LA CABALE DE CASTILLE (suite) |
La fragmentation de l'unité en deux latéralités, qui donne sur l'Arbre de Vie les deux colonnes –celle de la Force ou Miséricorde et celle de la Forme ou Rigueur– ajoute de nouvelles possibilités au développement de la trame de l'univers, car ainsi que le dit encore le Zohar, cette fois dans la section Vayéchev publiée dans le tome III de Verdier :
Ces tendances, loin d'être irréconciliables, sont celles qui donnent naissance à la manifestation, car l'on ne pourrait parler de lumière sans sa contrepartie l'obscurité, ni de la Grâce sans la Rigueur, ni du jour sans la nuit, etc. Le côté de la Miséricorde émet des énergies expansives, centrifuges et fécondes, mais tout ce flot génératif s'évanouirait s'il n'y avait un côté contractif, centripète et accueillant pour recevoir les effluves bénéfiques et fixer leurs limites afin de faciliter les coagulations à tout niveau. Opter pour l'un ou l'autre de ces côtés serait s'abandonner à la dissolution, par excès ou par manque, car ce n'est que par leur conjonction que sont rétablis l'ordre et l'harmonie, la voie du centre, symbolisée sur l'Arbre séfirotique par la Colonne de l'Équilibre. En outre, dans le Zohar comme dans d'autres textes cabalistiques, le versant gauche ne se présente pas uniquement comme le versant négatif au sens de « mauvais » mais fait plutôt référence à l'oubli, ainsi que nous le voyons dans cet extrait :
Ainsi donc, « l'autre côté » ou le côté gauche pris à l'extrême revient à une totale immersion dans l'ignorance, l'erreur et la stupidité, d'où le rapport avec le diable, Satan ou l'Ange de la mort, entité qui du reste n'est pas hors du cosmos ni de l'être humain, mais est assimilée à ces énergies niaises, maladroites et ineptes qui se satisfont du péremptoire et de l'anecdote, et donc de la mort, mais qui, une fois reconnues, nommées, domptées et transmuées, peuvent devenir un moteur d'ascension dans les clairs-obscurs de l'Arbre de Vie, permettant ainsi d'incarner toutes ses énergies et de les conjuguer dans chaque monde, jusqu'à atteindre la Plénitude ou le Bien qui est au-dessus de toute opposition ou complémentarité, puisque par son grade hiérarchiquement supérieur il comprend et réunit en lui toute polarisation, aussi élevée ou universelle soit-elle. Charles Mopsik observe dans le chapitre intitulé « L'inclinaison au mal et le combat du juste » du tome III du Zohar de Verdier :
Dans la tradition juive, la figure du juste, qui est en quelque sorte celle du cabaliste, concerne cet être humain qui pénètre et identifie ces deux tendances dans son intérieur et, conservant une attitude complètement guerrière, ne se plie pas à la pression de la descente et de l'obscurité, mais recherche le sentier lumineux et ascendant, symbolisé par la droite, comme le montre ce fragment du tome III du Zohar :
Mais comme nous le notions plus haut, il ne s'agit pas de substituer un courant à un autre, mais de livrer avec les deux une bataille de successives purifications dans le monde intermédiaire de l'âme afin de conquérir finalement la Grande Paix de l'état d'Éternité, comme en témoignent ces deux fragments, le premier correspondant au livre de Moïse de Léon intitulé Chéquel ha-Qodech cité par Mopsik dans le même tome :
Ce que Moïse de Burgos, de qui Moïse de Léon avait probablement reçu ces enseignements, exprime dans ce fragment du Sefer 'Amoud ha-Smoli, également cité par Mopsik :
Ainsi le Livre de la Vie continue de se développer et de se régénérer dans ces textes arcanes, qui ont trop souvent été livrés aux interprétations grossières et littérales, horizontales, restreintes, surtout chez ces esprits à la vue courte (qu'ils soient religieux, dogmatiques et moralistes, ou complètement désacralisés, rationalistes et matérialistes) qui, par stupidité, ignorance ou soif de pouvoir, petit et particulier, les ont manipulés et dénaturés à leur guise. Puisque l'origine de tous les mondes ou sphères de l'unité du Cosmos sont de nature supra-céleste, verticale et intemporelle, les interprétations à l'échelle humaine effectuées pour le contentement et la satisfaction des apathiques n'ont pas leur place ici.158 La Création est toujours maintenant, elle se régénère à chaque instant, elle n'a pas grand-chose à voir avec des concepts comme évolution, progrès ou avancée, mais avec la notion de simultanéité et de certitude, car comme le dit un cabaliste, « aujourd'hui est le premier et dernier jour de la Création », et l'être humain, favorisé par le don de la conscience, peut donc expérimenter l'intuition intellectuelle et, invoquant les dieux, les facettes toujours plus subtiles de la réalité, et être ainsi tiré du puits de l'oubli, récupérant la mémoire d'idées qui sont la projection cosmique de l'Illimité. Si nous lisons le passage suivant de la Création de l'être humain avec la virginité d'un cour déprogrammé, il peut nous suggérer beaucoup de nouvelles choses, et peut-être une lueur éclairant l'Invisible et l'Intangible sera-t-elle reconnue par le plus pur de notre âme :
Est-on prêt à prendre le risque ? S'il en est ainsi, en avant, mais si au contraire nous continuons de nous accrocher à la complaisance du connu et au monde réduit préfabriqué par un milieu où tout est étiqueté, quantifié et archivé en fichiers inamovibles ou ne pouvant être échangé que contre d'autres produits de valeur équivalente, le passage nous sera interdit. Sur les sentiers de la Cabale, il faut plutôt se dépouiller de toute sécurité, de tout confort, conditionnement ou possession, physique ou matérielle, mais surtout psychologique, afin de pouvoir naître alors à la conception philosophique du monde et du moi. Il faut lâcher toutes les amarres et non pas posséder mais reconnaître la valeur de ce qui en a réellement. Il n'y a pas de plus grand trésor que d'être ce que l'on connaît. Et ce que proposent constamment les écrits sapientiels que nous sommes en train d'étudier, c'est d'incarner le véritable secret que renferme l'être humain :
L'androgynie est un état de conscience de l'Être Universel, hiérarchiquement supérieur au sexué, et c'est simultanément le point central ou la synthèse de chacun des états indéfinis de la Création, elle est inscrite dans la moelle du macrocosme et dans celle du microcosme, donc de l'être humain qui est rebis par essence, masculin et féminin, même si extérieurement l'une des deux facettes a la primauté.
Mais en même temps, la Cabale révèle également que le monde ne s'est pas encore manifesté lorsque la dualité est présente, c'est donc le constant paradoxe imposé à notre cour pour lequel la solution la plus élémentaire pour le résoudre est d'opter pour une seule de ses parties au détriment de l'autre. Sur ce point également les textes ésotériques ne cessent d'apporter leur lumière, et un exemple en est le Zohar qui donne en d'innombrables épisodes des informations sur la tâche de reconnaissance des apparents opposés se manifestant dans tous les ordres en complémentarité, et la nécessité de toujours les conjuguer à l'intérieur de soi :
Combien d'interprétations erronées pour ce passage et à combien de confusions a-t-il conduit ! Dans sa littéralité, il a prêté le flanc aux innombrables démonstrations de la domination du mâle sur la femelle, ou à la réaction contraire, à savoir la tyrannie des femmes sur les hommes. Ces lectures exotériques et vulgaires ont provoqué des luttes sans fin qui divisent et rendent la conciliation presque impossible. Et cela est tellement enraciné dans notre culture que c'est un poids encore identifiable aujourd'hui. Mais la lecture ésotérique dévoile de nouvelles conceptions, émanées de la vérité et de la non-dualité. Mâle et femelle ont été présents dans l'histoire sacrée de la tradition juive dès le début, exerçant des fonctions symboliques universelles, comme celle de la polarisation primordiale au sein de la déité dont la séparation permet d'être à l'origine du jeu d'émetteur et récepteur, et de ses infinies conjugaisons, ses équilibres et déséquilibres, contractions et expansions d'une danse qui répète à chaque instant l'harmonie de ce qui est en haut et de ce qui se trouve en bas, de la droite et de la gauche, etc. En outre, l'union de l'homme et de la femme, assimilable au haut et au bas, constamment répétée dans le Zohar, se réfère au bout du compte à l'union ou la conjonction des opposés (coniuctio-oppositorum) qui est absolument propre à tout système métaphysique et initiatique, et au travail énorme pour en obtenir l'accession, dont l'exemple le plus connu est celui de la tradition extrême-orientale du yin et du yang et de leur complémentarité en Tao dont il est dit qu'il n'est ni l'un ni l'autre. Voici plusieurs exemples où les liens secrets qui relient tout l'univers s'expriment à partir des relations du couple :
Et, ainsi que cela a été répété en d'autres occasions, la Création est inachevée, et nécessite l'action théurgique de l'être humain pour la compléter, la maintenir en vie. Le jour où il ne restera plus un seul homme sur la face de la Terre qui incarne cette mission, cette humanité expirera, et juste à cet instant l'aube d'un nouveau monde se lèvera. Mais maintenant, le rite de la prière du cour, qui favorise l'union, doit être constant chez celui qui assume une telle mission avec dévouement et courage :
L'exil du peuple juif est une autre question importante dans l'histoire de cette tradition, et une symbolique que l'on retrouve constamment dans l'enseignement doctrinal. L'on pourrait de nouveau tomber dans la seule interprétation littérale, que l'on ne nie absolument pas, puisqu'il est parfaitement connu que les hébreux sont partis de leur terre, de même que leurs périodes d'esclavage, le retour en Israël, la déportation et leurs errances à travers le monde jusqu'à nos jours, tout comme les dénigrements sans fin qu'ils ont subis, et jusqu'à des génocides. Mais en même temps que cette vision, il existe un sens plus intérieur : le mythe de l'expulsion de la Terre Sainte fait référence à l'éloignement de la conscience de l'être humain de l'état d'Unité, ou état principiel, et à son irradiation vers des états plus grossiers et matérialisés, ce qui révèle que l'être humain est en réalité un exilé dans ce monde, un étranger ayant « atterri » sur la jante ou la périphérie de la roue et plongé dans la stupidité et l'ignorance pour avoir perdu la mémoire de son ascendance et de son origine, d'où la naissance de la douleur et de la souffrance, et la soif de récupérer cet état de plénitude oublié, ce qui a donn naissance au mythe du retour à la Terre Promise. Dans le peuple juif, le juste est le symbole de celui qui décide d'entreprendre le chemin du retour à sa demeure véritable et supracosmique. La douleur qui l'accompagne en permanence est une forme de sacrifice, l'image du solitaire qui va contre vents et marées à la conquête de la liberté totale.163 Solitaire, car personne ne peut faire le chemin pour un autre ; solitaire, car il n'y en a pas d'autre, et donc tout espoir et toute attente ne serait que simple évanescence. Et pour réaliser un devoir aussi sublime, il faut de défaire de ses attaches et conditionnements matériels et psychiques (tâche ardue, car les ego grandissent au moindre aliment qu'on leur donne), et même aller au-delà. Les beautés aperçues ou reconnues après la purification des aspects les plus denses de l'âme ainsi que les splendeurs des idées ou des intuitions de la majesté de tout ce qui est, doivent être abandonnées de la même manière. L'arrachement de tout ce qui est manifesté ou créé est total, peut-être détaché à l'extrême, mais c'est seulement ainsi que l'on pourra naître à la conception de ce qui n'est déterminé par rien. Et tout cela doit être exempt de toute mentalité mercantile qui n'offre que dans le but d'obtenir un bénéfice en échange, tout en se réservant quelque chose pour soi au cas où. Nous l'avons déjà dit, le plus beau trésor est d'être ce que l'on connaît, mais si l'on a le désir d'aller au-delà de la Connaissance, il faut également se libérer de son plus précieux trésor et s'ouvrir sans réserve au Mystère insondable. La Cabale sait, à l'instar de toute tradition authentique, que le bagage qui a été donné à l'être humain pour réaliser ce voyage olympien est l'âme. À cet aspect, le Zohar est aussi très didactique et il décrit, avec la clarté propre à qui reconnaît la trame de l'Être Universel, l'origine et la provenance de l'âme, sa nature, l'itinéraire circulaire de son parcours et les éternellement paradoxales expériences des ruptures de niveau qui lui rendent possible l'ascension des degrés de conscience. C'est sur certaines de ces questions que nous voudrions nous arrêter maintenant. Le Zohar dit :
Et, à propos de la nature et des propriétés de l'âme, Dujovne explique dans son introduction :
Et il poursuit :
En outre, le spécialiste argentin souligne d'autres thèmes abordés dans le Zohar, aussi importants que celui de l'unité essentielle parmi toutes les facettes de l'âme167 ; il signale également la possibilité d'établir une correspondance entre celle-ci et les états de veille et de sommeil, ainsi qu'avec ceux du parcours post-mortem, sans oublier le thème de la transmigration, tous ces aspects possédant les connotations néoplatoniciennes qui dénotent cette unité essentielle des traditions qui émanent de la Tradition Unanime. Ainsi est-il déclaré dans l'introduction de Dujovne, citant le Zohar lui-même :
Il est important de signaler que ce qui existe entre tous ces ordres ou ces symboliques sont des rapports de correspondance –et non pas des identités littérales–qui sont le fondement et le support pour éveiller et utiliser la pensée analogique ou symbolique qui favorise la Connaissance et le discours magique théurgique. Car en employant seulement la logique rationnelle, cartésienne et analytique, ce chemin de réalisation spirituelle et intérieure n'est pas viable et finit par avorter. Avec les facultés humaines, nous pouvons parvenir à construire un système perfectionniste, mais nous tuons les infinies possibilités d'appréhension supra-individuelle, sans parler des supranaturelles ou métaphysiques. Et de nouveau l'aiguillon du Zohar :
Cela n'empêche pas que l'âme comprenne en soi le paradoxe initial de la sexuation, et que plus elle est cultivée par le monde matériel, concret et formel, plus elle est éloignée de sa condition originelle, bien qu'il soit également vrai que la récupération de cet état primordial de pleine fusion avec l'Esprit se réalise en conjuguant sa face obscure, contractive et restrictive, avec la face lumineuse, expansive et féconde. La Cabale donne le nom de qliphot à ces énergies descendantes mais, loin de les nier, elle incite plutôt à les reconnaître en soi et à les transcender, afin que la lumière immarcescible et immatérielle de l'âme purifiée 'resplendisse avec plus d'éclat'. Voici comme illustration ce bref extrait d'un cabaliste postérieur à l'époque du Zohar :
Néanmoins, les qliphot ne devraient pas être vues comme le mal ou les démons, suivant les interprétations courantes, mais comme les noms inversés des énergies des sefiroth qui demeurent en elles. Leur caractéristique selon le discours cabalistique n'est pas l'ascension de l'âme à travers les sphères ni la communication avec ce qui est, tout compte fait, supra-humain, mais précisément ce qui empêche de sortir des états humains au moyen de la pensée concentrée et des oraisons, c'est-à-dire les énergies qui s'y opposeraient ; qu'elles soient d'une espèce terrible ou simplement des questions considérées comme 'bonnes' dans l'ordre existentiel et qui, dans l'ordre métaphysique, sont parfois un obstacle infranchissable pour le travail du cabaliste, telles que : l'amour, le mariage, la famille, la propriété, le prestige ou la possession sous toutes ses formes, et tout ce qui est en rapport avec le confort spirituel. Mais pas uniquement le 'positif' ; un autre écueil important empêchant d'appréhender les réalités supérieures peut aussi être fait de la crainte face à l'inconnu (une peur qui tourne souvent au refus ou à la répression) inculquée par la morale ou les coutumes170 sclérosées génératrices de milliers de préjugés et de conditionnements.Il nous faudrait également faire une référence à ces énergies les plus dissolvantes, à savoir l'accumulation d'obsessions, de phobies et de manies en tout genre qui, dans leur caractère le plus extrême et le plus terrible, sont symbolisées dans la Cabale par Lilith171, l'autre femme d'Adam, mère d'une génération infâme, dont il est dit qu'elle déambule à travers le monde en dévorant les enfants. Cette énergie est analogue à celle des lamies grecques, ces monstres au torse de femme d'une grande beauté et aux extrémités de dragon, dont l'avidité est insatiable. Ces puissances sont également sous-jacentes dans l'âme de l'initié, et tentent de l'attirer et de le retenir dans leurs rets, se manifestant comme le désir pour le désir, le travail pour le travail, le sexe pour le sexe, la passion pour la passion, etc., c'est-à-dire tout ce qui tend à attraper sans fin de transmutation et qui, par conséquent, désintègre, annule et empêche toute amorce d'ascension ou de déploiement de la conscience. Mais si elles sont reconnues, taillées, domptées et transmuées (c'est-à-dire soumises aux processus de l'alchimie spirituelle), leur force s'inverse et devient la soif d'être absorbé par le Principe ; une fois l'union réalisée, à quelque niveau que ce soit, cette énergie n'est autre que celle de l'Amour. Le thème central dans le discours du Zohar, et dans celui du cour de celui qui se consacre à vivifier ce qui est couché dans ses rouleaux, est justement l'Amour et les manières d'y accéder, lié directement à l'Intelligence, puisque des certitudes déterminées et certains éclairs de l'énergie nommée Binah produisent de l'Amour et s'imposent peu à peu à l'intérieur de la conscience et, comme telles, agissent sur tout l'être humain, qui vit alors d'une autre manière, modifiant sa conduite et s'ouvrant de plus en plus à la Possibilité Universelle. Cet Éros que l'être humain est capable de réaliser en lui-même, c'est-à-dire dans le microcosme, s'élargit et s'étend de manière naturelle au macrocosme en vertu de l'analogie entre l'un et l'autres de ces ordres, et parvient même à l'accroître, voire à le modifier, ce qui se traduit par la libération du microcosme de toutes ses entraves et de tous ses conditionnements, en claire correspondance avec la libération vécue par le macrocosme, ce qui fait que le Créateur n'est plus sa création, il s'en délivre et se réintègre au jamais manifesté. C'est ce que tous les textes sacrés hébreux nomment le jubilée, et c'est ce qui se rapproche le plus de l'expérience totale de l'Amour : absence de limite, expérience de l'éternité et de l'infini. Dans le traité Sifra di-Tzéniutha, cette réalité est exprimée ainsi :
La civilisation hébraïque a octroyé une grande valeur à la Magie et à la Théurgie, bien que souvent de manière voilée, surtout afin d'éviter les formes mineures, phénoménales ou inversées de ces sciences ou arts qui connaissent les rapports ou les liens subtils et secrets entre tous les mondes, les plans et les degrés de la manifestation universelle. L'être humain reçoit tous les effluves célestes172 et, inversement, tout geste qu'il réalise a une influence dans les sphères invisibles, de façon que tout est en interrelation par un jeu d'équilibres, d'ajustements et de déséquilibres propres aux lois qui règlent et maintiennent en vie le Cosmos, lequel cesse d'être la forme où nous le maintenons prisonnier et n'est plus que l'expression de ce qu'il est. Tout geste, tout signe est alors l'évocation d'un discours unique qui détruit toute norme de pensée logique, la magie de la vie s'imposant à l'emprisonnement de l'esprit qui tente toujours de construire en vain. Le Zohar est rempli de pages où l'on parle des correspondances entre les astres et les organes du corps humain173, entre le mouvement des étoiles ou les signes météorologiques et certains événements significatifs de son histoire sacrée. L'accent est mis également sur les rapports entre les patriarches, les rois ou les prophètes174 et les sphères de l'arbre de vie, entre les lettres et la conformation des mondes et des êtres qui les habitent, et une longue suite d'analogies et de relations presque intangibles.En outre, ces textes en soi, convenablement assimilés comme ce que nous disions des substances hallucinogènes, peuvent provoquer des ruptures de niveau dans l'âme de l'adepte ; ils brisent le discours engourdi de l'esprit et rendent possible l'accès à d'autres domaines, parfois imprécis, inexprimables, mais qui s'éclairent à la lumière de l'Intelligence et deviennent limpides, et ne sont en tous cas jamais conquis par mérites mais par la grâce céleste à laquelle on s'ouvre.
Toutes les questions que nous avons abordées ne sont pas exemptes d'incompréhension, surtout chez ceux qui s'entêtent à attraper et réduire à des paramètres restreints la symbolique par laquelle se révèle la doctrine, ce qui, nous l'avons vu, a provoqué dans le cas du Zohar diverses controverses, y compris une virulente polémique actuelle dans laquelle certains secteurs dogmatiques et fondamentalistes s'évertuent à attaquer la Cabale et ses textes sapientiels. En ce qui concerne le Zohar, ils n'hésitent pas à taxer d'ineptie l'attribution de ses textes à la plume d'un individu, ce qu'ils considèrent plus ou moins sacrilège, et davantage lorsque l'on dit que Moïse de Léon en avait fait commerce, comme si la parole de Dieu ne pouvait pas s'exprimer par le biais d'émissaires ou d'intermédiaires synthétisant des enseignements dispersés (oraux et écrits) unis à leur propre révélation ou expérience spirituelle intérieure, ni que soient employées des stratégies extrêmement variées afin de continuer la transmission rituelle, garantissant ainsi la régénération de l'univers. Nous avons vu que G. Scholem, de sa position de chercheur universitaire laïc, reconnaît cette paternité, qui n'est pas incompatible avec celle qui est attribuée au légendaire Simon bar Yochaï, puisque toutes deux sont des adaptations horizontales d'une révélation toujours verticale et atemporelle qui se réécrit à tout instant. Scholem admet aussi, comme nous l'avons dit, l'existence d'une influence gnostique sur les origines de la Cabale, ce qui lui a valu plus d'une critique, en ceci que les factions littéraires de sa tradition l'on taxé d'hétérodoxe et même d'impie, comme ce qu'affirme Philip S. Berg (disciple du Rabbin Yehouda Ashlag), du Centre de Recherche de la Cabale, qui dit dans le prologue du Parashat Pinjas :
Pour sa part, Charles Mopsik adopte une perspective combinatoire entre l'exotérisme juif et son ésotérisme, reconnaissant des influences néoplatoniciennes et même chrétiennes dans sa conception, ce que les puristes religieux utilisent comme excuse pour attaquer la Cabale en la considérant comme un mélange de savoirs. Au fond, ceux qui adhèrent à ces prises de position rigides ne la voient pas comme l'essence de leur tradition, et ils méconnaissent de plus l'existence d'une Tradition Unanime et primordiale dont découlent toutes les autres, entre lesquelles existe inévitablement une identité essentielle, puisqu'elles ne sont pas autre chose que des branches d'un tronc unique.Et même si cela paraît étrange, celui qui pénètre dans le « Livre de la Splendeur » se perçoit comme un univers d'ombres et de lumières, et se joint à un discours qui se grave dans son cour, avec étonnement, car c'est lui-même qui l'écrit, dans la mesure où c'est lui qui reçoit les illuminations, c'est-à-dire qu'il établit des rapports de plus en plus subtils avec la Lumière ou Verbe.
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NOTES | |
158 | À propos
de l’appréhension des réalités spirituelles, voici ce que dit Moïse
de Léon lui-même : « Les générations suivantes se sentirent
attirées par ces choses ; tout cela pénétra dans leur cœur et
les connaissances s’y plantèrent comme des clous. L’on ne peut concevoir
(ce secret) au moyen de la raison ni à travers l’explication d’une
autre personne, mais seulement par le mystère de la sagesse intérieure
qu’est la Cabale et qui vient de Moïse sur le Sinaï ».
(Scholem, Las grandes tendencias de la mística judía…). |
159 | Le
Zohar. Tiqouné ha Zohar. Tome I, Verdier, Lagrasse, 1991. |
160 | Dans
d’autres
traditions, cet architecte est assimilé au Démiurge, l’artisan divin.
Ce n’est pas le cas dans la Franc-Maçonnerie, où le « Grand
Architecte correspond au Maître d’Oeuvre (Roi
et Père) de cette citation. |
161 | Le
Zohar, tome
I, œuvre citée. |
162 | Citations
du livre de Scholem Zohar. Le Livre de la Splendeur… |
163 | L’on
dit de Noé, dans le Zohar : « Il y découvrit la sagesse
qui enseigne sur quoi repose le monde, et comprit donc que cest
grâce au sacrifice quil tient et que sans lui, ni les êtres
de lEn-haut ni ceux de lEn-bas ne subsisteraient. » Le
Zohar. Béréchit. Tome
I, Verdier. |
164 | Le
Zohar, tome I. Verdier. |
165 | Dujovne. El
Zohar, I. |
166 | Ce
commentaire de Dujovne se réfère à des passages du Zohar comme le suivant : « ‘Âme’ (néfesh)
et ‘esprit’ (rúaj) ne sont pas deux degrés différents, mais
un seul degré avec deux aspects. Il y a encore un troisième aspect
qui doit les dominer tous deux et qui s’ajuste à eux comme eux s’ajustent à lui,
et qui est appelé ‘esprit supérieur’, neschamah. Tous les
degrés
se trouvent disposés avec sagesse et leur contemplation jette de la
lumière sur la Sagesse Supérieure. Cet esprit entre en eux et ils s’y
unissent, et lorsqu’il domine chez un homme, un tel homme et appelé saint,
parfait, totalement consacré à Dieu. ‘Âme’, néfesh, est l’incitation
la plus basse, elle soutient et alimente le corps et s’y trouve liée étroitement.
Lorsqu’elle est suffisament qualifiée, elle devient le trône sur lequel
repose l’esprit inférieur, rúaj, comme il est écrit : ‘jusqu’à ce
que soit répandu sur nous l’esprit d’en haut’ (Is. XXXII, 15). Lorsque
tous deux sont suffisamment préparés, ils sont qualifiés pour recevoir
l’esprit le plus élevé, neschamah, auquel l’esprit le plus bas
sert de trône, et qui est indécouvrable, suprême par-dessus tout. Ainsi,
il y a un trône qui repose sur un trône, et un trône pour le plus élevé ».
Dujovne. El
Zohar, II. Lej Lejah. |
167 | Le
traducteur nous dit : « Cette unité de l’âme est désignée
par le simple nom ‘Moi’ (Ani). D’après Müller, ce que le Zohar
désigne par ce nom n’est pas tant l’unité individuelle que cette unité cosmique
divine d’où jaillit
l’unité individuelle ». El Zohar, I. |
168 | Le
Zohar, tome I. Verdier. |
169 | Herrera. Puerta
del Cielo, VI. |
170 | Une
autre chose sont les commandements, pris non pas au sens exotérique
et castrateur mais en tant que loi de Dieu, qui s’appliquent pour une
part aux principes élémentaires macrocosmiques et microcosmiques dans
lesquels l’initiation est réalisée, et d’autre part aux éléments, usages
et coutumes propres à la génération du peuple d’Israël où pourraient
fructifier ces initiations, c’est-a-dire un milieu historique apte à recevoir
les effluves célestes d’une façon particulière, étant donné les circonstances
temporelles qui marquent toute réalisation. |
171 | Le Zohar dit : « Nous avons appris que lorsque l’homme est descendu
sur la terre à la ressemblance supérieure, tous ceux qui le virent,
les êtres d’en haut et les êtres d’en bas, vinrent à lui et le firent
roi de ce monde. Ève eut Caïn de la saleté du serpent, et pour cela
descendirent de lui toutes les générations iniques, et de son côté est
la demeure des esprits et des démons. Pour cela tous les esprits et
démons sont pour moitié de la classe des êtres humains d’en bas et
moitié de la classe des anges d’en haut. Ainsi, également, ceux qui
naquirent d’Adam après étaient pour moitié de la sphère inférieure
et moitié de la sphère supérieure. Après que ceux-ci soient nés d’Adam,
il eut de ces esprits des filles de la beauté des anges célestes et
aussi de la beauté des êtres inférieurs de façon que les fils de Dieu
se dévièrent derrière elles ». (Dujovne. El Zohar, V).
C’est là la généalogie inframondaine, humaine et divine imprimée dans
notre âme, tension entre haut et bas. Aspirons-nous à conjuguer cette
polarité, à la transmuer, la transformer et nous délivrer de tout conditionnement
ou nous conformons-nous seulement avec le revêtement opaque du simplement
humain, voire avec les ténèbres de l’infrahumain ? |
172 | « L’homme
est continuellement exposé à des influences cosmiques qui agissent
par le biais des étoiles ou, plus précisément, des êtres spirituels
qui oeuvrent à travers les étoiles », déclare Dujovne, que nous
avons déjà cité. |
173 | Par
exemple Saturne avec la rate, Jupiter avec le foie, Mars avec la bile,
etc. |
174 | Dans
les gloses du Zohar l’on voit apparaître fréquemment la correspondance
de l’énergie incarnée par Abraham avec celle de la sefirah Hessed, celle
d’Isaac avec Guevourah, Jacob avec Tiferet, Joseph
avec Yessod et David ou Judas avec Malkhout, entre
autres. |
175 | Moïse
de Léon. Le Sicle du
Sanctuaire… |