Le  terme de restauration , qui n'a pour nous qu'un sens banal, est pour le Romain un renouvellement  rituel. .
 ***  L'intangibilité des lieux  sacro-saints  devait représenter une lourde contrainte. Par exemple, tous les endroits frappés par la foudre devaient être protégés par une sorte de margelle. C'était le  puteal  , un "puits de feu", auquel il était désormais interdit de toucher.

Le Panthéon d'Agrippa était donc là pour l'éternité, et la scrupuleuse reproduction de sa dédicace constitue une garantie de conformité à la forme initiale.*

2)  Les techniques constructives

Hadrien avait donc les mains liées pour tout ce qui concernait la partie frontale du temple, à savoir le bâtiment  rectangulaire que nous avons comparé au Parthénon.

Mais pour la rotonde, il était libre d'innover, en donnant un exemple éternel du génie architectural  romain. **

Cette innovation n'était d'ailleurs pas radicale, puisqu'à l'époque d'Auguste déjà, il existait une sorte de préfiguration de la célèbre coupole.

Mais pas à Rome, puisqu'il s'agit du temple dit "de Mercure" qui subsiste toujours à Baïes, dans la baie de Naples.

* Les monuments portaient en général le sceau de Pontifes, comme une sorte de Nihil obstat  hermétiqueCe sceau représentait les quatre éléments, plus le lituus  augural figurant leur quintessence centrale. Ce sceau est reproduit dans le dictionnaire latin de Gaffiot, à l'article Pontifex.
** Le fait qu'Hadrien n'ait pas voulu laisser son nom à la nouvelle construction est un exemple remarquable de l'anonymat traditionnel, observé plus tard par les constructeurs de cathédrales. Avant lui, Agrippa n'avait dérogé à cette règle qu'en apparence. En effet, sa dédicace n'est pas un signe d'appropriation individuelle , mais une simple indication chronologique, le nom du consul servant à dater l'année de fondation. AGRIPPA COS TERTIUM (Troisième consulat d'Agrippa) désigne donc simplement l'an 27 avant notre ère.

Ce monument offre, en réduction, une image assez exacte du dôme romain, puisqu'il est lui aussi réalisé en béton et doté d'un oculus.

On peut donc voir là une première application de cette technique audacieuse. *
Mais la parenté avec le Panthéon s'arrête là, car cette coupole est réduite à elle-même **, on veut dire qu'elle ne présente pas le caractère unique du Panthéon d'Hadrien, qui est d'intégrer les deux formes complémentaires du carré et du rond. On doit en conclure  que cette synthèse n'existait encore, sous Auguste, que sur le plan intellectuel.

En somme, les deux  architectures constitutives de notre Panthéon existaient donc déjà du temps de Virgile,  mais à des centaines de kilomètres l'une de l'autre.

Revenons à la coupole de Baïes.

En général, les archéologues lui accordent peu d'attention.
car ils n'y voient qu'une construction profane, un simple établissement thermal, doté d'une piscine en bord de mer.

Mais les Romains  n'ont jamais conçu aucun bâtiment de quelque importance, fût-il  de plaisance   sans en faire quelque modèle cosmique. ***


* La mise en oeuvre est encore assez rudimentaire, et l'échelle  n'est pas comparable. Or les problèmes de résistance augmentent de façon exponentielle avecl'accroissement des dimensions, ce qui fait du dôme romain une prouesse d'ingénieur, encore irréalisable un siècle auparavant. C'est qu'on avait fait entretemps  d'énormes progrès dans l'utilisation des matériaux..
** Isolée aussi par sa situation géographique, alors que le Panthéon est le pôle de l'Empire éternel, son  omphalos .
*** A cet égard  on connaît la symbolique des jardins romains, et en particulier les modèles cosmiques que sont la fameuse  villa d'Hadrien (toujours lui…) et le fastueux palais dalmate de Dioclétien.  Rien du reste, dans la vie traditionnelle, n'est purement profane.  Cela va si loin que le vieux Varron, membre très savant du cercle d'Auguste et  pythagoricien convaincu, avait fait construire une volière  ( aviarium  ),  dont son  De re rustica   nous a conservé les mensurationsCelles-ci en font une préfiguration du monument de la Porte Majeure.. Certes, il ne nous viendrait pas à l'esprit d'installer nos perruches dans une sorte de sanctuaire. Nous avons oublié que  les oiseaux du Ciel   incarnent les créatures du monde subtil, d'où l'importance, pour l'initié de connaître la langue des oiseaux.

A plus forte raison faut-il voir dans la coupole de Baïes un Nymphaion   ("antre des Nymphes"), figurant lui aussi, à sa façon, le monde subtil des Eaux .

C'est pourquoi la mer y a libre accès, chose impossible dans le cas du Panthéon, où, comme on l'a vu, elle est littéralement remplacée   par le temple de Neptune.

Chose qui se vérifie très souvent, la tradition populaire ( le folklore) a donc raison contre les experts quand elle voit dans la coupole de Baïes un temple de Mercure. Les métamorphoses  qui devaient s'y produire sous la protection des Nymphes n'étaient rien d'autre que les transmutations   alchimiques destinées à faire passer l'initié dans les états supérieurs, en traversant par son oculus le Cielde  la voûte..
Or, c'est Mercure, ou Hermès, qui préside à cette migration des âmes, dont il est l'accompagnateur  ( "Psychopompe" ).

Pour les Anciens aucune réalité n'est jamais purement matérielle. Comment ne pas être frappé par le fait que dans leurs villes, le nombre et l'importance des temples semble l'emporter sur celui des simples habitations. On leur accordait en tout cas bien plus d'attention, raison pour laquelle il en reste de nombreux vestiges, alors même que la plupart  des maisons particulières ont disparu  * 

* Encore faut-il corriger cette remarque en rappelant que chaque habitation "civile" était  elle-même un temple, comme le montre l'équivalence des termes latins Aedis  et aedes  pour désigner l'un comme l'autre de ces "édifices".
 Leur radical AED  se retrouve dans le nom grec de l'Ether (Aithèr  ). Cet élément indifférencié est souvent figuré comme un feu.  Nous nommons encore "foyer" une habitation particulière.
 Ce "feu" représentait l'âme de la maison, comme le feu central de Vesta figurait l'âme de la Cité toute entière.Et on savait très bien qu'il ne s'agissait pas du feu ordinaire. Selon Plutarque  ( Vie de Numa ), le feu de Vesta, au cas où il se serait éteint, ne pouvait être rallumé qu'au moyen d'un miroir triangulaire concentrant la lumière et la chaleur du soleil.

 


CH.  XXV
LES  DEUX  GENIES

Commençons par reconnaître que, dans  l'élaboration du Panthéon, les Grecs et les Romains ont joué des rôles, certes complémentaires, mais nettement distincts l'un de l'autre.

Le plan, dans sa subtilité *, doit tout à l'école d'Archimède, surtout préoccupée d'idées, et que la vision éthérée du Parthénon contentait donc pleinement.

Mais seuls des Romains pouvaient s'acharner à en assurer la réalisation concrète et intégrale. **

Ces deux phases de l'Oeuvre allaient dans des directions opposées. Les Grecs, en observant le Cosmos, en avaient retrouvé les "lignes de force", dont seules les principales apparaissent dans le diagramme. L'extrême complexité de ce plan n'avait rien pour les effrayer, vu qu'ils savaient toujours la ramener à l'Unité. ***

Les Romains, à l'inverse, partaient de cette Unité  causale , acceptée comme une évidence axiomatique, pour montrer sur le terrain les "conséquences", qu'on pouvait en tirer. ****


* L'explication que nous en donnons ici n'est qu'une approche assez rudimentaire.
** Cette création est en elle même une sorte de "coagulation" de l'idée archimédienne qui, elle, présente une "solution" de la quadrature. Le béton (en anglais  concrete  ) dont est faite la coupole accentue encore cet aspect de "matérialité".
*** Comme l'a dit fort justement Matila Ghyka : " Les Grecs, aussi  bien en mathématiques qu'en esthétique et en métaphysique  ( et dans la composition des proportions d'un temple, ces trois disciplines entraient en jeu ), ne craignaient ni la subtilité, ni la difficulté ;  on peut dire qu'ils révéraient paradoxalement la clarté et le mystère, du moins, que  la clarté, l'unité finale vers laquelle tendait naturellement leur pensée philosophique et religieuse, n'avait de prix que si elle était atteinte , par un ardu cheminement à travers un labyrinthe de symboles et d'analogie, jusqu'au centre où, dans leur vraie perspective, idées et formes, Vérité, Beauté et Harmonie, s'illuminaient dans la révélation de l'Unité.. Et par la géométrie ésotérique pythagoricienne et la tradition toujour parallèle des architectes et des artisans de la pierre, la musique des grands accords : Temple-Vie, Macrocosme-Microcosme, s'est transmise, une et multiple, de l'Egypte aux cathédrales gothiques" (  Le Nombre d'Or, ch. III ). L'allusion au labyrinthe est ici bien venue, étant donné l'importance que Virgile attache à ce symbole universel.
**** D'où le dicton :`A Iove primordia." : "Tout commence par Jupiterr", cette  figure de l'Unité..


CH. XXVI
INSTAURATION

Nous allons maintenant préciser un rituel auquel il a déjà été fait allusion

Le Palladium, qui marque la base immuable du Pôle universel, ou Axis Mundi  , est remplacé dans la pratique par le sceptre de l'augure (le Pontife fondateur ), une crosse dénommée  lituus ( qui sera plus tard celle des pontifes chrétiens).

On a vu que le rituel d'instauration consiste à projeter  *sur la terre une image du Ciel.
Cette image devra donc être à l'aplomb de la voûte céleste, et en particulier de son centre visible, l' Etoile polaire.

C'est ici qu'intervient le lituus, identifié au Point originel, et qui donne ainsi à l'Unité une position".

Ce point marquera donc le centre des coordonnées terrestres. qui doivent correspondre exactement à celles du Ciel. Pour le déterminer, l'augure , avec son lituus, trace dans le Ciel  une  grande croix, juste au-dessus de sa tête.

Dès lors, sa propre personne s'identifie à l'Axe rejoignant Ciel et terre,  ce qui justifie son titre de  Pontifex  , ou "faiseur de pont".

* Dans la langue de  Platon, cet objet n'est donc que "l'imitation d'une imitation".
** Ce lituus est représenté sur le sceau des Pontifes comme origine des quatre éléments ; c'est donc une image de la Quintessence alchimique. Voir le dictionnaire latin de Gaffiot à l'article Pontifex.
*** Au sens géométrique de "projection plane".
**** Les Pythagoriciens définissent le point  'qui est sans dimension) comme" l'unité ayant une position".

Pour marquer cette position axiale, il enfonce dans le sol le Lituus qui servira désormais de référence à tout le tracé. *

Jusqu'ici, il n'y a  encore eu  aucune "création", puisque le Point, origine de la manifestation, est totalement informel.
Pour se manifester, et ouvrir ainsi le monde de la multiplicité, ce Point invisible va devoir "se dédoubler" pour créér la première dimension. **
C'est donc  ici que commence le tracé du temple.

Mais pour être sûr qu'il ne s'agit pas d'une création arbitraire, et donc "trop humaine", on va en confier l'initiative aux forces d'En Haut, à commencer par le soleil, qui est le représentant le plus visible de la Divinité. Le  lituus  projette son ombre sur le sol, et va donc faire fonction  de gnomon (l'aiguille du cadran solaire).

Instauration

* C'est là qu'on placera dans la suite,, comme un  signe plus permanent (et même
éternel ), le Palladium de Vesta, ce pilier central de la Ville et du Monde
.**  Dimension signifie littéralement " mesure de la di-stance entre dex points".
Il va de soi que ces points, ainsi multipliés pour engendrer l'existence, n'ont pas le
même statut ontologique que le Point-Unité, dont la définition est d'être unique.

On marque les limites du déplacement de cette ombre, du matin au soir, ce qui nous donne l'axe E/O du temple. *

Comme on l’a déjà vu, on y découpe alors au cordeau un segment de 66 « points » qui donnera ses dimensions au futur temple, en servant de base au tracé de sa surface.**

Dès l’origine, cette aire sacrée combine donc les caractères de l’espace et du temps, puisqu’elle est créée par le mouvement même du soleil.

Or le mouvement, qui parcourt l’espace en un temps donné, permet seul de mesurer la condition temporelle. ***
 
*.  Rappelons que ces points cardinaux sont inversés par rapport aux nôtres, car les Romains, comme les Chinois, contemplaient le soleil au méridien. Au moyen âge, on  s'orientait   au le soleil levant.
** Cette aire figure dans les Géorgiques comme "l'aire à battre" de la ferme ( area cf.Géorg. I, 178-180). Passage ingénieusement "trafiqué" auquel Dante fait écho dans sa  Monarchie en appelant notre terre : "Cette petite aire où s'épuisent les mortels". Le battage  figure  les tribulations du genre humain.
***  Le lecteur que cette explication rebuterait peut passer sans dommage à la suite de notre exposé, à condition d'accepter dans ce cas le nombre fondateur 33 comme une donnée axiomatique (i.e. admise sans discussion).
*** C’est pourquoi le temps est parfois présenté comme une quatrième dimension, ce qu’il ne faudrait pas prendre au pied de la lettre : comparaison n’est pas raison.


CH. XXVII 
NAISSANCE DE L'ESPACE-TEMPS


1) L'ETENDUE TERRESTRE

L'expansion spatiale à partir du Point central pourrait, comme on vient de le voir, être figuré par le seul  Nombre 3.  Mais ce n'est pas ici le cas, puisque le module fondateur est 33, et même, dans son expression la plus complète, 333. *

Cet hiérogramme figure l’apparition de la forme dans chacun des " « Trois  Mondes » qui constituent l'ensemble de la manifestation .

Celle-ci comprend

  1. Le monde causal, ou ontologique, domaine de l'Etre informel, antérieur au temps et à l'espace, mais qui contient déjà, à l'état potentiel, les archétypes de tous les êtres créés. **
  2. Le monde subtil, dit "intermédiaire" ***, en raison de sa position, et enfin
  3. Le monde corporel (ou "grossier")

Mais pourquoi donc le tracé du Panthéon se contente-t-il du module 33, auquel il semble dès lors manquer une dimension ?

En fait, il n'y a là rien d'anormal, puisque le plan   du Panthéon, tel qu'il est conservé par le code virgilien , ne  peut représenter que deux dimensions, alors que le monument complet, étant un volume, en comporte évidemment trois. ****

* Comme dans le schéma des Bucoliques, qui comporte deux volets de 333 vers.
L'aspect temporel de ce 333 apparaît clairement chez Virgile, selon qui l'histoire précédant la fondation de Rome doit se développer en trois phases successives et concentriques de 3, 30, et 300 ans. Voir la prophétie de Jupiter (Enéide, I, 265 - 275).
** C'est le Monde des Idées  platoniciennes
*** Voir notre chapitre sur l' Antre des Nymphes.
**** Ceci évoque le passage des petits aux grands Mystères".

Au vu de ce qui vient d'être dit, le Nombre 33 désigne donc le Principe formel à l'oeuvre dans les deux Mondes, c’est à dire tout l'univers peycho-physique.

Revenons maintenant au tracé de la surface terrestre, figurée par le.Naos du temple.

Celui-ci représente l'étendue de la Terre, entièrement polarisée à la manière d'un planisphère composé de deux carré de 33 de côté, situés de part et autre de l'Axe Polaire. *

Nous verrons plus loin que sa base 66  engagée  dans le grand cercle céleste, cumule plusieurs fonctions déterminantes.

Mais nous pouvons déjà faire une constatation,  sur laquelle nous aurons à revenir.C'est que tout notre diagramme a son origine, non pas dans le Ciel cosmique, comme on aurait pu s'y attendre, mais dans le champ terrestre.


Naissance de L'espace1

 

* Chacun vaut donc "le carré de 33", soit 1089, et l'ensemble  2178  est, on l'a vu,  le
total de vers des Géorgiques,  ouvrage qui  s'intitule précisément : " Les Travaux de la Terre".

2)  LE TRACE DU CIEL  

C'est en effet à partir des proportions de la Terre que nous pourrons maintenant déterminer celles du Ciel.

On a déjà vu que la position du Pôle avait été déterminée par l’intersection de deux cercles centrés sur chaque extrémité de l’axe horizontal (terrestre).

Or cetteintersection se fait en deux points situés à 56 divisions au-dessus et au-dessous de l'axe 66.

On va montrer que le segment 56, obtenu par simple construction, sans le moindre calcul, est le rayon qui va permettre de tracer le cercle céleste.


Naissance de L'espace2

Réglons le compas ou le cordeau sur cette nouvelle valeur 56, et en le centrant sur une des extrémités de l'axe horizontal, faisons le pivoter jusqu'à ce qu'il rencontre l'axe vertical (céleste), à 45 divisions au-dessus (ou au-dessous ) de l'axe terrestre

Replaçons le cordeau sur ce nouveau point, qui marque le centre du cercle céleste, et traçons ce cercle.

Il passe par les deux exfrémités de l'axe terrestre 66 qui devient la corde de l'arc ainsi créé.

On a mesuré ainsi les trois segments qui "dirigent" le tracé du Panthéon en combinant la Croix des coordonnées cosmiques * avec le triangle de Pythagore. **

Le segment 56 assure donc une double médiation :

  • Celle du rayon, médiateur entre le centre et la circonférence (cf. le Nombre Pi).
  • Celle de l'hypoténuse reliant les côtés 78 et 33 de l'angle droit.

 * D'où le terme d' instauration  (cf. le grec stauros ( croix ); Ce rite est représenté sur les monuments égyptiens.
** On peut vérifier que les carrés des cathètes 33 et 45 valent, par approximation , le carré de l'hypoténuse 56
 

 LE  " QUATRE DE CHIFFRE "

Tel était, chez les constructeurs médiévaux, le nom  donné au "tracé directeur" secret que nous avons maintenant sous les
yeux. *
René Guénon  y  reconnaît une figure du Quaternaire fondamental pythagoricien , propre aux initiations artisanales. En notant ses analogies avec le Chrisme, cette autre figure du cosmos, il conclut :  

" …l'adjonction de la ligne oblique qui complète la figure en joignant les extrémités des deux bras de la croix, et en fermant ainsi  un des angles de celle-ci, combine ingénieusement à la signification quaternaire, qui n'existe pas dans le cas du chrisme, le même symbolisme de la "porte étroite", et l'on reconnaîtra qu'il y a là quelque chose de parfaitement approprié pour une marque de maîtrise".

Les propriétés géométriques de la figure s'accompagnent évidemment de propriétés arithmétiques tout aussi significatives.
En combinant le trois nombres-clés 78, 56 et 33, on obtient :

78  +  33 = 111, hiérogramme du Pôle dans les trois Mondes.

78  +  66 =  144,  Nombre solaire. **

78  +  66  +  56  =  200 ,  nombre "dual" figurant la polarisation universelle.

Enfin, 78  +  33  +  56  = 167, moitié approchée du 333 que nous connaissons déjà bien . ***

* Dans son  Nombre d'or , Matila Ghyka donne plusieurs exemples de ces tracés directeurs, qui servaient aux initiés à se reconnaître.
**  Ce carré de douze mesure notamment la "Jérusalem Céleste" . Cf.  Apocalypse , 22.
*** Ce  167   mesure les deux chants solsticiaux des  Bucoliques ( V et X )en additionnant leurs nombres 90  et 77 .



CH. XXVIII
LA  QUADRATURE  DU  CERCLE

Avec le cordeau ramené à 33 noeuds, nous pouvons maintenant  achever de tracer le double carré correspondant au Naos du Panthéon.
Commençons par déterminer sur la partie inférieure de l'axe vertical une longueur  de 33.
Puis en plaçant la pointe du cordeau successivement aux points N, E et O, repérons les angles inférieurs A et B.


L'intégration des deux surfaces, qui valent respectivement  9900 (Enéide, ou rotonde)  et 2178 (Géorgiques, ou Naos), va maintenant de soi, avec toutes les conséquences qui en découlent, et que nous avons évoquées dans la première partie.

  • Pour la clarté, nous ne donnons que les grandes lignes du schéma. On verra plus loin que seules la disposition en carré - une pure hypothèse - et quelques sommes partielles (ici en chiffres arabes)  demandent à être corrigées. Les Nmbres 156 et 177 font allusion respectivement au rayon 56 de l'Enéide,  et au 77 emblématique de Pallas.

 

CH. XXIX  
UN MYSTERE ESCHATOLOGIQUE *

Nous avons déjà fait allusion au fait, apparemment contraire à l'ordre hiérarchique normal  que notre tracé ne commence pas par le Ciel.

Le rayon céleste 56 est en effet secondaire par rapport à  celui de la base terrestre 66, point de départ de toute la construction. Cela est conforme à l'idée selon laquelle toutes les traditions associent le nombre 6 (et donc 66, et 666  à l'idée de "Création". **

La "Terre" est donc centrale dans toute représentation cosmogonique (qui inverse le  point de vue céleste ) car elle est l'origine de la Création, et elle en est aussi le terme. **

 Elle doit donc de quelque manière intégrer la  dimension  du temps , comme le fait  à sa façon le diagramme entier. *** .

* L'eschatologie étudie tout ce qui a trait à la "fin des temps".
 **  Ce nombre  66 représente en fait l' expansion  de l'Unité, car il est le "triangle" de 11. ( 1+2+3+4+5+6+7+8+9+10+11 = 66 ).
Quant au 666 ( "triangle" de 36, nombre qui st lui-même carré de 6 et triangle de 8), il symbolise cette expansion dans les "trois mondes". Il est donc avant tout le Nombre du Verbe, et c'est à ce titre qu'il fonde les Bucoliques, vouées à l'Apollon de Delphes
**  En ce qu'il figure le retour "alchimique" à l'état subtil, le double carré des Géorgiques est comparable à la "Jérusalem céleste" et à ses "corps glorieux".
Selon diverses traditions, notre soleil se sera alors obscurci" comme un sac de
crin "  et le Ciel cosmique, qui nous impose la dure loi du temps, aura disparu, "roulé comme un tapis.".
Alors, comme l'annonce Pétrarque, au dernier vers de son dernier sonnet (le 99ème…) :  "Le temps s'arrêtera et l'espace sera changé "..
*** L’œuvre entière de Virgile compte (dans son état actuel ) ± 12911 vers, ce qui représente la moitié de la précession des équinoxes.. ( 12960 ans en théorie).


Considérons la surface du double carré terrestre, qui est de 66 sur 33, soit 2178.
De ce total, il faut déduire le 66 de base, qui , étant un « Nom Divin », est transcendant à l’étendue terrestre, qu’elle soit spatiale ou temporelle.

Reste 2112 , nombre palindrome dont les deux moitiés s’additionnent pour nous rappeler le module 33 .

Ce nombre est aussi  le symétrique  (un  miroir )de 1221, dont nous avons  montré qu’il symbolise le processus de manifestation tout entier, vu d’un point du vue supérieur de L’Unité ontologique. Èn effet,  lu 1, 2 – 2,1.il figure le passage de l’Unité au multiple (dual) et le retour de ce dernier à l’Unité. Et ses facteurs sont spécialement unitaires, puisque 1221 est le produit de 11  fois 111, ce qui est la meilleure  façon de ne pas sortir de Lui-même !

On voit aussi que l’Unité y encadre  toute sa manifestation.

Le  renversement   manifesté par 2112  signifie qu’il s’agit ici du  point de vue terrestre, pour lequel c’est le multiple qui est au départ du processus de réintégration * ( 2, 1 – 1, 2 : l’Unité se cachant ici au centre…). 2112 est d’ailleurs un multiple de 16,  carré qui servait de module aux géomètres pour mesurer le territoire.

On serait tenté, en raison de la signification zodiacale (i.e.spatio-temporelle) du monument, d’y rechercher quelque allusion à la durée de l’ère présente, en la prolongeant par exemple jusqu’en 2112  !

Mais ce genre de curiosité n’est pas recommandé par la Tradition, et cela pour une raison évidente. C’est que la fin de notre ère doit être strictement semblable à son début, c’est à dire intemporelle.

Elle ne sera en effet rien d’autre qu’un passage instantané dans le domaine subtil, où s’il subsiste quelque chose d’analogue à notre temps, cette durée  ne serait de toute façon pas mesurable comme la nôtre...

* Ce que la petite philosophe Simone Weil appelait fort justement «  décréation ».


 CH. XXX LA  RUCHE

Nous allons maintenant ouvrir une page du Bestiaire traditionnel.

L'abeille est un élément essentiel du symbolisme hyperboréen conservé à Delphes. *
Aussi le célèbre  Omphalos , outre sa figure d'ombilic ou d' Oeuf du monde  , a eu aussi, dès l'origine, la formed'une ruche. **
Les prêtresses de Delphes - ces Vestales avant la lettre - ont
donc porté, dès la plus haute antiquité ,le nom d' "Abeilles"
 (  Melissaï   ).

Les figurations de l' Omphalos , et notamment la copiesculptéetrouvée à Delphes, présentent toutes la forme ovoïde propre à la ruche traditionnelle, avec son ope  (le grec pour oculus) ouverte au sommet. ***
Cette disposition, rappelant celle de l' Athanor  , figure  la sphère cosmique dont la "porte étroite" débouche sur les états supérieurs. ****

Les "abeilles"  sont donc toutes les âmes vivantes qui s'agitent dans notre univers confiné, en attendant de prendre leur essor pour les espaces étoilés. *****

Or, ce que nous venons de décrire est exactement le schéma du Panthéon. En tant que  Pôlede l'Empire, celui-ci reproduit en effet les fonctions diverses de son modèle  delphique. 

* Voir  l'Oracle de Delphes  de Marie Delcourt.
 ** On rappelle que la polysémie du symbole ( le cumul de ses significations) n'a pas d'autre limite que le strict repect de l'analogie.
*** Quant au filet ( agrènon ) qui recouvre l'omphalos, il symbolise les liens qui rattachent au Pôle tous les êtres constituant le tissu cosmique. Ces liens sont décrits par Platon, dans sa description de l'Axe du monde, comme ceux qui enserraient la coque des navires.
**** Virgile lui-même dissipe tous les doutes en  comparant les abeilles aux alchimistes de l'Etna.(cf. Géorgiques IV, 170-175).
***** Voir à ce propos la cosmogonie de l'Enéide (VI, 724-751) qui commence, comme toutes les genèses, par le terme  Principio. Nous ne pouvons commenter ici cet extraordinaire  catéchisme  pythagoricien

Rien d'étonnant donc à ce que l'abeille, à titre d’insecte surdoué, soit mise en valeur dans les Géorgiques. *

Elle y jouit d'un statut transcendant, puisque  le Quatrième Chant, ce couronnement de l'œuvre, lui est entièrement consacré. **

Et ce n'est que justice, car l'industrieuse créature est une vivante image de la Déesse Pallas, spécialement honorée par  le Poète. ***
C'est pourquoi ce  Livre des Abeilles  est entièrement marqué à son emblème numérique, que nous connaissons déjà bien, à savoir l'hiérogramme  28.

Le nombre de vers du Chant , qui est de 560  ****,se divise en effet en deux volets de 280 vers.

Dans la première partie, Virgile décrit les moeurs des abeilles, telles que l'apiculteur ordinaire. est censé les observer, encore que de nombreux détails trahissent déjà le double entendre .

Mais une fois franchi le vers 280, le ton change du tout au tout, et il n'est plus question de prendre pour matière agricole ce qui est maintenant, de toute évidence, une allégorie . *****

 * Cette oeuvre constitue , comme d'ailleurs les deux autres, un
Pantacle , ou "petit Tout".
** Le fait est trop souvent négligé, ce qui est d'autant plus étonnant qu Virgile, dès le premier vers du poème,  annonce la couleur  en ces termes  : "  Protinus aerii mellis caelstia dona / Exsequar  ( " Sans plus attendre, j'en viens aux dons célestes  que sont les miels aériens…"). Le verbe  exsequi  a ici une connotation rituelle. Par exemple,  Mandata exsequi  signifie"remplir jusqu'à leur terme tous les devoirs d'une fonction".
***  L' Artisane divine , patronne des alchimistes, sait tirer son miel de tout, fût-ce des pires poisons. De même qu'Apollon est  Musagète , en tant qu'il patronne les neuf Arts transcendants, Pallas peut donc être dite  Mélissagète,  puisqu'elle dirige toutes les techniques  proches de nos activités quotidiennes.
****  Dans l'état actuel  ± 558 vers.  Le texte est fort altéré en divers endroits,  et notamment à la fin, car on y a  incorporé un "hors d'oeuvre", à savoir le colophon , cette "étiquette" portant le titre du  volumen .
Ce qui est véritablement étonnant, c'est que ce total, comme tous les autres, se soit si bien maintenu, malgré les lacunes des manuscrits, ce qui trahit des interventions anonymes, mais très conscientes.
*****  Du moins, se si conosce ,  comme dit Dante, c.à d.  pour l’hermétiste.

Cela seul peut rendre compte des liens mystérieux établis par la légende entre la maladie qui décime la ruche et la visite que rend le malheureux apiculteur Aristée à l'antre des Nymphes. *

Mais cet Aristée n'est pas un apiculteur ordinaire.

Son nom grec, dont le sens est tout semblable à celui d' Evandre, fait de lui  l’ Homme par excellence (aristos )**

Tous deux sont en effet des Arcadiens , ces Hyperboréens de l'âge d'or, que leur sagesse orphique désignait comme souverains nés. Et si le petit peuple d' Aristée est décimé par une peste, c'est justement parce que nous sommes entrés dans l'âge de fer, qui a vu la totale disparition de la Grande Justice. . ***  

Dans son désarroi, l'Apiculteur fait donc appel à sa mère, la Nymphe Cyrènè **** pour apprendre d'elle les causes de l'épizootie, et le remède à appliquer.

Or, il s'avère vite que ce remède est de nature purement hermétique. En effet, après avoir pratiqué le rite fondamental de l'alchimie, ce mariage de l'Eau et du Feu qui symbolise l'Union des Contraires, la Nymphe ouvre à son fils la porte du Dieu Protée.


* Pour la description de ce palais sous-marin, voir notre chapitre de ce nom.
** C'est l'  Homme Véritable" des Chinois.
***  La Vierge Astrée, qui personnifie la Justice, a fait ses derniers pas sur la terre avant de devenir une constellation. (cf Géorg. II, 473-474 : " Extrema per illos / Justitia excedens terris vestigia fecit ".  Ainsi se terminent  les 990 premiers vers des Géorgiques. Ce terrible constat est  aussitôt suivi d'une ardente invocation aux Muses, pour apprendre  d'elles les causes de tout ce désordre, et retrouver la sérénité.
 Virgile se présente ici dans la même posture de suppliant qu'Aristée, et pour les mêmes raisons.. On presse vivement le lecteur de lire - et pourquoi pas en latin ? - le merveilleux  passage allant de 475  à  502 , dont certains vers étaient naguère passés en proverbe.
****  Ce nom (qui rappelle  Sélènè  ) fait de  cette reine des Nymphes un des multiples avatars de Pallas

Personnage étrange, comme tout ce qui touche à l'hermétisme, ce Protée personnifie l' Ether alchimique, ce Premier élément  qui est  la source subtile des quatre éléments manifestés. *
Après s'être fait longuement prier, et de bien étrange façon, Protée finit par rendre ce diagnostic stupéfiant :

Si les abeilles sont malades, c'est parce qu'Orphée "a perdu son Eurydice ".

Jusqu'ici, les philologues suivaient tant bien que mal le fil du conte.  Mais pour le coup, c'en est trop, et de crier à l'incohérence. **
Pourtant, il n'en est rien, et l'explication est même fort simple, à condition de ne rien prendre au pied de la lettre, comme les philologues le font presque toujours. ***

Cette explication, nous l'avons du reste donnée plus qu'à moitié, en évoquant la Vierge Astrée, cette Justice dont le départ définitif annonçait tous les malheurs de l'äge de fer.

En effet le nom d' Eurydice désigne une fonction identique à celle d'Astrée, puisqu'elle aussi incarne la Justice, désormais en exil. Son nom signifie en effet " La Grande Justice" ( en grec  Eureïa Dikè   ), dont l'absence fait tout le malheur du monde. ****

 

* Protée est "premier" ( gr. Prôteus = Prôtos ) dans l'ordre descendant de la manifestation ; mais il est aussi "le Cinquième" ( la  Quinte Essence ) dans l'ordre inverse, qui vise à remonter jusqu'à l'Unité en partant des quatre éléments. A noter que ce dieu figure aussi le premier des Nombres…  Sur tout cela, voir Géorg. IV, 387-424.
** Certains ont même soupçonné Virgile, le grand Virgile, d'avoir, en panne d'inspiration, assemblé à la fin de son oeuvre des morceaux choisis, sans aucun lien entre eux, comme des 'fonds de tiroirs".
*** Du  reste, leurs platitudes naïves sont encore moins fausses que les interprétations parfois ingénieuses des psychanalystes. Voir par exemple le commentaire de Guy Lardreau sur  l'Antre des Nymphes  de Porphyre (Ed. Verdier).
****  Eurus  signifie littéralement "large" ou "vaste", car cette Justice s'étend à l'ensemble de l'Univers. Cette "Justice transcendante" est comparable à celle de la  Thémis  grecque ou du  Dharma  hindou, et on la rendrait peut-être mieux par "Justesse",  d'autant que la présence d'Orphée donne à toute la légende des résonances musicales

Reste à expliquer le retour sur terre d'Eurydice, retour éphémère, obtenu par la musique des Nombres, et qui ne peut signifier qu'une chose. C'est que la dégradation infernale due à la "chute dans le temps" a pu connaître certaines rémissions. Dans l'esprit des Pythagoriciens, la création du Saint Empire figurait même un certain retour à l'Age d'or, que Virgile
annonce dans sa quatrième Bucolique. *

Pour conclure ce chapitre apicole, parlons un instant numismatique.
On sait que les monnaies d'Athènes, la grande métropole pythagoricienne, étaient frappées à l'initiale d'Athéna,  accompagnée de la Chouette..

Mais à Ephèse, cette capitale de l'Asie Mineure, c'est la divine Abeille qui personnifiait la  Vierge, honorée sous le nom d' Artémis, sœur jumelle d’Athèna, et dont le temple  -
l' Artémision  - était  aussi réputé que le Parthénon. **
.
La monnaie d'Ephèse présente donc en son centre l'Abeille, dont les deux ailes  repliées en arrière , rappellent l'Alpha initial d'Artémis/Athèna. Les deux autres caractères qui flanquent cet Alpha, sont les initiales de la ville qui sont en même temps les hiérogrammes les plus chers au pythagorisme, à savoir le E de Delphes, et le Phi, en forme de Caducée. ***.


*  D'ailleurs sans illusions excesssives. Dans la même pièce, le poète évoque les traces d'une faute originelle (Buc. IV, 31), reconnaissant par là que le ver était dans le fruit. Et le chantre de l'Empire Sacré va même jusqu'à traiter Rome de "pouvoir périssable" ( peritura regna : Géorg. II, 498 ), ce qui est franchement énorme, venant de celui qui était en fait le second personnage de l'Etat…
** C'est " la Grande Diane des Ephésiens ».
***.  Nous ne pouvons nous étendre ici sur l'important sujet des idéogrammes - cette écriture d'avant nos écritures syllabique  - comparable en cela à celle des Chinois


 CH. XXXI
SUR LE TERRAIN

Quittons un instant la sphère du symbole, pour parler technique. Le tracé une fois réalisé, il  restait en effet à ériger le temple.

L'édification de la partie grecque, rappelant le Parthénon et donc apparemment classique, ne nous retiendra pas pour le moment.

Venons- en tout de suite  à la rotonde , dont la muraille a pour (épaisseur un septième du diamètre et dont la structure, complexe et difficile à explorer, a l’allure d’un nid d'abeilles.

Elle présente comme la voûte, une armature d'arcs noyés dans le béton., qui contribuent à soutenir l'effrayante poussée de la voûte. Celle-ci, nous l'avons vu, porte principalement sur les huit chambres de décharge, comparables à des arcs- boutants en creux, et intérieurs   à la structure. Il n'était pas question en effet de recourir à la solution  "gothique" des contreforts extérieurs qui eût masqué la netteté de l' épure   géométrique.
Nous avons déjà insisté sur ce défi technique, car il met en valeur la supériorité de la forme  sur la masse matérielle.

Mais c'est dans la coupole que ce principe se manifeste dans toute sa splendeur.
On peut dire en effet que le Panthéon est avant tout un grand vide  sphérique, enveloppé dans un minimum de matière. Il résiste donc par sa forme bien plus que par sa masse.

Celle-ci n'en est pas moins si énorme qu' elle a imposé des méthodes hors du commun..
Il faut bien réaliser qu'une voûte, fût-elle la plus modeste, ne tient pas en l'air toute seule.
Elle n'acquiert sa résistance qu'au dernier moment, par la pose de sa clé dont la forme en queue d'aronde bloque la structure et achève  le monument *


* Achever, c'est mener l'édifice à son faîte ( ou "chef" ). En anglais, clé de voûte se dit  copestone : " pierre de couverture" ( cope = cap :  "couvre- chef  "). La coupole entière est une "chape". L'ouverture supérieure de la coupole (  son  oculus  ) eùpêchant de donner à cette clé la forme habituelle, les poussées ont été contenues par un anneau  de bronze ( ou virole)

Jusque à cet ultime instant, l'arche n'a pas la moindre résistance et doit donc être soutenue par une charpente provisoire. Dans le cas d'un arc simple, comme il s'en construit encore couramment, cette charpente est un simple gabarit en forme de tambour.

Mais la coupole est une forme à double courbure.

Or les charpentiers travaillent le plus souvent avec des poutres rectilignes.*
Pour se rapprocher autant que possible de la forme hémisphérique sans déroger à la norme, il a sans doute fallu donner à la charpente la forme d'un polyèdre complexe.

On a parlé d'un volume archimédien à 72 faces, mais la charpente ayant été démontée aussitôt après usage, il est difficile d'en savoir plus.

Tout ce qu'on peut dire, c'est que le plus grand chef-d'oeuvre  du Panthéon, était peut-être cette charpente éphémère  de 50 mètres de portée. **


*  La poutre,trabs, est rectiligne comme le rayon solaire dont elle est l'image.
En effet, elle "rayonne" à partir du centre. Le vêtement royal (donc solaire) nommé  trabea,  était  rayé de blanc et de pourpre, comme le drapeau impérial japonais figurant le soleil levant. L'anglais beam  a encore les deux sens de "poutre" et de rayon solaire (sunbeam ).
*** Comme la "musique des sphères", inaudible à l'oreille grossière, elle n'est plus visible qu'à l'oeil intérieur. Le caractère évanescent de cette charpente évoque irrésistiblement le dodécaèdre platonicien, qui est justement le volume régulier le plus proche de la sphère.Avec ses douze faces pentagonales, il est l'image de l'éther, ou "quinte essence", et donc bien à sa place dans un temple hermétique. Rappelons que le rapport de la sphère (coupole) au cylindre circonscrit (rotonde) est de deux tiers, ce qui correspond à la quinte musicale

Qu'on imagine les échafaudages gigantesque sur lesquels s'affairaient une nuée de charpentiers, bientôt suivis par l'armée de maçons chargés de monter l'enchevêtrement  des arcs de décharge et de placer les coffrages des caissons.

On vient de parler d'armée , et on peut penser que le génie militaire prêta en effet la main à cette prodigieuse organisation. *
Le tissu d'arcs une fois en place **, on pouvait se mettre à couler le béton.
Ici encore, l'imagination des ingénieurs allait se donner libre cours.

Nous avons vu que le Panthéon avait eu un prototype, la maquette en demi grandeur qu'on peut toujours voir dans la baie de Naples. Or, si les deux édifices ont une forme générale semblable, la mise en oeuvre des matériaux diffère en fonction de l'énorme différence des masses. La coupole de Baies est entièrement lisse et d’un seul tenant, alors que celle du Panthéon comporte des degrés

Chacun agit comme un anneau renforçant la structure.

Celle-ci a donc été coulée par degrés successifs, comme l'imposait d’ailleurs le temps de prise  du ciment. ***

Mais ce procédé a encore une autre raison.


*  La discipline de ses sapeurs avait permis à César de construire un pont sur le Rhin en huit jours. C'est ainsi que le camp romain, cette ville nomade ( un double carré… ), se construisait à chaque étape en une seule journée. Chaque soldat réalisait fossé et palissade sur le mètre de terrain qu'il avait devant lui ( pro virili parte ). Travail de fourmis, ou mieux, d'"abeilles"…
** Qu'on songe aux calculs invraisemblables exigés par le transfert, d'arc en arc, d'une telle poussée.
*** Tout le liant devait être transporté à l'auge, donc trop lentement pour qu'on puisse la déverser en continu. N'oublions pas qu'en choisissant pour le Panthéon un diamètre  double de celui du prototype, on a accru son volume  dans des proportions exponentielles..

Des sondages effectués il ya plus d’un siècle ont montré que pour chaque anneau, le gradient   du béton, c'est à dire sa densité, varie en fonction de la charge supportée.

C'est évidemment l'anneau de base qui a le plus à souffrir, et c'est donc là que le béton doit être le plus compact, ce qu'on a obtenu en augmentant sa granulométrie.

En revanche, la partie supérieure de la coupole pouvait être beaucoup plus légère. C'est pourquoi on n'y voit plus d'anneaux : le béton a été coulé d'un seul tenant, comme à Baïes.

Mais c'est un béton révolutionnaire, car il est à base d’une pierre-ponce, la pouzzolane, lave si légère qu'elle flotte sur l'eau. *

 Après tous ces records d'ingéniosité, c'est  maintenant l'heure de quitter le corps  de l'édifice pour en revenir à son âme .

Mais pas avant d'avoir rappelé que le principe de la voùte, glorifié à jamais par la coupole du Panthéon, se manifeste de façon tout aussi géniale, mais bien cachée, dans les huit vides voûtés, dits " chambres "de décharge", intégrés au mur de la rotonde, et dans les nombreux arcs du même nom , noyés dans le béton de sa maçonnerie.


* C’est peut-être une idée du grand architecte Vitruve, ami de Virgile, et qui a donc sûrement supervisé la réalisation de l'ouvrage… Le temple-prototype de Baïes s'élève dans la baie de Naples, à deux pas de Pouzzoles (Puteoli ) et du Vésuve.
On a vu que  cette même pierre ponce, dénommée  pumex  , sert de matériau à
l'antre sous-marin des Nymphes. (Géorg. IV, loc. cit.), et donc aussi à l'antre des Abeilles : Pumicibusque cavis exesaeque arboris antro   (Géorg. IV, 44 : double quaternaire). 




CH. XXXII 
MOT DE LA FIN

L'intermède constructif qui précède avait pour but principal de détendre le lecteur, avant d'en venir à la question qu'il s'est peut-être posée in petto  tout au long de notre exposé, et qui peut se formuler de façon  familière :

"A quoi tout cela peut-il bien rimer  ?"

Ou en termes plus choisis, quel peut bien être le but ultime, en même temps que le "fin mot" de cette construction d'allure invraisemblable, et qui pourtant  se prouve elle-même  ?

En identifiant le  Panthéon à l' Antre des Nymphes  , on en faisait un modèle du monde subtil, qui est comme un Océan  à traverser pour toucher au monde des Dieux. *

Or toutes les traditions considèrent que le destin de l'homme - et en particulier son sort posthume - dépend de sa capacité à trouver le droit chemin dans cet univers aussi complexe et trompeur qu'un labyrinthe.

On enseigne que sans une aide divine ( comme le fil d'Ariane), il risque de s'égarer et de tourner en rond indéfiniment dans une série de cycles successifs. Toute personne qui s'est fait expliquer un  Mandala   oriental sait d'aileurs de quoi nous parlons.

Or notre Panthéon n'est rien d'autre qu'un tel Mandala, c'est à dire un  plan du monde , non pas du monde corporel, bien entendu, mais de l'univers subtil, qui est encore beaucoup plus vaste.

 

* " Sur la barque de la Connaissance, tu traverseras la mer des passions…" ( adage hindou).

Son tracé ne correspond en effet à rien de physique  :  il indique les "lignes de force" du monde psychique *, et doit permettre ainsi de s'y orienter, dans le seul but de s'en évader, que ce soit au cours du présent cycle vital, ou du suivant. **

Comme promis, nous devons maintenant dévoiler "le Mot de la fin". Et ce n'est pas une simple façon de parler.

Pour le découvrir, remettons-nous devant les yeux tout le diagramme, en gardant à l'esprit toutes ses correspondances "littéraires".

Cette contemplation du Mandala   constitue un véritable rite qui doit transformer peu à peu en vision synthétique et instantanée les longues analyses auxquelles nous nous sommes soumis jusqu'ici.

 

* Ceci  répond, dans l'ordre du microcosme humain, aux  méridiens  de la médecine chinoise, dont la réalité indéniable n'a pourtant rien de physique. Toutes les tentatives de les assimiler à des circuits nerveux ayant échoué, beaucoup d' experts ont donc conclu à leur inexistence. Il n'y aurait donc "rien à voir", n'était la réalité gênante de certaines chirurgies complexes et de longue durée, pratiquées, devant témoins, sans autre forme.
 d’anesthésie.
** Cet univers ne diffère pas essentiellement du  Bardo  tibétain, ou de divers  "monde des morts", comme ceux des Celtes, des Egyptiens ou des Perses

Pour aider le lecteur , reproduisons  une  fois de plus son Naos, cet habitat des hommes, avec ses deux parties figurant le monde corporel que domine  le domaine subtil ( le Paradis des
 Bucoliques)  *   
                      

                           
        
                           

On sait que la somme deces parties  (2178 + 825  = 3003 ), avec son module 33,  place tout le domaine humain  sous la domination du Pentagramme solaire, de valeur analogue ( 3300).

Reste à se demander à quoi correspond  dans le texte   la clé de voûte du monument., autrement dit son  " noeud  vital "

Ce ne peut être que le dernier vers des Bucoliques ( X, 69 )., qui est le véritable achèvement de l'oeuvre, puisqu'il complète les 825 points  de sa surface .

 

* Ces deux parties sont chez Dante l' aire  terrestre ( présentée comme un Enfer), et la montagne du Purgatoire, figurée par le triangle supérieur. Le Paradis terrestre, qui se situe au sommet de cette montagne, en est donc la  clé de voûte.

Et voici ce vers, dont Virgile a pris soin de dissimuler le sens"mystérique" sous des apparences banales.

 OMNIA  VINCIT  AMOR , ET NOS CEDAMUS AMORI

Ce que tout le monde * traduit comme suit   :
" L'amour est toujours le plus fort, et il n'y a donc plus qu'à lui céder ".

Rien de plus banal que cette réflexion, du moins dans.un contexte d’allure passionnelle.

Et pourtant il s'agit en réalité de tout autre chose, et mine de rien, il y a là une énigme de plus, aussi simple qu'ingénieuse. Car le poète joue sur le double sens d'un unique mot.

C'est le terme vincit  , formecommune ** à deux verbes
distincts , dont le premier ( vincere  ) signifie "vaincre" , alors que l'autre  ( vincire  ) a pour sens "lier".

Or, si l'on choisit cette seconde version, l'aphorisme prend un tout autre sens, et même une dimension métaphysique, puisqu'il signifie maintenant :

" C'est l'Amour qui relie entre eux tous les êtres : laissons Lui donc toute la place " ***

 
* A l'exception d'un philologue italien  qui avait subodoré la ruse,. sans en tirer toutefois les conséquences.
** Présent de l'indicatif. Les deux verbes sont d'ailleurs apparentés, car lorsqu'on a vaincu quelqu'un, il est « lié » ( prisonnier).
***  Cedere signifie littéralement "faire un pas en arrière" , c'est à dire laisser la place à un autre, qui dès lors peut "occuper" (="accaparer")  le terrain.
De là vient l' expression  "céder le pas".

Et cette fois, ce n'est plus simplement d'amour humain qu'il s'agit.
En disant de cet Amour qu'il "enchaîne" toutes choses, Virgile lui donne sa dimension sacrée. *

Car ce  Vinculum   rend fort exactement le sens premier du grec  Logos , qui est "Lien", un des noms donnés à l'Etre-Un en tant que  "Principe de Cohérence".
Ce Lien Universel est en effet à l'origine de toutes les  relations qui constituent l'Existence. **
Et comme la première de ces relations est la parole, le Logos est aussi ce Verbe , "par qui toutes choses ont été créées".

C'est pourquoi le Pentagramme solaire qui le représente est toujours figuré comme un Noeud. Cette "clé de voûte" du cosmos tout entier est, dans son ordre, analogue au noeud vital  dont dépend l'éphémère cohésion du microcosme humain.
Et l'on peut donc affirmer que l'Existence entière y est suspendue. ***

Nous pouvons donc à présent définir l'économie  , à savoir le sens ultime de la trilogie virgilenne, et par suite du Panthéon.


* Comme l'ont fait plus tard les  Fedeli  d'Amore  auxquels appartenait Dante.
 Sa Comédie se termine donc, exactement comme celle de Virgile, par une évocation de l'Amour " qui meut le Soleil et les autres étoiles" ( D.C. III, 33 :  l'Amor che move il Sole et l'altre stelle ).
**. On a montré ailleurs que le radical  LG de  Logos exprime tous les types de lien, à commencer par la lumière ( Lux, venat de LuG-s ), qui relie tous les points (LoC-a )de l'espace. Mais aussi la loi ( LeG-s), qui garantit le lien social et
re-lig-ieux, et se base sur la log-ique du dia-logue. On pourrait continuer preque indéfiniment, car les langues anciennes, contrairement aux nôtres, ont encore un lien direct avec la métaphysique.
*** C'est d'ailleurs le sens précis du latin  ex-sistere :  litt.  "dépendre d'une réalité extérieure à soi "

Amour n'est qu'un un autre Nom du Logos ontologique, dont il faut en effet reconnaître, avec Héraclite, qu’il pénètre et soutient toutes choses.

Et l’on a vu que les œuvres de Virgile, ce Fidèle d’Amour avant la lettre, se résorbent tout entières dans l'Unité, source de la Décade créatrice..*

Le naïf moyen âge, qui ne manquait  cependant  pas d’intuition, a popularisé l’anagramme Amor / Roma  qui faisait en outre du poète Maro la personnification même de cet Amour sacré.

Mais qui , mieux que Virgile lui même, aurait pu nommer la Force  dont il tirait son inspiration ?

 

CH. XXXIII 
L'AVENIR DU PANTHEON

Après toutes ces"coïncidences", cruellement résumées, remettons les pieds sur terre, mais pas trop.

La longue histoire terrestre du Panthéon nous importe en somme  assez peu., puisqu'il s'agit d'un monument hors du temps , de par les Idées qu'il incarne puissamment. *
Cette Sagesse sans âge ( Sophia perennis  )était enseignée bien des milliers d'années avant que naissent nos civilisations, et en particulier celles du Livre. .  **

Conséquence de cet aspect intemporel, le Panthéon, en préservant l'héritage des origines, est chargé aussi d'une
eschatologie  : il a, comme l'oeuvre de Virgile, une dimension prophétique.
Loin de se réduire à de vieilles pierres, il "incarne" le plan divin  qui, en nous rappelant l'éternité de notre être profond, devrait donner sens à notre vie.

Lorsque le monde déchu dans lequel nous subsistons se sera effondré , ces lois éternelles reviendront au jour pour recréer un monde tout neuf  :  Nouveaux Cieux, terre nouvelle . ***

Ce sera le vrai âge d'or, celui que Virgile appelait de tout son espoir, et dont l'Empire, si majestueux qu'il fût, n'était que l'ombre.


* Et non un témoignage de l'orgueil impérial, sinon Virgile n'aurait jamais traité sa patrie de  "peritura regna "…
** Seules les traditions chinoise et hindoue peuvent revendiquer une antiquité comparable, qui remonte aux origines de notre humanité.
Le  pythagorisme,  de l'aveu des Grecs eux-mêmes, est "hyperboréen", c'est à dire immensément antérieur à leur culture. Ses affinités avec le Taoïsme sont telles que l'on peut hardiment éclairer l'un par l'autre, et avant tout en ce qui concerne les Nombres. Cela n'implique d'ailleurs aucun contact direct, les lois naturelles étant partout les mêmes .
***           lls reviendront ces Dieux que tu pleures toujours  !
                Le temps va ramener l'ordre des anciens jours  :
                La terre a tressailli d'un souffle prophétique…
                Cependant la Sibylle au visage latin
                Est endormie encor sous l'arc de Constantin
                Et rien n'a dérangé le sévère portique .
Gérard de Nerval,  Delfica

 

               
Les  prophétes * qui nous ont guidés jusqu'ici ne laissent d'ailleurs planer aucun doute sur la nature de leur inspiration.
Virgile, dès le vers 990 de ses Géorgiques, fait la profession de foi qui suit  :

" Et maintenant, veuillent les Muses, qui me sont plus chères que tout et dont je porte les signes sacrés depuis qu'elles m'ont foudroyé d'un Amour surhumain  **, veuillent les Muses m'accueillir parmi Elles , et m'apprendre le chemin du Ciel et des étoiles (…) "  ***

Et Ovide n'est pas en reste  ::

" Qu'il vienne, quand il voudra, mettre terme à ma précaire existence, ce jour fatal qui n'a de droits que sur mon corps.
Alors, le meilleur de moi-même franchira le cercle des astres pour entrer dans l'éternité .

Mon nom restera ineffaçable. (…)

Et pour peu que les oracles aient dit vrai, à travers
les siècles, dans cette gloire, je vivrai ! " ****


* Ils se nomment eux-mêmes  Vates , d'où vient notre terme "vaticiner", devenu péjoratif depuis que nous avons cessé de croire aux oracles.
** Les termes " Ingenti  percussus Amore" font un effet "percutant". Le poète se décrit comme "frappé de plein fouet" par une force "surnaturelle". ( Ingens, littéralement "non-né" ( grec a-génètos , sanscrit : a-ja ), c'est ce qui n'existe pas dana le nature).
***  Me vero primum dulces ante omnia Musae,
quarum sacra fero, ingenti percussus Amore,
accipiant, caelique vias et sidera monstrent
                                                                                                             
(Géorgiques, II, 475 sq.).

****   Cum volet, illa dies, quae nil nisi corporis huius
Ius habet, incerti spatium mihi finiat aevi.
Parte tamen meliore mei super alta perennis
Astra ferar nomenque erit indelebile nostrum.
(…)      perque omnia saecula fama
si quid habent veri vatum praesagia, vivam.
                                                                                             
(Conclusion. des Métamorphoses ).

Les  prophétes * qui nous ont guidés jusqu'ici ne laissent d'ailleurs planer aucun doute sur la nature de leur inspiration.

C'est ainsi que Virgile, dès le vers 990 de ses Géorgiques, fait la profession de foi qui suit  :

" Et maintenant, veuillent les Muses, qui me sont plus chères que tout et dont je porte les signes sacrés depuis qu'elles m'ont foudroyé d'un Amour surhumain  **, veuillent les Muses m'accueillir parmi Elles , et m'apprendre le chemin du Ciel et des étoiles (…) "  ***

Et Ovide n'est pas en reste  ::

" Qu'il vienne, quand il voudra, mettre terme à ma précaire existence, ce jour fatal qui n'a de droits que sur mon corps.
Alors, le meilleur de moi-même franchira le cercle des astres pour entrer dans l'éternité .
Mon nom restera ineffaçable. (…)

Et pour peu que les oracles aient dit vrai, à travers
les siècles, dans cette gloire, je vivrai ! " ****

 

* Ils se nomment eux-mêmes  Vates , d'où vient notre terme "vaticiner", devenu péjoratif depuis que nous avons cessé de croire aux oracles.
** Les termes " Ingenti  percussus Amore" font un effet "percutant". Le poète se décrit comme "frappé de plein fouet" par une force "surnaturelle". ( Ingens, littéralement "non-né" ( grec a-génètos , sanscrit : a-ja ), c'est ce qui n'existe pas dana le nature).
***  Me vero primum dulces ante omnia Musae,
quarum sacra fero, ingenti percussus Amore,
accipiant, caelique vias et sidera monstrent
(Géorgiques, II, 475 sq.).

****   Cum volet, illa dies, quae nil nisi corporis huius
Ius habet, incerti spatium mihi finiat aevi.
Parte tamen meliore mei super alta perennis
Astra ferar nomenque erit indelebile nostrum.
(…)      perque omnia saecula fama
si quid habent veri vatum praesagia, vivam.
(Conclusion. des Métamorphoses )

 

ANNEXES*
I
LES  BUCOLIQUES, UNE ENIGME LITTERAIRE **

Au terme de cet ouvrage, le lecteur aimerait sans doute connaître l'opinion de la science philologique sur cette question, que nous ne sommes pas le premier à aborder. ***

Avant de refermer ces pages, il faut en effet rendre un hommage reconnaissant au jésuite français Paul MAURY, sans qui toute cette enquête  n'aurait même  pu commencer.

C'est lui qui, après des siècles d'oubli, apporta du neuf sur la quetion des  Nombres virgiliens  , qui se bornait avant lui  à une vague rumeur  ****
Il avait en effet redécouvert, sous-jacente aux Bucoliques, une étrange construction mathématique, beaucoup trop  élaborée  pour être un simple effet du hasard.

Cette structure faisait intervenir à la fois le nombre ordinal  de chaque pièce  ( de I à X ) et le nombre de vers qu'elle contient.

Malheureusement, une telle découverte, appuyée sur des données à peu près exclusivement littéraires , paraissait trop étrange pour qu'on pût lui trouver un sens quelconque.

Les experts se divisèrent donc en deux camps.
Les uns, et non des moindres, niaient les faits, contre toute évidence. *****

 

* Ces annexes, assez techniques, ne sont pas indispensables à la compréhension des textes qui précèdent.
** Pour un examen plus historique de cette question, voir  La Tradition Pythagoricienne  (à paraître).
.***  Paul MAURY, Le secret de Virgile et l'architecture des Bucoliques , in  Lettres d'Humanité, tome III, 1944 (Association Guillaume Budé ). Voir, dans Formes traditionnelles et cycles cosmiques   (N.R.F. 1970 ), le compte rendu très favorable de René Guénon qui identifia d'emblée l'origine pythagoricienne du phénomène.
***** C'est notamment le cas de l'éditeur même des Bucoliques, aux Belles-Lettres
( collection Budé ).


 D'autres, plus prudents, reconnaissaient qu'il y avait là, incontestablement, "quelque chose", mais laissaient à l'avenir le soin d'en découvrir le sens . *

Voici par exemple ce qu"en pensait le grand latiniste Jacques Perret  ** :
" Reste l'énigme que posent ces minutieux ajustements numériques. On serait tenté de dire que leur inutilité, leur absurdité ressortent avec évidence du fait que depuis deux mille ans on admire les Bucoliques sans que personne y  ait soupçonné ces finesses. ***  Exigence de l'artisan envers soi-même ? Espoir qu'en se les imposant il se contraindrait à de meilleures trouvailles ?  Esotérisme esthétique ?

Au moins devons nous accepter les faits, et tout ce que nous connaissons maintenant de mieux en mieux de subtilités de la vannerie virgilienne rend-il ces recherches formelles moins singulières ".

Tous ces critiques, si bienveillants soient-ils, ont le tort de ne rien concevoir qui sorte des conventions littéraires. C'est pourquoi, le mot juste d'ésotérisme  à peine prononcé, on l'assortit de l'épithète esthétique. , qui en ruine tout le sens.****

Or c'est d'ésotérisme tout court qu'il s'agit, celui-là même des Mystères d'Eleusis ou de Delphes.

Il n'y a là aucune exigence de l'artisan envers soi-même. L'individualité du poète compte en effet pour rien en face des enseignements qu'il a pour missionde transmettre.et qui, en effet, s'imposent à lui avec une extrême exigence.


* Pour les études concernant les "Nombres virgiliens", voir la recension déjà ancienne de P. Miniconi : "Les proportions mathématiques dans l'Enéide , Latomus XXII, Bruxelles,1963,  pp. 263-272.
** Jacques Perret , biographie de Virgile dans Ecrivains de toujours,  Le Seuil.
(On recommande au lecteur cet ouvrage très agréable et dénué de toute pédanterie).
*** Rappelons  que, jusqu'à l'époque de Dante au moins, le secret de Virgile avait été soigneusement transmis. Il ne s'est perdu qu'à partir de là, et non depuis l'origine.
****  En introduisant sans le vouloir une contradiction dans les termes, puisque l'esthétique s'occupe de sensation (en grec  aisthèsis  ), alors que l'ésotérisme véritable surpasse de très haut le domaine émotionnel:

Ces graves réserves ne s'appliquent d'ailleurs en rien au travail de Maury. Ce dernier avait fort bien décelé une résurgence du pythagorisme, mais sans pouvoir convaincre tout à fait, faute d'une connaissance suffisante des doctrines en question.

Et en particulier de leur symbolisme numérique *, qui lui aurait permis de reconnaître les Nombres chargés d'une signification  emblématique  spéciale…

Cela dit, dans toute erreur, il faut considérer avant tout ce qu'elle a à nous apprendre. C'est là un principe fondamental de la pédagogie pythagoricienne, que nous allons maintenant appliquer à l'examen des deux points suivants  :

1) L'arithmétiquede l'oeuvre, à savoir les multiples correspondances  numériques qu'on y relève. 

2) La géométrie de sa structure.

  • Le total de vers des pièces I et II vaut 156, exactement comme celui de VI et VII .
  • Celui de III et IV , comme celui de VIII et IX, est de 177.*
  • Les deux pièces axiales (V et X) valent 167, moitié approchée de 333.

Géometrie des Bucoliques

Pour la clarté, nous ne donnons que les grandes lignes du schéma. On verra plus loin que seules la disposition en carré - une pure hypothèse - et quelques sommes partielles (ici en chiffres arabes)  demandent à être corrigées. Les Nmbres 156 et 177 font allusion respectivement au rayon 56 de l'Enéide,  et au 77 emblématique de Pallas
.

2)    GEOMETRIE DE LA STRUCTURE

Maury a donc imaginé une structure quadrangulaire se présentant comme une double échelle dont la pièce V  occupe le sommet, alors que la pièce X se trouve à sa base .

Il y voit  " les deux limites entre lesquelles circulent les âmes , entre le globe terraqué et l'Olympe ".

Les pièces latérales suivent un parcours ascendant, puis descendant, de part et d'autre de ces deux "pôles", et l'ensemble reproduit, toujours selon Maury, le plan d'une "basilique pythagoricienne".

Arrêtons là cette description :  on  ne sait ce qu'elle a de plus étonnant, de son intuition de départ ou de ses lacunes.

Du côté positif, on trouve

  • La conception du texte comme un tissage, mesuré point par point.
  • L'hypothèse d'une inspiration pythagoricienne
  • L'idée d'une architecture symbolique.

Autant d'éléments littéralement inouïs, et qui devaient forcément prêter le flanc à la critique ordinaire et  cela d'autant plus que la thèse de Maury présentait des faiblesses, d'ailleurs faciles à corriger. ** , ce que nous allons faire maintenant


*  Qui n'en était d'ailleurs pas une… Le "plan basilical" est un rectangle, forme qui, on l'a vu, est le double carré des Géorgiques.
** Le sort de tous les précurseurs est d' "essuyer le plâtres".


A)  CORRECTION DES TOTAUX NUMERIQUES.

Pour établir le nombre de vers de chaque Bucolique, Maury s'est servi uniquement de l'analyse philologique du texte. Celui-ci a subi,  plus que bien d'autres, les outrages du temps.
Lacunes, interpolations et redites imposent à celui qui tente de reconstituer le texte original des manuscrits mille corrections dont le profane ne se fait aucune idée. **

Or, les milieux spécialisés reconnaissent que les légères modifications proposées par Maury et fondées sur la seule critique de texte, sont déjà remarquables d'ingéniosité.

Qui plus est, ces approximations supposées disparaissent entièrement dès qu'on envisage la signification symbolique des nombres concernés. On se trouve alors devant des valeurs parfaitement exactes, et donc indéniables, comme le lecteur pourra le vérifier par  lui-même. .


* Qu'il dénomme imprudemment "basilique", en présumant ainsi de sa vraie forme, puisque le célèbre  "plan basilical"  est un double carré.
**  On peut penser aussi que les nombres exacts ont été légèrement déformés pour éviter une identification trop facile, conformément à la  couverture   ésotérique.


A la manière d'un frontispice   présentant le programme d'un ouvrage, les Bucoliques annoncent les nombres particulièrement actifs dans le reste de l'oeuvre.
Elles en sont donc comme le "mode d'emploi."

En fait, les pièces de I à IV et de VI à IX sont fondées sur quatre nombres seulement, à savoir 84 et 72 d'une part, et de l'autre 111 et 66. Leurs sommes respectives , 156 et 177, restent  donc inchangées.

La signification symbolique de ces nombres a déjà été établie dans les chapitres précédents.

Le 111 parle de lui-même : ce n'est pas ici un signe quantitatif, mais un emblème  connu, idéogramme qui figure  l' Unité polaire  régnant sur les trois mondes.

66 est le "Nombre de la Création" qui, on l'a vu, sert de fondement à tout le diagramme cosmique.

84 est le produit de 12 (solaire) par 7 (lunaire) :  il associe donc, par hiérogamie, Apollon et sa soeur Pallas (Diane). *

Enfin 72 est une allusion directe au pentagone qui sous-tend l'ensemble  et dont il représente l'angle au centre.


 *  84 est la moyenne de neuf premières Bucoliques qui totalisent 756 vers, exactement comme le premier chant de l'Enéide, qui est lui aussi un frontispice.
En raison de ses particularités, nous aurons à revenir sur ce 756.

A ) CORRECTION DES NOMBRES

A la manière du frontispice  présentant le contenu d'un ouvrage, les Bucoliques annoncent les nombres particulièrement actifs dans le reste de l'oeuvre. Elles en sont donc comme le "mode d'emploi."

En fait, les pièces de I à IV et de VI à IX sont fondées sur quatre nombres seulement, à savoir 84 et 72 d'une part, et de l'autre 111 et 66.

Leurs sommes respectives ,156 et 177. restent  donc inchangées.

La signification symbolique de tous ces nombres a déjà été établie dans les chapitres précédents. Rappelons-la.

Le 111 parle de lui-même : ce n'est pas ici un signe quantitatif, mais l'idéogramme qui figure l'Unité polaire  régnant sur les trois mondes.

66 est le "Nombre de la Création" qui, en conséquence, sert de fondement à tout le diagramme cosmique.

84  est le produit de 12 (solaire) par 7 (lunaire) :  il associe donc, par hiérogamie, Apollon et sa soeur Pallas (Diane). *

Enfin 72 est notamment une allusion directe au pentagone qui sous-tend l'ensemble  et dont il représente l'angle au centre.

*  84 est la moyenne de neuf premières Bucoliques qui totalisent 756 vers, exactement comme le premier chant de l'Enéide, qui est lui aussi un frontispice.
.
 
B)   CORRECTION DE LA FORME GEOMETRIQUE

Maury avait deviné dans les Bucoliques la forme d'un temple, ce qui était en soi une intuition brillante.

Mais il  prêtait à ce sanctuaire une forme en contradiction flagrante avec les nombres qui y dominent.

Du coup, sa recherche s'arrêtait là, d'autant qu'il considérait les Bucoliques comme un ensemble auto-suffisant, alors qu'elles ne sont en réalité que le prélude de la trilogie, et le seul fronton d'un édifice bien plus vaste.

Or un fronton ne peut être que triangulaire.

Le choix malheureux de la forme carrée n'avait pourtant rien de fortuit. En effet, une vingtaine d'années auparavant, une découverte archéologique avait fait sensation, et Maury n'en ignorait  rien

C'était la basilique pythagoricienne * de la Porte Majeure, un temple souterrain dont la forme obéissait, comme le dit son nom, au "plan basilical", un double carré. **

Si donc Maury  a cru voir d'emblée dans les Bucoliques une basilique pythagoricienne , il ne peut avoir tiré cette idée que de découverte en question..


* Brillamment identifiée  comme telle par le savant belge Franz Cumont, puis décrite en détail par Jérôme. Carcopino.
** Le "carré long" des architectes médiévaux.


Mais du coup, il prêtait aux Bucoliques un plan qui est en contradiction formelle avec leur fonction, clairement précisée par leurs Nombres. *

Car le fait que les Bucoliques soient triangulaires a une autre raison, encore plus forte si possible.

On sait que les Pythagoriciens prêtaient serment par la Tétraktys , mystérieux symbole dans lequel ils voyaient : "la source et la racine de la nature inépuisable ".

Ce symbole était leur Quaternaire fondamental, développé en Décade sacrée.

Or c'est justement cette Décade, figurée par un triangle, que rappellent les dix chants des Bucoliques.**

L'oeuvre est donc bien "la source et la racine"  de la trilogie dont l'ensemble figure la "nature inépuisable" **

*  Ce qui, dans la fameuse basilique, correspond bien au fronton des Bucoliques, c'est seulement son abside semi-circulaire. Dans les deux cas,  ce sont les clédu monument. En grec, hapsis  (d'où provient notre abside  ) signifie d'ailleurs "clé de voûte" (litt. "point d'attache" ). .
**  On rappelle la notion de nombre triangulaire, selon laquelle le Quaternaire (ou Tétrade) produit la Décade par "sommation interne" :  1+2+3+4  =  10
A tous les arguments qui imposent aux Bucoliques la forme triangulaire s'ajoute que le Nombre directeur de l'oeuvre, le 666 solaire, est lui-même le "triangle" de 36. Ce 36  (à la fois carré de 6 et triangle de 8), etait considéré comme la seconde Tétraktys.
*** Les ± 10.000 vers de l'Enéide sont comparables en ce sens aux "dix mille êtres" de la tradition chinoise, qui représentent la totalité de la manifestation.
C'était aussi le nombre d'habitants de la cité idéale (en damier) conçue par le Pythagoricien Hippodamos de Milet, et réalisée notamment à Alexandrie d'Egypte.
 

C)  LE TRAJET  DES AMES DANS LE COSMOS

En ce domaine encore, Maury se réfère sans doute à l'étude de Carcopino sur la fameuse basilique, qui cite le pythagoricien Porphyre et son "Antre des Nymphes. *

Le symbolisme du zodiaque y joue un grand rôle, avec ses deux portes solsticiales, celle du Capricorne, par laquelle on rejoint le monde des Dieux, et celle du Cancer qui ramène dans le monde des hommes. **
                                                                                                 
Ces deux portes sont figurées dans les Bucoliques par les deux chants situés sur l'axe vertical.

Au sommet (chant V), l'apothéose de Daphnis, héros apollinien. A la base (chant X), le drame de Gallus, dont la transfiguration a échoué, du moins provisoirement. Cet épisode est placé explicitement sous le signe du Cancer ( sub sidere Cancri  ).

Les Bucoliques constituent donc un zodiaque, avec ses deux axes, l'un vertical, celui des solstices, l'autre horizontal, opposant les équinoxes.

Et les nombres confirment pleinement cette disposition. L'axe vertical des solstices vaut en effet 167, moitié de 333, nombre solaire .

Quant à l'équinoxe, il est figuré par la somme 183  des pièces III et VII, (ou II et VIII )sur l'axe horizontal.

Selon Plutarque, cité par Maury, ce nombre. figurait l'équilibre   du Cosmos. ***

Mais surtout, ce nombre vaut la moitié de 366 , et figure donc la demi-année , ce qui est la définition même de l'équinoxe.

* On la trove dans l'Enéide (VI, 735-751).
** Ou plus précisément dans un état analogue, mais qui fait toujours partie de la manifestation. Voir à ce sujet les Symboles fondamentaux  de René Guénon, qui corrige certaines erreurs de Carcopino.
* C'est le fléau de la Balance, signe qui ouvre l'équinoxe d'automne.


On pourrait objecter à cela l'usage de donner au zodiaque une forme circulaire, pour figurer le parcours annuel du soleil.*

Mais cette présentation n'est pas exclusive :  il existe de nombreux zodiaques simplifiés, qu'ils soient carrés (comme les Géorgiques) semi-circulaires ou triangulaires.**

On les trouve notamment au portail des églises romanes.
 

* Voir dans La Tradition pythagoricienne (à paraître) , lezodiaque de l'Enéide.
** L'affinité de ces  formes  résulte de la parfaite inscription du carré dans le cercle, et donc du triangle rectangle dans le demi-cercle.  les Géorgiques, qui sont pourtant carrées,  suivent également  un parcours zodiacal. C'est que rien dans l'univers n'échappe à l'action du Logos solaire.

 

II
LES DEUX VOIES

On a vu que Virgile n'éprouvait aucun doute sur le caractère "surnaturel "  de sa vocation.
Mais son succès  n'était pas encore assuré  : 

"Si le sang qui entoure mon coeur se révèle trop froid  pour me donner accès à ces sommets de  la nature, si  ce sort glorieux m'est refusé , je me consolerai au spectacle de la campagne et des rivières arrosant leurs vallées (). 
( Géorg. II, v. 475 sq.)

Et comme si cette position de repli risquait d'être mal comprise, le poète revient aussitôt sur le sujet, montrant ainsi toute l'importance qu'il lui accorde.( ibid. v. 490 sq.)  :

"Il s'est pleinement réalisé, l'homme qui s'est informé des causes de l'univers  et qui peut désormais fouler aux pieds les  peurs  qu'inspire l'idée d'un Destin impitoyable, et tout le bruit que l'on fait autour de cet Enfer qui ne lâche pas ses proies.

Mais il a bien de la chance, lui aussi , celui -là qui  connaîtles divinités champêtres  : Pan, et le vieux Silvain, et nos soeurs les Nymphes  ".

Mais voici plutôt le texte original, que le lecteur, même non-latiniste devrait bien apprendre par coeur, tant il fait partie de notre patrimoine le plus précieux * :

Felix qui potuit rerum cognoscere causas,
atque metus omnes et inexorabile Fatum
subiecit pedibus, strepitumque Acherontis avari !

Fortunatus et ille, deos qui novit agrestes,
Panaque Silvanumque senem Nymphaeque sorores.

* D'autant que la traduction, comme on va le voir, fait fatalement disparaître certains éléments, et des plus significatifs.

Ces deux textes successifs insistent donc sur l'existence de deux "voies" proposées à l^ être humain.

Le  héros  peut se " surpassser "- ce que Dante nomme  trasumanar -  pour acquérir dès cette vie un statut "incréé". Il fait partie des rares élus qui ont donné la pleine mesure de leur personne. Quant à l'immense majorité des hommes, le mieux qui puisse leur arriver, c'est de vivre selon la nature. *

Cette disparité des vocations est en complet accord avec la tradition bien connue,qui distingue  "Gloire  au plus haut des Cieux" et " sur la terre, paix  aux hommes de bonne volonté. ***

La première formule rend très exactement le latin Supra sidera ****,  alors que l'autre résume le vrai objectif de l'Empire, qui est la  Paix universelle ( Pax Romana  ) accordée en effet aux " hommes de bonne volonté" que sont ses  sujets   (subiecti  )

Cette double vocation est exposée par Virgile en sept vers de l'Enéide (VI, 847 sq.) dont l'énorme charge doctrinale appelle un minimum de  commentaire.

Commençons par observer que ces vers se répartissent en 3 et 4 , Nombres dont on sait qu'ils figurent respectivement le Ciel et la Terre. *****


* C'est pourquoi le sage est felix  , adjectif apparenté au grec  thèlus , ou  thallô, exprimant la fécondité. Arbor  infelix  était l'arbre stérile auquel on pendait les criminels L'homme "naturel" est simplement fortunatus  : un chançard…
Avant de lui ouvrir les portes des Enfers, la Sibylle avertit donc Enée, et sur un ton des plus solennels, des difficultés de son entreprise. ( Voir Enéide VI, 128-131)
** C'est le vrai programme des épicuriens, que Virgile avait fréquentés dans sa jeunesse, avant son adhésion au pythagorisme
*** Message énoncé au solstice d'hiver, sous le signe du Capricorne, et par des Anges  en contact direct avec l'humanité, comme nos  Nymphes
**** Voir le vers central ( apollinien ) des Bucoliques ( V, 44 ), encore toujours imprimé en capitales…
***** Tradition que conservait la distinction entre "vertus théologales" (c. à d. métaphysiques) et "cardinales" (i.e. morales). Foi, Espérance et  Charité  traduisent les concepts anciens de  Sagesse,  Force  et  Beauté , symbolisés par l'olivier d'Athèna, le peuplier d'Héraklès et le Myrte d'Aphrodite.  Cette répartition des "vertus" est aussi à la base du  trivium  et  du   Quadrivium  médiévaux.

Le  premier groupe évoque en effet les arts et les sciences ayant trait au Ciel, et qui constituent, de l'aveu même des Romains, l'apanage des Grecs. *

On s'attendrait donc à ce que ce groupe compte trois vers, nombre céleste.

Or ils sont quatre, alors que les trois vers qui suivent sont dédiés aux Romains, ces grands spécialistes de l'organisation terrestre

Mais ce qui paraît défier toute logique s'explique aisément par un principe que nous avons déjà vu appliquer maintes fois.

C'est la notion d' hiérogamie, par laquelle les membres du couple parfait échangent leurs attributs. **

Voici donc ces vers, que nous citons en latin, pour les raisons déjà invoquées.

Excudent alii spirantia mollius aera
(Credo equidem) ; vivos ducent de marmore voltus.
Orabunt causas melius, caelique meatus
describent radio et surgentia sidera dicent

Tu regere imperio populos, Romane, memento.
Hae tibi erunt artes, pacique imponere morem,
Parcere subiectis et debellare superbos.

Avant même de tenter une périlleuse traduction, observons que les attributs de la Terre et du Ciel, à savoir l'équerre (regula  ) et le compas ( radius  ), ont  discrètement retrouvé  leur vraie place . **
 

* Faut-il  rappeler le fameux vers d'Horace :  " Graecia capta ferum cepit victorem"
(" la Grèce, vaincue (par les armes), domina à son tour (mais par l'esprit) son rude vainqueur".
** l'équerre est clairement évoquée par le verbe  regere  qui, comme le français "diriger", signifie littéralement "mener en ligne droite".


"D'autres que nous sculpteront des bronzes plus doucement inspirés ( c'est du moins mon avis  *), et tireront du marbre des visages  pleins de vie
Ils plaideront  leurs causes mieux que nous 
Ils mesureront au compas les méandres du ciel  et pourront ainsi annoncer les étoiles nouvelles.. **

Mais pour ta part, Romain,  souviens-toi d'avoir à mener tous les peuples dans le droit chemin. Voilà ta vraie vocation  :  imposer ta civilisation à un monde pacifié, en te montrant clément à tous ceux qui l'acceptent, mais en exterminant les révoltés. ".  ***

* Cette réserve de pure forme tendait à ménager l'amour-propre des vainqueurs.
**  Voilà définis les arts et les sciences, sans oublier la sagesse. Car si  Orare causas  a couramment le sens de"plaider les procès" ( métier de l'orateur), c'est aussi "dire les causes", ces Causes  dont la Connaissance, on l'a vu, doit faire la félicité du sage
*** A droite les  subiecti , à gauche les réprouvés, coupables d' hybris pour s'être opposés au mandat sacré de l'Empire, et donc passibles de  némesis. Observons en passant que des termes identiques se retrouvent dans l'  Islam  , nom qui signifie à la fois "paix" et "soumission", ses vrais  fidèlesétant tous ceux qui suivent la "Voie droite, ce qui est aussi le sens du  Tao  chinois.

 



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