CHAPITRE IX
LA REDÉCOUVERTE DE L'AMÉRIQUE
Les traditions précolombiennes sont peut-être les cultures qui ont été le plus étudiées et sur lesquelles l'on a le plus écrit au cours du siècle dernier, en particulier dans les milieux spécialisés (anthropologie, archéologie, etc.), mais aussi les plus incomprises dans leur intégrité, sauf quelques honorables exceptions. À l'époque actuelle, cependant, l'on possède à leur sujet des éléments et des informations en bien plus grande quantité, grâce à 'l'universalisation' du monde produite par l'éclosion des sciences de la communication, sciences qui, étant duales, peuvent aussi bien nous fournir des informations véridiques et utiles qu'accumuler un ramassis de valeurs sans queue ni tête.

Re-découvrir l'Amérique, cinq cents ans après le voyage de Christophe Colomb, signifie, à la lumière des moyens et des valeurs actuels, comprendre le vaste message que les peuples qui y vécurent ont légué à la postérité, c'est-à-dire au genre humain. Ce qu'ils ont toujours mis en relief dans leurs cultures, leurs symboles et leurs mythes, et qu'ils léguèrent au futur en vivant cette Connaissance quotidiennement et rituellement. Ces manifestations, exprimées par les diverses sociétés sur l'ensemble du continent américain, leurs us et coutumes, leurs rites, les conformations socio-économiques distinctes et les divers aspects, ethniques y compris, appartenant à différents peuples indigènes dans l'espace et dans le temps, s'avèrent jusque dans leurs langues, leurs 'philosophies', dans leur conception du monde et de l'homme, tout comme dans les exemples innombrables qui vont de l'écriture de leurs codex et la réalisation de leurs calendriers, jusqu'aux adaptations culturelles particulières rendues patentes par leur poésie, leur sculpture, leur orfèvrerie, leur tissage et leur vannerie, etc., etc., toujours symboliques.


Peinture en sable. Indiens Navajos. États-Unis.

Il est intéressant de souligner que beaucoup de ces cultures, apparemment mortes, vivent encore de nos jours et continuent de s'exprimer à travers des rites et des cérémonies qui révèlent leurs origines, parfois dans un syncrétisme chrétien ou sous l'aimable déguisement du folklore, ou pour certaines d'entre elles comme elles l'ont fait depuis toujours, traditionnellement, comme l'attestent les travaux des anthropologues actuels et les chroniques de la colonie, ainsi que les récits d'innombrables voyageurs étrangers, en y ajoutant le travail extraordinaire des spécialistes d'études indigènes en Europe et en Amérique.1 

Tous ces témoignages sont à portée de main de tous ceux qui désirent s'y familiariser, et tout ce dont on a besoin pour réaliser des investigations de cette nature, c'est de bonne volonté, d'intérêt et de patience, armes grâce auxquelles l'on peut conquérir la compréhension des cultures précolombiennes, aussi bien dans leur caractère formel ou substantiel de manifestation, invariablement riche, admirable et suggestif, que dans leur réalité, c'est-à-dire dans leurs racines authentiques, leur essence; ce qui veut dire les comprendre vraiment, à savoir faire nôtres ces valeurs, cette connaissance que, nous l'avons dit, ils nous ont léguées. C'est aussi appréhender une société traditionnelle et même la mentalité archaïque, origine de toutes les grandes civilisations parmi lesquelles la précolombienne est particulièrement remarquable, à l'instar des plus grandes que l'on ait pu connaître aussi bien en Occident qu'en Orient.

D'autre part, la découverte de leur vision du cosmos, parfois analogue et même identique à celle d'autres peuples est –outre une surprise et un plaisir, comme toute confirmation qualitative– également la preuve qu'il existe une cosmogonie archétypale, un modèle de l'univers dont la structure manifeste ce que l'on a nommé la Philosophie Pérenne, qui apparaît universellement malgré les innombrables robes dont elle est revêtue en divers temps et lieux géographiques.

Fray Juan de Torquemada, dans sa Monarquia Indiana (Monarchie Indienne, prologue au livre VII), remarque avec sagacité:

« Et qu'il ne te semble pas hors de propos, s'agissant d'Indiens occidentaux et de leur mode de religion, de remémorer d'autres nations du monde, prenant les choses qu'ils ont utilisées depuis leurs commencements, car l'une de mes tentatives, en écrivant cette longue et prolixe histoire, a été de donner à entendre que les choses que ces Indiens utilisèrent, que ce fut dans l'observance de leur religion ou dans les coutumes qu'ils possédèrent, ne furent pas de siennes inventions, nées de leur propre gré, sinon qu'elles le furent aussi de nombreux autres hommes du monde.»2  

 
Relieve de Yaxchilán

Il est possible que l'expression Philosophie Pérenne ne parvienne pas à expliquer cette science, raison pour laquelle elle a été aussi appelée Religion Pérenne et Universelle; cette dernière expression est peut-être encore moins claire que la première et prête à équivoques... L'on pourrait également l'appeler Gnose Pérenne, ou Cosmovision Universelle ou Tradition Unanime, mais ce n'est pas sa dénomination sinon son contenu qui est véritablement important et transcendant. Cependant, cette conception du monde commune à toutes les traditions vérifiables, qui se manifeste de façon unanime (malgré, nous l'avons dit, les différences formelles, qui permettent précisément que chacune se démarque avec ses propres valeurs, qui tout à la fois la distinguent et l'identifient) est aujourd'hui inconnue du monde moderne, si ce n'est de quelques-uns, car elle n'est plus enseignée de manière massive et officielle, étant de plus niée par les conceptions du même monde moderne; c'est la raison pour laquelle l'homme contemporain, à l'inverse de l'homme traditionnel, c'est-à-dire au contraire de l'homme de tous temps, a méprisé les énergies spirituelles et subtiles, composantes actives de la manifestation cosmique et toujours présentes en elle, et ne s'intéresse qu'au matériel, au limité, dont il fait une abondante provende statistique.

Il faut préciser que les réelles analogies que les différentes traditions possèdent entre elles, dérivées de leurs conceptions métaphysiques, ontologiques et cosmogoniques, ne sont pas de simples coïncidences de formes ni des similitudes casuelles, mais au contraire des adaptations d'une unique réalité universelle dont ont eu l'intuition (la révélation) tous les hommes de tous les lieux et de tous les temps, fondée sur la véritable nature de l'être humain et du cosmos. De là l'authentique pérennité de ces philosophies et qu'elles révèlent une pensée identique sous des formes différentes, adaptées aux circonstances de mentalité, de temps et de lieu. L'on sait également qu'il existe des règles permettant d'identifier la pensée traditionnelle, sa cosmovision, sa symbolique, son Imago Mundi, sans l'exprimer exclusivement de façon logique ou discursive. L'homme, en tant qu'entité complète, comprend à l'intérieur de lui-même divers degrés de l'être qui dépassent le rationalisme, et il faut remarquer la garantie représentée à ce sujet par les symboles, comme nous l'exposerons plus loin. Miguel León Portilla, dans son livre La Filosofía Náhuatl (La Philosophie Nahua), nous dit ceci:

«Dans la pensée cosmologique nahua, nous trouverons, plus encore que dans ses idées au sujet de l'homme, d'innombrables mythes.Mais nous y découvrirons aussi de profonds indices de valeur universelle. De même qu'Héraclite avec ses mythes du feu inextinguible et de la guerre 'père de toutes les choses', ou qu'Aristote avec son affirmation du moteur immobile qui attire, éveillant l'amour de tout ce qui existe, ainsi les sages indigènes prêtres nahuas, tlamatinime, tentant de comprendre l'origine temporelle du monde et sa position cardinale dans l'espace, forgèrent toute une série de conceptions d'un riche symbolisme.»


Serpents. Céramique Nazca.

Il faut également faire observer que la tradition précolombienne non seulement a subi l'incompréhension de sa culture, qui devait mourir aux mains d'une tradition historiquement plus puissante: l'européenne et chrétienne, sinon que la nature même du continent et ses habitants furent systématiquement diminués de la conquête espagnole jusqu'à nos jours. De nier que les indigènes aient une âme, jusqu'aux inventions concernant les espèces végétales et animales américaines, comme ce fut le cas de Buffon et de quelques autres, qui affaiblissaient ces espèces et les considéraient inférieures.3 

Depuis l'époque de la découverte de l'Amérique, l'on eut en Europe une énorme quantité de tabous au sujet du nouveau continent. Tous ces éléments généraient sûrement, dans l'esprit européen, certaines images d'attraction et de rejet de l'inconnu, de l'incertitude, des soupçons, de la peur et une forte tendance à nier tout ce qui ne cadrait pas avec leurs schémas, qui étaient considérés comme vrais simplement parce qu'ils étaient les leurs et ceux de leur environnement culturel connu. Il était impossible, avec la kyrielle de préjugés mentaux et de tabous religieux des découvreurs, qu'ils considèrent les aborigènes et leur culture comme quelque chose en harmonie avec leur conception de l'homme et du monde.


Oiseau et Arbre de la Vie. Yaxchilan

D'un autre côté, leur rôle de conquistadors et de missionnaires, c'est-à-dire leur tâche d'évangélisation et de civilisation, d'hommes providentiels en somme, rendait a priori impossible toute tentative de valorisation des cultures vaincues. Ils étaient donc conditionnés par leur temps et leur lieu géographique de naissance. Pour l'étude impartiale de la Tradition Précolombienne, il faut aussi tenir compte du fait que la période cyclique générale de ces peuples avant qu'ils soient découverts était une situation de décadence, tout comme celle de la culture européenne elle-même.

L'on ne doit pas reprocher aux découvreurs leur ignorance de la Philosophie Pérenne, c'est-à-dire du sens réel et authentique de leur propre tradition. En Espagne, l'ésotérisme chrétien avait sombré dans l'oubli et l'Inquisition était alors très active. Comme nous l'avons déjà dit, l'Occident lui-même ignore de nos jours le sens métaphysique et symbolique de son héritage.

À la suite de la découverte de l'Amérique, les réactions furent très différentes, aussi bien en Péninsule Ibérique que dans le reste du continent, selon les pays, les points de vue, les intérêts et le niveau culturel de chacun.4 

D'un côté, du point de vue des découvreurs, il fallait trouver une justification intellectuelle au sujet de ces terres et surtout de ces gens nouveaux; de l'autre, il fallait que ces peuples barbares et sauvages assimilent ce qui était alors pour les européens la civilisation. Le temps manquait pour essayer de comprendre de vaincu, sa place dans l'histoire et sur le continent où les grandes puissances avaient déjà porté le regard. Le voyage vers le Nouveau Monde fut interdit à qui n'était pas espagnol. De cette manière, l'Amérique demeura liée à l'Espagne et participa donc à ses oscillations idéologiques ainsi qu'à ses déchirements et contradictions. Ces dernières se présentèrent sur le nouveau continent sous la forme de deux personnages prototypes: le soldat et le prêtre. Le premier ne s'intéressait qu'au pouvoir et aux valeurs matérielles, était l'ennemi de l'Indien qu'il méprisait et malmenait, le traitant comme un domestique. Le second était le protecteur des natifs, s'intéressait véritablement à eux, voire même à leur tradition, bien qu'avec les précautions nécessaires; c'était le cas de nombreux chroniqueurs religieux, auxquels l'on doit être particulièrement reconnaissants pour leurs travaux. Néanmoins, du point de vue de la Philosophie Pérenne, il n'y a parmi eux aucun savant de l'envergure de ceux qui étaient nombreux à l'époque dans les diverses villes et cours européennes, spécialement en Italie.

Ces chroniqueurs nous racontent que l'une des choses qui causèrent le plus de répugnance aux découvreurs, ainsi qu'à eux-mêmes, étaient les sacrifices humains. Ces pratiques, qui sont aujourd'hui si difficiles à comprendre, furent cependant communes à tous les peuples archaïques et ont eu cours dans toutes les sociétés. Ceci n'est d'aucune manière une tentative pour 'justifier' ces peuples, qui n'ont besoin de la 'justification' de personne; nous cherchons plutôt à aborder le sujet d'une façon objective, laissant de côté les critères actuels et notre inévitable sentimentalisme, comme dans toute investigation sérieuse. Ces sacrifices ont été pratiqués également par les égyptiens, les grecs et les romains, à savoir nos ancêtres culturels. Chez ces derniers, le Sénat les interdit officiellement seulement en 97 av. J.-C. Et ils n'ont pas été seulement connus par les celtes, les germains ou les précolombiens; ils se pratiquent encore dans certaines tribus africaines. Ces rites sont presque toujours suivis de l'ingestion de la chair (l'énergie, le pouvoir) de la victime. La substitution de l'homme par l'animal ou par quelque espèce végétale se retrouve également de manière cyclique et historique. Nous croyons que l'on ne peut juger une société archaïque d'après des valeurs actuelles qui sont autres en raison d'une mentalité différente, qui creuse un abîme entre ce qu'imagine l'homme d'aujourd'hui en ce qui le concerne lui et le monde, et le mode de vie d'un être humain traditionnel.

L'un des motifs de base qui rend si difficile l'étude de la pensée indigène est, sans aucun doute, la perte progressive du sens cyclique du temps, que l'Occident, à partir d'une solidification de sa culture, de l'éclosion des grandes villes (ce qui implique un éloignement des périodes naturelles), et une individualisation croissante, a transformé en un temps linéaire et chronologique; tandis que les archaïques fondaient leurs cosmogonies, et donc leur manière d'être, de comprendre et de vivre, sur la base d'un temps renouvelé qui, comme une énergie régénératrice, vit et agit sans cesse conjointement avec un espace en perpétuelle formation.


Relación de las Cosas del Yucatán (Rapport des Choses du Yucatan), Diego de Landa

En effet, le cycle quotidien et annuel du soleil était, pour les peuples traditionnels, la preuve de l'harmonie et de la complexité de la machinerie du monde et son industrie constante. Le monde même (la machine), revêtu de l'habit de la nature, changeant selon les saisons, n'est autre qu'un symbole du rythme universel qui précède, constitue et succède à toute manifestation. Le mystère du rythme, exprimé en cycles et en périodes, est la magie subjacente en tout geste; et la vie du cosmos en est le symbole naturel. Le soleil est alors l'une des plus évidentes expressions de cette magie; par ses périodes, il marque clairement la régularité du temps, dont il est l'arbitre.5 Au cours de l'année, il ordonne les saisons, régularise les climats et les récoltes, et il gouverne la vie des hommes. Il est donc le père, mot qui désigne autant sa paternité omnipotente en ce qui concerne la création, qu'il limite ses fonctions en les humanisant. Il y a derrière l'astre une autre énergie, qui l'a formé et lui a octroyé ses fonctions régulatrices qui canalisent la vie des hommes. De même avec les autres étoiles et les manifestations naturelles, jusqu'aux plus minuscules, ce qui constitue un concert de lois et une danse de symboles et d'analogies, dans un ensemble en parfaite communication, au centre duquel se trouve l'être humain. La connaissance de ces relations donne lieu à la science des cycles et des rythmes –autre nom pouvant être donné à la Philosophie Pérenne–, cristallisée chez les Méso-Américains dans leur calendrier complexe, instrument magique de rapports et de correspondances numérales et artefact de sagesse, grâce auquel étaient régis les destins sociaux et individuels.

Pour les peuples américains, cette périodicité solaire était 'quadriforme' (soleil du midi, soleil nocturne, et deux couchers; solstice d'été, solstice d'hiver, et deux équinoxes) et cette structure quaternaire se retrouvait dans toute manifestation; les points limitant l'horizon étaient quatre eux aussi6, et quatre les 'couleurs' ou différenciations de base entre toutes les choses (rappelons les quatre éléments: feu, air, eau et terre de la civilisation gréco-romaine). Tout cycle est alors divisé de manière quaternaire, et cette réalité constitue le plus simple modèle de l'univers, résultat de la partition du binaire, à savoir sa puissance (4 = 22). À ces quatre points spatio-temporels, il faut en ajouter un cinquième, situé en leur centre, représentant leur origine et leur raison d'être, assimilé à l'homme et à sa verticalité en tant qu'intermédiaire de communication terre-ciel, c'est-à-dire entre deux plans distincts de la réalité. C'est le schéma de base de la cosmovision précolombienne. Alfredo Lopez Austin affirme:

«La superficie terrestre était divisée en croix, en quatre segments. Le centre, le nombril, était représenté par une pierre précieuse verte percée, à laquelle s'unissaient les quatre pétales d'une gigantesque fleur, autre symbole du plan du monde. À chaque extrémité du plan horizontal, s'érigeait un support du ciel. Avec l'axe central du cosmos, qui traversait le nombril universel, se trouvaient les chemins par où descendaient les dieux et leurs forces pour arriver à la surface de la terre. Des quatre arbres irradiaient vers le point central les influences des dieux des mondes supérieurs et inférieurs, le feu du destin et le temps, transformant tout ce qui existe selon l'esprit dont c'était le tour d'être dominant. Au centre, enfermé dans la pierre précieuse verte percée, demeurait le dieu ancêtre, mère et père des dieux, seigneur du feu et des changements de nature des choses. »7 

Cette division quaternaire omniprésente était également valable pour les grands cycles, sur lesquels ils avaient des théories complexes et élaborées. L'on peut aussi l'appliquer à leur forme de voir et de diviser en quatre la vie ou le développement de n'importe quel peuple: recollecteurs, nomades possédant un début d'agriculture, agriculteurs sédentaires et éclosion des cités, ce qui constitue la naissance, la croissance, la décadence et la chute de tout organisme social. Et leurs propres cultures ont été les protagonistes de ce schéma et n'ont pu, bien entendu, se soustraire à ces lois universelles qu'ils avaient découvertes, ou plutôt révélées, à leurs sages et prophètes.

J. Imbelloni8 nous dit:

« La succession des Soleils est en Amérique l'image des quatre cycles vitaux qui se sont succédés sur terre jusqu'à la période présente. Lorsque s'achève un cycle vital, le Soleil qui lui a offert chaleur et lumière disparaît du ciel (de même que les autres astres) et apparaît un autre Soleil au commencement de l'Âge successif. L'intervalle est caractérisé par une période de ténèbres cosmiques, un véritable interlude sans vie, ni chaleur, ni lumière, durant lequel les hommes survivants de la dernière calamité implorent avec angoisse que l'aube apparaisse. » 

 

Les cycles dont on parle, communs aux Précolombiens et à d'autres peuples archaïques constituent une Tradition Unanime et doivent être assimilés à des roues qui tournent indépendamment et accomplissent leur propre cycle, ou plus exactement leur période à l'intérieur d'un cycle, et qui, en s'enchaînant avec d'autres –comme il est advenu de la Tradition Précolombienne avec la Chrétienne, ne partagent pas nécessairement 'l'évolution' de la même période cyclique, ce qui est facilement vérifiable. Les cultures indigènes qui coexistaient avec les grandes civilisations américaines n'en étaient pas toujours à la même période rythmique et se trouvaient par conséquent à des stades de développement différents. Mais cela ne signifie pas qu'elles aient été plus ou moins évoluées au sens que l'on donne généralement à ce terme, à savoir comme synonyme de progrès indéfini. Chacune vivait une étape de son histoire de la même façon qu'un homme vit son enfance, sa jeunesse, sa maturité et sa vieillesse, avant de s'éteindre inexorablement. Répétons-le: un cycle supérieur en contient d'autres indéfiniment, qui se subdivisent à leur tour. Une société peut se trouver devant une barrière de l'histoire et subir sa fin, sa dissolution, à n'importe quelle période évolutive; tout comme un enfant, un jeune, un adulte ou une personne âgée peut affronter la mort à tout moment. C'est ce qui est advenu de la Tradition Précolombienne, qui a succombé pratiquement avec la découverte d'Amérique; elle peut cependant être reconstruite au moyen des documents et des monuments qui attestent son passé, par ses symboles qui, étant archétypaux, sont encore vivants et nous transmettent sa manière de voir la Tradition Unanime, le modèle cosmogonique en action à la lumière de la Philosophie Pérenne et Universelle. Il semblerait malheureusement que les indigènes actuels ne conservent que quelques formes de la sagesse ancestrale, et le temps passant, nous avons pu observer que même celles-ci se perdent, car elles ne possèdent plus qu'un contenu émotionnel, voire superstitieux ou de type nécromancien, suivant les cas.



NOTES
1 En termes généraux, les indigènes de nos jours pratiquent la dévotion comme une forme profonde de rapprochement avec la déité (bhakti yoga), directement influencée par le christianisme et de fortes réminiscences archaïques.
2 Dans ce sens, Gonzalo Fernandez de Oviedo, Chroniqueur Principal des Indes, écrit dans son Historia General: « Et ainsi il me semble en vérité que, des nombreuses choses que nous avons admirées à les voir utilisées parmi ces gens et indiens sauvages, nos yeux regardent en elles la même chose ou presque que ce que nous avons vu ou lu d'autres nations de notre Europe et d'autres parties du monde bien enseignées ».
3 Voir A. Gerbi, La Naturaleza de las Indias Nuevas (La Nature des Indes Nouvelles) y La Disputa del Nuevo Mundo (La Dispute du Nouveau Monde), Mexico, F.C.E. 1978 et 1982.
4 Mais ce fut sans aucun doute une révolution depuis la perspective géographique, c'est-à-dire des coordonnées spatiales qui modifièrent les conceptions mentales possédées à ce moment et avec lesquelles s'identifiaient encore les européens. Au sujet de la modification de la mentalité européenne et occidentale au moyen de la géographie, et surtout de la cartographie, leur conception spatiale changea (sur une carte, les lieux sont fixes, ce qu'ils n'étaient pas auparavant mais au contraire de parfaites découvertes ou redécouvertes, dans la dynamique du voyage) et devint limitée, fixée. L'on sait que les sciences géographiques renaquirent à cette même époque, précisément fortement influencées par la découverte de l'Amérique.
5 De nombreux peuples indigènes ont vécu la terreur comme une manifestation du sacré, comme le sentiment ou l'énergie de la déité, et selon ce critère, beaucoup d'aspects de leurs cultures peuvent être éclaircis. À cet aspect, l'on ne comptait pas toujours sur l'apparition de l'astre. Et la peur, associée à la vénération, à sa majesté et à la magie du rythme rituel, produisait (ou favorisait) des états souvent collectifs de catharsis, ou de communication avec les émanations invisibles. Celles-ci se faisaient particulièrement notoires lorsque le cycle quotidien du soleil se combinait à son cycle annuel, notamment au solstice d'hiver, et plus encore lorsqu'il fallait y ajouter une autre coïncidence correspondant à un cycle supérieur, comme c'était le cas pour la période de 52 ans (siècle) en Méso-Amérique.
6 Ce qui peut paraître curieux à des yeux non prévenus, c'est que espace et temps coïncident dans cette conception cosmique tout comme la science moderne à partir d'Einstein. Cette perspective n'est cependant pas seulement indigène, mais aussi propre à tous les peuples traditionnels. Et l'étude de leurs différentes cosmogonies, loin d'être pour cela ennuyeuse, se trouve extraordinairement enrichie par les formes que prend chaque tradition particulière.
7 Cuerpo Humano e Ideologia. (Corps Humain et Idéologie). UNAM. Mexico. 1984. P.66-67.
8 Religiosidad Indígena Americana. (Religiosité Indigène Américaine). Castañeda. Buenos Aires. 1979. P.87